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délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 31 JANVIER 2023
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 21/00189 – N° Portalis DBVK-V-B7F-O2NR
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 30 NOVEMBRE 2020
TRIBUNAL DE COMMERCE DE CARCASSONNE
N° RG 2014 000869
APPELANT :
Monsieur [G] [L]
né le [Date naissance 3] 1959 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 6]
[Localité 2]
Représenté par Me Sébastien LEGUAY de la SELARL SEBASTIEN LEGUAY, avocat au barreau de CARCASSONNE
INTIMEE :
SELARL [V] [B] représentée par Me [V] [B] es-qualité de mandataire liquidateur de la SARL GAIA EAU ET ENERGIE, nommé à ces fonctions par jugement du tribunal de commerce de Carcassonne du 2 avril 2012
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par Me Emily APOLLIS, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Gilles ARGELLIES de la SCP GILLES ARGELLIES, EMILY APOLLIS – AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
Représentée par Me Gilles BIVER, avocat au barreau de CARCASSONNE, avocat plaidant
Ordonnance de clôture du 02 Novembre 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 NOVEMBRE 2022, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :
Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre
Mme Anne-Claire BOURDON, Conseiller
M. Thibault GRAFFIN, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Audrey VALERO
Ministère public :
L’affaire a été communiquée au ministère public, qui a fait connaître son avis.
ARRET :
– Contradictoire
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre, et par Madame Audrey VALERO, Greffière.
*
* *
FAITS et PROCEDURE – MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES:
La société Gaïa-Eau et énergies, SAS au capital de 120 000 euros et ayant pour objet le négoce de matériaux sur l’eau, les énergies, l’environnement, le confort et les loisirs, ainsi que le commerce de gros en équipements sanitaires, carrelage, chauffage, climatisation, électricité, énergie solaire, piscine, balnéothérapie, arrosage et tous produits ayant trait au cadre de vie, a été immatriculée le 24 octobre 2002 au registre du commerce et des sociétés de Carcassonne ; elle avait pour associée unique la SAS Cèdre, dirigée par [K] [H], qui, aux termes d’un protocole en date du 31 mars 2011, a cédé l’intégralité de ses actions à la SAS Grulet et Campets dirigée par [G] [L].
La société Cèdre, qui détenait un compte courant d’un montant de 1 250 000 euros, a déclaré, par une convention du 31 mars 2011, abandonné une partie de sa créance de 620 000 euros, tandis que la somme de 630 000 euros faisait l’objet d’une convention de remboursement, également datée du 31 mars 2011, sur quatre exercices comptables, de 2011 à 2014.
L’ensemble de ces conventions a été approuvé par une assemblée générale extraordinaire du 31 mars 2011, qui a désigné M. [L] comme nouveau président de la société Gaïa.
Au cours de la période du 1er mai au 30 novembre 2011, une SARL BTCF a perçu des honoraires à hauteur de 14 000 euros hors-taxes dans le cadre d’une mission d’assistance administrative et financière pour le compte de la société Gaïa-Eau et énergies, correspondant essentiellement à des missions d’organisation administrative et de recherche de financements, hors tout contrat écrit.
Par une décision de l’associé unique de la société Gaïa en date du 22 décembre 2011, [M] [T] a été nommé comme nouveau président de la société, en remplacement de M. [L], démissionnaire.
Au 31 décembre 2011, un bilan provisoire de la société Gaia faisait apparaître des capitaux propres négatifs pour -1 350 778 euros, compte tenu d’une perte de 917 822 euros en fin d’exercice s’ajoutant à un report à nouveau débiteur de 552 956 euros.
Par exploit du 11 janvier 2012, l’URSSAF de l’Aude a fait assigner la société Gaïa devant le tribunal de commerce de Carcassonne en vue de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire, en faisant valoir que celle-ci était redevable d’un arriéré de cotisations d’un montant de 25 711,09 euros, irrécouvrable.
M. [T] a ensuite démissionné de ses fonctions de président et a été remplacé par [A] [R] à l’issue d’une assemblée générale ordinaire du 3 février 2012.
Le tribunal de commerce, par jugement du 2 avril 2012, a notamment prononcé la liquidation judiciaire de la société Gaïa, fixé provisoirement au 11 janvier 2012 la date de cessation des paiements et désigné la Selarl [V] [B] en qualité de liquidateur.
En l’état des diverses anomalies, qui avaient été notamment portées à sa connaissance par l’ancien président de la société Gaïa, M. [T], dans la gestion de la société depuis la cession de contrôle du 31 mars 2011, la Selarl [V] [B] ès qualités a obtenu, par une ordonnance du juge-commissaire en date du 5 juillet 2012, la désignation de M. [Z], expert-comptable, sur le fondement de l’article L. 621-9 du code de commerce, avec notamment pour mission de décrire les mouvements de stocks afin de s’assurer de la correcte facturation de toutes les sorties de marchandises, de rechercher les facturations anormalement basses et de décrire les mouvements financiers entre la société Gaïa et une SAS Grulet dirigée par M. [L].
M. [Z] a établi, le 12 juin 2013, un rapport de ses opérations dans lequel il a notamment conclu que des articles étaient sortis sans être facturés pour une valeur totale de 184 661 euros, que des articles avaient été vendus pour un prix inférieur à leur prix d’achat, ce dont il résultait une perte de marge de 206 993 euros, que le système de gestion commerciale montrait des ruptures significatives dans les séquences de facturation pouvant laisser supposer des annulations non justifiées et qu’une avance de 50 000 euros avait été consentie par la société Gaïa à la société Grulet, seul un virement reçu et non affecté de 30 000 euros de la société Grulet ayant été retrouvé dans la comptabilité.
Par exploit du 18 février 2014, la Selarl [V] [B] prise en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Gaïa a fait assigner devant le tribunal de commerce de Carcassonne MM. [L] et [R] en responsabilité pour insuffisance d’actif, sur le fondement de l’article L. 651-2 du code de commerce, reprochant à ces derniers diverses fautes de gestion.
Le tribunal, par jugement du 28 octobre 2015, a ordonné une nouvelle expertise confiée à M. [Z] avec pour mission de vérifier l’existence d’une poursuite d’activité déficitaire par la société Gaïa sur la période du 1er janvier 2006 au 31 mars 2011, de déterminer, le cas échéant, le déficit comptable existant au 31 mars 2011 et les raisons de son aggravation sur la période du 1er avril 2011 au 2 avril 2012, de vérifier les éléments comptables justifiant l’existence et le montant du compte-courant de M. [H] dans la société Gaïa au 31 mars 2011, d’évaluer le passif généré pendant la période du 31 mars 2011 à la date du prononcé de la liquidation judiciaire et de détailler le passif poste par poste.
L’expert a établi, le 8 octobre 2018, un rapport de ses opérations dont les conclusions sont les suivantes :
« Sauf durant les deux premièrs exercices (2007 et 2008), l’excédent brut d’exploitation de la société Gaïa-Eau et énergies, le résultat courant avant impôts et le résultat comptable ont été déficitaires.
Le résultat d’exploitation cumulé des exercices 2006 à 2010 se solde par une perte d’exploitation de 401 211 euros et une perte comptable de 552 909 euros.
L’origine de cette perte est liée à un chiffre d’affaires insuffisant (évoluant à la baisse) et un taux de marge qui a fortement chuté en 2010 alors que durant les exercices antérieurs, ce taux pouvait être considéré comme normal.
Seul le soutien financier de la société Cèdre, société mère, a permis à la société Gaïa-Eau et énergies, de poursuivre ses activités déficitaires. En effet, les dettes hors groupe n’ont pas progressé, voire ont été réduites.
(…)
Ainsi que nous avons été amenés à l’expliquer à diverses reprises dans ce rapport, nos investigations ont été conduites à partir des documents comptables épars et non vérifiés.
En effet, en l’absence de toute comptabilité présentant un caractère de régularité et de fiabilité suffisant, nous avons été conduits à reconstituer des états comptables à partir des seuls éléments que nous avons pu réunir ou obtenir.
Le déficit comptable au 31 mars 2011 établi en valeur liquidative a été estimé à 487 267 euros.
Le déficit comptable au 2 avril 2012 a été estimé à 716 410 euros.
L’augmentation du déficit du 31 mars 2011 au 2 avril 2012 est évaluée à 229 143 euros.
Les causes de l’aggravation de ces déficits ont été mises en évidence dans notre premier rapport.
L’augmentation du déficit provient du double effet cumulé d’une baisse de chiffre d’affaires et de marge alors que les charges n’ont pas suivi une évolution identique.
La dégradation importante du chiffre d’affaires ne peut pas, à notre avis, s’expliquer, tout au moins pour partie dans le cas d’espèce, autrement que par des ventes non comptabilisées. L’analyse des données comptables que nous avons pu retraiter montrent en effet des incohérences significatives.
Toutefois les chiffres du premier rapport ne peuvent pas être validés. En effet:
– l’absence de toute comptabilité régulière ne permet pas de s’appuyer sur des données fiables,
– il a été précisé par Mme [F] (expert-comptable missionné en janvier 2012 pour reconstituer les comptes de la société) que le process et le logiciel de gestion commerciale étaient défaillants.
Pour que les données issues d’un logiciel de gestion commerciale soient probantes, il est nécessaire, en effet, que les stocks initiaux, les achats et les ventes soient correctement enregistrées d’une part et que d’autre part, ces données soient bien comptabilisées.
Toujours d’après les observations de Mme [F] qui a validé les constatations de M. [T], il semble que cela n’est pas été le cas.
(…)
Dans la société Gaïa-Eau et énergies, il y avait deux comptes-courants d’associés. Au 31 mai 2011, les soldes créditeurs de ces comptes-courants se présentaient de la façon suivante :
– société Cèdre………………………………………………………….. 1 260 876,12 euros
– M. [H]……………………………………………………………………….. 137,85 euros
L’analyse, en accord avec les parties, a porté sur le compte-courant de la société Cèdre.
L’évolution et le détail des opérations enregistrées dans ce compte sont traités au chapitre IV.
L’absence de communication par la société Cèdre des pièces ne permet pas de justifier ces écritures.
(…)
Si l’on exclut la créance de la société Cèdre au 31 mars 2011 et sa production, l’aggravation du passif pendant la période du 31 mars 2011 jusqu’au prononcé de la liquidation judiciaire est évaluée à 155 209,69 euros.
(…)
Les dettes par catégorie sont rapportées au point 2 du chapitre IV. »
En l’état, le tribunal, par jugement du 30 novembre 2020, a notamment :
– dit que M. [L] et M. [R] ont bien la qualité de dirigeants de la société Gaïa-Eau et énergies,
– dit que la SARL BTCF n’a pas la qualité de dirigeant de fait de la société, que l’action en comblement de passif dirigée contre M. [L] et M. [R] ne concerne pas le passif antérieur au 31 mars 2011 et que la société Cèdre ne saurait être mise en cause en l’espèce,
– dit que M. [L] a commis des fautes de gestion qui ont entraîné l’accroissement du passif d’un montant de 155 209,69 euros sur la période du 31 mars 2011 au 2 avril 2012,
– condamné M. [L] à payer à la Selarl [V] [B] ès qualités la somme de 155 209,69 euros,
– dit que M. [R] n’a pas commis de faute de gestion ayant entraîné un accroissement du passif du 3 février 2012 au 2 avril 2012,
– condamné M. [L] à payer à la Selarl [V] [B] ès qualités la somme de 5000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté M. [L] de l’ensemble de ses demandes.
Pour statuer comme il l’a fait, le tribunal a retenu que M. [L], qui n’ignorait pas la situation structurellement déficitaire de l’entreprise, n’a, en sa qualité de président de la société Gaïa, mis en place aucun système de gestion fiable et a omis de tenir une comptabilité depuis le mois d’avril 2011 et d’effectuer les déclarations fiscales et sociales mensuelles ; il a ainsi relevé que les entrées et sorties de stocks n’étaient pas justifiées et que des ruptures importantes dans la séquence de la numérotation des factures avaient été relevées, que des articles étaient sortis sans être facturés pour une valeur totale de 184 661 euros, d’autres articles ayant été vendus pour un prix inférieur à leur prix d’achat, ce dont il était résulté une perte de marge de 206 993 euros, qu’une somme de 50 000 euros avait été versée sans cause à la société Grulet, dont M. [L] était le dirigeant, seuls 30 000 euros ayant été remboursés, et que ce dernier avait confié une mission de nature administrative à la société BTCF moyennant 2000 euros hors-taxes par mois, de mai à novembre 2011, sans qu’aucun contrôle sur la réalité et la qualité du travail administratif effectué n’ait été réalisé ; il en a déduit que le désintérêt manifesté par M. [L] dans la gestion de la société, dont il était le dirigeant, est à l’origine de l’accroissement du passif chiffré par l’expert à la somme de 155 209,69 euros, celui-ci ayant, lors de sa démission, laissé une entreprise dans une situation financière irrémédiablement compromise et que ses successeurs ne pouvaient redresser.
Le tribunal a, par ailleurs, écarté la responsabilité de M. [R] en considérant que le retard dans la déclaration de cessation des paiements imputé à celui-ci n’était pas à l’origine de l’accroissement du passif eu égard à l’état de désorganisation totale dans lequel se trouvait l’entreprise fin 2011 et à la brièveté de la durée du mandat de ce dirigeant.
M. [L] a régulièrement relevé appel, le 12 janvier 2021, de ce jugement en vue de son infirmation.
Il demande la cour, dans ses conclusions déposées le 8 février 2021 via le RPVA, de :
A titre principal,
– constater qu’aucune faute de gestion ne saurait lui être reprochée, de surcroît justifiant le passif retenu par l’expert judiciaire comme n’étant pas directement imputable à sa gestion,
– débouter en conséquence Me [B] ès qualités de ses demandes et prétentions,
– condamner en outre Me [B] ès qualités à lui payer une somme de 12 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens incluant les frais d’expertise,
Subsidiairement,
– dire et juger que sa responsabilité ne saurait être retenue qu’au prorata temporis de l’exercice de ses fonctions de direction et pour la seule somme de 99 384,95 euros.
Formant appel incident, la Selarl [V] [B], agissant en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Gaïa-Eau et énergies, dont les conclusions ont été déposées par le RPVA le 7 mai 2021, sollicite de voir :
– dire et juger qu’à compter du 31 mars 2011 et jusqu’à la date de la liquidation judiciaire, l’expert a caractérisé des ventes à perte massives ainsi que des ventes non comptabilisées,
– dire et juger que MM. [L] et [R] ont commis de nombreuses fautes de gestion et ont provoqué l’insuffisance d’actif,
– dire et juger notamment que MM. [L] et [R] n’ont pas tenu de comptabilité de la société Gaïa et qu’ils ont abusé de l’actif de la société,
– dire et juger qu’il existe une insuffisance d’actif de 1 061 318,90 euros,
– dire et juger que l’aggravation du passif pendant la période où M. [L] a dirigé la société s’est élevée à la somme de 229 143 euros,
– en conséquence, condamner M. [L] à lui payer la somme de 229 143 euros,
– condamner M. [L] à lui payer la somme de 5000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, compte tenu des frais irrépétibles qu’elle a été contrainte d’exposer pour faire valoir ses droits en cause d’appel et qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge.
Il est renvoyé, pour l’exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
Le dossier de l’affaire a été communiqué au ministère public qui a émis un avis consistant à solliciter la confirmation du jugement entrepris.
C’est en l’état que l’instruction a été clôturée par ordonnance du 2 novembre 2022.
MOTIFS de la DECISION :
Aux termes de l’article L. 651-2, alinéa 1, du code de commerce : « Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décidé que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée ».
Il appartient au liquidateur de démontrer l’existence d’une faute de gestion imputable au dirigeant, hors une simple négligence de sa part, en relation directe avec cette insuffisance d’actif.
En l’occurrence, selon les pièces produites par la Selarl [V] [B] ès qualités, le montant des créances admises à la procédure de liquidation judiciaire de la société Gaïa s’élève à 1 243 603,06 euros et le montant des ventes d’actifs réalisées par le liquidateur, à 117 475 euros ; il résulte également des énonciations du second rapport d’expertise de M. [Z], page 50, que les encaissements sur les créances clients représentent une somme de 67 312,81 euros ; le montant de l’insuffisance d’actif ressort dès lors à 1 058 815,25 euros.
M. [L], qui ne conteste plus devant la cour sa qualité de dirigeant de la société Gaïa au cours de la période du 31 mars 2011 au 22 décembre 2011, ne peut sérieusement soutenir qu’à la date à laquelle la société Grulet et Campets, dont il était également le dirigeant, a pris le contrôle de la société, il ne pouvait appréhender la situation structurellement déficitaire de celle-ci, que le simple examen des comptes de résultats et des bilans des exercices 2006 à 2010 permettait de mettre en évidence ; l’expert, dans son rapport du 8 octobre 2018, a ainsi relevé qu’hormis les exercices 2007 et 2008, l’excédent brut d’exploitation de la société Gaïa a été négatif durant cette période, que le résultat d’exploitation cumulé des exercices 2006 à 2010 se solde par une perte d’exploitation de 401 211 euros et une perte comptable de 552 909 euros et que l’origine de ces pertes est liée à un chiffre d’affaires insuffisant et un taux de marge qui a fortement baissé en 2010, les déficits successifs n’ayant été financés que grâce au soutien de la société Cèdre.
De même, la déclaration de valeur des éléments d’actif et de passif de la société, telle que figurant en pages 4 et 5 du protocole de cession du 31 mars 2011, faisant apparaître un actif net de 632 430 euros, est notamment basée sur un stock de 492 454 euros retenu, en l’absence d’inventaire, pour sa valeur comptable au 31 mars 2011 nécessairement erronée et fait abstraction des comptes-courants d’associés créditeurs pour 1 261 014 euros de nature à diminuer la valeur de l’actif net à la date de la cession ; après avoir souligné qu’à l’exception du grand livre provisoire au 31 mars 2011, aucun autre document comptable ne lui avait été remis, M. [Z] a estimé le déficit comptable cumulé au 31 mars 2011 à – 487 267 euros en valeur liquidative et le déficit comptable au 2 avril 2012 (évalué, en l’absence de toute comptabilité pour la période du 1er janvier 2011 au 2 avril 2012, à partir des dettes admises par le liquidateur judiciaire et les réalisations d’actifs corrigées) à -716 410 euros, ce dont il a déduit une augmentation du déficit de -229 143 euros du 31 mars 2011 au 2 avril 2012.
La situation comptable à la date du 31 décembre 2011, établie par Mme [F], expert-comptable qui avait été désignée par M. [T] afin de reprendre la comptabilité de la société Gaïa, fait état d’un déficit comptable cumulé de -1 230 778 euros (report à nouveau et résultat de l’exercice) avec des capitaux propres négatifs à hauteur de 1 350 778 euros ; après diverses corrections explicitées aux pages 55 et 56 de son rapport, M. [Z] a dressé une situation comptable de la société à la date du 31 décembre 2011 mentionnant un excédent brut d’exploitation négatif pour 303 155 euros, un résultat d’exploitation négatif pour 391 667 euros et un résultat de l’exercice de + 221 389 euros tenant compte, à titre de résultat exceptionnel, de l’abandon partiel du compte-courant d’associé de la société Cèdre à hauteur de 620 000 euros.
Selon l’expert, le chiffre d’affaires de l’exercice 2011 s’élève à 1 671 751 euros en diminution de 35 % par rapport à l’exercice 2010 et le taux de marge commerciale en diminution de 9,55% par rapport à 2010, traduisant une perte de valeur de 160 000 euros ; il a, par ailleurs, confirmé les conclusions de son premier rapport établi le 12 juin 2013 selon lesquelles des articles ont été sortis sans être facturés pour une valeur de 184 661 euros et des articles vendus pour un prix inférieur à leur prix d’achat, ce dont il est résulté une perte de marge de 206 993 euros, le système de gestion commerciale montrant également des ruptures significatives dans les séquences de facturations qui peuvent laisser supposer des annulations non justifiées.
Ainsi, la baisse significative de marge commerciale observée lors de l’exercice 2011 ne peut s’expliquer, d’après M. [Z], que par des ventes à des prix inférieurs aux prix du tarif, voire par des ventes à perte, la dégradation importante du chiffre d’affaires ne pouvant s’expliquer autrement que par des ventes non comptabilisées ; il indique cependant que les chiffres exposés dans son premier rapport ne peuvent être validés du fait notamment de l’absence de toute comptabilité régulière permettant de s’appuyer sur des données fiables et que les données issues du logiciel de gestion comptable n’apparaissent pas probantes en raison du fait que les stocks initiaux, les achats et les ventes n’ont pas été correctement enregistrées.
À l’évidence, à partir de sa désignation comme nouveau président de la société Gaïa, M. [L] s’est désintéressé de la gestion de la société, alors que celle-ci était structurellement déficitaire avec un chiffre d’affaires en baisse de 2006 à 2010 (3 199 021 euros ‘ 2 550 822 euros) et un taux de marge anormalement bas ; au regard notamment du montant du compte-courant créditeur de la société Cèdre pour 1 250 000 euros, faisant l’objet d’un abandon partiel par une convention également conclue le 31 mars 2011, il ne pouvait ignorer les difficultés financières de la société dont il prenait le contrôle via la société Grulet et Campets pour un prix quasi symbolique de 1000 euros ; dans un tel contexte, il a omis, ainsi que le relève à juste titre le premier juge, de mettre en place un système de gestion fiable et de tenir une comptabilité régulière, M. [Z] confirmant qu’à l’exception de grands livres provisoires au 31 mars 2011 et 31 décembre 2011, aucune comptabilité n’a été tenue depuis le 1er janvier 2011 ; il s’est ainsi privé d’outils qui lui auraient permis de déceler les erreurs dans l’établissement des facturations et dans l’enregistrement des variations de stocks ; la désinvolture manifesté par M. [L] pour la gestion de la société s’est également traduite par un accroissement progressif des dettes fiscales et sociales en l’absence des déclarations mensuelles, sachant que le passif social et fiscal apparu en grande partie au cours de l’exercice 2011 s’est élevé à 261 473 euros, soit environ 20% du montant total du passif admis.
C’est vainement que M. [L] prétend pouvoir s’exonérer de sa responsabilité au motif qu’une mission d’assistance administrative et financière avait été confiée à la société BTCF représentée par un certain [W] [I] facturant ses services 2392 euros TTC par mois et qui, selon lui, disposait de l’ensemble des attributions et prérogatives pour assurer la gestion quotidienne de la société ; en tant que dirigeant de droit, il lui appartenait en effet d’assurer le contrôle de la personne assurant, par délégation, la gestion comptable, administrative et financière de la société, et, ayant manqué à cet égard de la plus élémentaire vigilance, il ne saurait invoquer les carences de ce tiers pour être déchargé de sa propre responsabilité.
La convention de remboursement de la somme de 630 000 euros due à la société Cèdre au titre de son compte-courant d’associé a prévu un échelonnement du paiement de cette somme sur les exercices 2011 à 2014 par l’application de retenues sur les règlements des achats que le groupe Cèdre-Serclim devait effectuer auprès de son fournisseur, le groupe Grulet-Gaïa, ainsi qu’il ressort des modalités de remboursement prévues à l’article 3 de la convention ; M. [L] explique que la cession de contrôle intervenue le 31 mars 2011 ne l’a été qu’en considération d’un courant d’affaires devant être réalisé avec le groupe Cèdre-Serclim, qui n’a pu cependant être mis en place du fait de la situation déficitaire de la société Gaïa, qui lui a été dissimulée.
Il a été indiqué plus haut que M. [L] était en mesure, à la date du 31 mars 2011, d’appréhender la situation financière de la société Gaïa, sauf à admettre que l’intéressé s’est engagé aveuglément dans une opération complexe, comprenant la cession de contrôle d’une société commerciale accompagnée d’un engagement d’approvisionnement de la part du cédant de nature à permettre le remboursement de son compte-courant d’associé, sans avoir connaissance des comptes afférents aux exercices précédemment établis de 2006 à 2010 ; en page 14 de ses conclusions d’appel, M. [L] précise lui-même qu’il lui avait été annoncé que cette structure déficitaire de la comptabilité serait en tout état de cause compensée par l’instauration d’un courant d’affaires garantissant la réalisation d’un chiffre d’affaires minimum (sic) ; il ne peut dès lors être déchargé de la responsabilité lui incombant pour avoir poursuivi, à compter du 31 mars 2011, une activité, dont il ne pouvait ignorer qu’elle était déficitaire.
À cet égard, l’expert a chiffré, aux pages 65 à 69 de son rapport, le montant du passif au 31 mars 2011 à la somme de 1 785 878,18 euros, ce dont il a déduit un passif créé de 158 877,55 euros compte tenu d’un état des créances s’élevant à 1 944 753,73 euros ; il a conclu qu’en excluant la créance de la société Cèdre au 31 mars 2011 et sa production, l’aggravation du passif ressortait alors à 155 209,65 euros sur la période du 31 mars 2011 jusqu’au prononcé de la liquidation judiciaire.
Cette aggravation du passif découle directement des fautes de gestion commises par M. [L] qui, ne pouvant ignorer la situation déficitaire de la société Gaïa, a omis d’en effectuer un contrôle sérieux, notamment par la mise en place d’outils de gestion et la tenue d’une comptabilité, qui lui aurait permis de prendre en temps utile les mesures de redressement nécessaires ; le premier juge a justement considéré, en l’état des éléments d’appréciation en sa possession, qu’au moment de la démission de M. [L] de ses fonctions de président, la situation financière de la société Gaïa était irrémédiablement compromise et ne pouvait être redressée par les dirigeants lui ayant succédé; ainsi, dès sa prise de fonction, M. [T], nommé président de la société le 22 décembre 2011, a mandaté un expert-comptable en la personne de Mme [F] laquelle, à l’issue de ses travaux visant à reconstituer la comptabilité, a indiqué, dans un courrier du 25 mars 2012, que la comptabilité, même incomplète, permettait de confirmer l’existence d’un déficit important au titre de l’exercice 2011, que l’état de cessation des paiements était flagrant et que la société Gaïa ne pourrait continuer son activité sans un apport conséquent de capitaux.
En l’état, le premier juge a considéré à bon escient que la totalité du passif créé à partir du 31 mars 2011, date de la nomination de M. [L] aux fonctions de président de la société Gaïa, soit la somme de 155 209,65 euros, devait être mise à la charge de celui-ci au titre de sa responsabilité en raison de l’insuffisance d’actif constatée à l’issue des opérations de liquidation judiciaire.
Par ces motifs et ceux non contraires du premier juge, le jugement entrepris doit en conséquence être confirmé dans toutes ses dispositions.
Succombant sur son appel, M. [L] doit être condamné aux dépens, ainsi qu’à payer à la Selarl [V] [B] ès qualités la somme de 4000 euros en remboursement des frais non taxables que celle-ci a dus exposer, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme dans toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Carcassonne en date du 30 novembre 2020,
Rejette toutes autres demandes,
Condamne M. [L] aux dépens d’appel, ainsi qu’à payer à la Selarl [V] [B] ès qualités la somme de 4000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Dit que les dépens d’appel seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du même code,
le greffier, le président,
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