RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 20/02474 – N° Portalis DBVH-V-B7E-H2AQ
MS/EB
CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE D’AVIGNON
08 septembre 2020 RG :17/00196
[F]
C/
S.A. CLARANOR
Grosse délivrée
le
à
COUR D’APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 31 JANVIER 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’AVIGNON en date du 08 Septembre 2020, N°17/00196
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
M. Michel SORIANO, Conseiller, a entendu les plaidoiries en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président
M. Michel SORIANO, Conseiller
Madame Leila REMILI, Conseillère
GREFFIER :
Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l’audience publique du 10 Novembre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 31 Janvier 2023.
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.
APPELANTE :
Madame [H] [F]
née le 21 Juillet 1980 à [Localité 4]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Philippe PERICCHI de la SELARL AVOUEPERICCHI, avocat au barreau de NIMES,
Représentée par Me Bénédicte ANAV-ARLAUD, avocate au barreau D’AVIGNON,
INTIMÉE :
S.A. CLARANOR
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Nicolas BLANCO de la SCP BAGLIO-ROIG-ALLIAUME-BLANCO, avocat au barreau D’AVIGNON
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 27 Octobre 2022
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 31 Janvier 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Mme [H] [F] a été engagée à compter du 22 août 2011, suivant contrat à durée indéterminée, en qualité d’ingénieur support et développement par la SA Claranor.
Par avenant en date du 6 janvier 2012, Mme [F] et la SA Claranor ont prévu que le décompte du travail s’effectuera dans le cadre d’un forfait exprimé en jours (218 jours par année civile).
Mme [F] est nommée responsable du service recherches et développement à partir du 1er juillet 2012.
Un avenant est régularisé à cette occasion, lequel prévoit que la salariée percevra désormais une rémunération mensuelle brute (partie fixe) de 4 000 euros outre un éventuel complément (partie variable) calculé en fonction d’objectifs définis lors des entretiens individuels.
Le 13 janvier 2017, Mme [F] est placée en arrêt maladie jusqu’en juillet 2017.
Par requête, en date du 19 avril 2017, Mme [H] [F] a saisi le conseil de prud’hommes d’Avignon afin de voir prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail et qu’il fasse produire à cette rupture les effets d’un licenciement nul, faisant valoir un harcèlement moral de l’employeur à son encontre.
Le 12 juillet 2017, le médecin du travail a rendu un avis d’inaptitude, confirmé à l’issue de la seconde visite médicale en date du 25 juillet 2017.
Le 28 août 2017, Mme [F] est convoquée à un entretien préalable.
Par courrier en date du 31 août 2017, la salariée est licenciée par la SA Claranor.
Par jugement en date du 8 septembre 2020, le conseil de prud’hommes d’Avignon a :
– débouté Mme [H] [F] de sa demande relative au non respect par la SA Claranor de son obligation de sécurité de résultat,
– débouté Mme [H] [F] de l’ensemble de ses demandes relatives à un prétendu harcèlement moral dont elle aurait été victime de la part de la SA Claranor,
– dit et jugé que le licenciement prononcé par la SA Claranor envers Mme [H] [F] le 31 août 2017 repose sur une cause réelle et sérieuse,
– débouté Mme [H] [F] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail et des effets qui en découlent,
– débouté Mme [H] [F] de l’ensemble de ses demandes et de celles qui en déclinent et afférentes à celles-ci,
– dit et jugé M. [D] [X] comme hors de cause dans le cadre de ce recours concernant les demandes dirigées à son encontre,
– débouté Mme [H] [F] de ses demandes relatives au constat d’absence de validité de la convention de forfait annuel en jours et de condamnation de la SA Claranor à lui payer des rappels de salaire sur heures supplémentaires,
– débouté Mme [H] [F] de ses demandes formulées au titre de l’article 7000 du code de procédure civile,
– débouté M. [D] [X] de sa demande formulée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné Mme [H] [F] à verser à la SA Claranor la somme de 100 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné Mme [H] [F] aux entiers dépens de l’instance,
– débouté les parties du surplus de leurs demandes.
Par acte du 6 octobre 2020, Mme [H] [F] a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 27 octobre 2022, Mme [H] [F] demande à la cour de :
-infirmer le jugement prononcé le 8 décembre 2020 par le conseil de prud’hommes d’Avignon,
Statuant à nouveau, qu’il plaise à la cour de bien vouloir :
– Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de
l’employeur et indemnisation du préjudice subi :
A titre principal,
– juger que Mme [H] [F] a été victime de harcèlement moral,
– prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail et faire produire à cette rupture les effets d’un licenciement nul,
A titre subsidiaire,
– juger que la SA Claranor a manqué à son obligation de loyauté et à son obligation de sécurité de résultat,
– prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail et faire produire à cette rupture les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Dans les deux cas,
– condamner la SA Claranor au paiement des sommes suivantes:
– 60.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse,
– 12.501 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 1.250 euros au titre des congés payés y afférents,
– 18.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des manquements de l’employeur,
Si par extraordinaire le conseil de céans venait à rejeter la présente demande,
– Sur le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement de Mme [H] [F] :
A titre principal,
– juger que Mme [H] [F] a été victime de harcèlement moral,
– juger que son inaptitude médicalement constatée n’est que la résultante de ce harcèlement,
– prononcer en conséquence la nullité du licenciement de Mme [H] [F],
A titre subsidiaire,
– juger que l’entreprise a failli au titre de ses obligations de reclassement et de consultation des institutions représentatives du personnel,
– prononcer en conséquence la requalification du licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement de Mme [H] [F] en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Dans les deux cas,
– condamner la requise à verser à Mme [H] [F] les sommes suivantes :
– 60 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse,
– 12.501 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
– 1.250 euros au titre des congés payés afférents,
– 18.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et à défaut exécution déloyale du contrat de travail,
A titre infiniment subsidiaire,
– constater le défaut de notification préalable des motifs s’opposant au reclassement,
– condamner la SA Claranor au paiement d’une indemnité à hauteur de 50.000 euros
correspondant à douze mois de salaire calculés sur la base de 4.167 euros bruts forfaitaires, à parfaire
En tout état de cause,
– juger que la convention de forfait annuel en jours est privée d’effet,
– condamner la SA Claranor à payer des rappels de salaire sur heures supplémentaires comme suit :
– 17.364,75 euros au titre des heures supplémentaires accomplies en 2016 outre incidence congés payés,
– 12.364,25 euros au titre des heures supplémentaires accomplies en 2015 outre incidence congés payés,
– 5.137,5 euros au titre des heures supplémentaires accomplies en 2014 outre incidence congés payés,
– condamner la SA Claranor au paiement de la somme de 1.466,32 euros au titre de l’indemnité compensatrice des RTT,
– condamner la SA Claranor à payer la somme de 25.000 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé,
– condamner la SA Claranor à payer la somme de 15.000 euros à titre d’indemnité pour non respect des temps de repos,
– débouter la SA Claranor de ses demandes reconventionnelles,
– condamner la SA Claranor à payer la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Mme [H] [F] soutient que :
– sur la résiliation judiciaire du contrat de travail
Le harcèlement moral
– elle a été progressivement exposée à des conditions de travail insupportables.
– Retrait du matériel, du bureau et non remplacement des membres du service R&D
– en 2012, l’employeur lui a supprimé un ordinateur spécifique pour permettre une utilisation optimale du logiciel optique, lequel lui a finalement été réattribué, à force d’insistance, courant 2016.
– en avril 2014, la société a recruté un nouveau responsable au service bureau d’études avec le même niveau hiérarchique que le sien et il lui a été demandé de laisser son bureau à cette nouvelle recrue et d’aller travailler dans l’open space, avec neuf personnes.
Elle a donc été contrainte d’aller travailler au réfectoire ou dans la salle de réunion pour avoir du calme.
– le service R&D était composé de 7 personnes et il ne comptait plus que 2 personnes en avril 2014.
– elle a dû absorber une grande partie de la charge de travail des salariés qui ont quitté le service, sans aucune contrepartie.
– Surcharge de travail et affectation à des tâches non liées à son poste
– avec la réduction des équipes du service R&D, sa charge de travail a progressivement et très fortement augmentée.
– elle était en outre très régulièrement sollicitée par son employeur pour intervenir en sus sur des missions ne relevant pas de ses fonctions.
– cette surcharge de travail l’a évidemment épuisée.
– elle ne pouvait pas prendre l’intégralité de ses jours de congés.
– Non-respect des temps de repos
– elle était très régulièrement dérangée durant ses congés (congés payés et congé maternité).
– Attitude méprisante et dénigrante de l’employeur
– M. [D] [X] n’a que très peu reconnu ses efforts et son implication au sein de la société.
Très régulièrement, il a multiplié les reproches sur sa manière de travailler avec un ton cassant et sec.
Il lui a confié des projets puis l’a mise à l’écart sans aucune explication. Il ne tient pas compte de son avis sur des dossiers importants
– Sur la dégradation de l’état de santé
– elle a été arrêtée, à trois reprises, pour burn-out et placée sous traitement anxiolytique lourd. Elle est aujourd’hui suivie par un médecin psychiatre et peine à se reconstruire.
A titre subsidiaire, sur la déloyauté contractuelle de l’entreprise empêchant la poursuite des relations contractuelles
Si la Cour estimait que les faits susvisés ne sont pas constitutifs d’un harcèlement moral, elle pourra à tout le moins constater que ces faits emportent violation par l’employeur de son obligation d’exécution loyale du contrat.
Sur l’obligation de sécurité
– sa situation professionnelle a altéré sa santé et elle a été placée en arrêt de travail pour burn-out et sous traitement antidépressif.
– la société Claranor est restée passive à ses alertes.
– elle a adressé plusieurs emails et courriers à son employeur pour lui faire part de sa souffrance morale.
– l’employeur a manqué à son obligation de prévention des risques professionnels en ne réagissant pas aux alertes de cette dernière sur sa souffrance morale.
– sur le licenciement
– l’inaptitude résultant d’une situation de harcèlement moral, le licenciement devra être déclaré nul.
– les conclusions émises par la médecine du travail ne sont que la résultante de ces faits :
« Apte à un autre poste dans un autre environnement professionnel »
– subsidiairement
– l’employeur n’a pas respecté son obligation de reclassement, aucune proposition ne lui ayant été faite.
– si l’employeur justifie d’un PV de consultation signé le 22 août 2017 établi au contradictoire d’un seul délégué du personnel, il ne justifie ni de la convocation préalable de ce délégué, ni de la remise préalable au délégué des informations nécessaires au reclassement du salarié inapte.
– tous les délégués doivent être convoqués et consultés. Il appartient à l’employeur de justifier du PV des élections en vigueur à la date de consultation.
– ladite consultation n’a pas été effectuée préalablement à l’engagement de la procédure.
– à titre infiniment subsidiaire
– l’employeur ne démontre pas qu’il l’a informée préalablement à l’engagement de la procédure de licenciement, donc avant le 22 août 2017, des motifs qui s’opposaient à son reclassement.
– sur la convention de forfait et les heures supplémentaires
– la convention de forfait est nécessairement privée d’effet dans la mesure où l’employeur n’a jamais organisé les entretiens de suivi de sa charge de travail et ne justifie pas non plus des mesures de contrôle des prises de repos, du caractère raisonnable de l’amplitude de travail et de la bonne répartition du travail dans le temps.
– elle a effectué de très nombreuses heures supplémentaires et produit des tableaux hebdomadaires établissant ses horaires de travail pour en justifier.
– l’employeur se contente de contester ce relevé d’heures sans produire aucun élément contraire à l’appui.
En l’état de ses dernières écritures en date du 21 octobre 2022, la SA Claranor a sollicité la confirmation du jugement dans son intégralité, de voir débouter Mme [H] [F] de toutes ses demandes fins et prétentions plus amples ou contraires et la condamnation de celle-ci au paiement de la somme de 3.000,00 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
La SA Claranor fait valoir que :
– sur la résiliation du contrat de travail
– la salariée n’établit pas le fait que son contrat ne pouvait pas se poursuivre au moment de l’introduction de son recours, du fait d’une faute grave de l’employeur.
– sur le licenciement
– au vu du registre du personnel, des postes existants et du fait qu’elle ne dispose que d’un seul établissement, le reclassement de la salariée en interne s’est avéré impossible.
– sans y être obligée, elle a aussi pris l’initiative d’informer des organismes tiers de la recherche d’un emploi pour sa salariée.
– Mme [F] a ensuite été informée de l’impossibilité de reclassement par courrier du 22 août 2019.
– sur le harcèlement moral
– les faits pris dans leur globalité et leur contexte ne sauraient caractériser l’existence d’un harcèlement moral envers Mme [F]. Cette dernière ne présente pas des faits matériels laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral dont elle aurait été la victime.
– la salariée a connu une évolution professionnelle au sein de l’entreprise qui est positive puisqu’elle a bénéficié d’une promotion et d’une augmentation de sa rémunération.
– les locaux professionnels de l’entreprise sont parfaitement adaptés à l’exercice normal des attributions dévolues à la salariée.
– lors de l’entrée de la salariée au sein de l’entreprise, l’espace de travail était configuré en mode d’espace ouvert (open space), ce qui en soit ne saurait être reproché à l’employeur.
– en 2013, elle a engagé des travaux d’aménagement de ses locaux qui ont abouti à cloisonner certaines parties des locaux et offrir au service R&D un espace de travail dédié.
– la salariée a bénéficié des moyens matériels pour l’accomplissement de sa mission. Elle a notamment été dotée d’un ordinateur portable, matériel qui a été renouvelé au cours de la collaboration.
– Mme [F] a pu disposer de ses jours de congés ou de jours RTT à sa convenance lorsque son contrat de travail n’était pas suspendu. Elle a eu également l’occasion de suivre chaque année un entretien annuel avec son supérieur hiérarchique.
Les rapports issus de ces entretiens annuels révèlent que certaines difficultés que rencontre la salariée sont d’ordre privé.
– les divers arrêts maladie transmis à l’employeur ne mentionnent aucune pathologie particulière en lien avec les conditions de travail. Ce sont tous des arrêts d’origine non professionnelle.
– sur l’exécution déloyale du contrat de travail
– il s’agit d’une demande nouvelle irrecevable en cause d’appel.
– sur le fond
– compte tenu de la date de saisine de la juridiction prud’homale (19 avril 2017), la période antérieure au 19 avril 2015 est prescrite. Le contrat de travail était suspendu en 2017.
– Mme [F] n’établit pas le bien-fondé de cette prétention. Elle n’établit pas non plus l’existence d’un préjudice, condition supplémentaire à la recevabilité de la demande.
– sur la convention de forfait
– la faculté de mettre en place ce type de forfait avec le personnel d’encadrement est prévu par les dispositions de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie.
– le nombre de journées et demi-journées travaillées par la salariée ont été décomptées tout au long de l’exécution du contrat travail.
Les jours de congés ou de RTT qui ont été pris par la salariée lorsque son contrat n’était pas suspendu ont également fait l’objet d’un décompte.
– subsidiairement : sur les heures supplémentaires
– Mme [F] n’est pas en mesure de formuler une demande chiffrée sérieusement étayée et sincère en paiement d’éventuelles heures supplémentaires.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.
Par ordonnance en date du 5 septembre 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 27 octobre 2022 à 16 heures et fixé l’examen de l’affaire à l’audience du 10 novembre 2022.
MOTIFS
Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail
Le juge prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur en cas de manquements suffisamment graves de ce dernier à ses obligations, de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.
La résiliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d’un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse avec toutes ses conséquences de droit.
Les juges doivent dès lors caractériser l’existence d’un ou plusieurs manquements de l’employeur et, cela fait, ils doivent, dans un second temps, apprécier si ce ou ces manquements sont d’une gravité suffisante pour justifier l’impossibilité de poursuivre le contrat de travail.
En matière de résiliation judiciaire, les manquements s’apprécient à la date à laquelle le juge prend sa décision.
Si le salarié saisit le conseil des prud’hommes d’une demande de résiliation de son contrat de travail et qu’il est ensuite licencié, le juge doit examiner d’abord la demande de résiliation judiciaire, avant de se prononcer sur la régularité du licenciement.
S’il fait droit à la demande de résiliation judiciaire :
– les effets de la résiliation judiciaire sont fixés à la date du licenciement,
– il n’y a pas lieu de statuer sur l’éventuelle contestation du licenciement.
La prise d’effet de la résiliation est fixée en principe au jour du jugement qui la prononce dès lors qu’à cette date, le salarié est toujours au service de l’employeur.
Lorsqu’un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d’autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit en priorité rechercher si la demande de résiliation du contrat est justifiée. C’est seulement dans le cas contraire qu’il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l’employeur.
Lorsque le salarié n’est plus au service de son employeur au jour où il est statué sur la demande de résiliation judiciaire, cette dernière prend effet, si le juge la prononce, au jour du licenciement.
En l’espèce, Mme [F] a saisi le conseil de prud’hommes d’Avignon le 19 avril 2017 et a ensuite été licenciée par courrier en date du 31 août 2017.
Pour fonder sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, la salariée invoque :
– un harcèlement moral (à titre principal)
– la déloyauté contractuelle de l’entreprise (à titre subsidiaire)
– le non respect par l’employeur de son obligation de sécurité
Le harcèlement moral
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. En vertu de l’article L. 1154-1 du Code du travail, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du Code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d’exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, Mme [F] soutient avoir été victime de harcèlement moral de la part de son employeur dans la mesure où :
– elle a été progressivement exposée à des conditions de travail insupportables,
– l’employeur a eu à son encontre des attitudes méprisantes et humiliantes,
– elle a été confrontée à une dégradation de ses conditions matérielles de travail (retrait d’un ordinateur, d’un bureau, non remplacement des membres du service R&D), une surcharge de travail (non remplacement des membres de son équipe, demande d’intervention sur des missions ne relevant pas de ses fonctions, remplacement de divers salariés absents),
– l’employeur n’a pas respecté ses temps de repos (sollicitations récurrentes de l’employeur
pendant ses congés payés et son congé maternité, le soir tard et le matin tôt),
– elle a fait l’objet de réprimandes injustifiées,
– elle s’est heurtée à une absence totale de réaction de l’employeur à ses alertes,
– son état de santé s’est dégradé.
A l’appui de ses allégations Mme [F] verse les pièces suivantes :
– une liste des comportements de l’employeur (pièce n°13) de juillet 2012 à janvier 2017 que la salariée considère comme : des tâches non liées au poste, des actes de mépris, des critiques répétées, des attaques infondées, des actes de dévalorisation, de déresponsabilisation, de culpabilisation, des médisances, une surcharge et une pression, et des actes d’humiliation.
Les attitudes méprisantes et humiliantes
– pièce n°48 : un article INRA: Mme [F] indique à ce titre que lors de la publication de cet article par l’INRA en août 2015 ou la vente d’une machine sur le projet Volvic en avril 2014, (Obtention d’un Talent INPI et rédaction d’un nouveau brevet en Novembre 2016), M. [D] [X] ne lui a témoigné aucune reconnaissance.
– pièce n°49 : il s’agit d’un échange d’emails concernant la communication avec l’INRA, entre MM [X] et [N] (le 24 novembre 2015), et Mme [F] et M. [X] (le 31 juillet 2015),
– pièce n°50 : un échange de courriels des 29 et 30 octobre 2015, et 10 novembre 2015 : Mme [F] a adressé le 10 novembre 2015 un rapport sur un problème d’électronique, lequel a donné lieu à la réponse de M. [X] suivante :
« Bonsoir,
Merci à [H] pour avoir produit ce rapport.
SVP avant de l’envoyer, je vous prie de faire une relecture pour remettre au carré au niveau de l’anglais. Il est mentionné une « erreur récurrente » liée à une diode. Il me semble qu’il faut changer le terme « récurrente », et mentionner un défaut déjà identifié. »
Mme [F] estime qu’il s’agit d’un acte de mépris dans la mesure où M. [X] a demandé à ses subordonnés de corriger des documents qu’elle avait rédigés en anglais alors que ces derniers ont un niveau inférieur au sien en langue anglaise.
– pièce n°51 : il s’agit d’un email adressé à Mme [F] par M. [X], ce dernier lui faisant part de ses commentaires qu’il souhaite que celle-ci prenne en compte. Il lui propose également d’en discuter.
Mme [F] estime que M. [X] utilise un ton sec et cassant.
– pièce n°52 : un email de M. [X] à la salariée du 24 février 2014 :
« [H],
Je pense qu’il faut que tu apprennes à [B] à cibler ses mails. Là, avec la terre entière, on ne va pas aller loin ! Encore un sujet de plus pour l’entretien ! »
– pièce n°53 : un email de M. [X] à la salariée du 24 février 2014 :
« [H],
Serac a sollicité nos services pour corriger les points indiqués par M. [J].
Peux tu me détailler le plan d’action et ses délais ‘ Je répondrai personnellement.
Par ailleurs, nous n’avons pas pu faire de mise au point sur la question des vis qui bloquent l’ouverture, et qui n’ont pas été corrigées, compte tenu de l’absence de [K] puis de [G].
Peux-tu faire cette mise au point vis-à-vis des 2 de la façon la plus ferme et la plus directe, en exprimant très clairement l’impact négatif en termes d’image de ce laisser faire ‘
En tant que donneur d’ordre R&D vis-à-vis de la prod et du BE, ton niveau d’exigence doit être à la hauteur de celui des clients pour éviter ce genre d’incident vraiment évitable, et vraiment déplorable.
Merci de me tenir au courant. »
– pièce n°54 : courriel de M. [X] à la salariée du 28 juillet 2016 : M. [X] a demandé à Mme [F] une aide ponctuelle pour le service client (maximum de trois mois) et il répond aux interrogations de la salariée à ce titre.
– pièce n°55 : échange d’emails du 12 septembre 2016 sur la réorganisation du service R&D. Mme [F] se sent personnellement mise en cause dans ladite réorganisation.
La dégradation de ses conditions matérielles de travail (retrait d’un ordinateur, d’un bureau, non remplacement des membres du service R&D)
– pièce n°14 : deux photographies montrant un bureau fermé et un bureau open space.
– pièce n°15 : organigramme de l’entreprise de 2013 à 2014 montrant une baisse considérable des effectifs du service R&D.
La surcharge de travail (non remplacement des membres de son équipe, demande d’intervention sur des missions ne relevant pas de ses fonctions, remplacement de divers salariés absents)
– pièces n°16 à 39 : emails adressés par M. [X], demandant à M. [F] d’effectuer certaines tâches.
– pièce n°6 : bulletins de salaire de Mme [F], cette dernière indiquant qu’ils démontrent qu’elle ne pouvait prendre l’intégralité des congés auxquels elle avait droit. Elle ajoute qu’au
début de l’année 2017, il lui restait un solde de 41 jours au titre des exercices précédents.
Le non respect des temps de repos (sollicitations récurrentes de l’employeur pendant ses congés payés et son congé maternité, le soir tard et le matin tôt)
Mme [F] indique avoir été en congé maternité du mois d’août 2014 à novembre 2014. Elle ajoute avoir reporté sa prise de congé de trois semaines au 21 juillet 2014 et avoir, en réalité, travaillé jusqu’à la mi-août.
– pièces n°40 à 44 : emails d’août, juillet et octobre 2014.
– pièce n°45 : courriel de M. [X] du 30 avril 2015, Mme [F] indiquant qu’elle était en vacances.
– pièce n°80 : attestation de M. [W] qui confirme que Mme [F] est passée à son entreprise le 30 avril 2015 avec ses enfants.
– pièces n°46 et 47 : emails de M. [X] à Mme [F] et réponses de cette dernière qui indique avoir été en vacances à ce moment là, ce qui est confirmé par la teneur des messages.
La dégradation de l’état de santé
– pièce n°70 : dossier médical de Mme [F] qui fait état de difficultés liées au travail.
Pris dans leur ensemble, ces faits permettent de présumer un harcèlement moral.
Il appartient dès lors à l’employeur de prouver que les agissements qui lui sont imputés ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
La Sa Claranor conteste le harcèlement moral invoqué.
Elle produit les éléments suivants :
– la salariée a connu une évolution professionnelle au sein de l’entreprise qui est positive puisqu’elle a bénéficié d’une promotion et d’une augmentation de sa rémunération, ce qui résulte effectivement de ses pièces n°6 et 7 (avenant n°2 du 23 juillet 2012 nommant Mme [F] au poste de responsable du service R&D avec une augmentation de salaire subséquente).
L’évolution professionnelle positive d’un salarié ne constitue pas un critère susceptible d’éluder tout acte de harcèlement moral, notamment dans le management.
– les locaux professionnels de l’entreprise sont parfaitement adaptés à l’exercice normal des attributions dévolues à la salariée : elle démontre avoir effectué des travaux afin de cloisonner
certaines parties des locaux et offrir au service R&D un espace de travail dédié.
La cour estime qu’aucune faute ne peut être retenue à l’encontre de l’employeur sur ce point.
– Mme [F] a bénéficié des moyens matériels pour l’accomplissement de sa mission professionnelle : l’employeur produit une facture d’achat de matériels informatiques du 3 avril 2016.
Or, il ne ressort aucunement de ce document qu’un ordinateur était destiné à l’appelante.
– la salariée a pu disposer de ses jours de congés ou de jours RTT à sa convenance lorsque son contrat de travail n’était pas suspendu et produit pour en justifier les demandes de congés présentées par la salariée en pièce n°25.
Cependant, l’employeur n’apporte aucune justification sur les emails adressés à la salariée pendant ses congés et son congé maternité, auxquels elle s’est empressée de répondre dans la mesure où les requêtes de M. [X] ne laissaient entrevoir aucun refus de Mme [F].
De plus, il ne donne aucune explication sur le solde de 41 jours de congés non pris au titre des exercices précédents et figurant sur le bulletin de salaire du mois de janvier 2017.
– les rapports issus des entretiens annuels révèlent que certaines difficultés que rencontre la salariée sont d’ordre privé (entretiens 2012 à 2016).
– une attestation établie par Mme [L], qui indique être intervenue dans l’entreprise dans le cadre d’une mission de rénovation de l’outil d’évaluation de performance des collaborateurs et de formation à cet outil : « …j’ai pu observer une parole libre de tous les membres du CODIR, des relations détendues et bienveillantes, des rapports à complète parité avec [D] [X]. Ainsi tant dans les objectifs de mission, les moyens choisis et le déploiement le 3 février 2016, j’ai été témoin d’un état d’esprit tourné vers l’humain et des relations constructives. »
– une attestation établie par M. [R], qui indique avoir collaboré avec Mme [F] dans le cadre de son activité de conseil : « …Sur le plan professionnel j’ai été amené à émettre des réserves sur sa façon de travailler et sa compétence technique. Par exemple je voyais qu’elle était la plupart du temps débordée et je lui ai conseillé de plus déléguer de travail autour d’elle. Par ailleurs j’ai plusieurs fois été en désaccord avec ses choix techniques que je trouvais prématurés et peu rigoureux sur le plan scientifique (‘) par ailleurs je trouve qu’elle s’est révélée incapable d’organiser suffisamment efficacement son emploi du temps et celui de son équipe. »
– une attestation établie par M. [S], membre du codir, qui indique notamment ne pas avoir constaté dans le cadre des relations de travail, qui se sont exercées au cours de la même période d’emploi, l’existence de pressions excessives du dirigeant envers ses collaborateurs, le témoin ne donnant aucune précision sur le cas particulier de Mme [F].
– courrier de Mme [F] à l’employeur du 27 juin 2014 par lequel elle demande de voir reporter le point de départ de son congé maternité de 3 semaines.
Pour autant, l’employeur ne donne aucune explication sur les emails envoyés à la salariée pendant son congé maternité.
– les avis d’aptitude de la médecine du travail rédigés à la suite de chacune des visites médicales suivies par la salariée, notamment lorsqu’elle a repris son poste après son congé maternité.
L’employeur ajoute que les divers arrêts maladie transmis par Mme [F] ne mentionnent aucune pathologie particulière en lien avec les conditions de travail. Il fait valoir en outre que le dossier médical de la salariée fait état de faits anciens datant de 2014.
L’intimée met en avant le stratagème de Mme [F] qui a organisé, avec son compagnon, M. [T], salarié de Claranor, la création, dès 2017, d’une société concurrente. Elle démontre ses allégations par la production du projet de création de la société STERIXENE, ainsi que
la procédure diligentée devant le tribunal de commerce et la présente cour d’appel, cet élément n’étant aucunement déterminant dans l’appréciation des actes reprochés par la salariée à l’encontre de l’employeur.
La cour relève que l’employeur ne répond aucunement concernant les faits suivants :
– les demandes d’explication, de tâches et d’intervention faites par l’employeur pendant les congés de Mme [F],
– la charge de travail de la salariée, avec notamment des interventions pour d’autres services que le sien, en plus de ses attributions, alors que M. [R] atteste du manque d’organisation de l’appelante, et ce, avec une équipe R&D qui a vu son effectif se réduire drastiquement entre 2012 et 2016,
– par ailleurs, M. [X] reconnaît par courriel du 12 septembre 2016 que les conditions de travail de Mme [F] ont pu être en partie la cause de son burn out : « … Tu t’es retrouvée à la tête d’une liste de difficultés technologiques à résoudre dans un contexte de disparition progressive de ton accès aux ressources adaptées pour y travailler. Ça a été générateur de coûts prohibitifs, sans doute en partie de ton burn out l’an dernier… », l’appelante produisant de nombreux emails envoyés par M. [X] à des heures tardives ou très tôt le matin, pendant ses congés et congé maternité, avec demande de réponse immédiate, l’adjonction régulière de tâches complémentaires en sus de ses attributions de responsable du service R&D.
Malgré cette reconnaissance, l’employeur ne démontre aucune action afin d’améliorer les conditions de travail de Mme [F], ce qui a abouti à un arrêt de travail dès le 13 janvier 2017 et à un avis d’inaptitude le 25 juillet 2017 :
« inapte au poste, apte à un autre poste dans un autre environnement professionnel… »
Il résulte de ces élements que l’employeur échoue à démontrer que les agissements retenus par la cour ne sont pas constitutifs d’un harcèlement moral et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il convient encore de rappeler que le harcèlement moral est constitué indépendamment de l’intention de son auteur dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel,
En effet, peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en ‘uvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Ainsi, et même si M. [X] n’a pas conscience d’avoir « harcelé » Mme [F], les explications développées supra démontrent que la gestion et le management de celui-là ont eu pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail de la seconde et d’altérer sa santé à deux reprises ( Mme [F] ayant fait un burn out en 2015 et ayant fait l’objet d’un arrêt de travail dès janvier 2017 se concluant par un avis d’inaptitude).
Il résulte de l’examen des pièces produites par la salariée et notamment la copie du dossier médical précédemment évoqué, qu’elle établit ainsi avoir subi une dégradation importante de sa santé psychique concomitamment aux faits répétés imputables à son employeur, dont la cour a précédemment jugé qu’ils étaient constitutifs de harcèlement moral.
La cour dispose dès lors d’éléments suffisants pour considérer que l’inaptitude de Mme [F] trouve sa cause directe et certaine dans les manquements de l’employeur tels que retenus supra, et constitués d’actes de harcèlement moral dont elle a été victime.
Par conséquent, il y a lieu, par voie d’infirmation du jugement déféré, d’ordonner la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur et de dire qu’elle produira les effets d’un licenciement nul en application des dispositions de l’article L. 1152-3 du code du travail à la date de son licenciement.
Selon l’article L. 1235-3-1 du code du travail, l’article L. 1235-3 prévoyant un barème d’indemnisation n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une nullité afférente à des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4.
Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
A la date du licenciement, Mme [F] était âgé de 37 ans, avait une ancienneté de 6 ans et percevait un salaire de 4167 euros bruts par mois.
Mme [F] produit un courrier de Pôle emploi du 24 avril 2018, duquel il résulte qu’elle a été admise au bénéfice de l’allocation d’aide au retour à l’emploi par notification du 2 novembre 2017 et a bénéficié de 91 allocations journalières au 31 mars 2018. Elle peut en outre prétendre à 639 jours d’allocations journalières.
Cependant, Mme [F] ne produit pas de courriers de Pôle emploi postérieurs, démontrant le versement de l’allocation susvisée.
Elle ne produit aucun document fiscal permettant de vérifier ses revenus.
Ce faisant, l’indemnité devant revenir à la salariée sera limitée à 6 mois de salaire, soit la somme de 25002 euros.
L’appelante peut également prétendre à une indemnité compensatrice de préavis de trois mois d’un montant de 12501 euros bruts, outre la somme de 1250 euros bruts au titre des congés payés afférents.
Sur les dommages et intérêts pour manquements de l’employeur à ses obligations
L’employeur considère qu’il s’agit d’une demande nouvelle en cause d’appel et de ce fait irrecevable.
Il est constant que Mme [F] avait sollicité devant le conseil de prud’hommes d’Avignon la condamnation de l’employeur au paiement de la somme de 18000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral.
La demande présentée devant la cour, si elle vise les manquements de l’employeur, concerne également les faits de harcèlement moral reprochés à ce dernier, l’argumentation de Mme [F] se limitant d’ailleurs au seul harcèlement moral pour justifier la somme réclamée.
Par ailleurs, elle n’est aucunement prescrite dans la mesure où le délai de prescription d’une action en nullité d’un licenciement qui serait survenu dans un contexte de harcèlement court à compter de la date du licenciement, peu important l’ancienneté des manquements invoqués à l’encontre de l’employeur.
En l’espèce, Mme [F] a saisi le conseil de prud’hommes d’Avignon le 19 avril 2017, soit antérieurement à son licenciement intervenu le 31 août 2017. Par ailleurs, elle fait état d’actes de harcèlement jusqu’à son arrêt de travail du 13 janvier 2017.
La salariée a dès lors agi dans le délai de 5 ans de l’article 2224 du code civil.
Ainsi, compte tenu de la durée des faits dénoncés, Mme [F] se verra attribuer la somme de 6000 euros en réparation de son préjudice moral.
Sur la convention de forfait
Il résulte des dispositions du code du travail applicables au litige, notamment l’article L.3121-39, que la durée du travail du salarié peut être fixée par une convention individuelle de forfait en heure ou en jours sur l’année, dès lors qu’existe un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche, l’accord collectif devant en toute hypothèse être préalable et déterminer les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, les caractéristiques principales de ces conventions devant être fixées par ledit accord.
Pour être valable, ce dispositif doit prévoir des modalités de contrôle sur la charge de travail et des moyens d’assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié, notamment sous la forme de la tenue d’un entretien annuel portant précisément sur la charge de travail, l’organisation et l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ainsi que sur la rémunération du salarié.
A défaut de telles précisions dans le contrat de travail ou la convention individuelle de forfait subséquente, le forfait annuel en jours est nul et en conséquence inopposable au salarié.
Mme [F] a été soumise à une convention de forfait par la voie d’un avenant au contrat de travail en date du 6 janvier 2012 ainsi libellé :
« Suivant l’accord national du 28 juillet 1998 sur l’organisation du temps de travail dans la métallurgie, modifié par avenant du 29 janvier 2000, le décompte du temps de travail se fera en jours. Ce nombre est fixé à 218 jours par année civile, donnant droit à un certain nombre de RTT défini chaque année. Pour l’année 2012, ce nombre est fixé à 10 jours. »
Il est de principe que la convention de forfait doit être suffisamment précise pour que le salarié soit mis en mesure de l’accepter de manière éclairée.
L’article 14.2 de l’accord national du 28 juillet 1998 sur l’organisation du travail dans la métallurgie définit le régime juridique du forfait jours. Il détermine les mentions obligatoires de la clause de forfait et les obligations de l’employeur sur le contrôle du temps et de la charge de travail de son salarié. Il dispose que :
« Le contrat de travail définit les caractéristiques de la fonction qui justifient l’autonomie dont dispose le salarié pour l’exécution de cette fonction.
Le contrat de travail détermine le nombre de jours sur la base duquel le forfait est défini. Une fois déduits du nombre total des jours de l’année les jours de repos hebdomadaire, les jours de congés légaux et conventionnels auxquels le salarié peut prétendre et les jours de réduction d’horaire, le nombre de jours travaillés sur la base duquel le forfait est défini ne peut excéder, pour une année complète de travail, le plafond visé à l’article L. 212-15-3, III, du code du travail.
(‘). Le forfait en jours s’accompagne d’un contrôle du nombre de jours travaillés. Afin de décompter le nombre de journées ou de demi-journées travaillées, ainsi que celui des journées ou demi-journées de repos prises, l’employeur est tenu d’établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées, ainsi que le positionnement et la qualification des jours de repos en repos hebdomadaires, congés payés, congés conventionnels ou jours de repos au titre de la réduction du temps de travail auxquels le salarié n’a pas renoncé dans le cadre de l’avenant à son contrat de travail visé au 2e alinéa ci-dessus. Ce document peut être tenu par le salarié sous la responsabilité de l’employeur.
Le supérieur hiérarchique du salarié ayant conclu une convention de forfait défini en jours assure le suivi régulier de l’organisation du travail de l’intéressé et de sa charge de travail.
(‘) Cette amplitude et cette charge de travail devront rester raisonnables et assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail des intéressés. A cet effet, l’employeur affichera dans l’entreprise le début et la fin de la période quotidienne du temps de repos minimal obligatoire visé à l’alinéa 7 ci-dessus ».
La cour ne peut que constater la nullité de cette convention de forfait qui ne prévoit aucunement les modalités de contrôle sur la charge de travail et les moyens d’assurer la protection de la sécurité et de la santé de la salariée. L’avenant ne détermine pas plus quelles sont les caractéristiques du poste dont la qualification n’est pas précisée et qui justifiaient une autonomie dans l’organisation de son emploi du temps.
L’employeur n’a pas mis la salariée en mesure d’accepter de manière suffisamment éclairée la clause de forfait jours de sorte que sa nullité doit être prononcée.
La salariée peut par conséquent prétendre au paiement d’heures supplémentaires dont il convient de vérifier l’existence et le nombre.
Aux termes de l’article L3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail effectuées, l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.
À défaut d’éléments probants fournis par l’employeur, les juges se détermineront au vu des seules pièces fournies par le salarié
Après analyses des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
Il appartient à la juridiction de vérifier si les heures supplémentaires revendiquées ont été rendues nécessaires par le travail confié au salarié, l’opposition à l’exécution de celle-ci de l’employeur se trouvant alors indifférente.
Le salarié peut revendiquer le paiement d’heures supplémentaires à raison de l’accord tacite de l’employeur.
Cet accord tacite peut résulter de la connaissance par l’employeur de la réalisation d’heures supplémentaires par le biais de fiche de pointage et l’absence d’opposition de l’employeur à la réalisation de ces heures.
En l’espèce, Mme [F] produit les éléments suivants :
– un décompte des heures supplémentaires semaine par semaine de janvier 2014 à décembre 2016, faisant apparaître l’heure d’arrivée et de départ chaque jour de la semaine,
– des courriels échangés avec M. [X] à des heures tardives ou très tôt le matin, ainsi que pendant ses congés, les samedis et les dimanches.
Le salarié produit ainsi des éléments suffisamment précis permettant à l’employeur d’y répondre utilement.
Ce dernier se contente de contester le décompte produit sans pour autant produire le moindre document mentionnant les heures réellement exécutées par le salarié.
En définitive, il résulte de l’examen des pièces produites que la société ne fournit aucun élément de contrôle de la durée du travail qui lui incombe, ni aucun élément de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par la salariée, contraire à ceux produits par cette dernière.
L’établissement d’un tableau ou d’un décompte pour les besoins de la cause ne laisse pas davantage présumer que ces documents ne seraient pas conformes à la réalité des heures effectuées.
Lorsqu’ils retiennent l’existence d’heures supplémentaires, les juges du fond évaluent souverainement, sans être tenus de préciser le détail de leur calcul, l’importance de celles-ci et les créances salariales s’y rapportant.
En l’espèce, la cour relève que le décompte produit par la salariée ne comporte pas la pause méridienne, celle-ci ayant en outre bénéficié de jours de RTT.
La demande de Mme [F] sera réduite en conséquence et la société Claranor sera condamnée à lui payer la somme de 18000 euros bruts, outre la somme de 1800 euros bruts pour les congés payés afférents.
Le jugement critiqué sera dans ces circonstances réformé en ce qu’il a rejeté la demande présentée par Mme [F].
Sur l’indemnité pour travail dissimulé
Il résulte de l’article L8223-1 du code du travail que le salarié dont le travail a été dissimulé par l’employeur a droit en cas de rupture de la relation de travail à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
Le travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié est notamment caractérisé par le fait pour l’employeur de mentionner intentionnellement sur les bulletins de paie, un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli.
Toutefois, le caractère intentionnel ne peut se déduire de la seule absence de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie.
En l’espèce, si l’employeur a pu se méprendre sur la portée réelle de ses obligations en matière de suivi de la charge de travail, estimant que Mme [F] était soumise à une convention de forfait qu’il estimait valable, la salariée n’apporte aucun élément susceptible de démontrer un tel élément intentionnel dans l’établissement des bulletins de paie ne mentionnant pas les heures supplémentaires. Il n’est en outre pas certain que l’employeur en avait une totale connaissance et alors que Mme [F] n’avait pas saisi pendant la relation de travail son employeur pour lui réclamer un tel règlement.
La demande formée a donc été à juste titre rejetée et le jugement doit être confirmé de ce chef.
Sur les dommages et intérêts en raison du non-respect des temps de repos et amplitudes de
travail
La cour relève que Mme [F] ne développe aucune argumentation à ce titre, indiquant seulement qu’elle est bien fondée à solliciter une somme de 15 000 euros en réparation du préjudice subi du fait du non-respect des temps de repos conventionnels et légaux applicables.
L’article 954 précise, en son alinéa 1, que les conclusions doivent » formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. »
Au soutien de sa prétention, l’appelante n’a visé aucune pièce ni développé aucune argumentation, notament sur la période concernée, et ce en contradiction avec les dispositions de l’article 954 du code de procédure civile sus-cité, ne permettant pas à la cour de vérifier le bien fondé de ses prétentions et faisant obstacle à la nécessité d’un débat loyal.
Le jugement critiqué sera dès lors confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande.
Sur l’indemnité compensatrice de RTT non pris
La convention de forfait ayant été annulée, Mme [F] ne saurait prétendre à des jours de RTT, sa demande de ce chef devant dès lors être rejetée et le jugement querellé confirmé de ce chef.
Sur la demande reconventionnelle présentée au titre des jours de RTT
Aux termes des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile,les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de dispositif critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions.
Seules les demandes formulées dans le dispositif des conclusions sont examinées par les juges d’appel, peu important qu’elles aient été formulées dans le corps des conclusions.
La cour relève ainsi que ladite demande reconventionnelle ne figure pas dans le dispositif des conclusions déposées par l’intimée, de sorte qu’elle ne sera pas examinée.
Sur les demandes accessoires
L’équité commande de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de l’appelante.
Les dispositions du jugement critiqué concernant les frais irrépétibles et les dépens seront réformées
La SA Claranor prendra à sa charge les dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Par arrêt contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu le 8 septembre 2020 par le conseil de prud’hommes d’Avignon en ce qu’il a débouté Mme [H] [F] de ses demandes au titre de l’indemnité pour travail dissimulé, de l’indemnité compensatrice des RTT et de l’indemnité pour non respect des temps de repos,
Le réforme pour le surplus,
Et statuant à nouveau,
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [H] [F] à compter du 31 août 2017,
Dit que la résiliation judiciaire aux torts exclusifs de l’employeur résultant du harcèlement moral subi par la salariée produit les effets d’un licenciement nul,
Condamne la SA Claranor à payer à Mme [H] [F] les sommes suivantes :
– 25002 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
– 12501 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 1250 euros bruts au titre des congés payés y afférents,
– 6000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
Dit la convention de forfait en jours nulle,
Condamne la SA Claranor à payer à Mme [H] [F] la somme de 18000 euros bruts au titre des heures supplémentaires, outre la somme de 1800 euros bruts pour les congés payés afférents,
Rappelle que les intérêts au taux légal courent sur les sommes à caractère salarial à compter de la réception par l’employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation, et à défaut de demande initiale, à compter de la date à laquelle ces sommes ont été réclamées, que s’agissant des créances salariales à venir au moment de la demande, les intérêts moratoires courent à compter de chaque échéance devenue exigible, et qu’ils courent sur les sommes à caractère indemnitaire, à compter du jugement déféré sur le montant de la somme allouée par les premiers juges et à compter du présent arrêt pour le surplus,
Ordonne le remboursement par l’employeur aux organismes concernés de tout ou partie des indemnités de chômage payées au salarié licencié du jour de son licenciement au jour du prononcé de la présente décision, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage, et dit qu’une copie certifiée conforme de la présente sera adressée à ces organismes conformément aux dispositions de l’article L 1235-4 du code du travail,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne la SA Claranor à payer à Mme [H] [F] la somme de 3000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SA Claranor aux dépens de première instance et d’appel,
Arrêt signé par le président et par la greffière.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
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