28 MARS 2023
Arrêt n°
ChR/NB/NS
Dossier N° RG 20/01962 – N° Portalis DBVU-V-B7E-FQMH
[K] [S]
/
S.A. ORANGE
jugement au fond, origine conseil de prud’hommes – formation de départage d’aurillac, décision attaquée en date du 03 décembre 2020, enregistrée sous le n° f 18/00073
Arrêt rendu ce VINGT HUIT MARS DEUX MILLE VINGT TROIS par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d’Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :
M. Christophe RUIN, Président
Mme Sophie NOIR, Conseiller
Mme Karine VALLEE, Conseiller
En présence de Mme Nadia BELAROUI greffier lors des débats et du prononcé
ENTRE :
Mme [K] [S]
[Adresse 6]
[Localité 1]
Représentée par Me Frédérique BELLINZONA, avocat au barreau de TOULOUSE
APPELANTE
ET :
S.A. ORANGE prise en la personne de son président en exercice domicilié en cetet qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Sophie LACQUIT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND, avocat constitué, substitué par Me Thomas FAGEOLE de la SAS HDV AVOCATS, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND, avocat plaidant
INTIMEE
Monsieur RUIN, Président et Mme NOIR, Conseiller après avoir entendu, M. RUIN, Président en son rapport, à l’audience publique du 30 janvier 2023, tenue par ces deux magistrats, sans qu’ils ne s’y soient opposés, les représentants des parties en leurs explications, en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré après avoir informé les parties que l’arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
La S.A ORANGE est une entreprise spécialisée dans la télécommunication.
Madame [K] [S], née le 27 février 1993, a été embauchée par la S.A ORANGE à compter du 22 juillet 2013, suivant un contrat d’apprentissage. A compter du 1er octobre 2015, Madame [K] [S] a été embauchée en qualité de conseillère commerciale, suivant un contrat de travail écrit à durée indéterminée, à temps complet, avec reprise d’ancienneté au 27 septembre 2013. Elle a été affectée au site ou boutique ORANGE d'[Localité 4] dans le département du Cantal (AD CENTRE EST). La convention collective applicable à la relation contractuelle est la convention collective nationale des télécommunications.
Madame [K] [S] était en arrêt de travail pour cause de maladie du 17 octobre 2017 au 15 novembre 2017.
Par lettre recommandée avec accusé de réception, datée du 20 octobre 2017, Madame [K] [S] a notifié sa démission à son employeur.
Le 10 octobre 2018, Madame [K] [S] a saisi le conseil des prud’hommes de [Localité 4], aux fins notamment de voir requalifier sa démission en une prise d’acte aux torts de son employeur produisant les effets d’un licenciement nul, outre obtenir l’indemnisation afférente ainsi que des dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à ses obligations de formation et de sécurité.
L’audience devant le bureau de conciliation et d’orientation s’est tenue le 19 décembre 2018 (convocation signée par la défenderesse le 12 novembre 2018) et, comme suite au constat de l’absence de conciliation, l’affaire été renvoyée devant le bureau de jugement.
Par jugement de départage rendu contradictoirement en date du 3 décembre 2020 (audience du 1er octobre 2020), le conseil de prud’hommes d’AURILLAC a :
– constaté que la saisine de la juridiction prud’homale intervient un an après la transmission de la lettre de démission de Madame [K] [S] à son employeur, la société ORANGE ;
– dit que rien ne permet de remettre en cause la manifestation de volonté claire et non équivoque de démissionner exprimée par Madame [K] [S] ;
– débouté en conséquence Madame [K] [S] de l’ensemble de ses demandes ;
– condamné Madame [K] [S] aux dépens de l’instance;
– rejeté le surplus des demandes.
Le 23 décembre 2020, Madame [S] a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié à sa personne le 5 décembre 2020.
Le 18 janvier 2021, Maître Sophie LACQUIT, du barreau de CLERMONT-FERRAND, s’est constituée avocat dans les intérêts de la SA ORANGE.
Vu les conclusions notifiées à la cour le 27 août 2021 par Madame [K] [S],
Vu les conclusions notifiées à la cour le 10 novembre 2022 par la SA ORANGE,
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 2 janvier 2023.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières écritures, Madame [K] [S] demande à la cour de :
– infirmer le jugement de première instance en toutes ses dispositions ;
– dire et juger qu’elle a été victime de harcèlement moral et, à tout le moins, d’un management inadapté constitutif d’une faute de l’employeur ;
– prononcer la requalification de la démission en prise d’acte aux torts de l’employeur ;
– condamner la société ORANGE à lui payer et porter la somme de :
– 10.000 euros au titre de l’indemnité en réparation du préjudice moral subi du fait du
non-respect du droit à la déconnexion,
– 20.000 euros au titre de l’indemnité en réparation du harcèlement moral subi,
– 3.000 euros au titre de l’indemnité en réparation du non-respect du délai de prévenance en matière de changement d’horaires,
– 4.761,20 euros à titre d’indemnité de préavis (2 380,60 € x 2), outre 476,12 euros à titre d’indemnité de congés payés afférents,
– 2.618 euros à titre d’indemnité de licenciement,
– 20.000 euros au titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ou sans de cause
réelle et sérieuse ;
Y ajoutant,
– condamner la S.A ORANGE au paiement d’une somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– statuer ce que de droit sur les dépens.
Madame [K] [S] fait tout d’abord valoir que l’employeur a créé un groupe Whatsapp regroupant l’ensemble des salariés de la boutique destiné à communiquer à tout moment de la journée, et ce en compris durant les congés. Elle considère ainsi que l’employeur n’a pas respecté son droit à la déconnexion et a de la sorte exécuté déloyalement le contrat de travail. Elle réclame l’indemnisation du préjudice subi résultant notamment de la dégradation de son état de santé liée à cette immixtion dans sa sphère privée.
Elle soutient ensuite que les salariés font l’objet de remarques désobligeantes, disqualifiantes et infantilisantes de la part des managers, qu’elle a été contrainte de travailler rapidement sans pause ni temps utile pour se rendre aux commodités, qu’elle a en outre fait l’objet d’une surveillance de la part de la direction et subi des pressions. Elle indique que l’ensemble de ces agissements, dont elle considère qu’ils laissent présumer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre, ont induit une dégradation de son état de santé.
Madame [K] [S] fait ensuite valoir que l’employeur lui communiquait ses plannings de travail sans délai de prévenance, bien souvent la veille pour le lendemain, qu’elle s’est en outre vue imposer de nombreuses heures supplémentaires, des changements de plannings intempestifs, de tels changements ayant impacté sa vie privée et familiale. Elle réclame l’indemnisation du préjudice subi en conséquence.
Elle soutient enfin, au vu des différents manquements ci-dessus exposés, que sa démission doit être requalifiée en prise d’acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d’un licenciement nul et en tout état de cause, sans cause réelle et sérieuse, et réclame l’indemnisation afférente.
Dans ses dernières écritures, la S.A ORANGE demande à la cour de :
A titre principal,
– déclarer l’appel de Madame [K] [S] irrecevable avec toutes conséquences que de droit ;
– juger que la cour n’est saisie d’aucune demande d’infirmation du jugement rendu le 3
décembre 2020 par le conseil de prud’hommes d’AURILLAC, en l’absence d’effet dévolutif ;
– déclarer irrecevables les demandes nouvelles formées par Madame [K] [S] au
titre de la réparation du préjudice moral lié au droit à la déconnexion et au titre de la réparation du préjudice moral lié à l’inconfort généré par l’employeur dans la vie privée de Madame [K] [S] ;
A titre subsidiaire,
– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes d’AURILLAC en date du 3 décembre 2020 en ce qu’il a :
* constaté que la saisine de la juridiction prud’homale intervient un an après la transmission de la lettre de démission de Madame [K] [S] à son employeur ;
* dit que rien ne permet de remettre en cause la manifestation de volonté claire et non équivoque de démissionner exprimée par Madame [K] [S] ;
* débouté en conséquence Madame [K] [S] de l’ensemble de ses demandes ;
* condamné Madame [K] [S] aux dépens de l’instance ;
* rejeté le surplus des demandes de Madame [K] [S];
En tout état de cause,
– condamner Madame [K] [S] à payer une somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner Madame [K] [S] aux entiers dépens.
La société ORANGE conclut tout d’abord à l’irrecevabilité de l’appel interjeté par Madame [K] [S] au motif que si celle-ci conclut certes à l’infirmation du jugement de première instance en toutes ses dispositions, elle ne précise toutefois pas de qu’elle décision de première instance il s’agit, de même qu’elle ne mentionne pas expressément les chefs de jugement qu’elle a entendu déférer à la cour. Elle sollicite ainsi la confirmation du jugement entrepris.
Sur le fond, elle relève tout d’abord, concernant la rupture du contrat de travail, que la saisine de la juridiction prud’homale par la salariée est particulièrement tardive au regard de sa date de démission, cette dernière ne présentant au demeurant aucun caractère équivoque au vu des termes employés par l’appelante et en ce qu’elle est intervenue en dehors de toute contrainte ou pression morale qui aurait été exercée à son encontre.
Elle conteste ensuite l’ensemble des griefs avancés par la salariée et soutient plus spécialement que :
* la salariée ne démontre pas avoir exécuté des heures supplémentaires non rémunérées ni avoir été maintenu à la disposition permanente de l’employeur ;
* qu’elle ignorait la création du groupe Whatsapp de même que les membres qui le composent, étant précisé que ce logiciel de communication permet un réglage par chacun des utilisateurs afin d’autoriser ou interdire les notifications en cas de réception d’un message en sorte que la salariée pouvait parfaitement se déconnecter ;
* qu’aucun élément ne permet de corroborer les allégations de salariée quant à l’ambiance de travail qu’elle dépeint ;
* qu’aucun élément ne permet d’accréditer qu’elle aurait réaliser des tâches ne relevant pas de ses fonctions contractuelles ;
* que la salariée n’a jamais alerté l’employeur ou le médecin du travail quant à l’existence d’un prétendu harcèlement moral à son encontre ;
* qu’aucun élément ne laisse présumer l’existence d’un harcèlement moral à l’encontre de la salariée.
Elle considère ainsi qu’elle n’a commis aucun manquement dans l’exécution du contrat de travail de la salariée en sorte que sa démission ne saurait être requalifiée en prise d’acte. Elle conclut ainsi à son débouté s’agissant des demandes formulées au titre de la rupture du contrat de travail.
Elle relève ensuite que la salariée formule pour la première fois en cause d’appel des demandes indemnitaires au titre du droit à la déconnexion et de l’inconfort généré dans sa vie privée, de telles demandes étant dès lors irrecevables car nouvelles en cause d’appel, et en tout état de cause, non justifiées en leur principe et leur quantum.
Elle conclut enfin au débouté de la salariée s’agissant de la demande indemnitaire qu’elle formule au titre du harcèlement moral en l’absence de bien fondé de la demande et en tout état de cause, de démonstration d’un quelconque préjudice.
Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions, moyens et arguments des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux dernières conclusions régulièrement notifiées et visées.
MOTIFS
– Sur la recevabilité de l’appel et l’effet dévolutif –
Aux termes de l’article 561 du code de procédure civile, l’appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d’appel. L’effet dévolutif transfère à la cour d’appel ce qui a été tranché par les premiers juges.
Aux termes de l’article 562 du code de procédure civile, l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent.
Selon l’article 562 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent, la dévolution ne s’opérant pour le tout que lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible. Seul l’acte d’appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement. L’étendue de la saisine du juge d’appel est limitée par les énonciations de l’acte d’appel qui a déféré le jugement à la cour, et ne peut être élargie aux conclusions subséquentes. L’appel fixe l’étendue de la dévolution à l’égard des parties intimées, et cette saisine initiale ne peut être élargie que par un appel incident ou provoqué. Il en résulte que lorsque la déclaration d’appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l’effet dévolutif n’opère pas, quand bien même la nullité de la déclaration d’appel fondée sur ce même grief aurait été rejetée.
La cour, qui constate de quels éléments du litige elle est saisie, ne soulève pas d’office un moyen et n’a donc pas à inviter les parties à présenter leurs observations.
Aux termes de l’article 542 du code de procédure civile (avant 1er septembre 2017) : ‘L’appel tend à faire réformer ou annuler par la cour d’appel un jugement rendu par une juridiction du premier degré.’
Aux termes de l’article 542 du code de procédure civile (depuis 1er septembre 2017) : ‘L’appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d’appel.’
Aux termes de l’article 954 du code de procédure civile (décret 2017-891 du 6 mai 2017) :
‘Les conclusions d’appel contiennent, en en-tête, les indications prévues à l’article 961. Elles doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé.
Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte.
La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.
Les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées.
La partie qui conclut à l’infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu’elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance.
La partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s’en approprier les motifs.’
Dans un arrêt rendu en date du 17 septembre 2020 (pourvoi 18-23626), la 2ème chambre civile de la Cour de cassation juge, s’agissant de la procédure contentieuse avec représentation obligatoire applicable devant la cour d’appel, qu’il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l’appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l’infirmation ni l’annulation du jugement, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement.
La 2ème chambre civile de la Cour de cassation, visant notamment les articles 542, 954 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, a maintenu depuis cette évolution jurisprudentielle en précisant notamment que :
– L’objet du litige devant la cour d’appel étant déterminé par les prétentions des parties, le dispositif des conclusions de l’appelant doit comporter une prétention sollicitant expressément l’infirmation ou l’annulation du jugement frappé d’appel ;
– À défaut, la cour d’appel, ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières écritures des parties, ne peut que confirmer le jugement ;
– Ainsi, l’appelant doit dans le dispositif de ses conclusions mentionner qu’il demande l’infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l’anéantissement, ou l’annulation du jugement. En cas de non-respect de cette règle, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement.
En l’espèce, dans le cadre de la déclaration d’appel, expédiée le 23 décembre 2021 par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 21 décembre 2021, l’avocat de l’appelante, Maître Frédérique BELLINZONA du barreau de TOULOUSE, mentionne que Madame [K] [S] critique le jugement déféré en ce que le conseil de prud’hommes a rejeté ses demandes de requalification de la démission en une prise d’actes aux torts de son employeur produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de paiement d’une indemnité conventionnelle de licenciement, d’une indemnité compensatrice de préavis avec congés payés afférents, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à ses obligations de formation et de sécurité, d’une somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Cette déclaration d’appel mentionne expressément que la décision déférée à la cour d’appel de Riom est le jugement rendu en date du 3 décembre 2020 par le conseil de prud’hommes d’AURILLAC, avec copie jointe de ce jugement. L’intimée est clairement désignée dans la déclaration d’appel en la personne morale de la SA ORANGE.
Les dernières conclusions régulièrement notifiées par Madame [K] [S] mentionnent clairement, avant le dispositif, la partie intimée, à savoir la SA ORANGE, et la décision déférée critiquée, à savoir le jugement rendu en date du 3 décembre 2020 par le conseil de prud’hommes d’AURILLAC.
Le dispositif des dernières écritures de l’appelante mentionne expressément une demande d’infirmation de toutes les dispositions de la décision déférée, alors que Madame [K] [S] a été déboutée de toutes ses prétentions par le conseil de prud’hommes d’AURILLAC, ainsi qu’en conséquence des demandes de condamnations précises à l’encontre de la société ORANGE.
Il en résulte que l’effet dévolutif a opéré s’agissant des prétentions dont Madame [K] [S] a été déboutée par le premier juge, et qui ont été reprises tant la déclaration d’appel que dans le dispositif des dernières conclusions de l’appelante. Les chefs du dispositif du jugement déféré dont Madame [K] [S] recherche l’anéantissement par la voie de l’appel sont expressément mentionnés et la cour est parfaitement en mesure d’appréhender en l’espèce les prétentions déterminant l’objet du litige.
Vu les observations précitées, il est indifférent que le dispositif des dernières écritures de l’appelante ne mentionnent, en réalité ne rappellent, ni l’identification, ni la date, ni la juridiction s’agissant de la décision déférée à la cour. Une telle exigence rajouterait une condition aux textes.
La société ORANGE sera déboutée de ses demandes aux fins de déclarer l’appel de Madame [K] [S] irrecevable et de juger que la cour n’est saisie d’aucune demande d’infirmation du jugement rendu le 3 décembre 2020 par le conseil de prud’hommes d’AURILLAC, en l’absence d’effet dévolutif .
– Sur la recevabilité de la demande de règlement d’une somme de 3.000 euros au titre de l’indemnité en réparation du non-respect du délai de prévenance en matière de changement d’horaires –
Aux termes de l’article 563 du code de procédure civile : ‘Pour justifier en appel les prétentions qu’elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves.’.
Aux termes de l’article 564 du code de procédure civile : ‘A peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.’.
Aux termes de l’article 565 du code de procédure civile : ‘Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.’.
Aux termes de l’article 566 du code de procédure civile : ‘Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.’.
Aux termes de l’article 567 du code de procédure civile : ‘Les demandes reconventionnelles sont également recevables en appel.’
Ne sont pas nouvelles les prétentions par lesquelles les parties élèvent le montant de leur réclamation dès lors qu’elles tendent à la même fin.
Aux termes des articles 564 à 566 du code de procédure civile, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux mais ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions. Il est toutefois déroger à cette irrecevabilité des demandes nouvelles notamment lorsque les prétentions tendent aux mêmes fins ou lorsqu’elles étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge. De même, les parties peuvent ajouter en cause d’appel des demandes qui sont l’accessoire, la conséquence ou le complément des prétentions de première instance.
En l’espèce, à la lecture du dossier de première instance et du jugement déféré, il apparaît que devant le conseil de prud’hommes d’AURILLAC, hors les prétentions afférentes à la rupture du contrat de travail, Madame [K] [S] demandait, au titre du contentieux concernant l’exécution du contrat de travail, la condamnation de la société ORANGE à lui verser, d’une part, des dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de formation, d’autre part, des dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. Elle invoquait alors notamment une situation de harcèlement moral et de violation de l’obligation de sécurité avec plusieurs arguments, tels que le droit à la déconnexion et les heures supplémentaires, mais sans formuler expressément de prétentions de rappel de salaire (notamment sur heures supplémentaires), ni de dommages-intérêts pour modification abusive d’horaires (ou de plannings) ou non-respect du droit à la déconnexion portant atteinte au droit au respect de la vie privée.
En cause d’appel, la cour constate que Madame [K] [S] ne formule plus de demande de condamnation à dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de formation. Madame [K] [S] invoque toujours une situation de harcèlement moral et de violation de l’obligation de sécurité imputable à l’employeur. Par contre, elle présente des demandes nouvelles en sollicitant la condamnation de la société ORANGE à lui payer une indemnité de 10.000 euros au titre de la réparation du préjudice moral subi du fait du non-respect du droit à la déconnexion, et une indemnité de 3.000 euros au titre de la réparation du non-respect du délai de prévenance en matière de changement d’horaires. Ces prétentions nouvelles sont irrecevables vu les principes susvisés.
En conséquence, la cour juge irrecevables, comme nouvelles en cause d’appel, les prétentions de Madame [K] [S] afin de voir condamner la société ORANGE à lui payer les sommes suivantes : 10.000 euros au titre de l’indemnité en réparation du préjudice moral subi du fait du non-respect du droit à la déconnexion, 3.000 euros au titre de l’indemnité en réparation du non-respect du délai de prévenance en matière de changement d’horaires.
Pour le surplus, comme le relève la société ORANGE, Madame [K] [S] demande une condamnation de l’employeur à dommages-intérêts (montant porté à 20.000 euros en cause d’appel) pour une situation de harcèlement moral et de violation de l’obligation de sécurité, alternant mention manuscrite dans le dispositif de ses écritures de l’obligation de sécurité en première instance, du harcèlement moral en appel. Toutefois, la société ORANGE ne soutient pas l’irrecevabilité de cette demande de dommages-intérêts, mais fait valoir qu’aucune situation de harcèlement moral ou de violation de l’obligation de sécurité ne lui est imputable.
– Sur le harcèlement moral –
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail : ‘Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.’.
Aux termes de l’article L. 1152-4 du code du travail : ‘L’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.’.
Aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Le harcèlement moral suppose l’existence d’agissements répétés, peu importe que les agissements soient ou non de même nature, qu’ils se répètent sur une brève période ou soient espacés dans le temps. Le harcèlement moral se caractérise donc par la conjonction et la répétition de certains faits laissés à l’appréciation souveraine des juges du fond. Un acte isolé ne répond pas à la définition du harcèlement moral.
L’auteur du harcèlement peut être l’employeur, un supérieur hiérarchique, un collègue, un subordonné ou un tiers à l’entreprise. Le harcèlement peut être constitué même si son auteur n’avait pas d’intention de nuire.
La loi n’exige pas la caractérisation ou démonstration d’un préjudice du salarié se disant victime pour retenir le harcèlement puisqu’il suffit que les agissements soient susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. La simple possibilité d’une atteinte aux droits ou à la dignité, d’une altération de la santé physique ou mentale, d’une atteinte à l’avenir professionnel du salarié suffit. Toutefois, le plus souvent, les faits de harcèlement moral ont un impact direct sur l’état de santé du salarié.
Par contre, il faut que le salarié qui se plaint de harcèlement moral ait personnellement été victime des agissements dénoncés. Le salarié qui n’a pas été personnellement victime d’une dégradation de ses conditions de travail à la suite des agissements de l’employeur ou d’un supérieur hiérarchique vis-à-vis de certains salariés n’est pas fondé à se prévaloir d’un manquement de l’employeur à ses obligations à son égard.
L’employeur est responsable des faits de harcèlement commis sur ses salariés par un autre salarié ou par un tiers exerçant une autorité de fait ou de droit sur ceux-ci.
L’action civile relative à des faits de harcèlement moral se prescrit par cinq ans (délai de droit commun de l’article 2224 du code civil). En cas de dommage corporel, l’action en réparation d’un dommage corporel se prescrit par dix ans à compter de la date de consolidation du dommage (article 2226 du code civil).
Aux termes de l’article L. 1152-4 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l’application de l’article L. 1152-1 du code du travail, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Les règles de preuve susvisées, identiques à celles prévues en matière de discrimination, s’appliquent pour les faits de harcèlement commis depuis le 10 août 2016. Pour les faits survenus avant le 10 août 2016, le salarié concerné doit établir (et non simplement présenter) des faits permettant de présumer l’existence d’un harcèlement.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d’exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
Le juge ne peut rejeter la demande d’un salarié au seul motif de l’absence de relation entre l’état de santé de celui-ci et la dégradation des conditions de travail. Si le juge ne peut se fonder uniquement sur l’altération de l’état de santé du salarié, à l’inverse, il ne doit pas non plus négliger les documents médicaux produits par le salarié.
S’agissant des attestations versées aux débats, il échet de rappeler que les dispositions de l’article 202 du code de procédure civile ne sont pas prescrites à peine de nullité, d’irrecevabilité ou d’inopposabilité. Il appartient au juge du fond d’apprécier souverainement la valeur probante d’une attestation non conforme à l’article 202 du code de procédure civile. Le juge ne peut rejeter ou écarter une attestation non conforme à l’article 202 du code de procédure civile sans préciser ou caractériser en quoi l’irrégularité constatée constituait l’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public faisant grief à la partie qui l’attaque.
Un harcèlement peut causer à la victime un préjudice, d’ordre moral ou corporel, dont l’évaluation relève de la compétence du juge. Le juge prud’homal est compétent pour connaître de la réparation de l’entier dommage consécutif à un harcèlement moral. Le salarié n’est pas tenu de saisir le juge de la sécurité sociale pour statuer sur l’existence et le quantum du préjudice corporel invoqué comme en relation avec un harcèlement moral. La prise en charge au titre de la maladie professionnelle de l’affection consécutive au harcèlement, moral ou sexuel, ne s’oppose pas à l’attribution de dommages-intérêts à la victime pour les faits de harcèlement antérieurs à cette décision.
En l’espèce, il apparaît qu’un groupe de communication ‘WHATSAPP’ a été créé pour les salariés de la boutique ORANGE d'[Localité 4] par un certain ‘[N] ORANGE’ ([N] [X]) le 19 janvier 2016. Dans ce groupe figurent des salariés de ce site dont ‘[K]’. Quelques messages, envoyés entre mai 2016 et octobre 2017, sont produits. Certains messages, particulièrement ceux émanant de ‘[N] [X]’, sont envoyés en dehors des heures de travail et ne constituent pas la simple communication d’informations non urgentes, mais des interpellations ou remarques appelant des réponses rapides, en tout cas avant la reprise effective du travail. Madame [K] [S] n’a apparemment pas répondu à ces messages mais elle en a été destinataire.
Le supérieur hiérarchique ‘[N] [X]’ a également envoyé, notamment en novembre 2016 et avril 2017, des courriels à l’ensemble de l’équipe des salariés de la boutique ORANGE d'[Localité 4] pour se plaindre, en des termes désobligeants, des mauvais résultats et du manque d’implication de certains équipiers. Cette communication, publique au sein d’une équipe de travail, a clairement stigmatisé certains salariés dont Madame [K] [S].
Madame [P] [S], collègue de travail de l’appelante à l’époque considérée, témoigne de ce qu’elle a constaté que Madame [K] [S] a fait l’objet régulièrement de réflexions désobligeantes de la part des responsables du site, ces derniers mettant également la pression sur l’appelante pour qu’elle travaille plus et augmente son rendement, ce qui a dégradé les conditions de travail et l’état de santé de Madame [K] [S] qui, parfois en larmes en fin de journée, venait travailler la boule au ventre et a fini par être en arrêt de travail. Ce témoin confirme la pression mise sur les salariés par des messages envoyés en dehors des heures de travail sur le groupe ‘WHATSAPP’ précité.
Madame [P] [S] a saisi le juge prud’homal en août 2018 pour demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail avec la société ORANGE, et ce pour des motifs de même nature que ceux relevés par Madame [K] [S]. Le contentieux est toujours en cours devant la chambre sociale de la cour d’appel de Riom.
Madame [A] [V], collègue de travail de l’appelante à l’époque considérée, témoigne de ce qu’elle a constaté des tensions entre le corps managérial et Madame [K] [S], avec un mal-être et une perte de motivation pour l’appelante qui a fini par quitter l’entreprise.
Les parents de Madame [K] [S] témoignent avoir constaté que l’humeur de leur fille a changé peu après son intégration au sein de la boutique ORANGE D'[Localité 4]. Leur fille se plaignait régulièrement d’une dégradation de ses conditions de travail du fait des critiques de sa hiérarchie, des heures supplémentaires imposées, des modifications fréquentes et au dernier moment des plannings, d’une pression constante au rendement etc. Ils ont vu leur enfant sombrer dans la dépression, au point de devoir revenir vivre chez eux et de prendre un traitement médicamenteux. Madame [C], amie de l’appelante, témoigne dans le même sens.
Madame [K] [S] était en arrêt de travail pour cause de maladie du 17 octobre 2017 au 15 novembre 2017.
Selon un certificat médical du médecin traitant de Madame [K] [S], daté du 14 août 2018, cette dernière a présenté un état dépressif lié à ses conditions de travail, avec arrêt de travail à partir du 17 octobre 2017 et traitement antidépresseur pendant trois mois.
Un hypnothérapeute atteste suivre Madame [K] [S] depuis le 9 janvier 2018. Il relève que Madame [K] [S] a été déstabilisée par les rapports de travail dont elle a été victime dans son ancien poste ainsi que par son emménagement dans le Var.
Au regard des éléments d’appréciation susvisés, Madame [K] [S] présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une situation de harcèlement moral imputable à son employeur dont elle a été victime en 2016 et 2017.
Dès lors, il incombe à la société ORANGE de prouver que ces faits ne sont pas constitutifs d’un harcèlement moral et que les agissements précités étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Par contre, le compte rendu partiel d’une réunion du 28 juin 2016 intervenue dans des circonstances non identifiables, document non signé dont l’auteur est inconnu, n’est pas exploitable en l’état. Il n’y a pas lieu de développer outre sur des mails échangés après la rupture du contrat de travail à propos de chèques cadeaux. Les attestations [O]-[L]-[T] n’apportent rien aux débats, pas plus que le courriel du supérieur hiérarchique refusant un jour de congé un 3 octobre, ou le rejet de la candidature de Madame [K] [S], pour un poste de chargé d’affaires réseaux dans une agence ORANGE à [Localité 5], qui est intervenue postérieurement à la rupture du contrat de travail.
En réponse, la société ORANGE produit deux messages adressés à ‘[N]’ sur un ton urbain, sans autre précision ni intérêt. Elle produit des mails d’encouragement adressés collectivement à l’équipe des salariés de la boutique ORANGE d'[Localité 4] par la hiérarchie, essentiellement en 2018 (un le 19 octobre 2017), soit après la rupture du contrat de travail de Madame [K] [S]. Il échet de relever deux messages laconiques d’encouragement ou de félicitations adressés le 29 juillet 2017, à trois minutes d’intervalle, non par ‘[N] [X]’ mais par ‘[J] [B] [F]’, qui semble avoir eu un comportement managérial plus positif et constructif que son collègue ‘[N]’ en matière de management. Des clichés photographiques concernant des moments de convivialité en groupe sont également versés aux débats.
La société ORANGE produit un rapport d’enquête daté du 20 décembre 2018, enquête qu’elle reconnaît avoir effectué unilatéralement après la saisine du conseil de prud’hommes. Dans ce rapport, l’employeur conclut, après l’indication de l’audition de sept salariés (non identifiés), que les faits exposés par Madame [K] [S] ne sont pas confirmés.
La société ORANGE a engagé une procédure contre le médecin de Madame [K] [S] qui a reconnu, par écrit daté du 3 avril 2022, qu’il aurait dû indiquer dans son certificat médical du 14 août 2018 que l’état dépressif était lié aux conditions de travail ‘aux dires de sa patiente’.
En définitive, il apparaît que Madame [K] [S] a subi un management inadapté en 2016 et 2017, se traduisant notamment par des réflexions désobligeantes et stigmatisantes ainsi que des interpellations négatives de la part de son supérieur hiérarchique ‘[N]’, y compris en dehors des heures de travail alors que l’employeur est tenu de respecter le droit à la vie privée de ses salariés, sans qu’un tel comportement managérial soit justifié par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
La cour constate que ces agissements répétés, imputables à l’employeur, ont eu pour effet une dégradation des conditions de travail de Madame [K] [S] susceptible de porter atteinte aux droits et la dignité de la salariée. En outre, ces agissements ont altéré la santé mentale de Madame [K] [S].
La société ORANGE ne saurait s’exonérer de sa responsabilité quant à la situation de harcèlement vécue par Madame [K] [S] en 2016 et 2017 en faisant valoir que Madame [K] [S] aurait toujours pu refuser d’être dans le groupe de communication ‘WHATSAPP’ créé par son supérieur hiérarchique direct, ou en se retranchant derrière le fait que la salariée ne s’est pas plainte ni n’a signalé ces faits à sa hiérarchie, aux représentants du personnel ou à la médecine du travail avant la rupture du contrat de travail ou même la saisine du conseil de prud’hommes. La SA ORANGE ne justifie nullement avoir pris la moindre mesure sérieuse pour prévenir le harcèlement de façon générale au sein de l’entreprise, au sein des boutiques ORANGE en particulier.
Au regard des éléments d’appréciation dont la cour dispose, il est établi que Madame [K] [S] a été victime d’une situation professionnelle de harcèlement moral dont la société ORANGE doit être déclaré responsable.
Vu l’absence de mesures de prévention en la matière, l’employeur s’est également rendu responsable d’un manquement à son obligation de sécurité vis-à-vis de Madame [K] [S].
Vu les seules demandes recevables en cause d’appel, l’absence de préjudices distincts et les éléments d’appréciation dont la cour dispose, notamment d’ordre médical, le préjudice subi par Madame [K] [S] sera réparé en lui allouant la somme de 5.000 euros en réparation du préjudice subi du fait d’un management inadapté constitutif d’une situation de harcèlement moral.
En conséquence, la SA ORANGE sera condamnée à payer à Madame [K] [S] une somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts. Le jugement déféré sera réformé en ce sens. Cette condamnation produira intérêts au taux légal à compter de la date de prononcé du présent arrêt.
– Sur la rupture du contrat de travail –
Aux termes de l’article L. 1152-3 code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions de l’article L. 1152-1 du code du travail est nulle.
La démission est l’acte par lequel le salarié fait connaître à l’employeur sa décision de rompre le contrat de travail. Elle peut être notifiée à tout moment, même en cours d’arrêt de travail pour cause de maladie, et doit répondre à certaines conditions de fond et de forme. La démission doit résulter d’une volonté claire et non équivoque de rompre le contrat de travail. Elle ne peut donc pas se présumer. La démission du salarié entraîne la rupture automatique et définitive du contrat de travail. Elle marque le point de départ du préavis et n’a pas être acceptée par l’employeur. Tout licenciement intervenant postérieurement à la démission du salarié est sans effet. Le salarié ne peut pas en principe revenir sur sa démission dès lors que l’employeur l’a reçue. Dès lors que sa volonté de démissionner est clairement établie, la rétractation du salarié est sans effet sur la rupture du contrat de travail, même si elle a lieu à bref délai.
Pour remettre en cause une démission, le salarié peut se situer sur deux terrains juridiques différents :
– il peut solliciter l’annulation de la démission en se fondant sur un vice de son consentement (dol, erreur, violence) ;
– il peut demander la requalification de sa démission en prise d’acte, en se fondant sur un manquement de l’employeur.
La salarié doit opérer un choix entre l’un ou l’autre fondement juridique. Il ne peut en effet, tout à la fois invoquer un vice de son consentement pour obtenir la nullité de sa démission, et demander à ce que sa démission soit analysée en une prise d’acte de la rupture de son contrat de travail en raison d’un manquement imputable à son employeur.
La démission est motivée, ou circonstanciée, lorsque le salarié assortit sa lettre de démission de l’énonciation de griefs à l’encontre de l’employeur. Dès lors que le salarié fait état de un ou plusieurs manquements de l’employeur à ses obligations au moment de sa démission, les juges ne peuvent considérer qu’il y a manifestation claire et non équivoque de démissionner, quand bien même les griefs invoqués par le salarié ne seraient pas fondés. La démission est nécessairement équivoque lorsque le salarié énonce, dans la lettre de rupture, les faits qu’il reproche à l’employeur.
Même émise ou notifiée sans réserve, la démission peut être jugée équivoque si elle est remise en cause dans un délai raisonnable par le salarié et s’il est établi qu’un différend antérieur ou contemporain à la rupture opposait les parties. Une démission est nécessairement équivoque si le salarié parvient à démontrer qu’elle trouve sa cause dans des manquements antérieurs ou concomitants de l’employeur. Dans ce cas, si les manquements de l’employeur sont avérés et suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail, le juge requalifie la démission en une prise d’acte de rupture du contrat de travail par le salarié produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ou d’un licenciement nul dans certains cas.
Pour que la démission puise être requalifiée en prise d’acte, il faut qu’il existe un différend entre l’employeur et le salarié au moment de la démission ; ce qui la rend équivoque. Pour que la prise d’acte produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, il faut que l’employeur ait commis des fautes ou des manquements suffisamment graves lors de l’exécution du contrat de travail. Les relations contractuelles doivent être rendues impossibles.
En revanche, si aucun élément tangible ne vient étayer le moindre lien entre les manquements invoqués et l’acte de démission et si, de surcroît, la contestation du salarié intervient de longs mois après, il y a lieu de considérer que l’on est en présence d’une manifestation claire et non équivoque de mettre fin au contrat de travail de la part du salarié. Dans ce cas, sans requalifier la démission, le juge éventuellement accorder des dommages-intérêts au salarié en réparation du préjudice subi du fait des manquements avérés de l’employeur à ses obligations contractuelles.
La Cour de cassation juge de façon constante que, la démission étant un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non-équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail, lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu’à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l’analyser en une prise d’acte de la rupture qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d’une démission.
Pour que la remise en cause de la démission soit accueillie, il faut que le salarié justifie q’un différend antérieur ou contemporain de la démission l’avait opposé à son employeur. Un lien de causalité entre les manquements imputés à l’employeur et l’acte de démission est donc exigé. Ce lien sera établi si lesdits manquements sont antérieurs ou au moins contemporains de la démission, et s’ils avaient donné lieu à une réclamation, directe ou indirecte, du salarié, et ce afin l’employeur ait été en mesure d’être informé des griefs et d’y remédier éventuellement.
Une fois ce lien de causalité établi, le juge examine les griefs afin de déterminer s’ils caractérisent des manquements de l’employeur suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail, justifier une prise d’acte de la rupture de son contrat de travail par le salarié, et produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ou d’un licenciement nul.
En l’espèce, Madame [K] [S] a adressé à son employeur un courrier de démission ainsi libellé :
‘Je vous notifie par la présenté ma démission de votre entreprise ORANGE, dans laquelle j’étais employée en qualité de conseillère commerciale depuis le 1er octobre 2015. En effet, je change de région pour m’installer avec mon conjoint et me pacser. Mon préavis d’un mois prendra fin le 21 novembre prochain. Je vous demande de me préparer mon solde de tout compte pour cette date là. Je vous prie d’agréer…’.
Cette lettre de démission datée du 20 octobre 2017 apparaît sans réserve en ce sens que Madame [K] [S] n’énonce strictement aucun grief ou manquement de l’employeur. Dans cet écrit, la salariée explique sa démission par la seule nécessité de changer de région pour un motif familial. Cet motif apparaît réel puisque peu après Madame [K] [S] va quitter [Localité 4] et s’installer dans le département du Var.
Il existe un différend antérieur ou contemporain à la rupture du contrat de travail alors que la cour a jugé (cf supra) que Madame [K] [S] a subi, en 2016 et 2017, une situation de harcèlement moral imputable à la société ORANGE.
Toutefois, la cour a également relevé qu’il n’apparaît pas en l’état que l’employeur ait été informé avant la rupture, voire avant la saisine du conseil de prud’hommes, de la situation de harcèlement ou même d’une dégradation de ses conditions de travail ressentie par Madame [K] [S]. Avant la notification de sa démission, Madame [K] [S] n’a formulé aucune revendication, ou même réserve, auprès de son employeur s’agissant de l’exécution de son contrat de travail.
Madame [K] [S] ne semble pas avoir démissionné le 20 octobre 2017 en raison d’un différend l’opposant à son employeur puisque peu après elle va postuler sur un poste dans une boutique ORANGE de [Localité 5], et reproche d’ailleurs désormais à son ancien employeur de ne pas l’avoir réembauchée.
Ce n’est que le 10 octobre 2018, soit un an après la notification de sa démission, que Madame [K] [S] saisira le conseil des prud’hommes de [Localité 4] afin de voir requalifier sa démission en une prise d’acte aux torts de son employeur, et qu’elle remettra alors en cause sa démission en formulant des griefs à l’encontre de la société ORANGE.
Ainsi, aucun lien de causalité n’apparaissant entre les manquements imputés à l’employeur et l’acte de démission du 20 octobre 2017, Madame [K] [S] sera déboutée de sa demande afin de voir requalifier sa démission en une prise d’acte de rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur, mais également de toutes ses demandes en rapport avec la rupture du contrat de travail. Le jugement déféré sera confirmé sur ces points.
– Sur les dépens et frais irrépétibles –
La SA ORANGE sera condamnée aux entiers dépens, de première instance et d’appel. Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce que la conseil de prud’hommes a condamné Madame [K] [S] aux dépens de première instance.
La SA ORANGE sera condamnée à payer à Madame [K] [S] une somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
– Déboute la société ORANGE de ses demandes aux fins de déclarer l’appel de Madame [K] [S] irrecevable et de juger que la cour n’est saisie d’aucune demande d’infirmation du jugement rendu le 3 décembre 2020 par le conseil de prud’hommes d’AURILLAC, en l’absence d’effet dévolutif ;
– Juge irrecevables, comme nouvelles en cause d’appel, les prétentions de Madame [K] [S] afin de voir condamner la société ORANGE à lui payer les sommes suivantes : 10.000 euros au titre de l’indemnité en réparation du préjudice moral subi du fait du non-respect du droit à la déconnexion, 3.000 euros au titre de l’indemnité en réparation du non-respect du délai de prévenance en matière de changement d’horaires ;
– Réformant le jugement déféré, condamne la SA ORANGE à payer à Madame [K] [S] une somme de 5.000 euros, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi du fait d’un management inadapté constitutif d’une situation de harcèlement moral ;
– Infirme le jugement entreprise en ce que le conseil de prud’hommes a condamné Madame [K] [S] aux dépens de première instance, et, statuant à nouveau de ce chef, condamne la SA ORANGE aux dépens de première instance ;
– Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions non contraires ;
– Y ajoutant, condamne la SA ORANGE à payer à Madame [K] [S] une somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamne la SA ORANGE aux dépens d’appel ;
– Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.
Le greffier, Le Président,
N. BELAROUI C. RUIN
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