ARRÊT DU
31 Mars 2023
N° 478/23
N° RG 21/01490 – N° Portalis DBVT-V-B7F-T3LF
PS/CH
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de TOURCOING
en date du
06 Septembre 2021
(RG 19/00283 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 31 Mars 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANTE :
SAS EVERIAL
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Marie Hélène LAURENT, avocat au barreau de DOUAI, assisté de Me Valérie PONCIN-AUGAGNEUR, avocat au barreau de LYON
INTIMÉ :
M. [K] [IG]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Virginie STIENNE-DUWEZ, avocat au barreau de LILLE
DÉBATS : à l’audience publique du 31 Janvier 2023
Tenue par Patrick SENDRAL
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Séverine STIEVENARD
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
[J] [G]
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Alain MOUYSSET
: CONSEILLER
Patrick SENDRAL
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 31 Mars 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par [J] [G], Président et par Séverine STIEVENARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 10 janvier 2023
FAITS ET PROCEDURE
Le 7 octobre 2002 M. [IG] a été engagé par la société d’archivage EVERIAL en qualité d’archiviste débutant. Dans le dernier état de la relation contractuelle il était cadre responsable du site de [Localité 7]. Ayant été licencié pour faute grave le 13 mai 2019 il a saisi le conseil de prud’hommes d’une contestation de son licenciement et de diverses réclamations.
Par jugement ci-dessus référence le premier juge a statué ainsi :
«JUGE que le licenciement…est sans cause réelle et sérieuse, que les dommages et intérêts alloués s’entendent comme des sommes brutes avant CSG et CRDS et que les sommes à caractère salarial, s’entendent comme des sommes brutes avant précompte de charges sociales
CONDAMNE la SAS EVERIAL à payer les sommes suivantes :
-1 852,97 euros au titre de rappel de salaire sur la mise à pied à titre conservatoire ;
-185,30 euros à titre des congés payés y afférents ;
-9266,25 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis ;
– 926,62 € au titre des congés payés y afférents ;
-17245,51 € au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement ;
-25000 € à titre d’indemnité pour préjudice lié au licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
-1 200 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile…
ORDONNE à la SAS EVERIAL de rembourser au Pôle Emploi les indemnités de chômage que cet organisme a payées au salarié depuis son licenciement dans la limite de 3 mois
ORDONNE la capitalisation des intérêts dus pour une année entière.
ORDONNE à la SAS EVERIAL de remettre à Monsieur [K] [RG] [IG] un certificat de travail conforme aux fonctions exercées et aux dates durant lesquelles celles-ci ont été exercées, notamment le poste en tant que responsable de site a débuté le ler Juin 2009 un reçu de solde de tout compte conforme, une attestation Pôle Emploi, le tout sans astreinte ;
DÉBOUTE la SAS EVERIAL de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ; DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;
CONDAMNE la SAS EVERIAL à supporter les entiers frais et dépens».
Vu l’appel formé par la société EVERIAL le 27/9/2021 contre ce jugement et ses conclusions du 27/9/2022 demandant son infirmation, le rejet des demandes adverses, subsidiairement la fixation à des dommages-intérêts à 3 mois de salaires en brut avant CSG et CRDS ainsi que l’octroi d’une somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
Vu les conclusions du 21/9/2022 par lesquelles M. [IG] demande la confirmation du jugement ainsi qu’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS
LE BIEN-FONDÉ DU LICENCIEMENT
La lettre de licenciement est ainsi rédigée :
«’vous exercez les fonctions de responsable de site au sein de l’entreprise. Vos fonctions principales comportent les tâches suivantes : Manager et optimiser la production du site, Animer et manager une équipe, Répondre aux attentes de nos clients, Planifier et démarrer les chantiers, Garantir la rentabilité des chantiers Anticiper les variations d’activité afin d’adapter les ressources, Gérer et proposer son budget, Interface avec les directions
L’importance des responsabilités qui vous ont ainsi été confiées nécessitaient avant tout des relations de confiance sans faille avec vos collaborateurs et votre direction. Ces liens de confiance impliquaient notamment que les politiques générales définies soient mises en ‘uvre par vos soins dans un esprit constant de loyauté et de coopération avec votre direction et que vous adoptiez à cette fin un comportement professionnel et constructif avec vos équipes leur permettant d »uvrer dans des conditions de travail optimales. Or force est de constater que votre comportement et vos méthodes managériales ont été contraires à cet objectif. II s’avère en effet qu’au cours du mois d’avril plusieurs collaborateurs du site de [Localité 7] dont vous êtes le responsable nous ont fait part de leur désarroi et mal être au travail résultant directement de votre comportement et actions à leur égard. Nous avons découvert avec stupéfaction que votre gestion du site de [Localité 7] faisait courir des risques à l’entreprise et que vous adoptiez régulièrement un comportement inacceptable vis-à-vis de vos équipes. Mais que vous usiez également à leur égard de méthodes managériales anormales. A titre d’exemple et sans que cette liste soit exhaustive les faits reprochés sont les suivants :
1/ Une mauvaise gestion du site pouvant entraîner des risques pour l’entreprise
a) Plusieurs salariés témoignent du fait que Monsieur [O] [KA] préparait un barbecue à votre demande le vendredi midi pendant ses heures de travail. Or Monsieur [O] [KA] exerce les fonctions d’employé de gestion et il est bien évident que préparer un barbecue pour les collaborateurs du site ne fait pas partie de ses fonctions. De plus, préparer régulièrement un barbecue sur un site où sont entreposées des archives fait courir des risques importants à l’entreprise en termes d’incendie et d’assurance. Monsieur [O] [KA] atteste également du fait qu’il devait nettoyer le terrain de tennis se trouvant sur le site de l’entreprise.
b) Nous avons également appris que pour une prise en charge d’archives à [Localité 6], les salariés (dont des intérimaires) ont dû partir à 3hoo du matin et sont rentrés à minuit. les salariés étaient présents sur le site le lendemain matin à 9 h. Cela signifie que non seulement la réglementation sur le temps de travail n’a pas été respectée mais aussi que la réglementation sur le repos quotidien n’a pas été respectée. En tant que Responsable de site, vous êtes censé manager l’équipe, ce qui n’est pas le cas puisque vos directives font courir, une fois encore des risques à l’entreprise en termes de durée du travail et de santé des salariés. Vous nous avez en outre affirmé lors de l’entretien que cette situation s’était produite à plusieurs reprises.
c) Plusieurs personnes nous ont indiqué que vous demandiez aux salariés de faire de fausses déclarations dans Saturne (notre logiciel de gestion des temps de production). Ainsi des tâches de nettoyage ou rangement ont été saisies à votre demande en tâche de destruction (ce qui correspond à une activité réelle de l’entreprise : la destruction d’archives) ou des heures saisies ont été modifiées afin d’atteindre les seuils déterminés en début d’année. Ce type de comportement (fausse déclaration) a pour conséquence de fausser non seulement la productivité du site mais également les modalités de calcul des critères de productivité qui prennent en compte l’ensemble des sites. Madame [M] [V] a précisément indiqué que vous demandiez :
«de modifier les lignes SATURNE pour ne pas avoir d’ANQ. Nous devons ainsi modifier les données et les enregistrer dans les lignes «pillons». De plus, il demande de son côté à [Y] et [N] de modifier sur les semaines antérieures les quantités, si les objectifs sont trop élevés par rapport au seuil fixé».
d) Nous ne comprenons pas votre organisation de l’activité du site. En effet, vous décidez de renouveler le contrat de certains intérimaires et d’en stopper d’autres au mépris de toutes les règles voire du bon sens. Par conséquent, l’entreprise se retrouve avec des salariés intérimaires ayant de très nombreux contrats ou dont la durée des contrats dépasse les durées maximales autorisées. De plus, Monsieur [B] [BO] est technicien d’archivage, métier dont la mission principale est la pris en charge des archives chez les clients. Or il s’avère qu’il se rend très peu chez les clients et est plus souvent sur le site de [Localité 7] à réaliser de la maintenance !
Nous avons également eu connaissance d’un problème lié à la surcharge d’un camion. Hormis le fait que ce type d’erreur coûte cher à l’entreprise (notamment par l’immobilisation d’un camion), vous ajoutez un coût supplémentaire en envoyant sur place deux salariés et en allant sur le site d’immobilisation avec un autre technicien d’archivage (sans compter la nuit d’hôtel sur place pour 4 personnes). Enfin, vous avez donné pour consigne de ne plus remplir les comptes-rendus de versement lors de prises en charge chez les clients. Les comptes-rendus sont réalisés une fois les archives ramenées sur notre site. Or ceci est contraire à nos procédures de travail et crée également un risque pour l’entreprise car aucun contrôle n’est réalisé et le client ne valide pas ces comptes-rendus. L’une des missions de votre fonction est d’optimiser la production du site. II s’avère que vos actions loin d’optimiser la production engendrent des coûts supplémentaires pour l’entreprise.
2} un comportement non professionnel inacceptable de la part d’un responsable de site
Vous exercez une surveillance accrue et Inappropriée de certains salariés. Certains salariés nous ont indiqué, que vous souhaitiez valider l’ensemble des communications, mails ou documents avant envoi aux destinataires. Ces salariés se sentent surveillés et épiés en permanence. Ils n’ont aucune autonomie dans l’exercice de leur fonction. Cela engendre chez eux de la peur et du stress. Monsieur [X] [S] atteste de cette situation : «[K] souhaite valider tous les mails qui partent, tous les dossiers qui partent et tous les chiffres qui partent ; dans ce sens il conserve la main mise sur l’image qu’il souhaite renvoyer du site». Monsieur [S] et Madame [V] attestent également du fait que vous avez demandé les mots de passe de Monsieur [S] et que vous avez profitez de son absence pour consulter sa session sur son poste de travail. Nous nous interrogeons sur cette attitude : aviez-vous peur que votre comportement soit dénoncé ‘ Vous faites régner un climat malsain au sein de l’établissement de [Localité 7]. Des salariés en déplacement sur le site de [Localité 7] nous ont indiqué qu’il était impossible de parler individuellement à un salarié, car vous étiez présent en permanence à leurs côtés sans que cela soit justifié voire vous répondiez à la place des salariés. Là encore nous nous interrogeons, aviez-vous quelque-chose à cacher ‘ Madame [W] [Z] a attesté du fait que vous lui faisiez comprendre qu’elle n’avait rien à faire dans le bureau de Madame [M] [V] même pour deux minutes de pause, comme si toute discussion entre salariés était prohibée. Cette ambiance particulière se retrouve également lors des réunions quotidiennes du matin ainsi qu’en atteste Madame [W] [Z] : «puis dès qu’il est 9h, l’équipe se tient en cercle dans un silence des plus religieux en attendant que [K] émette ses différentes paroles». Monsieur [I] [Z] atteste également de l’ambiance très pesante lors de ces réunions: «Tous les matins, lors des réunions, on doit se mettre tous en cercle et se taire en attendant qu’il parle. Si jamais ne nous nous parlons entre nous pendant qu’il parle, il nous interrompt devant tout le monde en disant (On vous écoute, ça doit être intéressant, c’est de l’ordre du travail ou pas, dites ce que vous dites que tout le monde en profite» pour que nous soyons humiliées. De ce fait, nous ne parlons pas en réunion même pour échanger une idée. De plus, lorsqu’il a quelque chose à reprocher à un collaborateur, même moi, il ne le fait pas de manière directe, il parle le matin en mettant des images et des citations et en fixant la personne concernée ou en marchant et s’arrêtant vers elle pour la fixer du regard». D’autres fois, vous n’hésitez pas à faire des reproches aux salariés devant les autres collaborateurs lors de ces réunions du matin. [T] [P] (Responsable RH) en a d’ailleurs été témoin lors de notre venue sur le site, lorsqu’une personne est arrivée en retard à cette réunion et que vous l’avez interpellée la mettant très mal à l’aise. Plusieurs salariés du site de [Localité 7] nous ont indiqué que leurs demandes d’entretien étaient régulièrement repoussées ou abrégées et que lorsque vous les receviez en entretien vous laissiez volontairement s’installer un long silence (environ cinq à dix minutes) pendant lequel les salariés concernés se trouvaient debout à attendre et très mal à l’aise. Ainsi, vous débutiez l’entretien en situation de supériorité et ayant créé un malaise chez vos interlocuteurs. Vous répétez régulièrement des phrases de ce type: «j’ai des petites oreilles, mais j’entends tout, je vois tout je sais tout et je ne suis pas fou» ou vous demandez aux salariés «je peux te faire confiance ‘» ou encore vous dites «on ne joue pas avec mon cerveau». Ces phrases qui peuvent paraître anodines, font, lorsqu’elles sont régulièrement répétées, régner un climat de méfiance au sein de l’établissement de [Localité 7]. Pire encore lorsqu’un salarié ne serre pas la main pour dire bonjour parce qu’il est malade, vous lui dites: «je n’aime pas les racailles» Vous faites preuve d’une grande froideur et de changements d’humeurs avec certains salariés (Messieurs [S] et [Z], Mesdames [V] et [Z]) vos rapports pouvant se limiter à un bonjour et un au revoir avec certains ou à un échange très limité voire par écrit pour d’autres. Monsieur [X] [S] décrit les conséquences de vos changements d’humeur :
«Ces sauts d’humeurs se manifestaient la plupart du temps dans le langage, des attaques sèches et sans détour sur le travail fourni, une multiplication des tâches demandées sur des courts délais, etc…. Avec le recul qu’a créé en moi le conflit que j’ai aujourd’hui avec mon manager, ces sauts d’humeur me sont intolérables à considérer. Je ne veux pas être le jouet psychologique ou être une décharge à frustration. De plus, imaginez le contexte relationnel créé par ces sautes d’humeurs, entre l’employé et son manager: la crainte de déclencher une saute d’humeur pour des raisons futiles, l’inconfort de travailler dans un contexte à géométrie variable, le coté malsain que ça crée sur le long terme dans l’auto-conditionnement, dans l’autocensure, dans le côté « monarque absolu et sa cour» Ces sautes d’humeurs me font peur aujourd’hui, moi qui suis en conflit avec mon manager, car elles me rappellent que [K] est quelqu’un qui réagit avec de la violence et qui n’a pas de gêne à faire subir des pressions aux autres de manière arbitraire».
Alors que parallèlement, vous avez de très bons rapports avec d’autres salariés et les intérimaires. Vous confiez d’ailleurs plus de responsabilités aux salariés intérimaires qu’a certains salariés en CDI. A titre d’exemple, Monsieur [Z] nous explique: «j’ai un sentiment de mise à l’écart» avec [X] et [M] car [K] forme les intérimaires [N] [U] et [C] [SD] sur toutes les données à gérer sous Excel (exemple : fichier Excel pour les réintégrations…) plutôt que de nous former nous-mêmes, les COI alors que nous sommes à la base, demandeur de ces formations. Aujourd’hui, nous nous retrouvons formés par des intérimaires sur notre métier qui sont à la base du personnel ponctuel.» Les modalités selon lesquels vous gérez votre site sont dangereuses pour l’entreprise, car des méthodes de travail sont transmises à des salariés dont la présence est limitée dans le temps. Monsieur [X] [S] décrit très bien l’ambiance particulière et la situation de malaise qui règnent sur le site de [Localité 7] : «Tout est centré sur lui, ce qui est normal dans le sens où c’est toujours sa responsabilité qui s’engage à chaque prise de décision, mais cela s’est ressenti par un management de plus en plus rigide et de ce fait, par une évolution perverse dans le relationnel employé-manager avec d’un côté un leader avec une autorité et un pouvoir fort et d’autre coté des intérimaires (et à un degrés un peu moindre de par leur statut moins précaires, des embauchés) voulant s’accaparer les faveurs du leader pour ne pas être éjectés, créant ainsi de facto une ambiance de cour, avec une cohésion lissée selon l’idée qu’on se fait du bon plaisir du leader, fondée sur une joie toujours renouvelé de faire partie du groupe du leader mais aussi et surtout sur la peur d’en être un jour exclu. Plus globalement, le fait que toute autorité locale soit centrée sur [K] petit à petit, expérience par expérience, conforté [K] dans ses comportements abusifs et dans la confiance en sa légitimité à exercer son autorité ainsi.
3 Un fort sentiment d’exclusion, de mise à l’écart injustifiée est évoqué par plusieurs salariés.
Madame [M] [V]: «Aujourd’hui on constate un véritable écart entre les intérimaires et les COI. Nous sommes mis à l’écart, comme par exemple le midi, les CDI d’un côté et les Intérimaires de l’autre. Cela s’est d’ailleurs beaucoup ressenti lors des festivités de cette fin d’année dernière. Les collaborateurs intérimaires avaient pris part à une table et les COI à une autre. [K] est arrivé et il a préféré se placer avec les intérimaires et à aucun moment, n ‘est venu vers nous, pour nous demander de participer avec eux à certaines de leurs activités»
Monsieur [X] [S] : «Les vendredi après-midi, [K] organise un repas commun pour ceux qui veulent s’y joindre. Je suis végétarien, c’est donc rare que je peux manger avec lui car il y a toujours de la viande au menu (kébab – poulet/frite ou autre), le végétarisme est marginal, pas de soucis là-dessus. Je quitte donc mon poste à 12h30 comme prévu et lorsque je rentre de la pause, tout est fermé. Je comprends que l’heure de départ en pause a été décalée à plus tard le temps de mettre en place le repas mais que j’avais été le seul à ne pas avoir été mis au courant. Même ceux qui ne mangeaient pas avec [K] en avaient été informés sauf moi. J’étais seul, je me suis senti exclu, scandalisé par le manque de considération, surtout que cela s’inscrivait dans une période bien spéciale où je subissais de nombreuses attaques psychologiques de la part de [K]».
Monsieur [I] [Z] : «Je me sens exclu, mis à l’écart, j’ai l’impression que je suis de trop, qu’il me cherche la faute, qu’il fait en sorte que personne ne vienne me parler tout comme à [X]. Cette situation est pesante, j’ai la boule au ventre le matin en allant travailler et je ne parle quasiment plus à personne, de peur que mes collaborateurs se fassent réprimander à cause de moi, surtout [M] et [X]. Une fois, lorsque je discutais avec [X] sur un sujet professionnel, il est venu m’interrompre et m’a pris face à face en me disant d’un ton narquois «Ça va, tu vas bien ‘» avec un regard noir et très froid, me faisant sentir que je n’ai pas à discuter avec [X].»
Vous avez menacé un collaborateur
Monsieur [I] [Z] et Madame [W] [Z] attestent que vous avez menacé de révéler que Monsieur [I] [Z] avait fait l’objet de poursuites pénales par le passé. Nous ne pouvons tolérer que des menaces soient proférées dans le cadre professionnel et surtout de la part d’un supérieur hiérarchique envers un salarié. Lorsque vous avez évoqué ces éléments, votre comportement était lui-même menaçant puisque Monsieur [Z] décrit votre comportement avec les mots suivants: «juste avant cet entretien, il m’a dit que «Ici, tu es en face de [K] [AH] [IG]» en me regardant avec insistance d’un regard noir rempli de haine voulant me faire baisser le regard et la tête pour me montrer qui était le maître». Vous avez, en outre, prononcez les mots suivants en ma présence «Vous préférez croire un pédophile» en parlant d’un salarié. J’ai compris que vous évoquiez [I] [Z] car celui-ci m’avait alerté de cette situation. Là encore vous accusez un salarié de faits graves et votre comportement pourrait être poursuivi pénalement. Le CHSCT alerté sur la situation du site de [Localité 7], a mené une enquête et a constaté que sur 7 collaborateurs interrogés 57.14 % ont déclaré être victimes de violences et 28.57 % déclare en avoir été témoin.
En conclusion : il résulte de ces différents témoignages que vous adoptez de façon régulière, d’une part un comportement non professionnel empreint d’attitudes déplacées, d’actions incompatibles avec la réserve inhérente à votre fonction, et d’autres part vous créez une situation anxiogène notamment au sein de l’établissement de [Localité 7]. Ces faits placent les collaborateurs concernés dans un profond désarroi et un mal être certain qui dégradent de manière significative leurs conditions travail. Ceci est parfaitement incompatible avec la nature de votre fonction et la teneur de vos engagements contractuels. Plus généralement vous ne pouvez pas ignorer que vos agissements portent un préjudice certains à la bonne marche de la société EVERIAL. Lors de l’entretien préalable, vous vous êtes contenté de nier certains faits sans plus d’explications. Nous ne comprenons pas ce comportement et ne pouvons tolérer qu’il perdure. Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l’entreprise est impossible. Votre licenciement pour faute grave prend donc effet immédiatement, sans indemnité de préavis ni de licenciement…»
La société EVERIAL détaille ces griefs dans ses écritures d’appel qu’elle étaye d’attestations et d’un compte rendu de réunion du CHSCT. Elle indique que les manquements du salarié, nombreux et graves sont parfaitement avérés et que le conseil de prud’hommes a mal apprécié la situation. M. [IG] conteste à l’inverse tout manquement à ses obligations et réclame la confirmation du jugement.
Sur ce,
aux termes de l’article L 1232-1 du code du travail tout licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. Lorsque l’employeur invoque une faute grave du salarié dans la lettre de licenciement il lui incombe d’en apporter la preuve à charge pour le juge d’apprécier le caractère réel et sérieux des griefs et de rechercher s’ils constituaient une violation des obligations découlant du contrat de travail rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
En l’espèce, les moyens invoqués par l’employeur au soutien de son appel ne font que réitérer sous une forme nouvelle, mais sans justification complémentaire utile, ceux dont les premiers juges ont connu et auxquels ils ont répondu par des motifs pertinents que la Cour adopte sans qu’il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail de leur argumentation.
Il sera cependant ajouté ce qui suit :
les barbecues
les attestations produites par les parties sont contradictoires. Le salarié affirme que des barbecues ont été organisés en dehors des horaires d’ouverture du site pendant les coupures méridiennes. Le témoin [F] indique que M. [KA], qui se plaint d’avoir été forcé de l’allumer, était volontaire pour allumer l’appareil. L’employeur affirme que ces événements étaient organisés pendant les heures de travail mais nulle pièce n’accrédite sa thèse. Faute du moindre élément factuel le grief tenant à ce que ces événements étaient organisés dans ces circonstances susceptibles de causer un incendie aux locaux ne peut être retenu.
L’ordre de nettoyer le terrain de tennis
pour étayer ce grief l’employeur produit une attestation de M. [KA], se plaignant de ce qu’il devait faire des réparations du terrain pendant les heures de travail. Il résulte des débats que le terrain de tennis était occupé pendant les pauses de midi par M. [KA] et ses collègues et que celui-ci s’était proposé de le rénover. L’intéressé était dans l’entreprise chargé des petits entretiens courants ainsi qu’en atteste sa fiche de fonctions et de formations. M. [IG] indique que toutes les opérations d’entretien ont donné lieu à compte-rendu écrit à la hiérarchie et que celle-ci n’a pas déféré à la sommation de produire le carnet de comptes rendus. Il en résulte que ce grief n’est pas fondé.
Le non respect de la durée minimale de repos
il ne résulte d’aucune pièce qu’en sa qualité de responsable de site M. [IG] ait privé ses subordonnés de leur droit à repos quotidien et hebdomadaire. L’employeur, détenant toutes les données utiles sur le temps de travail des salariés, n’en fournit aucune. Ce grief non daté et étayé d’aucun élément est donc infondé.
Les consignes afin d’effectuer de fausses déclarations sur le logiciel SATURNE
il est certain qu’à plusieurs reprises M. [IG] a demandé à des subordonnés de modifier des données sur le logiciel de travail Saturne mais aucun détournement de son pouvoir de direction n’est mis en évidence. Il entrait dans ses attributions de chef de service d’ordonner en cas de besoin la rectification de données erronées ou inadaptées, ce qui relevait du fonctionnement normal du service. Il ne ressort d’aucune pièce que M. [IG] ait donné des consignes non justifiées par les nécessités de fonctionnement normal du site étant observé que l’employeur n’allègue aucun fait précis et vérifiable. Ce grief est infondé.
La gestion des contrats d’intérimaire
dans les écritures d’appel l’employeur ne fournit aucune explication mettant en exergue un possible mésusage par le salarié de son pouvoir de direction. Aucun élément n’est fourni pour étayer ce qui relève de simples allégations. Ce grief est donc infondé.
La surcharge d’un camion
l’employeur ne communique aucun élément de nature à caractériser une faute du salarié. Ce grief, dénué de tout détail sur la date des faits, étayé d’aucune offre de preuve, n’est donc pas plus fondé que les précédents.
La surveillance «accrue et inappropriée de certains salariés
L’employeur se prévaut des ressentis d’une poignée de salariés. Leurs attestations parfois illisibles sont généralement imprécises ; elles relatent généralement des faits anodins et elles sont contredites par d’autres attestations de collègues versées au dossier du salarié. Le fait que M. [IG] ait souhaité valider personnellement les envois de courriels professionnels de certains de ses subordonnés à des tiers ne constitue pas en tant que tel en un comportement fautif faute de tout détail de contexte, de date ou de fréquence de ses actions. Le grief est formalisé en des termes généraux empêchant toute vérification. S’agissant de la consultation de l’ordinateur du salarié [S] il résulte de la lettre de licenciement que M. [IG] lui a demandé son mot de passe avant d’ouvrir son ordinateur professionnel de sorte que cette opération a été effectuée avec l’accord du témoin sur un matériel professionnel et par son chef de service. L’employeur ne précise pas en quoi cette consultation portant sur des données non précisées, à date non communiquée, serait constitutive d’une surveillance abusive de l’activité du subordonné. Dans son témoignage M. [S] se plaint également de ne pas avoir été informé du décalage d’un repas de service organisé par l’intimé ; il fait également état de ce que des collègues travailleraient 20 heures par jour ce qui ne ressort d’aucun élément et fait perdre tout degré de crédibilité à ses assertions.
La violation des procédures en matière de comptes-rendus de versement lors de prises en charge chez les clients
il est reproché au salarié d’avoir effectué des comptes-rendus d’opérations après leur accomplissement mais il n’est pas démontré par des éléments objectifs l’existence de consignes contraires à celles en vigueur dans l’entreprise. Le grief, imprécis et non étayé, est infondé.
L’ambiance de travail délétère en ce que M. [IG] en serait la cause
les éléments rapportés par l’employeur, reposant sur des témoignages imprécis et subjectifs d’un petit nombre de salariés sur les 20 que comptait le service, ne permettent pas de fonder un licenciement disciplinaire. Sans autre étayage que quelques attestations de subordonnés contredites par celles produites par le salarié le dépeignant comme attentif au bien-être de tous ses collaborateurs, l’employeur émet un catalogue de reproches dont la pertinence ne ressort pas du dossier alors même que le doute doit profiter au salarié. Il sera ajouté que l’employeur n’a jamais adressé de mise en garde au salarié et qu’il l’a toujours évalué positivement alors qu’il était à même de disposer de l’ensemble des informations utiles sur sa manière de servir. Au demeurant, dans la lettre de licenciement la société EVERIAL fait référence aux très bons rapports entretenus avec d’autres salariés. La cour ne peut fonder le licenciement sur la demande adressée aux participants à une réunion de parler les uns après les autres et d’éviter les bavardages, ce qui relevait de l’exercice de son pouvoir de direction exercé sans abus manifeste. Ce grief sera donc écarté.
les menaces envers le salarié [Z]
Dans son témoignage celui-ci se borne à indiquer que M. [IG] l’a «menacé d’un regard noir» mais de cette déclaration, sujette à caution puisqu’émanant d’un salarié en conflit ouvert avec son directeur, la cour ne peut déduire l’existence de menaces au sens littéral du terme. Il résulte des débats qu’en tête-à-tête avec son directeur venu lui remettre sa convocation à l’entretien préalable et devant aucun témoin M. [IG] lui a reproché de «couvrir un pédophile» mais dans le contexte de sa mise à pied conservatoire subite ces termes, proférés en tête-à-tête hors la présence de la personne visée, ne sont pas constitutifs d’un abus de la liberté d’expression. Ce grief est donc infondé.
Reste que pour étayer sa thèse l’employeur verse aux débats le rapport du CHSCT ainsi rédigé :
«Veuillez trouver ci-joint le retour de l’enquête CHSCT réalisée avec [CA] et [RS]
Collaborateurs interviewés
1- Avec constats de violences psychologiques remontées lors de l’enquête 7 collaborateurs interviewés
Dont 57.14 % ont déclaré être victimes de violences
Dont 28.57 % ont déclaré être témoin ou alerté
Dont 14.28 % ont remonte aucun signe de violence
[W] [Z] site de rattachement [Localité 7]
En tant qu’Elu, pas d’opportunité à organiser une festivité sans sa validation Interdiction de prendre la pause avec [M]
[I] [Z] site de rattachement [Localité 7]
Lors de mise à pied de [K], on m’a caché mes clés perso, retrouvées 2 jours plus tard derrière les casiers.
[M] [V] site de rattachement [Localité 7]
Pression mentale par des faits et gestes «regard» par rapport à mes affinités avec certains collègues. [X] [S] site de rattachement [Localité 7]
Sans constats de violences psychologiques puisque ces personnes ne se sont pas rattachées au site de [Localité 7] (témoin ou alerté)
[E] [H] [PV] site de rattachement [Localité 5]
En tant que délégué Syndical, j’ai été contacté par certains collaborateurs victimes ou témoins de ces violences psychologiques que j’ai fait part au service RH.
[ZS] [R] site de rattachement [Localité 4]
Lors d’une formation geste et posture en date du 10 et 11 décembre 2018 [ZS] a constaté plusieurs faits
~ Les intérimaires avaient plus un comportement de manager que d’employé.
~ Impossible pour lui d’évoluer dans le site sans la présence de [K] et les portes des bureaux ont été enlevées. Deux clans, celui de [K] avec les intérimaires et les collaborateurs Everial
~ [K] ne laisse pas la prise de parole à ses équipes, il a toujours le besoin de justifier (lors de la formation)
~ Dans tous les échanges écrits vers le service RH, [K] se trouve en copie systématiquement.
Chaque matin [K] fait mettre le personnel en rond pour l’échauffement avec un silence religieux jusqu’à son arrivée et ensuite il passe des consignes (durée environ 30 minutes).
[IS] [D] site de rattachement [Localité 7]
RAS»
La cour observe en premier lieu que ce «rapport», non signé, transmis par simple courriel, repose sur des allégations de salariés anonymes et qu’il n’est fourni aucun détail du contenu des entretiens menés avec les intéressés. Le CHSCT était composé de personnes manifestement hostiles à M. [IG] ayant fourni à l’employeur des témoignages à charge, de sorte que la loyauté de l’enquête est douteuse. Il n’est communiqué aucune précision sur ses modalités (durée, lieux, modalités). Il y est indiqué que 4 des 7 collaborateurs entendus auraient été victimes de violences mais aucune violence physique n’est reprochée à M. [IG] et aucune plainte n’est versée aux débats. Dans ce rapport Mme [Z], épouse du témoin à charge, déclare se plaindre de l’impossibilité «d’organiser une festivité sans la validation» de M. [IG] mais cette allégation dont la pertinence est douteuse, n’est pas compatible avec le grief pris de ce que l’intéressé aurait organisé des événements festifs pendant le temps de travail. Les propos de M. [Z], se plaignant de ce que ses clefs ont été cachées, ne sont pas de nature à fiabiliser les témoignages à charge. Les autres participants à la réunion, dont la plupart ne travaillaient pas à [Localité 7], n’évoquent quant à eux aucun fait imputable à l’intimé. Les attestations de M. [OY], [A], [L], cadres de la société appelante, décrivant Mme [Z] comme une excellente collègue, sont quant à elles dénuées de rapport avec les griefs. L’attestation du formateur extérieur [R] ne révèle, non plus, aucun élément mettant en évidence une faute de l’intimé. Il n’en va pas différemment de celle du DRH FAMIGUET, venu remettre à M. [IG] sa convocation à l’entretien préalable à son licenciement, en ce qu’il se borne à décrire le placement d’objets «inhabituels» dans les locaux professionnels et à souligner le climat de tension entre M. [IG] et M. [Z].
Eu égard à l’ensemble de ces développements le jugement, ayant fait une exacte évaluation de la situation, sera confirmé.
LES CONSÉQUENCES FINANCIÈRES
leurs montants, justement calculés, n’étant pas discutés il convient de faire droit aux demandes au titre des salaires de la mise à pied conservatoire et des indemnités de rupture.
Compte tenu des effectifs de l’entreprise, de l’ancienneté continue de M. [IG] remontant au contrat à durée déterminée du 7/10/2002, du revenu dont il a été privé (3088 bruts par mois avant revenus de remplacement), de ses qualifications, de ses difficultés à retrouver un emploi vu son âge (48 ans), des justificatifs sur sa situation postérieure à la rupture conformes aux éléments fournis dans ses conclusions et de la somme payée à titre d’indemnité de licenciement conventionnelle, il y a lieu de fixer à 20 000 euros les dommages-intérêts réparant le préjudice moral et financier causé à l’intéressé par la perte injustifiée de son emploi. Compte tenu de leur montant et de leur caractère indemnitaire ces dommages-intérêts seront alloués en net et non en brut.
L’appel a occasionné des frais qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [IG]. La société EVERIAL devra donc lui régler une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
CONFIRME le jugement sauf sa disposition ayant chiffré les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
statuant à nouveau sur la disposition infirmée et y ajoutant
CONDAMNE la société EVERIAL à payer à M. [IG] 20 000 euros de dommages-intérêts nets pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 3000 euros d’indemnité au titre des frais de procédure exposés en appel
CONDAMNE la société EVERIAL aux dépens d’appel.
LE GREFFIER
Séverine STIEVENARD
LE PRESIDENT
[J] [G]
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