COUR D’APPEL
d’ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N°
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/00476 – N° Portalis DBVP-V-B7E-EX5M.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire du MANS, décision attaquée en date du 04 Décembre 2020, enregistrée sous le n° 19/00455
ARRÊT DU 28 Février 2023
APPELANTE :
Madame [N] [F] épouse [YZ]
[Adresse 1]
[Localité 3]
comparante – assistée de Maître Christian NOTTE-FORZY, avocat postulant au barreau d’ANGERS – N° du dossier 00081650 et par Maître THOMAS-DEREVOGE, avocat plaidant au barreau de PARIS
INTIMEE :
S.A.S. ASTID
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Luc LALANNE de la SCP LALANNE – GODARD – HERON – BOUTARD – SIMON, avocat au barreau du MANS – N° du dossier 20190199
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 Décembre 2022 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame DELAUBIER, conseiller chargé d’instruire l’affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Madame Estelle GENET
Conseiller : Mme Marie-Christine DELAUBIER
Conseiller : Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS
Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN
ARRÊT :
prononcé le 28 Février 2023, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame DELAUBIER, conseiller pour le président empêché, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE
La société par actions simplifiée Astid est spécialisée dans le nettoyage après sinistre et intervient chez des particuliers et entreprises victimes d’incendies, de dégâts des eaux, de catastrophes naturelles ou d’actes de vandalisme. Elle est dirigée par M. [E] [V], président directeur général du groupe Mirador, holding de la société Astid. Elle emploie plus de onze salariés et applique la convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés.
Mme [N] [F], épouse [YZ], a été engagée par la société Astid dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée pour accroissement temporaire d’activité en qualité d’agent de propreté, catégorie AP 1, coefficient 150 de la convention collective précitée, du 17 mai 2000 au 16 février 2001.
Par contrat du 1er février 2001, la relation de travail s’est poursuivie pour une durée indéterminée en qualité d’agent de propreté coefficient 160.
Mme [YZ] a été promue aux postes de commerciale par avenant du 21 décembre 2004, puis de responsable d’exploitation, statut cadre, par avenant du 1er octobre 2010. Par un nouvel avenant du 1er octobre 2011, elle a obtenu la classification de cadre, échelon 2 et une augmentation de son salaire mensuel brut portant celui-ci à la somme de 3 680 euros.
Enfin, par un dernier avenant du 2 avril 2013, Mme [YZ] a été promue au poste d’adjointe à la direction des exploitations et du développement en contrepartie d’une rémunération annuelle brute de 45 048 euros à laquelle s’ajoutait une prime de résultat.
À compter de 2014, Mme [YZ] était élue comme représentante du personnel au sein du comité d’entreprise de la société Astid.
Le 5 mars 2019, Mme [YZ] a rencontré à sa demande le médecin du travail.
Par courrier du 6 mars 2019, la société Astid a convoqué Mme [YZ] à un entretien ‘en vue d’une éventuelle rupture conventionnelle du contrat de travail’ fixé le 15 mars suivant. Un second entretien a eu lieu le 25 mars 2019 puis un troisième entretien le 29 mars suivant mais les négociations n’ont pas abouti.
Mme [YZ] a été placée en arrêt de travail pour maladie simple à compter du 20 mars 2019 jusqu’au 30 mars 2019.
Par courrier du 1er avril 2019, la société Astid a convoqué Mme [YZ] à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement qui s’est tenu le 8 avril suivant. Cette convocation était accompagnée d’une mise à pied à titre conservatoire.
Mme [YZ] a été de nouveau placée en arrêt maladie à compter du 8 avril 2019.
Par courrier du 9 avril 2019, la société Astid a informé Mme [YZ] qu’aucune sanction ne sera prise à son encontre et que sa mise à pied lui sera normalement payée sous réserve de ses droits dans le cadre de son arrêt maladie. Le courrier concluait que les faits évoqués à l’occasion de l’entretien préalable ne pourraient plus se reproduire.
Par courrier du 10 avril 2019, Mme [YZ] reprochait à M. [E] [V] une charge trop importante de travail, la réalisation d’heures supplémentaires non rémunérées, l’absence de mise en place d’une cellule psychologique suite au décès de Mme [A] [D] le 12 novembre 2018 et l’accusation, à tort, d’avoir établi de fausses facturations.
Lors de la visite de reprise du 14 mai 2019, le médecin du travail a indiqué que Mme [YZ] devait ‘consulter son médecin dès que possible’.
Dans le cadre d’une visite médicale du 28 mai 2019, Mme [YZ] a été déclarée inapte à son poste par le médecin du travail en ces termes : ‘l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi’.
Par courrier du 4 juin 2019, la société Astid a convoqué Mme [YZ] à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement fixé le 17 juin suivant.
Compte tenu de la qualité de salariée protégée de Mme [YZ], la société Astid a sollicité l’avis du comité social et économique de l’entreprise lequel a, suivant procès verbal du 21 juin 2019, voté pour le licenciement pour inaptitude de Mme [YZ].
Par courrier du 25 juin 2019, la société Astid a demandé l’autorisation de licencier Mme [YZ] auprès de la DIRECCTE laquelle a autorisé le licenciement par décision du 11 juillet 2019.
Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 15 juillet 2019, la société Astid a notifié à Mme [YZ] son licenciement pour inaptitude physique constatée par le médecin du travail et impossibilité de reclassement.
Considérant que l’inaptitude à l’origine de son licenciement est la conséquence du harcèlement moral dont elle s’estime victime, Mme [YZ] a saisi le conseil de prud’hommes du Mans par requête du 25 octobre 2019, afin de voir reconnaître la nullité de son licenciement et d’obtenir en conséquence la condamnation de la société Astid, sous le bénéficie de l’exécution provisoire, à lui verser une indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents, une indemnité pour licenciement nul, des dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité de son employeur et une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société Astid s’est opposée aux prétentions de Mme [YZ] et a sollicité sa condamnation au paiement de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ainsi qu’à une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement en date du 4 décembre 2020, le conseil de prud’hommes a :
– dit que l’inaptitude de Mme [YZ] n’a pas pour origine une situation de harcèlement ;
– en conséquence, débouté Mme [YZ] de l’intégralité de ses demandes ;
– dit qu’il n’y a pas eu une exécution déloyale du contrat de travail ;
– en conséquence, débouté la société Astid de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
– condamné Mme [YZ] à verser la somme de 500 euros à la société Astid sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– dit qu’il n’y a pas lieu d’ordonner l’exécution provisoire du jugement ;
– condamné Mme [YZ] aux entiers dépens.
Pour débouter les parties de leurs demandes, le conseil de prud’hommes a considéré principalement que les éléments produits ne permettaient pas de caractériser une situation de harcèlement moral à l’encontre de Mme [YZ]. Il a également estimé que la société Astid ne démontrait pas la déloyauté de la salariée.
Mme [YZ] a interjeté appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d’appel le 29 décembre 2020, son appel portant sur tous les chefs lui faisant grief ainsi que ceux qui en dépendent et qu’elle énonce dans sa déclaration.
La société Astid a constitué avocat en qualité d’intimée le 4 janvier 2021.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 23 novembre 2022 et le dossier a été convoqué à l’audience du conseiller rapporteur de la chambre sociale du 12 décembre 2022.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Mme [YZ], dans ses dernières conclusions, adressées au greffe le 28 juin 2021, régulièrement communiquées, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour :
– d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il :
– a dit que son inaptitude n’a pas pour origine une situation de harcèlement ;
– l’a déboutée de l’intégralité de ses demandes ;
– l’a condamnée à verser à la société Astid la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– l’a condamnée aux entiers dépens ;
– de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la société Astid de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.
Sur ce, statuant à nouveau :
1° Sur la rupture du contrat de travail, à titre principal, de :
– dire et juger que son inaptitude a pour origine la situation de harcèlement moral qu’elle a subie et, par conséquent, prononcer la nullité du licenciement pour inaptitude ;
– condamner la société Astid à lui verser la somme de 17 013 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de préavis ainsi que 1 701 euros au titre des congés payés afférents ;
– condamner la société Astid à lui verser la somme de 102 078 euros au titre de l’indemnité pour nullité du licenciement ;
À titre subsidiaire :
– dire et juger que son inaptitude a pour origine un manquement de son employeur à son obligation de sécurité et, par conséquent, prononcer l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement pour inaptitude ;
– condamner la société Astid à lui verser la somme de 17 013 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de préavis ainsi que 1 701 euros au titre des congés payés afférents ;
– condamner la société Astid à lui verser la somme de 85 065 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
2° Sur l’exécution du contrat de travail, à titre principal :
– condamner la société Astid à lui verser la somme de 10 000 euros à titre d’indemnité spécifique pour le manquement à l’obligation de sécurité de résultat ;
À titre subsidiaire,
– condamner la société Astid à lui verser 10 000 euros de dommages-intérêts au titre de l’exécution déloyale de son contrat de travail.
3° En tout état de cause :
– débouter la société Astid de toutes ses demandes ;
– ordonner la remise des documents sociaux conformes au jugement ;
– condamner la société Astid à lui payer une somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et au paiement des entiers dépens de première instance et d’appel recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;
– ordonner le cours des intérêts légaux à compter du prononcé de la décision.
Au soutien de son appel, Mme [YZ] fait valoir que l’inaptitude à l’origine de son licenciement est la conséquence du harcèlement moral de la société Astid à son encontre. Dans ces conditions, elle considère que son licenciement doit être déclaré nul. Elle précise que le harcèlement moral dont elle s’estime victime est caractérisé par un faisceau d’indices constitué par son déclassement, sa mise à l’écart et les pressions et brimades exercées par M. [E] [V] visant à la déstabiliser.
Mme [YZ] soutient que la nomination de M. [S] [V] au poste de directeur de la société Astid le 28 juin 2019 l’a privée de certaines de ses missions d’adjointe de direction et lui a fait perdre l’autonomie et les responsabilités acquises dans son travail. Elle assure que cette situation a conduit à son déclassement et à sa mise à l’écart.
La salariée estime ensuite avoir été victime de pressions et de brimades de M. [E] [V] lequel a créé un climat d’hostilité à son encontre notamment en la convoquant à cinq entretiens successifs afin de rompre son contrat de travail. Elle indique que ces pressions se sont poursuivies lorsqu’il a fait procéder à une contre-visite médicale et a arrêté partiellement de lui assurer le maintien de son salaire lors de son arrêt maladie. Elle fait observer que M. [E] [V] n’a pas contesté ces faits dénoncés dans ses courriers du 10 avril 2019 et du 17 mai 2019 lesquels sont corroborés par plusieurs témoignages
Enfin, Mme [YZ] affirme que la dégradation de ses conditions de travail a conduit à l’altération de son état de santé et à son inaptitude soulignant qu’elle a sollicité une visite auprès de la médecine du travail dès le 5 mars 2019 et qu’elle a été placée en arrêt de travail régulièrement en 2019.
À titre subsidiaire, la salariée fait valoir que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse compte tenu des manquements de son employeur à ses obligations de sécurité et d’exécution loyale du contrat de travail. Elle considère que la société Astid
n’a pas pris en compte ses alertes relatives à la situation de harcèlement moral qu’elle subissait et n’a pris aucune mesure pour faire cesser cette situation.
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La société Astid, dans ses dernières conclusions, adressées au greffe le 29 juillet 2021, régulièrement communiquées, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de:
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit que Mme [YZ] n’avait pas été victime d’une situation de harcèlement ou d’un manquement par l’employeur à son obligation de sécurité ;
– confirmer le jugement en ce qu’il a dit que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse ;
– débouter Mme [YZ] de l’ensemble de ses demandes ;
– reconventionnellement infirmer le jugement en ce qu’il a rejeté sa demande de dommages et intérêts pour inexécution déloyale par Mme [YZ] de son contrat de travail et procédure abusive ;
– condamner Mme [YZ] à lui verser à ce titre une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
– condamner Mme [YZ] au paiement d’une somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner Mme [YZ] en tous les frais et dépens de l’instance.
À titre liminaire, la société Astid fait observer que l’avis d’inaptitude du 28 mai 2019 et l’autorisation de la licencier donnée par la DIRECCTE le 11 juillet 2019 sont devenus définitifs dès lors qu’aucun recours n’a été exercé à leur encontre. Elle observe ensuite que l’ordonnance du 11 juillet 2019 autorisant le licenciement de Mme [YZ] est partiale en ce qu’elle omet de mentionner l’existence de la fraude organisée par la salariée. Enfin, elle signale que l’inspection du travail n’aurait pas autorisé le licenciement de Mme [YZ] dans l’hypothèse d’un harcèlement moral à son encontre.
La société Astid conteste les faits de harcèlement moral invoqués par la salariée. Elle assure que celle-ci n’a pas été victime de brimade ou de pression. À cet égard, elle fait observer que les certificats médicaux produits par Mme [YZ] rapportent uniquement ses propos sans que le médecin ait pu en vérifier la pertinence et la véracité. Elle souligne ensuite que les rédacteurs des attestations produites par la salariée ont quitté l’entreprise pour rejoindre la société Partech dans laquelle ils sont placés sous la subordination directe de Mme [YZ] et rejette ainsi leur valeur probante.
L’employeur soutient par ailleurs qu’aucun déclassement n’a été organisé à l’encontre de Mme [YZ]. À ce titre, il prétend que la nomination de M. [S] [V] au poste de directeur de la société et la réorganisation de l’entreprise n’ont pas impacté les missions de Mme [YZ] et ne caractérisent pas la situation de harcèlement moral invoquée par celle-ci. Il assure alors que l’inaptitude de Mme [YZ] est la conséquence d’un ‘syndrome de honte’ apparu suite à la mise au jour de sa malhonnêteté et de l’utilisation dissimulée, pour elle et ses proches, de salariés de l’entreprise.
La société Astid conteste encore le manquement à l’obligation de sécurité allégué par Mme [YZ] soulignant que celui-ci ne repose sur aucun fondement.
Enfin, elle fait valoir que Mme [YZ] a fait preuve de déloyauté dans l’exécution de son contrat de travail en falsifiant les plannings des temps de travail pour faire travailler des salariés à son domicile ou chez des amis.
MOTIVATION
– Sur le harcèlement moral et la nullité du licenciement :
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Selon l’article L. 1152-3 du code du travail, «toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul».
En application de ces dispositions, le licenciement d’un salarié pour inaptitude médicalement constatée est nul lorsque cette inaptitude trouve sa cause directe et certaine dans des actes de harcèlement moral commis par l’employeur.
En outre, selon l’article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction issue de la loi nº 2016-1088 du 8 août 2016 applicable à la présente espèce, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de supposer l’existence d’un harcèlement moral et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, Mme [YZ] soutient que la dégradation de son état de santé a pour origine les faits de harcèlement moral de la société Astid à son égard caractérisé par son déclassement et sa mise à l’écart ainsi que par des pressions et brimades de son employeur afin de la déstabiliser.
– Sur le déclassement et la mise à l’écart :
Liminairement, Mme [YZ] rappelle, sans être contredite, avoir évolué d’un poste d’agent de propreté statut employé vers celui d’adjointe de direction, statut cadre, ce qui manifestait jusqu’alors la reconnaissance de ses qualités professionnelles par son employeur, et plus particulièrement par M. [E] [V], occupé à diriger différentes sociétés de son groupe en lui déléguant au maximum la gestion quotidienne de la société Astid.
En premier lieu, la salariée soutient avoir subi un déclassement professionnel à partir du début 2019 correspondant à la nomination de M. [S] [V], fils de M. [E] [V], aux fonctions de directeur de la société Astid.
Elle précise que cette nomination a eu pour effet de créer un échelon de direction supplémentaire et de la placer directement sous la supervision étroite de M. [S] [V] entraînant alors une diminution de ses responsabilités et une perte de son autonomie. Elle ajoute qu’elle a été mise à l’écart par l’équipe de direction assurant que certains de ses courriels avaient été effacés lors de son absence, qu’il lui était interdit d’échanger directement avec les clients et que la carte bancaire de la société lui avait été retirée.
A l’appui de ces allégations, la salariée produit la fiche de poste ‘adjointe de direction’ dont il résulte qu’elle devait s’occuper de tous les aspects opérationnels, commerciaux et administratifs de la société Astid de manière autonome et notamment du suivi clientèle, du management des équipes de maîtrise, du développement commercial, du suivi et la rentabilité des chantiers et du suivi des équipes de production. Il était mentionné que la fonction support était rattachée au président directeur général et ‘les liaisons hiérarchiques et coordination’ à la direction générale.
Elle communique également la décision de la société Mirador représentée par son gérant M. [E] [V] et actionnaire unique de la société Astid du 28 juin 2019 modifiant les statuts de la société par l’introduction d’un article 27, prévoyant la possibilité pour le président de nommer un ou plusieurs directeurs généraux, portant le titre de ‘directeur général’, ou de ‘directeur général délégué’ investi ‘sauf décision contraire du président des mêmes pouvoirs que le président’. Il était ajouté que celui-ci disposait du pouvoir de représenter la société à l’égard des tiers. Par décision de même date, en application de l’article 27 précité, M. [S] [V] a été nommé directeur général de la société Astid, précision étant faite que ce dernier
serait ‘investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société dans la limite de l’objet social.’
Il s’en suit que M. [S] [V] directeur général de la société Astid s’est vu confier des fonctions distinctes de celles exercées par Mme [YZ] en qualité d’adjointe de direction, placée contractuellement sous la hiérarchie du président directeur général ou du directeur général. Le fait pour la salariée de devoir répondre de ses missions devant le directeur général, en l’occurrence M. [S] [V], en lieu et place de M. [E] [V], ne saurait constituer un ‘déclassement’ en tant que tel.
Il n’apparaît pas que cette réorganisation de la société ait eu un impact sur les fonctions exercées par Mme [YZ], ce à la lecture notamment du courriel du 10 mars 2019 de M. [S] [V] qui indique souhaiter s’entretenir avec Mme [YZ] pour aborder les sujets de ‘politique commerciale et tarifaire, gestion de l’exploitation, des équipes et GPEC, mise en place de process, gestion des fournisseurs, suivi d’activité mise en place de tableau de bord et de réunion’ (pièce 10 ).
Le SMS de M. [S] [V] daté par la salariée au 1er avril 2019 dans lequel celui-ci l’informe de sa volonté d’échanger avec elle sur sa fiche de poste et les process à mettre en place pour le développement de la société (pièce 14) ne saurait davantage établir la matérialité et l’effectivité d’un déclassement. Au surplus, il sera noté que le courrier du 1er février 2019 émanant de M. [E] [V] fait état au contraire d’une demande de Mme [YZ] de se voir décharger de la gestion de l’exploitation, demande rejetée par l’employeur dont les propos ne font que conforter la salariée dans ses fonctions de directrice adjointe et non la déclasser d’une quelconque façon.
Mme [YZ] communique par ailleurs -et même si c’est au titre des pressions alléguées dont elle aurait été l’objet-, les attestations de trois salariés en poste au sein de la société Astid au moment des faits (M. [T] [Y], M. [O] et Mme [CP]), lesquels assurent qu’avant l’arrivée de M. [S] [V], ‘Mme [YZ], adjointe de direction au sein de l’entreprise ASTID, donnait toutes les directives depuis des années’ et que ‘M. [E] [V] ne leur donnait jamais de directive’. Ils précisent que par la suite, que ce soit pendant les congés ou arrêts de travail de Mme [YZ], mais aussi à son retour de ces périodes, ils ‘ont eu pour consignes de prendre toutes les directives auprès de M. [V] [S], fils de M. [V] [E]’.
Il sera rappelé qu’à compter du 20 mars 2019, Mme [YZ] sera placée en arrêt maladie à l’exception de deux très courtes périodes, l’une de 5 jours début avril 2019 et l’autre de 4 jours en mai 2019 ce, malgré l’arrêt dont elle bénéficiait.
Il apparaît surtout que ces attestations sont rédigées en des termes très similaires. Or, il n’est nullement contesté par Mme [YZ] que M. [T] [Y], M. [O] et Mme [CP] ont quitté la société Astid respectivement les 11 juillet, 27 juillet et 23 août 2019 pour être engagés par la société Partech au sein de laquelle ils étaient placés sous la subordination directe de Mme [YZ], ce qu’ils confirment dans leur attestation. Dans ces conditions et compte tenu du lien unissant ces anciens salariés à Mme [YZ] de nature à remettre en cause l’objectivité de leur témoignage, ces attestations, non corroborées par ailleurs, ne seront pas retenues par la cour comme ayant une valeur probante suffisante pour établir les faits y étant relatés.
Pour établir sa mise à l’écart, Mme [YZ] présente les éléments suivants :
– un courrier de M. [E] [V] daté du 1er avril 2019 la convoquant à un entretien préalable fixé le 8 avril suivant en vue d’un éventuel licenciement avec mise à pied conservatoire (pièce 15) ;
– son courrier d’alerte du 10 avril 2019 adressé à M. [E] [V] dans lequel elle indique qu’ ‘à son retour dans l’entreprise le lundi 1er avril, certains de [ses] e-mails avaient été effacés’ et qu’elle avait ‘été mise au placard’. Elle ajoute qu’ ‘aucune communication avec les clients ne [lui] a été passée’ et que ‘Mme [AD] [K] a établi les devis à [sa] place chez les clients’ assurant alors qu’elle était ‘à son poste toute la journée en étant laissée sans travail’ et que la carte bleue de l’entreprise lui avait été retirée. Mme [YZ] conclut ce courrier en demandant à M. [E] [V], dans l’objectif de faciliter sa reprise de poste, de :
– ‘faire cesser les agissements répétés à [son] encontre qui nuisent à [sa] santé en prenant toutes les mesures qui s’imposent ;
– de [la] confirmer dans [ses] responsabilités élargies actuelles, notamment de gestion et de coordination du personnel, d’achat du matériel et de suivi et développement de la clientèle’ (pièce 18) ;
– un courrier du 17 mai 2019 adressé à M. [E] [V] dans lequel elle détaille les conditions de sa reprise du travail le 10 mai 2019 en ces termes : ‘votre première phrase a été de me demander ‘dans quel état d’esprit’ j’étais comme si mon état d’esprit était la cause des difficultés rencontrées. (…)J’avais à peine repris mon travail que j’étais mise sous pression. Toute la responsabilité était rejetée sur moi alors que j’avais de toute évidence besoin d’un climat de reprise serein’. Elle ajoute que M. [S] [V] lui a demandé de ‘lui rendre des comptes par mail toutes les semaines de ‘tout ce qu’ [elle] faisait’ et conclut que ‘cet environnement de travail ne [lui] a pas permis de reprendre dans des conditions sereines’ (pièce 24-1) ;
– un premier courriel adressé à M. [E] [V] le 10 mai 2019 dans lequel elle sollicite les codes d’accès au nouveau logiciel mis en place lors de son absence afin d’avoir les prix des différentes prestations ainsi que le chiffre d’affaires de mars et d’avril (pièce 24-2) ;
– un second courriel adressé à M. [E] [V] le 10 mai 2019 dans lequel elle indique avoir constaté que ‘nous avons eu un accord sur un devis pressing ce jour par Domus, [G] ne m’a pas fait part de cette accord et a elle-même donnée accord au prestataire pressing’ (pièce 24-3).
Il ne peut qu’être relevé que les faits allégués, et en particulier, l’effacement des mails, l’interdiction d’échanger avec les clients et le retrait de la carte bancaire de l’entreprise ne sont pas justifiés autrement que par les seuls courriers électroniques adressés par Mme [YZ] elle-même à son employeur sans être corroborés par d’autres éléments objectifs.
L’unique élément matériel à retenir réside donc dans la convocation de Mme [YZ] à un entretien préalable à un éventuel licenciement assorti d’une mise à pied conservatoire, ce après échec des négociations engagées pour parvenir à une rupture conventionnelle et manifestement dans un climat de travail devenu tendu.
– Sur les pressions et brimades :
En second lieu, Mme [YZ] assure avoir été victime de pressions et de brimades dans l’objectif de la déstabiliser.
Elle soutient que celles-ci ont débuté par le courrier déjà cité du 1er février 2019 de M. [E] [V], soulignant que ce dernier avait déformé ses propos tenus lors de l’entretien du 24 janvier 2019 en indiquant à tort, qu’elle souhaitait quitter l’entreprise. Elle ajoute que son employeur l’a mise sous pression en lui rappelant la nécessité de réaliser les entretiens annuels des salariés de son équipe avant le 1er mars suivant alors qu’il avait connaissance de ses congés du 11 au 23 février 2019. Il reste que la demande du supérieur hiérarchique à un cadre de réaliser des entretiens annuels des salariés placés sous sa responsabilité, lesquels ont lieu chaque année à la même période et relèvent en l’occurrence de ses fonctions de directrice adjointe, ne révèle aucune pression de la part de la société Astid.
Mme [YZ] communique également à ce stade les trois attestations de collègues (pièces 39, 40 et 41) précitées dont celle de Mme [CP] indiquant que M. [E] [V] ‘était venu à plusieurs reprises la voir lorsque Mme [YZ] a été licencier pour savoir si je la voyait ‘elle’ ou ‘l’autre’, voilà comment il l’appelait, il la dénigrait’. Toutefois, ces attestations ont été écartées par la cour. Aucune autre pièce ne révèle l’existence de ‘brimades’ dont Mme [YZ] aurait été la victime.
La salariée indique ensuite avoir été convoquée de manière informelle dans le bureau de M. [E] [V] le 4 mars 2019, entretien au cours duquel celui-ci aurait tenté de la mettre en difficulté en lui reprochant des fautes non fondées. Le courrier de l’employeur du 6 mars 2019 convoquant Mme [YZ] à un entretien en vue d’une éventuelle rupture conventionnelle du contrat de travail confirme la tenue d’un entretien le 4 mars 2019 avec M. [V], lequel aurait eu cependant pour objet ‘l’éventualité et les modalités de cette rupture’.
En outre, il est constant que dans le cadre de la mise en oeuvre de la procédure de rupture conventionnelle de son contrat de travail, Mme [YZ] a été convoquée à trois reprises, pour les 15, 25 et 29 mars sans que ces échanges n’aient pu aboutir même si la salariée ne rapporte pas la preuve du motif de leur interruption ‘au dernier moment’.
Or l’échec de ces négociations a été suivi, de fait, très rapidement de l’engagement d’une procédure disciplinaire dès le 1er avril 2019 assortie d’une mise à pied à titre conservatoire, ce que Mme [YZ] analyse comme une pression supplémentaire alors qu’in fine, aucune sanction ne sera prise à son encontre au titre des faits reprochés.
La salariée fait encore observer que les pressions invoquées se sont poursuivies lors de son arrêt maladie en soulignant que l’employeur a fait procéder à une contre-visite médicale et supprimé partiellement son maintien de salaire afin de la contraindre à reprendre son travail.
Les pièces versées par Mme [YZ] établissent de fait l’organisation d’une contre-visite médicale fixée au 16 avril 2019, ce dont elle a été prévenue par courrier du 12 avril 2019. Pour autant, c’est en raison de l’absence de la salariée à son domicile le jour de la visite (pièce 21 et 22) que l’employeur a écrit à Mme [YZ] le 19 avril suivant pour la prévenir que ‘sauf justification valable de sa part, il suspendrait à dater du 17 avril 2019 et jusqu’au 26 avril suivant le paiement des indemnités complémentaires de salaire’, motif ayant conduit Mme [YZ] a reprendre le travail en sollicitant l’organisation d’une visite de reprise (pièce 23).
Mme [YZ] prétend alors que son employeur a créé un climat d’hostilité à son encontre par différentes remarques ajoutées aux divers entretiens précités en vue de rompre son contrat de travail. Elle souligne ainsi que les faits dénoncés dans ses courriers du 10 avril 2019 et du 17 mai 2019 seraient corroborés par les éléments suivants :
– les courriers des médecins l’ayant examinée :
– celui du docteur [DO] [B] adressé au médecin du travail dans lequel elle mentionne que Mme [YZ] ‘se trouve dans 1 situation de souffrance dans son entreprise. Elle a l’impression d’1 mise au placard, d’être épiée, d’être poussée à la faute. En résulte 1 état de stress permanent. Arrive stressée au travail, dort mal. Son employeur lui a proposé 1 rupture conventionnelle dont il recule la signature en permanence’ ;
– celui du docteur [U] [B] qui indique recevoir Mme [YZ] ‘dans le cadre de son arrêt lié à 1 souffrance au travail’. Il ajoute que ‘d’après ses dires elle subit un harcèlement moral (…) avec sensation de mise au placard’ ;
– la décision de l’inspection du travail du 11 juillet 2019 autorisant le licenciement dont il résulte : ‘que le décès de Mme [D] en novembre 2018 a bouleversé Mme [YZ] comme l’attitude de son employeur M. [V] vis-à-vis de cet événement ;
que les relations de travail entre Mme [YZ] et M. [V] se sont de ce fait et par suite dégradées ; qu’une procédure de rupture conventionnelle a été engagée, le CSE ayant été consulté avant même que les négociations eurent été terminées ; qu’une procédure disciplinaire a ensuite été engagée puis finalement abandonnée ,
et que la dégradation soudaine des relations de travail, en moins de 3 mois, et violente, 2 procédures pour mettre un terme au contrat de travail ont été engagées en 4 mois après 19 ans d’ancienneté, a eu des conséquences physiques et morales sur l’état de santé de Mme [YZ], constatée par le médecin du travail ; que le médecin du travail a en conséquence déclaré Mme [YZ] inapte à la reprise du travail dans l’entreprise avec impossibilité de reclassement’.
Plus généralement, Mme [YZ] fait valoir que la dégradation de ses conditions de travail et le harcèlement moral subi ont conduit à l’altération de son état de santé et à son inaptitude. Elle produit les avis d’arrêts-maladie et attestations de paiement des indemnités journalières établissant qu’elle a été arrêtée en particulier à compter du 20 mars 2019 jusqu’à la rupture du contrat de travail à l’exception de deux courtes périodes de reprise d’activité du 1er au 5 avril 2019, puis du 10 au 14 mai 2019.
La salariée communique également les éléments suivants :
– l’attestation de visite médicale du 5 mars 2019 réalisée à la demande de la salariée dans le cadre de l’article R. 4624-34 du code du travail ;
– l’attestation de suivi du médecin du travail du 14 mai 2019 consécutive à une visite médicale de reprise dans laquelle il indique que ‘la salariée doit consulter son médecin dès que possible’;
– l’avis d’inaptitude du médecin du travail du 28 mai 2019, lequel précise que l’étude du poste, l’étude des conditions de travail, l’échange avec l’employeur et la date de la dernière actualisation de la fiche d’entreprise ont eu lieu le 24 mai 2019 et que ‘l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi’.
Mme [YZ] présente ainsi plusieurs éléments tels qu’en particulier, la succession d’entretiens avec l’employeur durant quatre mois ayant eu pour objet la rupture de son contrat de travail, initiés sur les bases d’une rupture conventionnelle et poursuivis immédiatement après au titre d’une procédure de licenciement disciplinaire, lesquels pris dans leur ensemble, au regard des arrêts de travail ayant émaillé la période de mars à juillet 2019 et de la parole de la salariée recueillie par les médecins l’ayant examinée et soignée, permettent de supposer l’existence d’un harcèlement moral.
Dès lors, il convient d’examiner si l’employeur démontre que ces agissements étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Liminairement, la société Astid conteste le climat d’hostilité reproché alors que l’évolution de carrière de la salariée comme sa prime exceptionnelle de 14 500 euros versée en 2018 en raison de la qualité de son travail attestent du contraire.
L’employeur affirme ensuite ne pas avoir déformé les propos de Mme [YZ] dans son courrier du 1er février 2019 concernant son souhait de quitter l’entreprise. S’il est difficile de connaître les propos exacts échangés entre les parties lors de l’entretien du 24 janvier 2019, les trois rendez-vous fixés les 15, 25 et 29 mars 2019 ayant eu pour objet d’échanger sur la mise en oeuvre d’une éventuelle rupture conventionnelle du contrat de travail confirment l’absence d’opposition de Mme [YZ] à un départ éventuel de la société. En outre et comme l’a justement retenu le conseil de prud’hommes, plusieurs réunions peuvent être nécessaires à l’établissement d’une rupture conventionnelle sans que cela n’oblige les parties à rompre le contrat de travail et sans que cela ne caractérise des faits de harcèlement moral à l’encontre d’une des parties.
La société Astid précise par ailleurs que la rupture conventionnelle envisagée n’a pas été jusqu’à son terme en raison des exigences financières démesurées de Mme [YZ] laquelle aurait en outre déjà informé ses principaux clients de son départ de la société pour aller à la concurrence. Pour autant, l’employeur ne produit aucun élément permettant de confirmer ses allégations.
En revanche, la société Astid indique ensuite avoir été informée de la pratique de Mme [YZ] de faire travailler certains salariés à son domicile ou chez des proches sans que leurs temps de travail ne soient facturés tout en falsifiant leurs plannings, ce qui est confirmé par les témoignages de plusieurs salariés, plannings à l’appui. Ainsi, M. [Z] [I], M. [H] [P] et Mme [AD] [W] attestent avoir effectué une remise en état après travaux au restaurant ‘l’Idéal’ en octobre 2018 et M. [L] [O], M. [J] [C] et Mme [W] avoir travaillé au Flambadou (Mme [M]) en novembre 2019. Mme [R] [HP] indique également ‘être intervenue au domicile de Mme [YZ] et à sa demande le 6 septembre 2018’ soulignant qu’elle lui a ‘demandé de réaliser des travaux de nettoyage sur le pare-douche de sa salle de bain ainsi que le rapatriement et le nettoyage de la tête de lit de son fils’. Elle ajoute qu’elle savait ‘que cette intervention ne devait pas apparaître sur [sa] feuille d’heure c’est pourquoi [son] temps d’intervention et [son] déplacement ne sont mentionnés que sous la dénomination ‘ATELIER’ (pièce 18 employeur). Ces salariés assurent enfin avoir informé M. [S] [V] de ces faits en février 2019, ce qui a justifié la mise en oeuvre d’une procédure disciplinaire à l’encontre de Mme [YZ].
Les faits relatés dans ces témoignages sont confortés par l’expert-comptable de la société, lequel atteste que le contrôle des feuilles d’heures des salariés lors de la supervision des chantiers par Mme [YZ] a mis en lumière ‘des temps passés par des salariés n’ayant jamais fait l’objet d’une facturation des clients concernés, soit 64 heures identifiées pour 7 salariés, correspondant à un montant global de 2880 euros.’ Une liste jointe à l’attestation, fait ressortir pour exemple que Mme [X] a travaillé 7H75 chez Mme [YZ] le 22 août 2018, M. [O] 9H sur le chantier Flambadou le 23 novembre 2018, M. [P] et Mme [W] 8H50 au restaurant ‘L’idéal’ le 19 octobre 2018.
Ces faits ne sont pas réellement contestés par Mme [YZ], laquelle indique, sans pour autant en justifier, que son employeur était informé de cette pratique ce que dément fermement la société Astid.
Si la société Astid n’a pas souhaité sanctionner Mme [YZ] pour ces faits, il doit être rappelé qu’en cas d’avis d’inaptitude, l’employeur ne peut licencier un salarié pour un autre motif que celui-ci.
Il résulte de ces éléments, que l’employeur justifie par des éléments objectifs la succession d’entretiens fixés avec Mme [YZ] et de l’évolution de leurs motifs, lesquels sont étrangers à tout agissement de harcèlement moral.
L’ancienneté de Mme [YZ] et ses qualités professionnelles jusqu’alors reconnues permettent d’expliquer le souhait initial de la société Astid de consentir à envisager la rupture du contrat de travail à titre conventionnel, avant de l’aborder sur un plan disciplinaire au regard des faits dénoncés à son encontre et enfin, compte tenu de son état de santé et de l’avis du médecin du travail du 28 mai 2019, de prononcer le licenciement pour inaptitude médicale et impossibilité de reclassement.
Enfin, la société Astid exclut tout lien entre la dégradation de l’état de santé de Mme [YZ] et les faits de harcèlement moral.
Il est patent que Mme [YZ] a toujours été placée en arrêt de travail pour maladie simple. De surcroît, si les courriers des docteurs [DO] [B] et [U] [B] établissent un lien entre la dégradation de l’état de santé et son milieu professionnel du moins tel que vécu par la salariée, ces médecins n’ont procédé à aucune constatation personnelle concernant les conditions de travail de Mme [YZ] et reprennent dans leurs courriers les dires de la patiente.
La société Astid rappelle par ailleurs que la décision du 11 juillet 2019 autorisant le licenciement de Mme [YZ] est devenue définitive en l’absence de contestation. Elle souligne cependant sa partialité notamment en son considérant n° 12 qui retient la ‘violence’ de ‘la dégradation soudaine des relations de travail en moins de trois mois’ et omet surtout d’évoquer la fraude organisée par la salariée. Elle relève ensuite l’absence d’indication de harcèlement moral dans cette décision et rappelle que ces constatations de la DIRECCTE ont été réalisées suite à une enquête contradictoire et que l’inspection du travail n’aurait pas autorisé le licenciement de Mme [YZ] dans l’hypothèse d’un harcèlement moral à son encontre.
De fait, l’autorité administrative n’a pas employé le terme de harcèlement moral ni les éléments de sa définition. Elle n’a pas fait état des éléments précités ayant motivé l’engagement d’une procédure disciplinaire. En revanche, la décision rappelle que Mme [YZ] avait été bouleversée par le décès d’une salariée à la suite d’un malaise survenu au travail. Cet événement avait conduit Mme [YZ] à solliciter l’instauration d’une cellule de soutien psychologique à laquelle l’employeur a répondu dans son courrier du 1er février 2019 que les collaborateurs affectés comme elle du décès de Mme [D] ‘lui avaient indiqué qu’il ne leur semblait pas utile de faire venir un psychologue du travail à ce sujet.’
Il en ressort que la conjonction de cet événement avec les faits dénoncés et établis à l’encontre de la salariée, également fragilisée par la nomination de M. [S] [V] en qualité de directeur général et la crainte d’une éventuelle remise en cause de son autonomie et d’un contrôle plus effectif de ses missions au demeurant nécessaire au vu des faits révélés en février 2019, constituent autant d’éléments objectifs de nature à expliquer la dégradation de la santé de Mme [YZ] sans toutefois caractériser des agissements de harcèlement moral.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il convient de relever que la société Astid apporte aux débats des explications objectives qui permettent d’écarter l’existence de faits de harcèlement moral.
Par suite, il ne peut être considéré que l’inaptitude médicale de Mme [YZ] a pour origine une situation de harcèlement moral en l’occurrence non caractérisée.
Pour l’ensemble de ces motifs, le jugement sera confirmé en ce qu’il a retenu que l’inaptitude de Mme [YZ] n’avait pas pour origine une situation de harcèlement moral et l’a déboutée de sa demande de nullité de son licenciement et de ses demandes d’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents et de dommages et intérêts pour licenciement nul.
– Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement :
En vertu de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur doit assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs par des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1, par des actions d’information et de formation, et par la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes et met en oeuvre ces mesures sur le fondement des principes généraux de prévention définis par l’article L. 4121-2.
Le licenciement pour inaptitude médicale à l’emploi d’un salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsqu’il est démontré qu’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité est à l’origine de l’inaptitude.
Il ne suffit pas toutefois d’établir un lien entre le travail et l’inaptitude pour démontrer l’existence d’un manquement de l’employeur qui serait à l’origine de l’inaptitude. A l’inverse, tout manquement imputable à l’employeur n’est pas nécessairement à l’origine de l’inaptitude et il revient au salarié qui l’invoque de démontrer l’existence d’un lien entre le manquement établi et l’inaptitude.
En l’espèce, Mme [YZ] soutient que la société Astid a manqué à son obligation de sécurité en ne prenant pas de mesures pour faire cesser le harcèlement moral dont elle a été victime et ce, malgré ses alertes réitérées.
Les faits de harcèlement moral n’ont pas été reconnus par la cour. Dès lors, il convient de considérer que la société Astid n’a pas manqué à son obligation de sécurité.
Le licenciement ne peut en conséquence être déclaré sans cause réelle et sérieuse en raison de l’existence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
Mme [YZ] sera déboutée de ses demandes de dommages et intérêts au titre du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse comme de sa demande d’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents.
– Sur l’obligation d’exécuter loyalement le contrat de travail :
Aux termes de l’article L. 1222-1 du code du travail, ‘le contrat de travail est exécuté de bonne foi’.
Mme [YZ] soutient que la société Astid a manqué à son exécution de loyauté en raison de son déclassement et de sa mise à l’écart. Pour autant, ces griefs ont été écartés et la salariée sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.
La société Astid prétend, quant à elle, que Mme [YZ] a fait preuve de déloyauté en utilisant les salariés de la société pour son compte et en trafiquant les plannings pour le dissimuler, rappelant que le nombre d’heures de travail ainsi ‘détournées’ avait été valorisé par le contrôle comptable à un total de 64 heures représentant un montant de 2 880 euros.
Néanmoins, il est de principe que la responsabilité pécuniaire d’un salarié à l’égard de son employeur ne peut résulter que de sa faute lourde, laquelle doit être caractérisée par l’intention de nuire du salarié envers son employeur ce, peu important que la demande de dommages et intérêts ait été présentée par l’employeur sur le fondement de l’exécution déloyale du contrat de travail (en ce sens : Soc., 25 janvier 2017, pourvoi n° 14-26.071).
En l’occurrence, la société Astid n’allègue pas la commission d’une faute lourde, ni à fortiori l’intention de nuire de la salariée. La procédure disciplinaire avait été engagée sur le fondement d’une faute grave. Les faits reprochés même établis ne révèlent pas l’intention de nuire de Mme [YZ] à l’encontre de son employeur.
Enfin, la société Astid ne rapporte pas la preuve que Mme [YZ] ait agi en justice de manière abusive avec l’intention de nuire, légèreté blâmable ou erreur équivalente au dol.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de dommages et intérêts présentée reconventionnellement par la société Astid au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail et pour procédure abusive.
– Sur la remise de documents sociaux :
Compte tenu de la solution apportée par la cour au présent litige, le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande présentée par Mme [YZ] à ce titre.
– Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement sera confirmé s’agissant des dispositions relatives aux dépens et à l’application de l’article 700 du code de procédure civile.
Mme [YZ], partie qui succombe à l’instance, sera déboutée de sa demande présentée au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel, et condamnée à payer à la société Astid la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS:
La COUR,
Statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement et par mise à disposition au greffe
CONFIRME le jugement rendu par le conseil de prud’hommes du Mans le 4 décembre 2020 en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant :
– Dit que le licenciement de Mme [N] [YZ] repose sur une cause réelle et sérieuse;
– REJETTE les demandes présentées par Mme [N] [YZ] à titre de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et à titre d’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents ;
– REJETTE la demande de dommages et intérêts présentée par Mme [N] [YZ] au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail ;
– REJETTE la demande formée par Mme [N] [YZ] au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel ;
– CONDAMNE Mme [N] [YZ] à payer à la société Astid la somme de 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– CONDAMNE Mme [N] [YZ] aux dépens.
LE GREFFIER, P/ LE PRÉSIDENT empêché,
Viviane BODIN M-C. DELAUBIER
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