ARRÊT DU
27 Janvier 2023
N° 136/23
N° RG 20/02361 – N° Portalis DBVT-V-B7E-TKLD
VCL/VM
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de TOURCOING
en date du
18 Novembre 2020
(RG F 18/00279 -section 2)
GROSSE :
aux avocats
le 27 Janvier 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANTE :
Mme [P] [X]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me René DESPIEGHELAERE, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉE :
S.A.S. ETABLISSEMENTS [J]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Caroline DUQUESNE, avocat au barreau de LILLE
DÉBATS : à l’audience publique du 01 Décembre 2022
Tenue par Virginie CLAVERT
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Serge LAWECKI
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Pierre NOUBEL
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Virginie CLAVERT
: CONSEILLER
Laure BERNARD
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 Janvier 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Pierre NOUBEL, Président et par Annie LESIEUR, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 10 Novembre 2022
EXPOSE DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES’:
La SAS ETABLISSEMENTS [J] est spécialisée dans la fabrication et le négoce d’articles religieux.
Mme [P] [X] a été engagée par la SAS ETABLISSEMENTS [J] par contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel (28 heures) à compter du 22 août 2014 en qualité de secrétaire administrative et comptable, statut employée, niveau IV, échelon 3 de la convention collective nationale du commerce de gros.
Le 1er août 2018, la SAS ETS [J] a convoqué Mme [P] [X], qui se trouvait en congés payés jusqu’au 19 août suivant, à un entretien préalable avec dispense d’activité rémunérée jusqu’au jour de l’entretien. Le courrier n’a, toutefois, pas été récupéré.
Lors de son retour de congés payés le 20 août 2018, la SAS ETS [J] lui a remis en main propre contre décharge un nouveau courrier de convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 31 août 2018.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 5 septembre 2018, la SAS ETS [J] a notifié à Mme [X] son licenciement pour cause réelle et sérieuse lui reprochant un comportement agressif et autoritaire à l’égard de ses collègues de travail et un comportement inadapté à l’égard du dirigeant de la société et vis-à-vis des clients.
Contestant la légitimité de son licenciement pour cause réelle et sérieuse et réclamant diverses indemnités consécutivement à la rupture de son contrat de travail, Mme [P] [X] a saisi le 17 octobre 2018 le conseil de prud’hommes de Tourcoing qui, par jugement du 18 novembre 2020, a rendu la décision suivante’:
– juge que le licenciement de Mme [X] est justifié par une cause réelle et sérieuse et la déboute de l’ensemble de ses demandes,
– déboute la SAS ETS [J] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamne Mme [X] aux dépens.
Mme [X] a relevé appel de ce jugement, par déclaration électronique du 9 décembre 2020.
Vu les dernières conclusions notifiées par RPVA le 17 février 2021 au terme desquelles Mme [P] [X] demande à la cour d’infirmer le jugement déféré et de’:
– juger que son licenciement ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse,
– juger que la SAS ETS [J] n’a pas agi loyalement envers elle dans l’exécution du contrat de travail et dans sa rupture,
– condamner la SAS ETS [J] à lui payer les sommes suivantes’:
-12 102,55 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-4 400 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral et inexécution fautive du contrat de travail,
– condamner la SAS ETS [J] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et la condamner aux dépens de première instance et d’appel.
Au soutien de ses prétentions, Mme [P] [X] expose que’:
-concernant le licenciement, elle n’a jamais fait l’objet de reproches pendant toute la relation de travail soit du mois de septembre 2014 au mois d’août 2018. Or lors de l’entretien annuel de 2018 dont le compte rendu n’est pas produit par la société intimée, elle a fait l’objet d’une multitude de reproches. Elle a donc fait part des difficultés à travailler dans ces conditions, l’employeur lui remettant alors dès le lendemain un document de rupture conventionnelle. De même, il a envoyé une lettre recommandée pendant ses congés sachant qu’elle ne pourrait pas être retirée.
-les éléments produits par la société intimée sont insuffisants à démontrer les griefs reprochés, ce d’autant que la rupture n’a été précédée d’aucune démarche ni reproche à son égard.
-s’agissant de la brutalité de la rupture et l’exécution déloyale du contrat de travail, elle a été mise à l’écart dès le lendemain de son entretien annuel. Lors de son retour de congés, le courrier de convocation à l’entretien préalable lui a été remis en main propre ; elle a été dispensée de travail et raccompagnée à la sortie devant l’ensemble du personnel. Ces événements ont eu des conséquences sur sa santé.
-concernant les dommages-intérêts, elle justifie de ses préjudices étant précisé que le montant de l’indemnisation prévu par le barème ne saurait réparer le préjudice subi.
Vu les dernières conclusions notifiées par RPVA le 27 décembre 2021 dans lesquelles la SAS ETS [J], intimée et appelante incidente demande à la cour de confirmer le jugement déféré sauf en ce qu’il l’a déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et, en tout état de cause de :
– juger que le licenciement de Mme [X] repose sur une cause réelle et sérieuse,
– débouter Mme [X] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et subsidiairement, la ramener à de plus justes proportions et au minimum du barème,
– débouter Mme [X] de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral,
– condamner Mme [X] à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et la condamner aux dépens de la présente instance.
À l’appui de ses prétentions, la SAS ETABLISSEMENTS [J] soutient que’:
-concernant le licenciement, l’appelante ne fournit aucun élément de nature à contester les griefs contenus dans la lettre de licenciement.
-elle démontre par les différents éléments versés aux débats le comportement agressif et autoritaire de Mme [X] à l’égard de ses collègues de travail mais aussi le comportement inadapté qu’elle avait adopté à l’égard du dirigeant de la société et vis-à-vis des clients de la société, s’octroyant, par ailleurs, dans la société unilatéralement et à l’insu de son employeur une place dans l’entreprise dont elle ne disposait pas.
-la procédure de licenciement a été mise en ‘uvre dans les meilleures conditions et en dehors de toute condition vexatoire.
-l’appelante ne démontre pas la réalité du préjudice qu’elle prétend avoir subi.
La clôture a été prononcée par ordonnance du 10 novembre 2022.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur le licenciement :
La cause réelle du licenciement est celle qui présente un caractère d’objectivité. Elle doit être existante et exacte. La cause sérieuse concerne une gravité suffisante pour rendre impossible la poursuite des relations contractuelles.
La lettre de licenciement doit énoncer des motifs précis et matériellement vérifiables. La datation dans cette lettre des faits invoqués n’est pas nécessaire.
Le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige doit être apprécié au vu des éléments fournis par les parties, étant précisé que, si un doute subsiste, il profite au salarié, conformément aux dispositions de l’article L. 1235-1 du code du travail dans sa version applicable à l’espèce.
Si la lettre de licenciement doit énoncer des motifs précis et matériellement vérifiables, l’employeur est en droit, en cas de contestation, d’invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de justifier ce motif.
En l’espèce, dans le cadre de la lettre de licenciement du 5 septembre 2018, Mme [P] [X] a été licenciée pour avoir adopté un comportement agressif et autoritaire à l’égard de ses collègues de travail, et un comportement inadapté à l’égard de la direction ainsi que des clients.
Ainsi, la salariée n’a pas été licenciée du fait de la mauvaise qualité de son travail ou de difficultés rencontrées dans les tâches confiées au sens strict du terme, de sorte que les attestations produites par cette dernière faisant état de ses compétences professionnelles sont inopérantes.
Surtout, concernant les relations avec les autres salariés, il résulte des pièces produites par la société ETABLISSEMENTS [J] que la direction a été informée lors de la réalisation des entretiens professionnels annuels de ses salariés en juillet 2018 de comportements inadaptés adoptés par Mme [P] [X] notamment vis à vis de ses collègues.
Ainsi, Mme Laure [Y], nouvellement embauchée, relate, dans son attestation, plusieurs épisodes au cours desquels l’appelante l’a «’questionnée comme un professeur peut le faire avec un élève’», a levé les yeux au ciel en secouant la tête, tapant du poing sur la table en disant «’mais c’est n’importe quoi, fallait pas faire ça» «’t’as rien compris’» de façon agressive suite à une erreur commise, l’a contredite devant une cliente remettant en cause sa crédibilité et, le 22 juin 2018, est venue avec un paquet de factures sur lesquelles elle avait noté des erreurs en disant «’tu as encore fait des erreurs, il va falloir que tu fasses attention’» lui criant dessus et adoptant un ton inapproprié.
De la même façon, M. [C] [K] indique avoir été alerté par d’autres collègues puis avoir constaté lui-même le dénigrement opéré par Mme [P] [X] vis à vis de son travail devant la direction, celle-ci n’hésitant pas, par ailleurs, à le traiter de «’lèche-bottes’».
Mme [L] [E] relate également pour sa part, avoir constaté un changement de comportement de Mme [P] [X] durant les six derniers mois, celle-ci adoptant une attitude de plus en plus provocante, humiliante avec des mots, des propos, du dénigrement et une intonation de voix inappropriée qui ont généré du stress au sein de l’entreprise et ont, en partie , conduit à son arrêt de travail du 12 juin 2018. L’intéressée relate, par ailleurs, des accès de colère répétitifs et insupportables et notamment un épisode survenu le 31 mai 2018 au cours duquel Mme [X] lui a dit, alors qu’elle ne pouvait répondre à un appel téléphonique étant affairée à une autre tâche, «’putain fais chier c’est ton travail’». Elle décrit également les dossiers jetés avec colère sur son bureau par Mme [P] [X], ce qui est d’ailleurs confirmé par le témoignage de M. [K].
Ces salariés ont, en outre, fait état lors de leur entretien annuel, du stress, de la souffrance engendrée par ces comportements inadaptés de Mme [P] [X], certains indiquant travailler «’la boule au ventre’» et évoquant un comportement autoritaire avec l’ensemble du personnel, particulièrement en l’absence de la direction, «’comme si nous étions sous ses ordres’».
Ces agissements sont constitutifs d’un manquement de la salariée à ses obligations, peu important la production par celle-ci d’attestations d’anciens employeurs ou collègues de travail excluant tout comportement harcelant, colérique ou agressif de sa part, les faits dénoncés étant, en réalité, apparus selon les différents témoins environ 6 mois avant les entretiens professionnels de juillet 2018.
Concernant les comportements inadaptés vis à vis de la direction, les pièces produites démontrent que Mme [P] [X] a contesté , à plusieurs reprises , les décisions prises par la direction et notamment le choix d’externaliser le recrutement de Mme Laure [Y] qu’elle estimait trop coûteux pour l’entreprise (attestation de [C] [K]), ou encore en tenant tête à son supérieur, M. [F] [J], concernant sa présence lors du paramétrage du nouveau logiciel de gestion (attestation de [L] [E]). Tous exposent que lors de l’entretien professionnel, l’appelante a eu une attitude totalement inadaptée en entreprise, irrespectueuse, criant et se montrant «’extrêmement agressive envers la direction et les collègues’» (attestation [C] [K]), Mme [P] [X] allant jusqu’à «’gueuler sur [F] alors que mon bureau est complètement à l’opposé.(…) c’était très houleux’» (attestation [L] [E]).
Ces éléments démontrent le comportement irrespectueux adopté par l’appelante vis à vis de son employeur, ce qui constitue également un manquement à ses obligations.
Concernant les relations avec les clients, il est produit un échange de mails et notamment une relance datée du 18 juin 2018 adressée par Mme [P] [X] à la société AROD au terme duquel il était indiqué «’vous trouverez ci-joint votre nouveau rappel de factures : le montant total en dépassement d’échéance est maintenant de 39 657,34 euros !!!!!(en gras et rouge) Pouvez vous me dire rapidement ce que vous comptez faire pour cette dette’ Nous aussi avons des fournisseurs à payer et nous ne pouvons pas vous servir de banque’».
A cet égard, M. [O] [N] atteste avoir été surpris du ton employé dans cette relance, compte tenu des relations avec la société depuis plus de 20 ans, de l’absence de problème de paiement et du fait que certaines factures n’étaient pas encore arrivées à leur date d’échéance, n’ayant pas encore donné lieu à une livraison complète.
De la même façon, M. [R] [D], client canadien de la société , indique avoir été contacté par Mme [P] [X] laquelle l’avait averti que «’notre compte était en souffrance et toujours d’un ton très autoritaire et très déplaisant, elle m’informait que notre compte irait prochainement «’en collection’». Pourtant, je n’avais pas encore reçu toute ma marchandise’». L’intéressé relate avoir alors été surpris et très choqué de cette attitude et avoir contacté [F] [J] lequel s’est excusé et lui a indiqué s’occuper personnellement à l’avenir de son compte client.
Les difficultés relationnelles de Mme [P] [X] avec certains clients se trouvent, en outre, confortées par le témoignage de M. [C] [K] qui indique avoir soutenu l’intéressée lors des entretiens d’évaluation, malgré les remontées négatives de clients qui se plaignaient de son ton sec et agressif.
Ce comportement inadapté vis à vis des clients est également constitutif d’un manquement de Mme [P] [X] dans la relation de travail avec la société ETS [J].
Il résulte, par suite, de l’ensemble de ces éléments que Mme [P] [X] qui ne démontre pas avoir été soumise à une surcharge de travail laquelle, en tout état de cause, ne peut justifier de tels comportements, a commis plusieurs manquements à ses obligations vis à vis de son employeur, manquements dont la répétition et la nature sont suffisamment graves pour légitimer son licenciement.
Il convient, par suite, de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit que le licenciement de Mme [P] [X] repose sur une cause réelle et sérieuse et en ce qu’il a débouté l’intéressée de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les dommages et intérêts pour préjudice moral et inexécution fautive du contrat de travail :
Le licenciement peut causer au salarié un préjudice distinct de celui lié à la perte de son emploi, en raison des circonstances brutales ou vexatoires qui l’ont accompagné, permettant au salarié de demander réparation de son préjudice moral.
Mme [P] [X] ne démontre pas que son licenciement est survenu dans des circonstances brutales ou vexatoires, le seul fait d’avoir été dispensée de travail mais rémunérée n’étant pas de nature à caractériser de telles circonstances. Elle ne justifie pas non plus avoir été reconduite vers la sortie devant ses collègues de travail.
L’exécution fautive du contrat de travail par la société ETS [J] ne résulte pas non plus de l’absence d’avertissement antérieurs, la plupart des faits reprochés ayant été portés à la connaissance de l’employeur lors des entretiens annuels effectués en juillet 2018.
La demande de dommages et intérêts est, donc, rejetée et le jugement entrepris confirmé sur ce point.
Sur les autres demandes :
Les dispositions du jugement entrepris afférentes aux dépens et aux frais irrépétibles de première instance sont confirmées.
Mme [P] [X] est condamnée aux dépens d’appel.
L’équité commande, en outre, de laisser à chacune des parties la charge des frais irrépétibles par elle exposés en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
CONFIRME le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Tourcoing le 18 novembre 2020 dans l’ensemble de ses dispositions ;
ET Y AJOUTANT,
CONDAMNE Mme [P] [X] aux dépens d’appel ;
LAISSE à chaque partie la charge des frais irrépétibles par elle exposés ;
DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples et contraires.
LE GREFFIER
Annie LESIEUR
LE PRÉSIDENT
Pierre NOUBEL
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