ARRÊT DU
03 Mars 2023
N° 356/23
N° RG 20/02318 – N° Portalis DBVT-V-B7E-TJU7
SHF / SL
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DOUAI
en date du
09 Octobre 2020
(RG 18/00230 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 03 Mars 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANT :
Mme [C] [B]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me COCKENPOT avocat au barreau de Douai
INTIMÉE :
S.A.S. SAS AGIS CONSEIL prise la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège,
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me PAWLETTA, avocat au barreau de Lille
DÉBATS : à l’audience publique du 11 Janvier 2023
Tenue par Soleine HUNTER-FALCK
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Angelique AZZOLINI
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Soleine HUNTER-FALCK
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Muriel LE BELLEC
: CONSEILLER
Gilles GUTIERREZ
: CONSEILLER
Le prononcé de l’arrêt a été prorogé pour plus ample délibéré du 17 février au 03 mars2023.
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 03 Mars 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Soleine HUNTER-FALCK, Président et par Nadine BERLY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 11/01/2023
La SAS Agis Conseil filiale du cabinet SAFIR EXPERTISE, qui a une activité de gestion et de production de fiches de paie à destination d’entreprises commerciales, de sociétés civiles et d’associations, est soumise à la convention collective des prestataires de service ; elle comprend moins de 11 salariés.
Mme [C] [B], née en 1968, a été engagée par contrat à durée indéterminée par la société SOGECCA le 22.11.1988 en qualité de secrétaire et de gestionnaire de paie à temps complet.
Le contrat de travail de Mme [C] [B] a été transféré à la société Agis Conseil le 01.01.2013 sous la qualification professionnelle d’assistante principale, technicienne de niveau VI coefficient 260, avec reprise d’ancienneté.
Mme [C] [B] a été convoqué par lettre du 21.09.2016 à un entretien à la suite de différents incidents. Une mise en garde lui a été adressée le 21.03.2018 en raison de négligences dans son activité professionnelle.
La salariée a été convoquée par lettre du 05.07.2018 à un entretien préalable fixé le 23.07.2018 repoussé au 25.07.2018, puis licenciée par son employeur le 30.07.2018 pour faute grave.
Le 06.08.2018 Mme [C] [B] a contesté son licenciement et demandait sa réintégration.
Le 26.11.2018,le conseil des prud’hommes de Douai a été saisi par Mme [C] [B] en contestation de cette décision, et indemnisation des préjudices subis.
Un appel a été interjeté régulièrement devant la cour d’appel de Douai le 30.11.2020 par Mme [C] [B] à l’encontre du jugement rendu le 09.10.2022 par le conseil de prud’hommes de Douai section Activités Diverses, notifié le 12.11.2020, qui a :
REQUALIFIE le licenciement pour faute grave de Madame [C] [B] en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE la SAS Agis Conseil à verser à Madame [C] [B] :
– La somme de 25 226 euros à titre d’indemnité légale de licenciement
– La somme de 5 605.76 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
– La somme de 560.58 euros à titre d’indemnité de congés payés sur préavis ;
– La somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE Madame [C] [B] du surplus de ses demandes ;
DEBOUTE la SAS Agis Conseil de ses demandes reconventionnelles ;
DIT que conformément à l’article 1231-7 du code civil, les condamnations prononcées emporteront intérêts au taux légal à compter du 03 Décembre 2018, date de la réception par la SAS Agis Conseil de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation, pour toutes les sommes de nature salariale, et à compter du jour du présent jugement pour toutes les autres sommes et ce, jusqu’à complet paiement ;
RAPPELE qu’en application des dispositions de l’article R 1454-28 du Code du travail la présente décision est exécutoire par provision de plein droit dans la limite de 9 mois de salaire pour les sommes visées à l’article R 1454-14 du Code du travail calculés sur la base du salaire moyen des trois derniers mois ;
FIXE la moyenne des salaires des trois derniers mois à la somme de 2 802.88 bruts
CONDAMNE la SAS Agis Conseil aux entiers dépens ;
La SAS Agis Conseil a saisi le Premier président de la cour d’appel de Douai d’une demande d’arrêt de l’exécution provisoire des condamnations exécutoires de droit ; par ordonnance rendue le 22.03.2021, les parties ont été respectivement déboutées de leurs demandes.
Vu les conclusions transmises par RPVA le 10.01.2023 par Mme [C] [B] qui demande à la cour de :
INFIRMER le jugement du conseil de prud’hommes de Douai ;
JUGER le licenciement de Madame [B] sans cause réelle ni sérieuse ;
STATUANT A NOUVEAU
CONDAMNER la société Agis Conseil à lui verser :
. La somme de 25.226 euros à titre d’indemnité de licenciement ;
. La somme de 5.605,76 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
. La somme de 560,58 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur l’indemnité compensatrice de préavis ;
. La somme de 98.100,80 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse;
. La somme de 3.500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
Subsidiairement, CONDAMNER la société Agis Conseil à verser à Madame [B], une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant de 56.057,60 euros (équivalent à 20 mois de salaire), conformément aux dispositions de l’article L 1235’3 du code du travail.
CONDAMNER la société Agis Conseil aux entiers dépens ;
Vu les conclusions transmises par RPVA le 20.12.2022 par la SAS Agis Conseil qui demande de :
> INFIRMER le jugement du conseil de prudhommes de Douai du 9 octobre 2020,
EN CONSEQUENCE et statuant a nouveau :
> DIRE et JUGER que le licenciement notifié à Madame [B] est bien fondé sur une faute grave,
> DEBOUTER Madame [B] de l’ensemble de ses demandes, fin et conclusions.
> CONDAMNER Madame [B] à payer à la société AGIS CONSEEL, les sommes de :
* 1 723,11 € au titre du préjudice financier,
* 2 500 € e titre de dommages et intérêts pour le prejudice d’atteinte à son image,
* 3 000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procedure civile pour les frais irrépétibles issue de la première instance,
* 3 500 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure Civile pour les frais irrépétibles issue de la procedure d’appel,
> CONDAMNER Madame [B] aux entiers dépens ;
Vu l’ordonnance rendue le 18.05.2022 par le conseiller de la mise en état faisant injonction aux parties de rencontrer un médiateur, décision qui est restée sans suite ;
Vu l’ordonnance de clôture en date du 21.12.2022 prise au visa de l’article 907 du code de procédure civile ;
Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites transmises par RPVA et dont un exemplaire a été déposé à l’audience de plaidoirie.
A l’issue de cette audience, les parties présentes ont été avisées que la décision était mise en délibéré pour être rendue par mise à disposition au greffe.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur le bien fondé et les conséquences du licenciement :
La lettre de licenciement, fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs du litige qui peuvent être éventuellement précisés par l’employeur. Dès lors que l’employeur et le salarié sont d’accord pour admettre que le contrat de travail a été rompu, chacune des parties imputant à l’autre la responsabilité de cette rupture, il incombe au juge de trancher le litige en décidant quelle est la partie qui a rompu.
Il appartient au juge d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur. En principe, la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du motif n’incombe pas spécialement à l’une ou à l’autre des parties. Le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, si besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ; les faits invoqués doivent être matériellement vérifiables ; afin de déterminer si les faits imputés au salarié sont ou non établis, les juges du fond apprécient souverainement la régularité et la valeur probante des éléments de preuve qui leur sont soumis. Le doute sur la réalité des faits invoqués doit profiter au salarié.
La faute grave est entendue comme la faute imputable au salarié constituant une violation de des obligations découlant de son contrat de travail ou de ses fonctions, qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis et impose son départ immédiat ; les juges du fond, pour retenir la faute grave, doivent caractériser en quoi le ou les faits reprochés au salarié rendent impossible son maintien dans l’entreprise pendant la durée du préavis. Alors que la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n’incombe pas particulièrement à l’une ou l’autre des parties, il revient en revanche à l’employeur d’apporter la preuve de la faute grave qu’il reproche au salarié ; en cas de doute il profite au salarié.
Lorsque qu’une faute grave n’est pas caractérisée, les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain pour apprécier si les faits initialement qualifiés de faute grave par l’employeur constituent ou non une cause réelle et sérieuse de licenciement.
La société expose dans son courrier du 30.07.2018 avoir convoqué initialement la salariée le 06.07.2018 à un entretien préalable à une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle ; elle précise que de nouveaux faits sont intervenus dans l’intervalle relevant probablement d’une faute grave constitués par des actes répétitifs de non respect de règles de procédure interne et d’actes qualifiés d’illégaux au nom des clients engageant gravement la responsabilité de l’entreprise.
Elle a rappelé que Mme [C] [B] était entrée dans la société le 01.01.2013 et qu’elle l’avait fait bénéficier d’un total de 138 h de formation au 31.12.2017, ainsi que d’un encadrement sous forme de réunions bimensuelles voire hebdomadaires, et d’instructions ; un courriel de rappel à l’ordre lui a été adressé en septembre 2016 et les tâches de nature juridique ont dû lui être retirées ; en outre un entretien informel s’est tenu en mars 2018. Elle relève, en produisant des documents justificatifs que Mme [C] [B] a pris des initiatives personnelles sans aval hiérarchique engageant la responsabilité de la SAS Agis Conseil, qu’elle n’a pas respecté des dispositions réglementaires dans le suivi de ses dossiers, sans décharge de responsabilité auprès du client et en enfreignant les règles de traçabilité internes, qu’elle a outrepassé sa hiérarchie pour procéder à des faits illégaux, ce qui a nuit à la notoriété de l’entreprise et a engagé lourdement sa responsabilité. Elle a illustré ses propos par les dossiers SARL Nord Decor Serigraphie, SAS Memphis Roncq, société Eurobaut, Dorchy, EURL Analba Courtage, SAS Le Ptit Nicolas restaurateur, SAS Enviedenvie
restauration rapide, Association Stella Maris, SAS Memphis Bruay, en décrivant très précisément les actions reprochées. Elle en conclut que ces négligences délibérées et répétées, liées notamment à l’absence volontaire de vérification de ses travaux et au non respect des procédurs internes mettaient gravement en danger la structure.
En réponse la salariée oppose la prescription de l’article L 1332-4 du code du travail pour les dossiers : SARL Nord Decor Serigraphie, SAS Memphis Roncq, société Eurobaut, EURL Analba Courtage, et SAS Le Ptit Nicolas restaurateur, dont les erreurs étaient connues en temps utile de l’employeur qui était alors en mesure de prendre une sanction, en indiquant que seuls les faits non prescrits peuvent être examinés à la lumière des précédents.
La SAS Agis Conseil estime que les faits reprochés qui se sont poursuivis ou ont été réitérés au delà du délai de deux mois doivent être pris en considération s’agissant d’un même comportement professionnel fautif.
En effet, la date de convocation à l’entretien préalable marque l’engagement des poursuites et interrompt le délai de prescription des faits fautifs de deux mois au sens de l’article L 1332-4 du code du travail, mais un fait datant de plus de deux mois au jour des poursuites peut être pris en considération lorsque le comportement du salarié s’est poursuivi ou répété dans ce délai, pour autant qu’il s’agisse de faits fautifs de même nature.
En l’espèce, les faits reprochés à la salariée et concernant les dossiers SAS Memphis Roncq, société Eurobaut, Analba Courtage, Dorchy, SAS Enviedenvie restauration rapide, sont relatifs à des erreurs dans leur traitement comptable qui constituent un comportement récurent pour des faits de même nature ; la prescription n’est donc pas encourue pour les dossiers plus anciens : SAS Memphis Roncq, et société Eurobaut, mais elle l’est pour la SARL Nord Decor Serigraphie, s’agissant d’un retard dans le calcul de créances salariales dans le cadre d’un redressement judiciaire, pour et la SAS Le Ptit Nicolas restaurateur à la suite de fautes établies lors d’un contrôle URSSAF.
Cependant, pour contester les griefs qui lui sont opposés, Mme [C] [B] procède essentiellement par affirmation en se fondant sur la lettre de licenciement qui décrit les situations mises en exergue par la société, tout en se référant au compte rendu d’entretien préalable rédigé par Mme [L] conseiller du salarié, et en se prévalant des attestations délivrées par Mmes M. [H], [F], clients de longue date et gérants de société, et [K] en cabinet libéral, qui font état de leur satisfaction dans le traitement de leurs propres dossiers par la salariée. Ce faisant cette dernière ne remet pas en cause explicitement les griefs contenus dans la lettre de licenciement.
Ainsi, les erreurs comptables consistent dans le dossier Eurobaut dans des erreurs dans l’établissement en mars 2017 de fiches de paie de 12 salariés qui sont produites, dans le dossier Analba Courtage qui donnera lieu à un avoir au profit du client de 373 € pour des fiches de paie irrégulières, celui de la SAS Memphis Roncq concernant également des erreurs dans l’établissement de fiches de paie.
Par ailleurs en juin et juillet 2018, la société lui reproche une absence de paramétrage sur la fiche de paie de la salariée Mme Dorchy depuis plusieurs mois, le préjudice du client s’élevant à 922,12 € ce qui a donné lieu à des remises sur factures. Par ailleurs des erreurs ont été commises pour 6 salariés de la société Enviedenvie, s’agissant de la mauvaise application de la convention collective. Mme [C] [B] a rédigé un courrier le 22.06.2018 à l’attention du client Stella Maris en reconnaissant l’erreur commise par elle dans le traitement de la répartition de l’intéressement. Une autre erreur a été commise vis à vis de M [R], démissionnaire de la société Memphis Bruay, qui n’était pas réglé du mois de juin pourtant presté.
Eu égard à sa très grande expérience et aux mises en garde antérieures, Mme [C] [B] ne pouvait pas exciper d’une erreur du logiciel qu’elle aurait dû contrôler, ni invoquer la propre faute des clients qui n’auraient pas vérifié eux mêmes les bulletins de paie qu’elle avait préparés, ou qui lui auraient donné des instructions irrégulières ce qu’elle aurait dû leur signaler.
Cependant il s’agit de fautes certes récurrentes et dommageables pour l’image de l’entreprise,mais qui ne rendaient pas impossible le maintien de Mme [C] [B] dans l’entreprise pendant la durée du préavis. Le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse et le jugement sera confirmé tant dans le principe que dans les condamnations prononcées.
Sur les autres demandes :
La SAS Agis Conseil pour sa part forme une demande reconventionnelle en se prévalant des conséquences financières pour l’entreprise des erreurs commises par la salariée, et de l’atteinte à sa réputation auprès des 9 clients concernés par ses erreurs, mais également auprès des 3 autres clients qui ont attesté en sa faveur.
Les sanctions pécuniaires sont prohibées par les dispositions de l’article L 1331-2 du code du travail et la demande de la société qui contourne ce principe sera rejetée. En ce qui concerne l’atteinte à la réputation, si la faute de la salariée est avérée, le préjudice n’est pas démontrée par une simple affirmation de la société, les clients ayant pu maintenir leurs contrats de prestations ; il en est de même de l’atteinte à l’image.
Cette demande sera rejetée et le jugement confirmé.
Il serait inéquitable que Mme [C] [B] supporte l’intégralité des frais non compris dans les dépens tandis que la SAS Agis Conseil qui succombe doit en être déboutée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement contradictoirement :
Déclare l’appel recevable ;
Confirme le jugement rendu le 09.10.2022 par le conseil de prud’hommes de Douai section Activités Diverses en toutes ses dispositions ;
L’infirme pour le surplus,
Vu l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS Agis Conseil à payer à Mme [C] [B] la somme de 2.000 € en vertu de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel ;
Condamne la SAS Agis Conseil aux entiers dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER
Nadine BERLY
LE PRESIDENT
Soleine HUNTER-FALCK
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