SD/OC
N° RG 22/00457
N° Portalis DBVD-V-B7G-DOLI
Décision attaquée :
du 06 avril 2022
Origine : conseil de prud’hommes – formation paritaire de BOURGES
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M. [C] [U]
C/
S.A.S. LAITERIES H. [H]
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Expéd. – Grosse
Me ROUICHI 3.3.23
Me FOURCADE 3.3.23
COUR D’APPEL DE BOURGES
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 03 MARS 2023
N° 32 – 11 Pages
APPELANT :
Monsieur [C] [U]
[Adresse 1]
Représenté par Me Christophe ROUICHI de la SELARL DUPLANTIER – MALLET GIRY – ROUICHI, avocat au barreau d’ORLÉANS
INTIMÉE :
S.A.S. LAITERIES H. [H]
[Adresse 2]
Représentée par Me Antoine FOURCADE, avocat postulant, du barreau de BOURGES
Ayant pour dominus litis Me Charlotte AVIGNON, du barreau de TOURS
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats :
PRÉSIDENT : Mme de LA CHAISE, présidente de chambre
et Mme CLÉMENT, présidente de chambre
en l’absence d’opposition des parties et conformément aux dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme DELPLACE
Lors du délibéré : Mme VIOCHE, présidente de chambre
Mme de LA CHAISE, présidente de chambre
Mme CLÉMENT, présidente de chambre
DÉBATS : A l’audience publique du 13 janvier 2023, la présidente ayant pour plus ample délibéré, renvoyé le prononcé de l’arrêt à l’audience du 03 mars 2023 par mise à disposition au greffe.
Arrêt n° 32 – page 2
03 mars 2023
ARRÊT : Contradictoire – Prononcé publiquement le 03 mars 2023 par mise à disposition au greffe.
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EXPOSÉ DU LITIGE
M. [C] [U], né le 19 janvier 1973, a été embauché à compter du 17 mars 1993 par la SAS Laiteries H. [H] en qualité d’aide magasinier suivant contrat de travail à durée indéterminée du même jour.
Cet emploi relève de la convention collective nationale de l’industrie laitière du 20 mai 1955.
M. [U] a été promu au poste de magasinier en janvier 2001, sans avenant au contrat de travail.
Par avenant du 4 février 2014, il a été affecté au poste d’approvisionneur maintenance.
Il a enfin été affecté au poste de gestionnaire de base de données en juillet 2014, dans le cadre d’une réorganisation temporaire du service, sans avenant au contrat de travail.
M. [U] a été placé en arrêt de travail à compter de septembre 2014.
Lors de la visite de reprise du 14 avril 2015, le médecin du travail l’a déclaré apte au poste de gestionnaire de base de données, tout en préconisant l’exclusion de tout déplacement professionnel autre que domicile-travail, l’exclusion de tout surmenage, en permettant au salarié de gérer ses postures, et un poste de travail stable, ne générant pas de stress et avec des activités connues du salarié.
Par courrier du 8 janvier 2016, l’employeur a notifié un rappel à l’ordre au salarié, que ce dernier a contesté par courrier du 22 février 2016.
M. [U] a été replacé en arrêt de travail à compter du 18 janvier 2016.
Le 8 décembre 2017, il a été informé de son placement en invalidité de deuxième catégorie.
Estimant avoir été victime de harcèlement moral et sollicitant la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur, M. [U] a saisi le 8 janvier 2021 le conseil de prud’hommes d’Orléans, lequel, par jugement du 18 novembre 2021, s’est déclaré incompétent au profit du conseil de prud’hommes de Bourges et a ordonné le transfert du dossier de la procédure à cette juridiction en application des articles 82 et suivants du code de procédure civile.
Par jugement du 6 avril 2022, le conseil de prud’hommes de Bourges a :
– débouté M. [U] de l’ensemble de ses demandes,
– débouté la société Laiteries H. [H] de sa demande d’indemnité de procédure,
– condamné M. [U] aux entiers dépens.
Vu l’appel régulièrement interjeté par M. [U] le 27 avril 2022 à l’encontre de la décision prud’homale, qui lui a été notifiée le 7 avril 2022, en ce qu’elle l’a débouté de l’ensemble de ses demandes et l’a condamné aux dépens ;
Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 14 décembre 2022 aux termes desquelles M. [U] demande à la cour de :
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a débouté de l’ensemble de ses demandes et l’a condamné aux entiers dépens,
statuant à nouveau,
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– prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur,
– dire que la rupture produit les effets d’un licenciement nul,
– condamner la société Laiteries H. [H] à lui payer les sommes suivantes :
> 4 887,26 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 488,73 euros bruts au titre des congés payés afférents,
> 1 070,84 euros bruts à titre de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires non récupérées, outre 107,08 euros bruts au titre des congés payés afférents,
> 2061,34 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés, sauf à parfaire au jour du prononcé de la rupture,
> 22 780,62 euros nets à titre d’indemnité de licenciement, sauf à parfaire au jour du prononcé de l’arrêt à intervenir,
> 61 090 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
> 50 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
– condamner la société Laiteries H. [H] à lui remettre ses documents de fin de contrat (certificat de travail, attestation Pôle Emploi, bulletin de paie) conformes aux condamnations prononcées,
– dire que les créances salariales porteront intérêts au taux légal au jour de la saisine du conseil de prud’hommes, et les créances indemnitaires au jour du prononcé de l’arrêt à intervenir,
– ordonner la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil,
– condamner la société Laiteries H. [H] à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fonde-ment de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société Laiteries H. [H] aux entiers dépens de première instance et d’appel,
– confirmer le jugement entrepris pour le surplus ;
Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 2 septembre 2022 aux termes desquelles la société Laiteries H. [H] demande à la cour de :
– confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu’il l’a déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
en conséquence,
à titre principal,
– débouter M. [U] de ses demandes au titre du harcèlement moral, de la résiliation judiciaire du contrat de travail et du rappel de salaire,
à titre subsidiaire,
– fixer à une plus faible valeur le montant des dommages et intérêts sollicités par M. [U] au titre de la rupture du contrat de travail,
– fixer à une plus juste valeur la demande de M. [U] au titre du harcèlement moral,
– débouter M. [U] de sa demande au titre des intérêts légaux,
à titre reconventionnel,
– condamner M. [U] à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [U] aux entiers dépens ;
Vu l’ordonnance de clôture en date du 4 janvier 2023 ;
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et de l’argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux conclusions déposées.
SUR CE
1) Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour harcèlement moral
Selon l’article L. 1152-1 du code du travail, le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l’intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter
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atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel.
En application de l’article L. 1154-1 du même code, il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
En l’espèce, M. [U] soutient avoir été victime de faits de harcèlement moral de la part de son employeur et reproche aux premiers juges de l’avoir débouté de sa demande en paiement formée de ce chef en retenant qu’il ne rapportait pas la preuve de la maltraitance managériale alléguée et d’avoir ainsi méconnu le mécanisme probatoire s’appliquant au harcèlement.
Il prétend ainsi qu’il a subi une inégalité de traitement, une modification unilatérale et forcée de son contrat de travail, une mise à l’écart ainsi que des critiques et reproches injustifiés de la part de son employeur.
Au sujet de l’inégalité de traitement, il explique avoir repris en 2000 les fonctions de responsable de magasin, sans se voir attribuer la qualification et le statut d’agent de maîtrise dont ont bénéficié son prédécesseur et son successeur à ce poste.
M. [U] prétend ensuite que son contrat de travail a été modifié sans son accord lors de son affectation au poste de gestionnaire de base de données en juillet 2014, précisant que ce poste, pour lequel il ne disposait pas de formation suffisante, le dépossédait de l’essentiel de ses tâches et lui imposait de rester dans une position incompatible avec son état de santé, que l’employeur lui a ainsi imposé un changement de poste alors qu’il se sentait valorisé et s’épanouissait dans celui qu’il occupait précédemment.
Il allègue troisièmement avoir subi une mise à l’écart au retour de son arrêt de travail en avril 2015. Il affirme qu’il n’avait plus accès au magasin de pièces détachées, que les serrures de son ancien bureau et de son armoire ont été changées, qu’il n’a pas été inclus parmi les participants à une formation au logiciel JDE qu’il utilisait quotidiennement, qu’il était exclu des réunions de service et de la liste de diffusion du service, que son téléphone portable professionnel lui a été retiré et que plus aucune tâche ne lui a été confiée à compter du 12 octobre 2015.
Enfin, il soutient que son employeur lui a adressé à plusieurs reprises des reproches injustifiés, notamment en lui faisant grief de faire trop de pauses, de manquer de rythme dans l’exécution de ses missions, d’être démotivé et d’avoir un comportement négatif.
Il produit au soutien de ses dires de nombreuses attestations visant les faits allégués.
Il s’en déduit que M. [U] présente des éléments précis laissant supposer qu’il a subi des faits de harcèlement moral.
En premier lieu, pour justifier de ce qu’il a exercé les fonctions de responsable de magasin, nonobstant l’absence de conclusion d’un avenant au contrat de travail en ce sens, M. [U] produit les attestations de :
– Mme [K] [J], salariée de l’entreprise, qui affirme qu’il a occupé le poste de ‘magasinier’ avant son changement de fonctions en 2014,
– M. [P] [W], salarié d’un fournisseur de l’entreprise, qui atteste avoir côtoyé M. [U] pendant une ‘petite dizaine d’années’ et avoir constaté, à l’occasion de l’une de ses visites, qu’il
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n’occupait plus le poste d’acheteur/approvisionneur, sans mentionner cependant les fonctions que M. [U] exerçait avant ce poste,
– M. [A] [V], salarié d’un client de l’entreprise, qui affirme avoir ‘cotoyé M. [U] pour obtenir diverses pièces’, mais sans indiquer quel poste occupait ce dernier.
Le salarié se réfère également à l’attestation de Mme [N], produite par l’employeur, qui affirme avoir constaté, à son arrivée dans l’entreprise en août 2012, des anomalies dans les réceptions de pièces détachées et des écarts d’inventaire, et avoir ‘accompagné M. [U] pour qu’il puisse assurer sa fonction d’approvisionneur’.
M. [U] justifie encore de son passage du coefficient 130 au coefficient 190 au 1er janvier 2001, entraînant une augmentation de rémunération de 30% et avoir suivi une formation de gestion des stocks de maintenance en novembre 2001. Si l’augmentation de son coefficient et de sa rémunération tend à démontrer, comme il l’allègue, qu’il a exercé de nouvelles responsabilités à compter de l’année 2001, elle ne permet pas formellement d’établir qu’elles étaient celles d’un chef de magasin, en particulier dès lors que le 1er janvier 2001 correspond également à son passage du poste d’aide-magasinier à celui de magasinier.
Les pièces produites par le salarié sont donc insuffisantes à établir qu’il a occupé le poste de responsable de magasin de 2000 à 2014 et a subi une inégalité de traitement dans l’exercice de ces fonctions.
Le premier grief invoqué au soutien du harcèlement moral n’est donc pas établi.
En second lieu, pour démontrer que son employeur lui a imposé une modification unilatérale de son contrat de travail, il produit la fiche du poste d’approvisionneur maintenance, auquel il a été affecté conformément à l’avenant du 4 février 2014, et dont les tâches principales comprenaient la gestion des approvisionnements fournisseurs, des flux et des stocks pour les pièces détachées maintenance usine, la réalisation des bons de commande pour l’achat de pièces et prestations, la réalisation des bons de commande des articles stockés et la réalisation d’un suivi des stocks.
Le document de travail ‘organisation temporaire appro’, détaillant la réorganisation du service achats/approvisionnements, positionne M. [U] au poste de ‘gestionnaire base de données’ avec pour missions principales : ‘création de tous les articles ; mise à jour des fiches fournisseur ; revoit tous les paramètres de gestion : stock mini, maxi, stock stratégique, stock chez le fournisseur… en binôme avec [Z] [D] ; identifie tous les écarts pour les résoudre : conditions de paiement, PMP, prix erronés ; gestion FDS ; aide à la tenue d’un tableau d’activités, plan d’avancement’.
Il résulte de la comparaison de ces deux documents que, si la mise à jour de la base des articles figurait déjà parmi les tâches du salarié en tant qu’approvisionneur maintenance, ses missions ont été considérablement réduites dans le cadre de la réorganisation de service, annoncée comme temporaire mais finalement maintenue par l’employeur. M. [U] s’est ainsi vu notamment retirer ses missions de gestion des approvisionnements, des flux et des stocks et de réalisation des bons de commande.
Son changement de poste s’analyse donc comme une modification du contrat de travail qui ne pouvait être réalisée sans son accord, alors qu’il est constant que le salarié a refusé de signer l’avenant l’affectant au poste de gestionnaire de base de données.
Au surplus, en ce qui concerne la formation de M. [U] à ce nouveau poste, Mme [N], responsable hiérarchique du salarié, atteste ‘[avoir] demandé à M. [U] d’aider à la mise en oeuvre de cette base [de données]. Aucun collaborateur ne voulait le former, son comportement n’était guère constructif’. Il résulte également du courriel envoyé par Mme [N] le 27 juillet 2015 que M. [U] n’a bénéficié d’une journée de formation au logiciel JDE, qui constituait son
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nouvel outil de travail, que plus d’un an après son affection au poste de gestionnaire de base de données.
Ces deux pièces permettent donc d’établir que M. [U] n’a pas bénéficié d’une formation suffisante à son nouveau poste, en contradiction partielle avec les préconisations de la médecine du travail relatives à un poste de travail ‘ne générant pas de stress et avec des activités connues du salarié’.
Il résulte également de la nature de ses nouvelles missions qu’il se trouvait désormais contraint de travailler majoritairement dans une position assise, comme l’atteste aussi Mme [J], alors que le médecin du travail préconisait la possibilité pour le salarié de ‘gérer ses postures’.
Le deuxième fait invoqué au soutien du harcèlement moral est donc établi.
En troisième lieu, il ressort du courriel de Mme [M] [R] en date du 21 août 2015 que l’accès au magasin de pièces détachées a été retiré à M. [U] puisqu’elle y a écrit: ‘[C] rentre lundi, [F] souhaite qu’aucun accès ne soit donné à [C], il n’a pas à se rendre aux magasins pièces détachées’.
Mme [J] atteste également avoir constaté que M. [U] était le seul à ne pas être convié aux réunions de service organisées par Mme [N], ce qui n’est pas contesté.
Les courriels et entrées d’agenda produits par le salarié montrent par ailleurs qu’il n’a pas été convié aux déjeuners communs des 21 juillet 2015 et 19 novembre 2015, organisés dans le cadre de la venue des responsables maintenance du groupe pour des formations au logiciel JDE, alors que certains de ses collègues y étaient conviés.
En revanche, le document intitulé ‘groupe utilisateurs achats – formation JDE’, qui n’inclut pas M. [U] dans la liste des participants, ne permet pas de démontrer qu’il n’a bénéficié d’aucune formation audit logiciel, le contraire ayant été établi précédemment.
De même, la copie d’écran issu du logiciel de messagerie de l’entreprise ne prouve pas qu’il ne faisait pas partie du groupe d’envoi ‘achats’, dès lors que la liste complète des membres de ce groupe n’apparaît pas à l’écran.
Par ailleurs, le fait qu’il n’ait pas été invité par un salarié d’un autre service de l’entreprise à son pot de départ ne démontre pas davantage l’existence d’une mise à l’écart par l’employeur.
Au surplus, M. [U] n’établit par aucune pièce que les serrures de son ancien bureau et de son armoire auraient été changées ou qu’il possédait un téléphone portable professionnel qui lui a été retiré, alors que ses nouvelles fonctions en auraient encore nécessité l’usage.
Il en va de même de l’allégation selon laquelle le 12 octobre 2015, Mme [N] serait venue dans son bureau pour présenter une stagiaire et se serait uniquement adressée à sa collègue partageant le bureau, Mme [X].
Enfin, Mme [J] et M. [T] [I], salariés de l’entreprise, attestent qu’il n’a plus été fourni de travail à M. [U], sans préciser la période de leurs constatations, et M. [V] affirme que ‘la nouvelle équipe comblait son incompétence par des critiques envers M. [U]’. Le caractère insuffisamment circonstancié de ces attestations ne permet cependant pas de démontrer l’absence de fourniture de travail et l’existence de critiques envers le salarié.
Ces éléments établissent ainsi que M. [U] s’est vu retirer son accès au magasin de pièces détachées et qu’il n’était pas convié à certains déjeuners de travail et aux réunions de son service.
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Au sujet des critiques et reproches qui lui auraient été adressés, le salarié se réfère une seconde fois à l’attestation de M. [V], qui affirme qu’il faisait l’objet de critiques de la part de son équipe, mais ce témoignage est insuffisamment circonstancié pour pouvoir être retenu. En revanche, il résulte d’un courriel du 6 octobre 2015 que Mme [N] lui a reproché’son manque de rythme dans [s]on travail’ et ‘la prise de pauses non autorisées’ et lui a demandé de ne pas importuner sa collègue de bureau, qui avait dû se rendre dans un autre lieu pour travailler. Si M. [U] explique avoir seulement discuté quelques minutes, il n’apporte aucun élément permettant de prouver le caractère infondé des critiques de sa supérieure hiérarchique.
Par courrier du 8 janvier 2016, l’employeur a ensuite reproché à M. [U] un rythme insuffisant de saisie de données, un comportement négatif envers l’entreprise, de travailler moins que 35 heures par semaine et de ne pas réclamer de travail lorsqu’il en manquait.
Si l’appelant ne démontre pas que ces critiques étaient injustifiées, c’est néanmoins abusi-vement que l’employeur lui a reproché de ne pas demander de travail alors qu’il lui appartenait précisément de lui en fournir. Ce reproche n’était donc pas fondé.
Le salarié soutient enfin que ces faits de harcèlement moral ont entraîné une altération de son état de santé, en ce qu’il a développé un syndrome anxio-dépressif.
M. [U] a été placé en arrêt de travail pour maladie de septembre 2014 à avril 2015 puis de nouveau à compter du 18 janvier 2016. Il produit des prescriptions de médicaments anti-dépresseurs et anxiolytiques pour la période de novembre 2016 à septembre 2017. Il verse également aux débats l’expertise réalisée le 18 octobre 2017 par le professeur [O], expert près la cour d’appel d’Orléans, qui note l’existence d’une ‘symptomatologie anxio-dépressive et des symptômes somatiques’ à compter de septembre 2014 et retient que ‘l’essentiel de [l]a symptomologie [du salarié] est induite par un facteur de stress précisé : conflit au travail’. En décembre 2017, le salarié a été placé en invalidité de deuxième catégorie, réservée aux invalides déclarés incapables d’exercer une activité professionnelle.
Au regard de ces développements, M. [U] établit matériellement l’existence de faits qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral.
Pour démontrer que le salarié n’a pas subi le harcèlement allégué et que les décisions prises s’expliquent par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, l’employeur réplique premièrement que l’affectation au poste de gestionnaire de base de données ne constituerait qu’un changement des conditions de travail du salarié, ne nécessitant pas son accord.
Cette argumentation ne saurait toutefois être accueillie, dès lors qu’il a été établi que le changement d’affectation du salarié a eu pour conséquence de réduire de manière importante ses missions, sans qu’il dispose au demeurant d’une formation suffisante à ce nouveau poste. L’employeur ne conteste pas, par ailleurs, que le poste de travail du salarié n’était pas entièrement conforme aux préconisations du médecin du travail.
La société explique, deuxièmement, que le retrait de l’accès au magasin est justifié par la mise en oeuvre d’une procédure de sécurité visant à empêcher les vols.
Elle n’apporte cependant aucun élément au soutien de cette allégation et ne démontre pas que tous les salariés ne travaillant pas au magasin n’étaient pas habilités à y pénétrer.
Elle ne conteste pas, troisièmement, que M. [U] n’a pas été convié aux déjeuners communs et aux réunions de service dont il a été fait état.
Elle ne saurait, enfin, légalement justifier le reproche relatif à l’absence de demande de fourniture de travail.
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L’employeur échoue donc à apporter la preuve que ses agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement moral et sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il en résulte que les faits de harcèlement moral sont établis.
En réparation de son préjudice, M. [U] sollicite la condamnation de l’employeur à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Au regard des éléments médicaux produits par le salarié, des longues périodes d’arrêt de travail pour maladie et de son placement en invalidité de 2e catégorie, qui sont en lien direct avec les faits de harcèlement moral qu’il a subis sur son lieu de travail, il convient de condamner la société Laiteries H. [H] à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral.
Le jugement entrepris est infirmé en ce qu’il a débouté M. [U] de cette demande.
2) Sur la demande en résiliation judiciaire du contrat de travail
a) Sur le fond
La résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur peut être prononcée judiciairement si le manquement par l’employeur à ses obligations présente une gravité suffisante pour rendre impossible le maintien du contrat de travail (Soc., 26 mars 2014, no 12-21.372).
En application de l’article L. 1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
Il en résulte que la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur, fondée notamment sur le harcèlement moral dont le salarié a été victime sur son lieu de travail, produit les effets d’un licenciement nul (Soc., 20 févr. 2013, no 11-26.560).
En l’espèce, les faits de harcèlement moral subis par M. [U], eu égard tant à leur nature qu’à leurs conséquences importantes sur son état de santé, constituent un manquement suffisamment grave de l’employeur pour exclure tout retour du salarié dans l’entreprise, y compris sur un autre poste de travail.
En conséquence, infirmant le jugement attaqué de ce chef, il y a lieu de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société Laiteries H. [H] avec les effets d’un licenciement nul.
b) Sur les conséquences financières de la résiliation judiciaire
– Sur la demande en paiement d’une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents
Lorsque la résiliation judiciaire du contrat de travail est prononcée aux torts de l’employeur, l’indemnité compensatrice de préavis est due même si le salarié se trouve en arrêt de travail pour maladie, et donc dans l’impossibilité d’exécuter son préavis au moment de la rupture du contrat de travail (Soc., 13 mai 2015, no 13-28.792).
L’article 15.1 de la convention collective applicable prévoit en outre que la durée du préavis sera, en cas de rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur, de 1 mois, porté à 2 mois si le salarié a au moins 2 ans d’ancienneté dans l’entreprise, sauf faute grave.
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En l’espèce, M. [U] a plus de deux ans d’ancienneté au jour de la rupture du contrat de travail, fixée au jour du prononcé du présent arrêt.
La société Laiteries H. [H] ne contestant pas les modalités de calcul et le montant sollicité par le salarié à ce titre, calculé sur la base de son salaire de décembre 2019 auquel il a ajouté sa prime d’ancienneté, il convient de la condamner à payer à M. [U] la somme de 4 887,27 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 488,73euros bruts au titre des congés payés afférents.
Le jugement entrepris est infirmé en ce qu’il a débouté le salarié de ces demandes.
– Sur la demande en paiement d’une indemnité de licenciement
Aux termes de l’article L. 1234-9, alinéa 1, du code du travail, le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu’il compte 8 mois d’ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.
L’article R. 1234-2 du même code précise que l’indemnité de licenciement ne peut être inférieure aux montants suivants :
1° un quart de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années jusqu’à dix ans ;
2° un tiers de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années à partir de dix ans.
En l’espèce, M. [U], qui a été embauché le 17 mars 1993, a une ancienneté de 29 années et 11 mois au jour de la rupture du contrat de travail.
Sur la base d’un salaire mensuel moyen de 2 492,68 euros, non contesté par l’employeur, il y a donc lieu d’infirmer le jugement attaqué et de condamner la société Laiteries H. [H] à payer à M. [U] la somme de 22 780, 32 euros à titre d’indemnité de licenciement.
– Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour licenciement nul
L’article L. 1235-3-1, alinéa 1 du code du travail dispose que l’article L. 1235-3 n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article, dont des faits de harcèlement moral. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
En l’espèce, M. [U] est âgé de 50 ans et a à ce jour une ancienneté de 29 ans. C’est vainement que l’employeur affirme que le salarié ne démontre pas la réalité de son préjudice, et notamment de sa situation actuelle au regard de l’emploi, alors que la rupture de son contrat de travail est seulement prononcée par le présent arrêt et qu’il n’a donc pu jusqu’ici ni rechercher un autre travail ni s’inscrire auprès de Pôle Emploi. Dès lors, compte tenu de ces éléments et des conditions de la rupture, l’allocation de la somme de 45 000 euros est de nature à réparer exactement le préjudice résultant de la résiliation de son contrat de travail emportant les effets d’un licenciement nul. Le jugement entrepris est donc infirmé de ce chef.
3) Sur la demande en paiement d’un rappel de salaire pour heures supplémentaires
M. [U] soutient qu’il lui reste à devoir le paiement de 72,55 heures supplémentaires qu’il n’a pas pu récupérer du fait de son arrêt de travail.
L’employeur ne conteste pas l’existence de ces heures supplémentaires non récupérées ainsi que le principe de leur rémunération en cas de rupture du contrat de travail.
En conséquence, infirmant le jugement entrepris, il convient de condamner la société Laiteries
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H. [H] à payer à M. [U] la somme 1 070,84 euros bruts à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, outre celle de 107,08 euros au titre des congés payés afférents.
4) Sur la demande en paiement d’une indemnité compensatrice de congés payés
En application de l’article L. 1242-16 du code du travail, le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée déterminée a droit à une indemnité compensatrice de congés payés au titre du travail effectivement accompli durant ce contrat, quelle qu’ait été sa durée, dès lors que le régime des congés applicable dans l’entreprise ne lui permet pas de les prendre effectivement.
Le montant de l’indemnité, calculé en fonction de cette durée, ne peut être inférieur au dixième de la rémunération totale brute perçue par le salarié pendant la durée de son contrat.
L’indemnité est versée à la fin du contrat, sauf si le contrat à durée déterminée se poursuit par un contrat de travail à durée indéterminée.
En l’espèce, M. [U] prétend bénéficier d’un reliquat de 22 jours de congés payés non pris, conformément au tableau récapitulatif qu’il verse aux débats.
L’employeur ne conteste ni l’existence d’un solde de congés payés, ni les modalités de calcul de l’indemnité compensatrice de congés payés par le salarié.
En conséquence, il y a lieu de condamner la société Laiteries H. [H] à payer à M. [U] la somme de 2 061,34 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de congés payés et d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté le salarié de cette demande.
5) Sur les autres demandes, les dépens et les frais irrépétibles
Compte tenu de ce qui précède, il est ordonné à la société Laiteries H. [H] de remettre à M. [U] l’ensemble de ses documents de fin de contrat conformes au présent arrêt, dans un délai de quinze jours suivant la signification dudit arrêt, sans qu’il soit nécessaire de prononcer une astreinte à cette fin.
Les condamnations concernant des créances salariales seront assorties d’intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation, soit le 22 décembre 2021, et les sommes allouées à titre de dommages et intérêts porteront intérêts au taux légal à compter de l’arrêt.
Il y a lieu en outre d’ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.
Partie principalement succombante, la société Laiteries H. [H] est condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
L’issue de la procédure et l’équité commandent par ailleurs de la condamner à payer à M. [U] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, ainsi que la somme complémentaire de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel, et de la débouter de sa propre demande d’indemnité de procédure.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,
INFIRME la décision déférée, sauf en ce qu’elle a débouté la SAS Laiteries H. [H] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Arrêt n° 32 – page 11
03 mars 2023
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [C] [U] aux torts de la SAS Laiteries H. [H], emportant les effets d’un licenciement nul,
CONDAMNE la SAS Laiteries H. [H] à payer à M. [C] [U] :
– 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
– 1 070,84 € bruts à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, outre 107,08 € bruts au titre des congés payés afférents,
-22 780,32 € à titre d’indemnité de licenciement,
– 4 887,26 € bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 488,73 € bruts au titre des congés payés afférents,
– 2 061,34 € bruts à titre d’indemnité compensatrice de congés payés,
– 45 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
DIT que les condamnations concernant des créances salariales sont assorties d’intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation, soit le 22 décembre 2021, et que les sommes allouées à titre de dommages et intérêts portent intérêts au taux légal à compter de l’arrêt,
ORDONNE la capitalisation des intérêts en application de l’article 1343-2 du code civil,
ORDONNE à la SAS Laiteries H. [H] de remettre à M. [C] [U] l’ensemble de ses documents de fin de contrat conformes au présent arrêt, dans un délai de quinze jours suivant la signification dudit arrêt mais DIT n’y avoir lieu à astreinte,
CONDAMNE la SAS Laiteries H. [H] à payer à M. [C] [U] la somme de 2 000 € au titre des frais irrépétibles de première instance et la même somme au titre des frais irrépétibles d’appel,
CONDAMNE la SAS Laiteries H. [H] aux dépens de première instance et d’appel, et la DÉBOUTE de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus ;
En foi de quoi, la minute du présent arrêt a été signée par Mme VIOCHE, présidente de chambre, et Mme DELPLACE, greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
S. DELPLACE C. VIOCHE
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