ARRÊT DU
27 Janvier 2023
N° 205/23
N° RG 21/00394 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TP5O
MLB/CH
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’AVESNES SUR HELPE
en date du
05 Février 2021
(RG 20/00029 -section )
GROSSE :
Aux avocats
le 27 Janvier 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANT :
M. [L] [M]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Stephane DOMINGUEZ, avocat au barreau de VALENCIENNES
INTIMÉE :
S.A.S. TRANSPORT WILLIAME devenue la société GHESTEM MAUBEUGE
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Guillaume GHESTEM, avocat au barreau de LILLE, assisté de Me Elisabeth NEIDHART, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Soleine HUNTER-FALCK
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Muriel LE BELLEC
: CONSEILLER
Gilles GUTIERREZ
: CONSEILLER
GREFFIER lors des débats : Serge LAWECKI
DÉBATS : à l’audience publique du 30 Novembre 2022
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 Janvier 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Soleine HUNTER-FALCK, Président et par Annie LESIEUR, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 09 novembre 2022
EXPOSE DES FAITS
M. [L] [M] a été embauché à compter du 8 décembre 2003 en qualité de chauffeur routier par la société Transports Williame devenue Ghestem Maubeuge, qui applique la convention collective des transports routiers et activités auxiliaires du transport.
Le tribunal correctionnel d’Avesnes sur Helpe l’a condamné le 4 septembre 2013 à 6 mois d’emprisonnement avec sursis pour abus de confiance, vol dans un entrepôt, vol aggravé par deux circonstances et recel de bien volé, commis du 1er janvier 2009 au 31 octobre 2011, puis, par jugement du 23 mai 2016, à payer à la société Transports Williame la somme de 3 396 euros au titre du préjudice matériel et, avec d’autres, la somme de 3 000 euros au titre du préjudice moral et 2 000 euros au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale.
Par requête reçue le 3 octobre 2012, puis, après quatre radiations, dernière demande de remise au rôle du 20 février 2020, M. [L] [M] a saisi le conseil de prud’hommes d’Avesnes sur Helpe afin d’obtenir un rappel de salaire pour heures supplémentaires et des indemnités pour travail dissimulé et manquements à l’obligation de sécurité et de résultat et aux règles de travail de nuit.
Par jugement en date du 5 février 2021 le conseil de prud’hommes a dit que la demande de rappel d’heures supplémentaires est infondée, a débouté M. [L] [M] de l’intégralité de ses demandes, l’a condamné à payer la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et a laissé les dépens aux parties qui les ont engagés.
Le 11 mars 2021, M. [L] [M] a interjeté appel de ce jugement.
Par ses conclusions reçues le 3 juin 2021 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, l’appelant sollicite de la cour qu’elle infirme le jugement entrepris et, statuant à nouveau, qu’elle constate que l’employeur n’a pas payé l’ensemble des heures supplémentaires de travail effectuées et le condamne à lui payer les sommes de :
10 688,24 euros au titre des heures supplémentaires
1 068,82 au titre des congés payés y afférents
13 800 euros au titre du travail dissimulé
8 000 euros à titre d’indemnité forfaitaire pour non-respect des conditions de travail et manquement à l’obligation de sécurité et de résultat
6 000 euros à titre d’indemnité forfaitaire pour non respect des conditions de travail et manquement aux règles sur le travail de nuit
avec intérêts au taux légal à compter de la demande en justice et capitalisation des intérêts sur le fondement de l’article 1154 du code civil
3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par ses conclusions reçues le 1er septembre 2021 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, la société Ghestem Maubeuge sollicite de la cour qu’elle dise irrecevables comme prescrites les demandes de M. [L] [M] antérieures au 4 octobre 2007, tire toutes conséquences de l’absence de production des documents pourtant offerts en communication par M. [L] [M] et de l’absence de réponse à la sommation de communiquer, déboute M. [L] [M] de sa demande de paiement d’heures supplémentaires et de congés payés afférents et de ses demandes d’indemnité pour travail dissimulé, non respect de certaines dispositions du code du travail et non respect du temps de conduite, ordonne la compensation judiciaire sur le fondement de l’article 1348 du code civil entre les sommes mises à sa charge et celles dues par M. [L] [M] en vertu du jugement du tribunal correctionnel d’Avesnes sur Helpe, soit avec la somme de 3 396 euros, outre une somme de 500 euros accordée par le tribunal correctionnel sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale et une somme de 500 euros au titre du préjudice moral, déboute M. [L] [M] de sa demande de condamnation de décompter les intérêts à compter de la date d’introduction de la demande, de voir prononcer l’anatocisme et au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamne M. [L] [M] à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La clôture de la procédure a été ordonnée le 9 novembre 2022.
MOTIFS DE L’ARRET
Sur la demande au titre des heures supplémentaires
Si M. [L] [M] ne précise pas dans ses conclusions la période objet de sa demande de rappel d’heures supplémentaires, puisqu’il se borne à solliciter un volume global de 726,35 heures, il se déduit des tableaux qu’il produit que sa demande porte sur la période courant d’octobre 2006 à octobre 2011.
Selon l’article L.3245-1 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, l’action en paiement du salaire se prescrivait par cinq ans conformément à l’article 2224 du code civil. Il en résulte que la demande de rappel de salaires, dont M. [L] [M] a saisi le conseil de prud’hommes par requête reçue le 3 octobre 2012 est irrecevable pour la période d’octobre 2006 à septembre 2007.
Le contrat de travail prévoit que la rémunération mensuelle de M. [L] [M] se compose d’un salaire mensuel pour une durée de 152 heures et éventuellement d’heures supplémentaires décomptées mensuellement majorées au taux de 25 % de 153 à 186 heures et de 50 % au-delà de 186 heures.
Au soutien de sa demande, M. [L] [M] produit en application de l’article L.3171-4 du code du travail ses bulletins de salaire et des tableaux récapitulant mois par mois les heures payées, les heures travaillées sur carte, les heures de manutention sans carte et les coupures travaillées pas payées effectuées selon lui. Il fait valoir que l’employeur n’apporte aucun élément de preuve en réponse.
L’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, est donc à même de répondre utilement, étant rappelé qu’il est censé annexer aux bulletins de salaire un document mensuel comportant la durée des temps de conduite et des temps de service autres que la conduite en application de l’article 10§6 du décret 83-40 du 26 janvier 1983 et être en mesure de produire les feuilles d’enregistrement, dans la limite de la prescription, lorsqu’il existe une contestation sur le nombre d’heures effectuées. Ainsi, la société Ghestem Maubeuge ne se retranche pas utilement derrière l’absence de réponse du salarié à sa demande de communication des lectures des disques chronotachygraphes.
Elle produit les données du logiciel Solid pour la période de janvier à avril 2010 qui font apparaître des temps de service (temps de conduite, temps d’autres travaux et temps à disposition) distincts de ceux reportés par le salarié dans son tableau au titre des heures travaillées sur carte. Les ajouts manuscrits pour «manut» ou «heures manut» confortent au moins sur le principe, car les montants ne concordent pas exactement sans toutefois être globalement au désavantage du salarié sur ces quatre mois, l’existence d’heures de manutention sans carte.
Le salarié ne s’explique pas en revanche sur les «coupures travaillées pas payées». Il ne soutient pas et ne justifie pas qu’il avait pour consigne de manipuler le sélecteur de temps de son chronotachygraphe pour être réputé en pause alors qu’il travaillait.
L’absence de protestation du salarié au cours de la relation de travail sur les heures payées ne lui est pas utilement opposée. De même, la société Ghestem Maubeuge qui rappelle la condamnation du salarié pour vol de gasoil commis de 2009 à 2011, ne fournit pas d’éléments sur le mode opératoire utilisé par le salarié dont il résulterait que les délits commis ont généré les temps de service dont il sollicite le paiement.
En revanche, la société intimée fait justement observer que le salarié ne différencie pas les temps de service et les temps d’absence rémunérée, alors que les jours fériés et de congés payés n’ont pas à être pris en compte pour le calcul des heures supplémentaires. De même, elle relève à juste titre que M. [L] [M] a effectué son calcul sur la base du même dernier taux horaire applicable, alors que ce taux a évolué.
Il convient au vu de ces éléments d’évaluer le rappel d’heures supplémentaires accomplies par le salarié, compte tenu des taux horaires successivement applicables et pour la période non prescrite, à la somme de 2 727,17 euros et les congés payés y afférents à 272,71 euros. Le jugement, qui a considéré que les éléments fournis par le salarié n’étaient pas suffisamment précis, sera infirmé.
Sur la demande d’indemnité pour travail dissimulé
En application de l’article L.8221-5 du code du travail, il n’est pas établi que l’employeur, qui a payé quasiment chaque mois des heures supplémentaires, a intentionnellement mentionné sur les bulletins de salaire de M. [L] [M] un nombre d’heures de travail inférieur à celui accompli. Il convient au surplus de préciser que les explications des parties et les pièces produites ne permettent pas de vérifier que le contrat de travail a été rompu. Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté M. [L] [M] de sa demande en paiement de l’indemnité forfaitaire prévue par l’article L.8223-1 du code du travail.
Sur la demande d’indemnité pour non respect des conditions de travail et manquement aux règles sur le travail de nuit
M. [L] [M] fait valoir en premier lieu que certains salariés faisaient l’objet d’une discrimination en ne bénéficiant pas du coefficient 150 sur les fiches de paie mais uniquement du coefficient 138. Cependant, si le salarié a été embauché au coefficient 138, le coefficient 150 lui a été octroyé à compter de janvier 2007 et l’appelant, qui ne prétend pas qu’il remplissait les conditions pour accéder à la qualification de conducteur hautement qualifié de véhicule poids lourds avant cette date, ne présente pas d’éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination à son égard.
Il ajoute qu’alors que la convention collective prévoit une prime horaire égale à 20 % du taux horaire conventionnel à l’embauche applicable au coefficient 150 M pour les heures effectuées entre 21 heures et 6 heures, cette disposition n’a pas été respectée par l’employeur. Il ne sollicite néanmoins aucun rappel de salaire. Ses bulletins de salaire font d’ailleurs état du paiement de primes de nuit et de l’incidence sur l’assiette de calcul des majorations pour heures supplémentaires.
Enfin, il soutient qu’il n’a pas bénéficié du repos compensateur auquel ont droit les travailleurs de nuit en application de l’article L.3122-39 du code du travail.
Selon les termes de l’accord du 14 novembre 2001 relatif au travail de nuit attaché à la convention collective, les salariés qui accomplissent au cours d’un mois et conformément aux instructions de leur employeur au moins 50 heures de travail effectif durant la période nocturne, comprise entre 21 heures et 6 heures, bénéficient d’un repos compensateur égal à 5% de la totalité des heures de travail de nuit.
Il résulte des pièces produites et particulièrement des bulletins de salaire que l’appelant effectuait habituellement plus de 50 heures de travail effectif au cours d’un mois durant la période nocturne et qu’il devait bénéficier du repos compensateur ci-dessus. L’employeur qui se borne à indiquer que les heures de nuit effectuées ont été payées ne s’explique pas sur le repos compensateur et ne justifie pas qu’il a été octroyé au salarié. Les bulletins de salaire n’en font pas état. Le préjudice subi par le salarié du fait de la perte du repos compensateur lié au travail de nuit sera indemnisé par l’octroi de la somme de 2 500 euros.
Le jugement sera infirmé en ce qu’il a débouté M. [L] [M] de sa demande d’indemnité.
Sur la demande d’indemnité pour non respect des conditions de travail et manquement à l’obligation de sécurité et de résultat
En application des articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail, l’employeur, tenu d’une obligation en matière de protection de la sécurité et de la santé physique et mentale des travailleurs dans l’entreprise, doit en assurer l’effectivité en prenant toutes les mesures nécessaires de prévention prévues par les textes susvisés, des actions d’information et de formation et la mise en place de moyens adaptés.
Au titre d’un premier manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, M. [L] [M] rappelle que la durée maximale hebdomadaire est de 48 heures et la durée minimale du repos quotidien à 11 heures et que la preuve du respect des seuils et plafonds incombe à l’employeur. Cependant, il ne résulte pas des éléments produits que l’employeur aurait manqué de respecter la durée maximale hebdomadaire et la durée minimale du repos quotidien et qu’il en serait résulté un préjudice pour le salarié.
Il affirme ensuite que l’employeur lui faisait payer «les actes commis» alors que cette dépense lui incombe et que certains salariés manipulaient des fenwick alors que le Caces est exigé. Il ne vise aucune pièce à l’appui de ses dires et ne justifie pas de l’application par la société Ghestem Maubeuge de sanctions pécuniaires prohibées ni d’un manquement de l’employeur aux règles régissant la conduite de certaines machines.
Enfin, il soutient qu’il n’a pas bénéficié du repos compensateur auquel il avait droit au regard des heures supplémentaires accomplies. Il rappelle qu’en application du décret n° 2007-13 du 4 janvier 2007, le salarié a droit à 1 jour de repos compensateur lorsqu’il a accompli entre 41 et 79 heures supplémentaires sur le trimestre, 1,5 jours lorsque ce volume est compris entre 80 et 108 heures supplémentaires, et 2.5 jours lorsque le salarié a accompli plus de 108 heures supplémentaires sur le trimestre. Indépendamment du rappel d’heures supplémentaires ci-dessus, les bulletins de salaire montrent que le salarié accomplissait de façon récurrente un nombre d’heures supplémentaires ouvrant droit au bénéfice de repos compensateurs. La société Ghestem Maubeuge ne s’explique pas sur ce point et n’allègue ni ne justifie que le salarié a bénéficié de l’ensemble des repos compensateurs qui devaient lui être octroyés. Au contraire, les bulletins de salaire ne comportent aucune indication sur les repos compensateurs acquis et utilisés. Le préjudice subi par le salarié du fait de la privation du repos compensateur lié aux heures supplémentaires accomplies et des risques pour sa santé et sa sécurité sera indemnisé par l’octroi de la somme de 1 500 euros.
Le jugement sera infirmé en ce qu’il a débouté M. [L] [M] de ce chef de demande.
Sur les autres demandes
L’issue du litige justifie, infirmant le jugement, de débouter la société Ghestem Maubeuge de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de la condamner à verser à M. [L] [M] la somme de 1 500 euros de ce chef.
Il n’y a pas lieu de déroger à la règle selon laquelle les sommes allouées portent intérêts de retard au taux légal à compter de la date de réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les sommes de nature salariale et à compter de la décision qui les a prononcées pour les sommes à caractère indemnitaire. Les intérêts dus pour une année entière se capitalisent en application de l’article 1343-2 du code civil.
Il convient en application de l’article 1348 du code civil de prononcer la compensation entre les sommes allouées à M. [L] [M] et les sommes qu’il doit à la société Ghestem Maubeuge en vertu du jugement du tribunal correctionnel d’Avesnes sur Helpe en date du 23 mai 2016.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant après débats en audience publique par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement en ce qu’il a débouté M. [L] [M] de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé.
Infirme le jugement déféré, statuant à nouveau et y ajoutant :
Déclare M. [L] [M] irrecevable en sa demande de rappel d’heures supplémentaires pour la période d’octobre 2006 à septembre 2007.
Condamne la société Ghestem Maubeuge à verser à M. [L] [M] :
2 727,17 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires
272,71 euros au titre des congés payés y afférents
2 500 euros à titre d’indemnité pour non respect des règles sur le travail de nuit
1 500 euros à titre d’indemnité pour non respect des conditions de travail et manquement à l’obligation de sécurité et de résultat.
Déboute la société Ghestem Maubeuge de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société Ghestem Maubeuge à verser à M. [L] [M] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Dit que les sommes allouées portent intérêts de retard au taux légal à compter de la date de réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les sommes de nature salariale et à compter de l’arrêt pour les sommes à caractère indemnitaire.
Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière.
Prononce la compensation entre les sommes dues par la société Ghestem Maubeuge à M. [L] [M] en vertu de présent arrêt et les sommes dues par M. [L] [M] à la société Ghestem Maubeuge en vertu du jugement du tribunal correctionnel d’Avesnes sur Helpe en date du 23 mai 2016.
Condamne la société Ghestem Maubeuge aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER
Annie LESIEUR
LE PRESIDENT
Soleine HUNTER-FALCK
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