Droit du logiciel : 27 avril 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 21/00525

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Droit du logiciel : 27 avril 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 21/00525

RUL/CH

[G] [R]

C/

UNÉDIC DÉLÉGATION AGS CGEA DE [Localité 6]

S.E.L.A.R.L. AJRS représentée par Maître [N] [W] ès- qualités d’administrateur judiciaire de la SARL [I]

SARL [I] prise en la personne de son gérant en exercice domicilié en cette qualité au siège social

SAS [C] [V] MANDATAIRE JUDICIAIRE prise en la personne de Maître [V] ès-qualités de mandataire judiciaire de la SARL [I]

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 27 AVRIL 2023

MINUTE N°

N° RG 21/00525 – N° Portalis DBVF-V-B7F-FXYR

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CHALON SUR SAONE, section Commerce, décision attaquée en date du 03 Juin 2021, enregistrée sous le n° F20/00239

APPELANT :

[G] [R]

[Adresse 8]

[Localité 1]

représenté par Me Cédric MENDEL de la SCP MENDEL – VOGUE ET ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON, et Me Najette LABBAS de la SELEURL Cabinet Najette LABBAS, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉES :

UNÉDIC DÉLÉGATION AGS CGEA DE [Localité 6]

[Adresse 5]

[Adresse 10]

[Localité 6]

représentée par Me Florence GAUDILLIERE, avocat au barreau de PARIS, et Me Carole FOURNIER, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE

S.E.L.A.R.L. AJRS, représentée par Maître [N] [W] ès-qualités d’administrateur judiciaire de la SARL [I]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON, et Me Eric DEZ, avocat au barreau de l’AIN

SARL [I] prise en la personne de son gérant en exercice domicilié en cette qualité au siège social

[Adresse 9]

[Localité 7]

représentée par Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON, et Me Eric DEZ, avocat au barreau de l’AIN

SAS [C] [V] MANDATAIRE JUDICIAIRE prise en la personne de Maître [V] ès-qualités de mandataire judiciaire de la SARL [I]

[Adresse 3]

[Localité 6]

représentée par Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON, et Me Eric DEZ, avocat au barreau de l’AIN

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 Mars 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller chargé d’instruire l’affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :

Olivier MANSION, Président de chambre,

Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,

Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

M. [G] [R] a été embauché par la société [I] en qualité de chauffeur taxi à compter du 8 janvier 2019 par un contrat à durée indéterminée à temps complet.

Le 9 septembre 2020, il a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur.

Par requête du 13 octobre 2020, il a saisi le conseil de prud’hommes de Chalon-sur-Saône afin de faire requalifier sa prise d’acte de la rupture du contrat de travail en un licenciement nul ou tout au moins sans cause réelle et sérieuse, et faire condamner l’employeur aux conséquences indemnitaires afférentes, outre des dommages-intérêts pour préjudice moral distinct.

Par jugement du 3 juin 2021, le conseil de prud’hommes de Chalon-sur-Saône a rejeté l’ensemble des demandes du salarié.

Par déclaration formée le 10 juillet 2021, M. [R] a relevé appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières écritures du 9 février 2023, l’appelant demande de :

– infirmer le jugement déféré en ce qu’il l’a débouté de toutes ses demandes,

– le confirmer en ce qu’il a débouté la société [I] de sa demande de dommages-intérêts,

à titre principal,

– requalifier la prise d’acte de la rupture du contrat de travail en un licenciement nul,

– fixer sa créance au passif du redressement judiciaire de la société [I] aux sommes suivantes :

* 18 577,84 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

* 18 577,84 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral distinct,

* 969,53 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,

* 2 322,23 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 2 322,23 euros au titre des congés payés afférents,

– ordonner la remise des documents de fin de contrat sous astreinte de 100 euros par jour de retard,

à titre subsidiaire,

– requalifier la prise d’acte de la rupture du contrat de travail en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– fixer sa créance au passif du redressement judiciaire de la société [I] aux sommes suivantes :

* 18 577,84 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

* 18 577,84 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral distinct,

* 969,53 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,

* 2 322,23 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 2 322,23 euros au titre des congés payés afférents,

– ordonner la remise des documents de fin de contrat sous astreinte de 100 euros par jour de retard,

en tout état de cause,

– fixer sa créance au passif du redressement judiciaire de la société [I] aux sommes suivantes :

* 1 332,69 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de congés payés,

* 634,20 euros bruts à titre de rappel d’heures supplémentaires,

* 115,13 euros à titre de rappel de salaire pour travail du 1er mai 2019,

– fixer sa créance de Monsieur [R] au passif du redressement judiciaire de la société [I] :

* à titre principal à la somme de 1 278,09 euros à titre de rappel de salaires pour mise en activité partielle injustifiée,

* à titre subsidiaire à la somme de 397,82 euros au titre des erreurs dans le calcul de l’indemnisation au titre de l’activité partielle,

– ordonner à la société [I] la remise de l’attestation Pôle Emploi modifiée,

– condamner la société [I] à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile (2 500 euros infirmé en première instance et 2 500 euros pour les frais irrépétibles engagés en cause d’appel,

– condamner la société [I] aux entiers dépens, lesquels comprendront, outre le droit de plaidoirie d’un montant de 13 euros, l’intégralité des éventuels frais de signification et d’exécution de l’arrêt que pourrait avoir à engager M. [R] et, subsidiairement, statuer ce que de droit sur les dépens,

– dire que les intérêts courront à compter de la saisine du conseil de prud’hommes,

– ordonner la capitalisation des intérêts sur le fondement de l’article 1343-2 du code

civil,

– débouter la société [I] de l’ensemble de ses demandes reconventionnelles formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– dire le jugement à intervenir opposables à l’AGS,

– fixer au passif du redressement judiciaire de la société [I] les condamnations prononcées par le Conseil de prud’hommes, sauf à déduire les sommes déjà payées par la société [I],

– dire les créances dues à M. [R] en exécution de l’arrêt à intervenir garanties par l’AGS, à l’exception de celles relatives à l’article 700 du code de procédure civile qui seront supportées par la société [I],

infiniment subsidiairement, sur le sort réservé aux demandes de M. [R] dans l’hypothèse où, par impossible, la cour ne devait pas fixer les créances dues à M. [R] au passif du redressement judiciaire de la société [I] en raison du plan de continuation adopté par le tribunal de commerce de Chaton-sur-Saône par jugement du 15 décembre 2022 au profit de la société [I], il y aurait lieu de condamner la société [I] à l’ensemble des demandes formées par M. [R].

Aux termes de ses dernières écritures du 7 février 2023, la société [I] demande de :

– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a dit n’y avoir lieu à requalifier la prise d’acte de la rupture du contrat de travail en licenciement nul ni en licenciement sans cause réelle et sérieuse et débouté le salarié de l’ensemble de ses demandes,

– juger que la cour n’est pas saisie des demandes de M. [R] concernant le harcèlement moral et la discrimination,

– réformer le jugement déféré en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de dommages-intérêts,

– déclarer irrecevable les conclusions notifiées par l’appelant en réponse à l’appel incident,

– condamner M. [R] au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en raison des pressions exercées sur les salariés de la société [I], qui ont pour effet de nuire aux intérêts de celle-ci et de perturber son bon fonctionnement,

– réformer le jugement déféré en ce qu’il l’a déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens,

– condamner M. [R] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en raison du caractère abusif et injustifié de la procédure engagée à son encontre ainsi qu’aux dépens.

Aux termes de ses dernières écritures du 6 février 2023, l’UNEDIC délégation AGS- CGEA de [Localité 6] demande de :

– confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

à titre principal,

– constater qu’un plan de redressement a été adopté par jugement du tribunal de Commerce du 15 décembre 2022,

– constater que la société [I] ne se trouve plus en procédure de redressement judiciaire,

– constater que la société [I] n’a pas fait l’objet d’une liquidation judiciaire,

– juger que la procédure de redressement judiciaire « de la société LA CASINCA » a pris fin avec l’adoption du plan de redressement,

– prononcer la mise hors de cause de l’UNEDIC AGS, aucune procédure collective n’étant en cours,

à titre subsidiaire,

– constater que la société [I] a été placée en redressement judiciaire le 1er juillet 2021,

– constater qu’aucune liquidation judiciaire n’a été prononcée,

– juger que l’AGS-CGEA ne fera l’avance des éventuelles sommes accordées au demandeur, qu’en l’absence de fonds disponibles entre les mains du mandataire judiciaire,

à titre infiniment subsidiaire,

– constater que la lettre de M. [R] ne peut s’analyser que comme une démission,

– constater que M. [R] a entièrement été rempli de ses droits,

– constater la carence de M. [R] dans l’administration de la preuve,

– le débouter de l’ensemble de ses demandes,

subsidiairement, minorer notoirement les dommages-intérêts sollicités,

en tout état de cause,

– juger qu’en aucun cas l’AGS-CGEA ne saurait intervenir en garantie de sommes sollicitées au titre d’astreintes et des articles 695 et 700 du code de procédure civile,

– prononcer en tout état de cause que la garantie AGS ne peut aller au-delà des limites prévues par les articles L 3253-8 et suivants du code du travail,

– juger que la garantie de l’AGS n’aura vocation à intervenir que dans les limites légales de sa garantie, toutes créances avancées pour le compte du salarié et incluant les cotisations et contributions sociales et salariales d’origine légale, ou d’origine conventionnelle imposée par la loi,

à titre infiniment très subsidiaire et en tout état de cause,

– donner acte à l’AGS de ce qu’elle ne prendrait éventuellement en charge :

* que les salaires et accessoires, dans le cadre des dispositions des articles L.625-3 et suivants du code de commerce, uniquement dans la limite des articles L.3253-8 et suivants du code du travail,

* que les créances directement nées de l’exécution du contrat de travail et ne prendrait donc en charge, notamment, ni les dommages-intérêts pour résistance injustifiée ou pour frais irrépétibles, ni les astreintes, ni les sommes attribuées au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– juger que l’AGS ne devra procéder à l’avance des créances visées aux articles L.3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et les conditions résultant des dispositions des articles L.3253-17 et L.3253-19 du code du travail,

– juger à ce titre que l’obligation de l’AGS-CGEA de [Localité 6] de faire l’avance de la somme à laquelle serait évalué le montant des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s’exécuter que sur présentation d’un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l’absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement,

– statuer ce que de droit sur les dépens.

Pour l’exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I – Sur la qualification de la prise d’acte :

La prise d’acte par le salarié en raison de faits qu’il reproche à son employeur entraîne la rupture immédiate du contrat de travail et produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués sont suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail, ou d’une démission dans le cas contraire.

La charge de la preuve incombe au salarié.

M. [R] soutient que sa prise d’acte de la rupture du contrat de travail est motivée par des manquements graves commis par l’employeur, à savoir :

– un comportement discriminatoire,

– un harcèlement moral,

– la non restitution de son titre professionnel,

– le non paiement d’heures supplémentaires,

– la non remise de bulletins de salaire conformes,

– la non remise des feuilles de route,

– une mise en congés d’office.

a – Sur la discrimination :

Il résulte des dispositions de l’article L.1132-1 du code du travail qu’aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d’autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français.

En application de l’article L. 1134-1du code du travail, lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments dans leur ensemble laissent supposer l’existence d’une telle discrimination et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Ces dispositions sont applicables à la période d’essai.

En l’espèce, M. [R] indique que M. [I] tenait régulièrement des propos racistes à son encontre et que la discrimination dont il a fait l’objet s’est traduite par le fait qu’il a été subitement placé en chômage partiel par un simple SMS alors que les autres salariés de l’entreprise faisaient des heures supplémentaires (Mme [LC] et Mme [D]), et lorsque tous les salariés ont été réintégrés, seuls M. [Z] et lui-même ont été maintenus en chômage partiel, ce qui caractériserait selon lui une mise à l’écart.

Au titre des éléments qu’il lui incombe d’apporter, il produit :

– une attestation de M. [X] [L], salarié, indiquant « j’ai été témoin à plusieurs reprises d’insultes, humiliations et propos racistes de la direction envers leurs salariés, clients, autres (personnels soignats, etc…) Sur leur origines, orientation sexuelle et autres […] » (pièce n° 15)

– une attestation de Mme [P], salariée démissionnaire en 2019, indiquant en parlant de M. [B] [I] que « lors d’une altercation que j’ai eue avec lui concernant le retard de paiement des heures supplémentaires non payées depuis plus de trois mois que je lui ai réclamé, (…) s’est mis en colère et a tenu des propos racistes à l’encontre d’un des employés d’origine nord-africaine en me disant je le site « vous n’allez pas commencer à me faire chier, il y a assez de l’autre bougnouls » (pièce n° 21),

– une attestation de Mme [LC] (pièce n° 39),

– un SMS de M. [T] indiquant que « les [I] (père et mère) ont bien divulgué en ma présence des paroles à caractère raciale ou insultantes suivants de quelle personnes ils visaient en tant que salarié ou ex-salarié de l’entreprise, et même pour des clients qu’ont transportaient, je ne me gênerait pas de leur rappeler à l’audience!! A plus » (pièce n° 72),

– un courrier électronique de Mme [TU] du 17 novembre 2020 indiquant que « [AR] [I] m’a appelé mercredi 11 novembre 2020 pour me demander de lui faire une attestation cerfa mentionnant que je n’avais pas entendu de propos raciste de leur part » (pièce n° 73),

– un SMS du 18 avril 2020 à 18h54 l’informant « demain, chômage partiel pour une durée indéterminée », auquel le salarié répond « OK » puis demande « juste une question, pour quelle raison’ » (pièce n° 35),

– les bulletins de paye de Mme [LC] des mois de juin, juillet et août 2020 faisant apparaître le paiement d’heures supplémentaires (pièce n° 31),

– un SMS du 16 juin 2020 relatif à une course pour la CPAM indiquant « pas AYOUB, pas AKIM » (pièce n° 23),

– une photographie du tableau des congés d’été dans lequel lui-même et M. [K] ne figurent pas (pièce n° 24),

– une plainte déposée contre MM. [B] et [US] [I] le 14 octobre 2020 pour discrimination et harcèlement moral (pièce n° 32),

– une sommation de communiquer les bordereaux relatifs au chômage partiel ainsi que les bulletins de paie de mars 2020 à octobre 2020 (pièces n° 56 et 57).

Néanmoins, la cour relève en premier lieu que le SMS de M. [T] et le courrier électronique de Mme [TU] produits en pièces n° 72 et 73 ne sont accompagnés d’aucune pièce d’identité de sorte qu’il ne peut être déterminé si ces messages sont authentiques. Ils ne seront donc pas pris en compte.

De même, la photographie du tableau des congés d’été, dont l’origine et l’authenticité ne sont aucunement établis, ainsi que le SMS du 16 juin 2020 ne présument pas d’un quelconque traitement différencié, pas plus que la sommation de communiquer.

Par ailleurs, si les attestations de M. [X] [L] et de Mme [P] évoquent de façon imprécise (pas de date, nature des propos non rapportée) la tenue de propos racistes au sein de l’entreprise par certains des gérants, il n’est aucunement question de M. [R] qui n’est pas cité.

Enfin, si le SMS lui annonçant son placement en chômage est laconique, il est dépourvu de toute mention laissant supposer qu’il résulte d’une quelconque discrimination et le fait que Mme [LC] ait été rémunérée d’heures supplémentaires entre juin et août 2020, soit deux mois plus tard et pour des heures effectuées à une date non précisée, ne permet pas de supposer que le chômage partiel dont il a lui-même fait l’objet est discriminatoire, ce d’autant que celle-ci évoque dans son attestation avoir été placée en situation de chômage partiel dès le 16 mars 2020 (pièce n° 39).

En outre, à l’instar de sa plainte qui se fonde uniquement sur ses propres déclarations et interprétations, le salarié procède également par voie d’affirmation s’agissant de Mme [D] et M. [Z].

Au surplus, la cour relève que dans sa lettre du 15 mai 2020 par laquelle il conteste l’avertissement qui lui a été notifié, il fait déjà état du fait qu’il considère que son placement en chômage partiel « en raison de la baisse de l’activité de l’entreprise » est injustifié sans pour autant formuler la moindre observation sur le fait que cette mesure serait discriminatoire (pièce n° 4).

En conséquence, les éléments de fait présentés par M. [R] constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, pris dans leur ensemble, ne laissent pas supposer l’existence d’une telle discrimination, de sorte que le grief n’est pas fondé, sans qu’il soit besoin d’examiner les éléments apportés par l’employeur pour prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

b – Sur le harcèlement moral :

Il résulte des dispositions de l’article L.1152-1 du code du travail qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L’article L.1154-1 précise à sa suite qu’en cas de litige relatif à l’application notamment de l’article L.1152-1 précité, le salarié présente des éléments de fait qui permettent de laisser supposer l’existence d’un harcèlement.

Ainsi lorsque le salarié présente des faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral et dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l’espèce, M. [R] soutient avoir fait l’objet d’agissements de la part de sa hiérarchie relevant du harcèlement moral ayant eu pour effet la dégradation de ses conditions de travail et de sa santé.

Il indique à cet égard :

– avoir été mis à l’écart du fait de son chômage partiel injustifié et de sa non prise en compte dans le cadre de l’organisation des congés payés,

– avoir fait l’objet d’une sanction injustifiée le 17 avril 2020 et d’un comportement injurieux de la part d’un des co-gérants, M. [US] [I], lequel a jeté une bombe de désinfectant à travers le garage et frappé de rage dans les portes,

– avoir subi un comportement humiliant et irrespectueux,

– avoir subi une rétention injustifiée de sa carte professionnelle,

– avoir été ignoré par son employeur qui a refusé de répondre à ses tentatives de « discuter », y compris en réaction à sa prise d’acte,

et ajoute qu’il a beaucoup souffert de cette situation, à l’instar des autres salariés, et ces faits ont altéré sa santé physique et mentale.

Au titre des éléments qu’il lui incombe d’apporter, il produit :

– une lettre d’avertissement du 17 avril 2020 pour non respect des règles d’hygiène (pièce n° 3) et sa lettre de contestation du 15 mai 2020 évoquant plusieurs des griefs qui figureront ensuite dans sa prise d’acte (incident du 16 avril 2020, chômage partiel jugé injustifié, rétention de sa carte professionnelle (pièce n° 4),

– une lettre du 17 juillet 2020 adressée à son employeur (copie à l’inspection du travail) dénonçant les injures, violences et humiliations dont il ferait l’objet, ainsi que les autres salariés, et son placement en chômage partiel qu’il considère comme discriminatoire (pièce n° 5),

– une lettre de l’inspection du travail du 30 juillet 2020 demandant à la société [I] de justifier de plusieurs éléments relatifs à la situation de M. [R] (pièce n° 6),

– une lettre de son avocat du 26 août 2020 adressée à l’employeur réitérant les griefs formulés précédemment (pièce n° 7),

– la lettre de prise d’acte de la rupture du contrat de travail (pièce n° 8) et relance (pièce n° 10),

– une lettre de l’employeur du 21 septembre 2020 lui indiquant qu’il doit se rapprocher du service comptabilité pour obtenir ses documents de fin de contrat et ajoutant qu’il doit restituer le matériel et les effets mis à sa disposition (pièces n° 10, 11bis) et sa réponse (pièce n° 11),

– une lettre du 8 octobre 2020 contestant le solde de tout compte (pièce n° 14),

– plusieurs attestations de salariés et anciens salariés évoquant :

 » des crises de colère disproportionnées, crises d’hystérie lorsque je cherche à savoir pourquoi le salaire n’est pas versé », « balance des objets lors des colères » (M. [K] – pièce n° 16),

« l’ambiance patronale n’était pas saine vis à vis des employés et même entre eux. En effet, dès monj deuxième jour de travail, des propos injurieux m’était adressés dfe temps à autre ainsi qu’aux autres employés », « à cause de leur mauvaise foi, leurs mensonges, leur attitude cynique, caractériel qui vous obligeait d’aller au travail le matin « la boule au ventre » même si par contre l’ambiance entre chauffeur était super » (M. [T] – pièce n° 17)

« à la suite d’une altercation très virulente, avec un autre collègue, qui était menacé de licenciement, Monsieur [I] [B] est entré en furie dans la salle de pause et a déclaré que si ma collègue présente et moi n’étions pas contentes que cela serait pareil pour nous et que l’on n’avaient juste qu’à lui obéir  » (Mme [U] – pièce n° 18),

« je ne dépenserai pas un copec pour ta gueule » suite à ma demande de rupture conventionnelle », « manque de respect à l’encontre de mes collègues : « cette bande de cons, ils peuvent prendre la porte, elle est grande ouverte », « colères hystériques de la part de Monsieur [I] [B] lorsque les chauffeurs ne suivaient pas l’itinéraire entré dans le P.D.A », « obligation pour les chauffeurs de laver les véhicules avec des lingettes, chiffons et brosse à dents alors qu’une station de lavage est à disposition », (Mme [S] – pièce n° 19),

« il pouvait être agressif lorsqu’on lui tenait tête de la à terroriser le personnel jusqu’à le faire pleurer. Il oblige le lavage à sec de tous les véhicules refusant qu’on utilise de l’eau et oblige le personnel à nettoyer les enjoliveurs à la brosse à dent », « il règne dans cette société une terreur instauré par son dirigeant qui m’a incité à démissionner de mon poste » (Mme [P] – pièce n° 20),

« Ma hiérarchie me faisait que des reproches. Un jur Mr [I] me dit « viens au bureau à midi signer ton contrat pour que je te vire car le matin même je me suis trompé pour aller chercher un patient », « j’ai quand même signé mon contrat car j’étais dazns la terreur », « c’est avec des employés comme toi qu’on coule une boite », « il m’a raccroché au nez en me disant ferme ta gueule. J’ai passé des mois et des mois dans la terreur et dans les pleurs en engendrant une perte de poids et en perdant le sommeil » (Mme [M] – pièce n° 21),

– « ce que j’ai vécu chez eux m’a amener à faire un burn out et au travail et parental. Tout a commencé par les réflexions chaque soir avant de terminer ma journée où Mr [I] aimait à dire « c’est bon tu peux rentrer chez ta mère », « nous étions sans cesse surveillés » (Mme [A] – pièce n° 22)

– une convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes concernant M. [K] et une ordonnance de clôture concernant M. [T], ce qui selon lui démontre la réalité des problèmes existants dans cette société (pièces n° 58 et 59),

– une attestation de M. [F], client, indiquant « reconnait avoir eu M. [R] [H] comme chauffeur pour me transporter de l’Hopital [11] a mon domicile courant 1er trimestre 2020. Je reconnais que sa conduite n’était pas rassurante alors j’en ai fait part à Mr [I] qui s’est précipité pour me dire : Celui-la on cherche à tout prix a le virer mais on n’y arrive pas », « ils ont insisté lourdement pour que je fasse une attestation’ (pièce n° 65), et une seconde indiquant qu’il a été traité de façon incorrecte par Mme [I] (pièce n° 66),

– une attestation de M. [Y] indiquant « j’ai accompagné Mme [ED] [J] […] au siège de sa société pour qu’elle puisse récupérer ses papiers de solde de tout compte comme son employeur lui demandait. […] j’ai pu observer que le début de la conversation, se passait bien, jusqu’à l’instant où Mme [ED] a voulu récupérer ses papiers sans les signer, à ce moment-là, Monsieur [I] a eu des grands gestes et à bousculer Mme [ED] pour qu’elle sorte du bureau. Mme [ED] lui a alors dit de vive voix ces mots que j’ai pu entendre « ne me touchez pas c’est interdit » (pièce n° 67)

– un reçu signé par lui et contresigné par l’employeur indiquant avoir récupéré sa carte professionnelle en présence de la gendarmerie le 25 mai 2020 (pièce n° 28),

– plusieurs lettre restées, selon lui, sans réponse jusqu’au 17 septembre 2020 (15 mai, 17 et 30 juillet, 26 août 2020 – pièces n° 4, 5, 6 et 7) outre sa prise d’acte du 9 septembre 2020. (pièce n° 8), caractérisant selon lui une absence totale de considération de la société pour son salarié,

– deux attestations de son épouse et de ses filles décrivant l’évolution de son état psychologique et l’impact « irrémédiable » sur eux-mêmes (pièces n° 29 et 30).

Néanmoins, étant rappelé qu’il ressort des développements qui précèdent que le grief fondé sur la discrimination dont il aurait fait l’objet en étant « mis à l’écart » n’est pas établi, la cour relève en premier lieu que dans les 73 pièces produites par le salarié, aucune pièce de nature médicale ne corrobore l’affirmation d’une dégradation de son état de santé.

A cet égard, si les attestations de son épouse et de ses filles soulignent le retentissement du harcèlement allégué sur sa santé et leur propre situation, les liens familiaux qui unissent les témoins et le salarié ne permettent pas de s’assurer de l’authenticité et de l’objectivité des propos que ces derniers tiennent et des constatations qu’ils rapportent.

En outre, si les nombreuses autres attestations de salariés, anciens salariés et clients dénoncent un climat tendu, voire anxiogène, au travail du fait du comportement inapproprié de M. [E], les témoins ne font qu’évoquer leur propre situation, leur propre ressenti, leur propre vécu, sans jamais citer M. [R] ni évoquer la situation de celui-ci, ce qui n’est pas de nature à laisser présumer l’existence du harcèlement dont celui-ci se prévaut.

De plus, s’il ressort des éléments produit qu’un contentieux a opposé le salarié et son employeur au sujet de sa carte professionnelle, ce manquement de l’employeur ne présume pas un quelconque harcèlement, pas plus que le fait que le premier a adressé au second 4 lettres entre le 15 mai et le 26 août 2020 sans recevoir de réponse, le délai restant limité (mois de trois mois) et certaines de ces lettres n’appelaient pas de réponse.

Enfin, étant rappelé que l’exercice de son pouvoir disciplinaire par l’employeur ne suffit pas à laisser présumer d’un harcèlement, il ressort de l’avertissement du 17 avril 2020 que celui-ci est motivé par une cause étrangère à tout harcèlement (manquement aux règles d’hygiène) et l’incident du 16 avril 2020 évoqué par M. [R] au titre de sa prise d’acte n’est corroboré par aucun élément autre que les propres déclarations du salarié lui-même.

Dans ces conditions, peu important que d’autres salariés soient en conflit prud’homal avec l’employeur, les éléments de fait présentés par le salarié, pris dans leur ensemble, ne permettent pas de laisser présumer l’existence d’un harcèlement sans qu’il soit nécessaire d’examiner les éléments apportés par l’employeur pour prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

c – Sur les autres griefs figurant dans la prise d’acte :

M. [R] soutient à titre subsidiaire, si la cour ne retenait pas l’existence d’une discrimination et d’un harcèlement moral, que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail reste « pleinement justifiée » sollicite sa requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Nonobstant le fait qu’il ne prenne pas la peine de préciser sur quels fondements il sollicite cette requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour relève qu’il ressort de la lettre de prise d’acte du 9 septembre 2020 (pièce n° 8) plusieurs autres griefs formulés comme suit :

– « le refus de me restituer sans motif et afin de me porter préjudice mon titre professionnel et personnel malgré mes demandes répétées,

– le non paiement d’heures supplémentaires,

– le refus de me remettre des feuilles de route obligatoires signées depuis le 23 février 2020 malgré mes demande répétées,

– la non remise de mes bulletins de salaire conformes (erreurs répétées),

– ma mise en congés payés du 03 août 2020 au 23 août 2020 sans information ou consultation préalable, découverte à la lecture de mon bulletin de paie d’août 2020. Etant précise qu’étant mis en chôme partiel je suis resté à la disposition de la société [I] durant tout le mois d’août 2020 et donc pas parti en vacances. Qu’au surplus je n’ai jamais été informé de cette mise en congés payés pour 20 jours imposés et non conforme aux prescriptions légales (vous pouviez m’imposer que 6 jours ouvrables de congés payés) ».

Il appartient donc à la cour de les examiner afin de déterminer si les faits invoqués sont suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail et ainsi justifier que la prise d’acte produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il convient en premier lieu de considérer que le refus d’un employeur de restituer la carte professionnelle du salarié, le refus de lui remettre des feuilles de route signées et la présence d’erreurs sur les bulletins de paye délivrés ne caractérisent pas des manquements suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail.

S’agissant des congés payés imposés du 3 au 23 août 2020 :

En application de l’article L3141-13 du code du travail, la période de congés payés est fixée par les conventions collectives ou accords collectifs de travail. Elle comprend dans tous les cas la période du 1er mai au 31 octobre de chaque année. A défaut de convention ou accord collectif de travail, cette période est fixée par l’employeur en se référant aux usages et après consultation des délégués du personnel et du comité d’entreprise.

Les dispositions de l’article L3141-16 du code du travail, lesquelles disposent que sauf en cas de circonstances exceptionnelles, l’ordre et les dates de départ fixés par l’employeur ne peuvent être modifiés dans le délai d’un mois avant la date prévue du départ, n’autorisent pas l’employeur à imposer au salarié des congés payés sans aucune consultation et de façon anticipée.

Toute régularisation a posteriori ne fait pas disparaître le manquement.

En l’espèce, M. [R] produit son bulletin de salaire d’août 2020 sur lequel figure la mention qu’il a été placé en congés payés pendant 17 jours du 3 au 23 août 2020 (pièce n° 2), décision dont il dit n’avoir pas été informé ni avoir donné son accord.

En réponse, la société [I] justifie d’une demande de congés du salarié datée du 17 février 2020 et signée par lui aux dates considérée (pièce n° 68).

Nonobstant l’absence de signature du salarié établissant qu’il a eu connaissance de l’accord de son employeur, lacune dont le salarié ne se prévaut pas, il ne saurait arguer, au titre de la prise d’acte, de congés payés imposés alors qu’il en avait fait la demande.

Il s’en déduit que le grief n’est pas fondé.

S’agissant du non paiement d’heures supplémentaires :

Aux termes de l’article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l’article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l’employeur tient à la disposition de l’inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

M. [R] soutient à cet égard qu’un certain nombre d’heures supplémentaires n’ont pas été rémunérées qu’il fixe ainsi :

« semaine 9 – 24/02 au 01/03 : 42h15 soit +7h 15,

semaine 10 – 02 au 08/03 : 41h45 soit + 6h45,

semaine 12 – 16 au 22/03 : 40h16 soit + 5h16,

semaine 14 – 30/03 au 05/04 : 42h46 soit + 7h46,

semaine 15 – 06 au 12/04 : 40h20 soit + 5h20,

semaine 16 – 13 au 19/04 : 39h34 soit + 5h34 »

soit un total de 34h56 heures supplémentaires au taux horaire majoré à 25% (18,12 euros), soit un manque à gagner de 634,20 euros.

A l’appui de sa demande, il produit ses feuilles de route du 24 février au 29 mars 2020, ce qui ne couvre toutefois pas l’intégralité de la période considérée (24 février au 19 avril 2020 – pièce n° 34).

La cour considère néanmoins que ces éléments sont suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

La société [I] oppose qu’en calculant son temps de travail par rapport à l’amplitude horaire, M. [R] omet de déduire les temps de pause (une heure par jour soit 5 heures hebdomadaires) et ajoute que chaque fois qu’il a effectué des heures supplémentaires, elles lui ont été payées ainsi qu’il résulte de ses bulletins de salaires sur la période considérée et sur les périodes antérieures.

Néanmoins, peu important que les parties s’opposent sur les conditions de mise en oeuvre, par l’employeur, de l’accord du 16 juin 2016 étendu par arrêté du 19 juillet 2018 relatif à la durée et à l’organisation du travail dans les activités de transport sanitaire, la cour relève qu’il ressort des écritures des parties et des feuilles de route produites que le décompte allégué par le salarié est basé uniquement sur l’amplitude horaire, de sorte qu’il est par définition erroné en ce que ne sont pas déduits du temps de travail effectif les temps de pause.

Au surplus, le bulletin de paye du mois d’avril 2019 porte mention du paiement de 16,65 heures supplémentaires au taux majoré de 25% et 1,80 au taux majoré de 50%, soit 18h45 heures.

Il s’en déduit d’une part que sa demande de rappel de salaire à ce titre n’est pas justifiée, et sera en conséquence rejetée par confirmation du jugement déféré, et d’autre part que le grief du non paiement des heures supplémentaires allégués au titre de la requalification de sa prise d’acte n’est pas fondé.

En conséquence des développements qui précèdent, la prise d’acte par le salarié de la rupture de son contrat de travail produit les effets d’une démission et il en résulte que M. [R] n’est pas fondé à réclamer le paiement des conséquences indemnitaires afférentes à un licenciement nul, ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse, lesquelles seront rejetées (dommages-intérêts, indemnité légale de licenciement et indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents), le jugement déféré étant confirmé sur ce point.

Il en sera de même de la demande à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral distinct, que la cour considère comme fondée sur le harcèlement et la discrimination allégués, le salarié ne consacrant dans le corps de ses conclusions aucun développement de nature à justifier du bien fondé de sa demande, du montant demandé ou encore du préjudice prétendument subi.

II – Sur les autres demandes :

a – Sur le rappel de salaire au titre des congés payés de 2019 :

M. [R] soutient qu’une journée de congés lui a été décomptée à tort en juin 2019 (3 jours au lieu de 2), et sollicite en conséquence la somme de 74,04 euros à titre de rappel de salaire.

L’employeur oppose qu’il s’agit d’une période de congés pris au mois de mai 2019 figurant sur le mois de juin 2019 et qu’il a été décompté 3 jours du vendredi 24 mai inclus au lundi 27 mai inclus.

Néanmoins, l’employeur, sur qui pèse la charge de la preuve du décompte régulier des congés payés pris par le salarié, ne produit aucun élément établissant que M. [R] a effectivement posé des congés du 24 au 27 mai 2019, justifiant ainsi le décompte effectué.

En conséquence, la demande sera accueillie, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.

b – Sur le rappel de salaire au titre du 1er mai 2019 :

M. [R] soutient avoir travaillé le 1er mai 2019 sans percevoir la rémunération doublée qu’il aurait dû percevoir. Sur la base d’un taux horaire de base de 11,5131 euros et de 10 heures de travail, il sollicite la somme de 115,13 euros à titre de rappel de salaire.

La société [I] oppose que l’affirmation du salarié est inexacte et qu’il a été payé des heures supplémentaires réalisées à cette occasion.

Néanmoins, s’il ressort du bulletin de paye correspondant que M. [R] aurait perçu en mai 2019 des majorations et indemnité au titre du jour férié travaillé (90,03 euros et 28,66 euros), une telle mention sur un bulletin de paye ne suffit pas à démontrer le paiement effectif de cette somme, ce que le salarié conteste et que l’employeur ne contredit par aucun élément.

Il s’en déduit que la demande de rappel de salaire à ce titre est fondée et il sera alloué à M. [R] la somme de 115,13 euros, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.

c – Sur le rappel de salaire au titre de la mise en activité partielle injustifiée :

Considérant qu’il a été placé en chômage partiel de façon injustifiée, et qu’il a subi une perte de salaire, il sollicite la somme de 1 278,09 euros bruts à titre de rappel de salaire correspondant à la différence entre la moyenne des salaires d’avril 2019 à mars 2020 (2 309,40 euros) par rapport à la moyenne des salaires pour la période d’avril à août 2020 (1 031,31 euros).

La société [I] oppose que le recours à l’activité partielle a été effectué en conformité avec la réglementation applicable telle que fixée par le décret n° 2020-325 du 25 mars 2020, et de l’ordonnance n° 2020-346 du 27 mars 2020, et a été autorisé par l’administration, de sorte que la demande est infondée.

Néanmoins, il ressort des développements qui précèdent que le placement de M. [R] en chômage partiel ne résulte aucunement d’une quelconque discrimination.

En outre, l’employeur justifie d’une part du fait que lors de la crise sanitaire, l’activité de taxi a connu une très forte baisse au contraire de l’activité de transport sanitaire mais que M. [R] ne disposait pas des formations obligatoires et nécessaires à la conduite des véhicules sanitaires légers (pièces n° 1, 2 et 3) et qu’il a été le dernier chauffeur de taxi placé en activité partielle (pièce n° 67, page 2).

Il s’en déduit, par confirmation du jugement déféré que son placement en activité partielle à partir du 20 avril 2020 jusqu’au 3 août 2020, puis du 24 août 2020 au 6 septembre 2020, au motif d’une baisse temporaire d’activité en lien avec l’état d’urgence sanitaire est justifié, de sorte qu’en conformité avec le décret n° 2020-325 du 25 mars 2020 et l’ordonnance n° 2020-346 du 27 mars 2020, l’activité partielle a été indemnisée à hauteur de 70%.

À titre subsidiaire, le salarié soutient que l’indemnisation de l’activité partielle a pour assiette la rémunération brute servant d’assiette au calcul de l’indemnité de congés payés suivant la règle du maintien de salaire, les primes devant être prises en compte mais que selon lui, la société [I] n’a pas intégré ces primes ce qui a généré un manque à gagner de 397,82 euros.

La société [I] admet que pour calculer l’indemnité d’activité partielle les primes n’ont pas été prises en compte sur la période de mars 2019 à février 2020 « en raison d’un défaut de paramétrage du logiciel de paye » (pièces n° 76, 76-1 et 77) et précise qu’un bulletin de paye rectificatif et un paiement de 178,26 (pièce n° 79) ont été adressés à M. [R] afin de régulariser sa situation. (pièces n° 78 à 81).

Compte tenu des pièces produites, et peu important que l’erreur de calcul soit imputable à l’employeur ou non, celui-ci justifie de la régularisation de l’erreur de calcul commise. Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté la demande à ce titre.

III – Sur la demande de dommages-intérêts de la société [I] :

Considérant que M. [R] :

– exerce des pressions sur ses salariés depuis la saisine du conseil de prud’hommes, pressions qui se sont intensifiées au cours de la procédure et se sont transformées en intimidations, chantage (pièce n° 82) et tentative de subornation de témoins (pièces adverses n° 60 et 61),

– manipule Mme [ED] et M. [O], lesquels ont été placés en arrêt de travail les 25 et 26 mars 2021, ce qui a subitement désorganisé la société et l’a obligée à pallier ces absences dans l’urgence (pièces n° 83 et 84), puis ont – en vain – saisi le conseil de prud’hommes de Chalon-sur-Saône,

– procède par voie d’insultes et de propos orduriers sur les réseaux sociaux à l’encontre de la société [I] et de la famille de M. [I] en marge de la présente instance judiciaire (pièce n° 92),

et que les procédés qu’il a mis en place ont entraîné une carence de personnel (10 départs) sans parvenir à pourvoir les postes vacants, et donc eu pour conséquence de nuire à ses intérêts et de perturber son bon fonctionnement (pièce n° 89), outre une défiance des partenaires bancaires de l’entreprise qui a entraîné sa déclaration de cessation des paiements et l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire (pièces n° 89 et 89-1),

la société [I] sollicite la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Elle soulève également que M. [R] n’a pas conclu en réponse à son appel incident dans le délai de 3 mois de l’article 910 du code de procédure civile, de sorte que les conclusions développées sur ce point sont irrecevables.

Il ressort de la procédure que M. [R], qui avait jusqu’au 25 mars 2022 pour conclure en réponse à l’appel incident de la société [I] sur ce point, n’a conclu que le 1er février 2023, de sorte qu’en application de l’article 910 précité, ses conclusions développées sur ce point sont irrecevables.

Dès lors que l’intimé à un appel incident n’a pas conclu, la cour statue néanmoins sur le fond mais, en vertu de l’article 472 du code de procédure civile, il n’est fait droit au moyens de l’appelant que dans la mesure où ils sont estimés réguliers, recevables et bien fondés, étant observé que l’absence de conclusions de l’intimé vaut adoption par lui des motifs retenus par les premiers juges.

En l’espèce, au-delà du fait que la société [I] procède par voie d’affirmation s’agissant des comportements qu’elle impute à M. [R], et étant rappelé qu’elle ne saurait agir en lieu et place des salariés et autres personnes physiques qu’elle dit être victimes de M. [R], il ne peut y avoir de réparation sans preuve du préjudice subi, l’existence et l’évaluation de celui-ci relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond sur la base des justificatifs produits aux débats.

A cet égard, la société [I] n’apporte aucun élément permettant de justifier de la réalité d’un préjudice, le seul fait qu’elle ait bénéficié d’une procédure de redressement judiciaire en raison de difficultés économiques étant à cet égard insuffisant.

La demande à ce titre sera donc rejetée, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.

IV – Sur la mise hors de cause de l’AGS-CGEA :

Considérant que la société [I], suivant jugement du tribunal de commerce de Chalon-sur-Saône du 1er juillet 2021, a bénéficié d’une procédure de redressement judiciaire puis le 15 décembre 2022 d’un plan de redressement (pièce n° 2), l’AGS-CGEA soutient que sa garantie ne peut intervenir que lorsqu’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est en cours ou qu’une liquidation judiciaire est prononcée, de sorte qu’elle doit être mise hors de cause.

M. [R] oppose qu’il résulte des articles L.622-21, L.622-22, 1.625-3 et L.626-25 du code de commerce que les instances en cours devant la juridiction prud’homale à la date du jugement d’ouverture de la procédure collective ne sont pas suspendues mais sont poursuivies en présence du mandataire judiciaire et de l’administrateur lorsqu’il a une mission d’assistance, ou de commissaire à l’exécution du plan, ou ceux-ci dûment appelés. La procédure ne peut tendre qu’à la fixation du montant des créances qui, en raison de leur origine antérieure au jugement d’ouverture, restent soumises, même après l’adoption du plan de redressement par cession ou continuation, au régime de la procédure collective.

Il soutient donc, à titre principal, que ses demandes découlant de l’exécution et de la rupture de son contrat de travail ne peuvent tendre qu’à une fixation de créances au passif de la société [I] et à titre subsidiaire, à une condamnation de la société [I].

La société [I] ne formule aucune observation à cet égard.

En l’espèce, les créances du salarié afférentes à la rupture du contrat de travail sont antérieures à l’ouverture du redressement judiciaire qui est intervenue le 1er juillet 2021, alors que le contrat a été rompu par notification d’une prise d’acte produisant les effet d’une démission le 9 septembre 2020.

L’AGS-CGEA n’est donc pas fondé à solliciter sa mise hors de cause en se prévalant de ce que la société [I] est redevenue in bonis suite au jugement ayant homologué le plan de redressement par continuation.

Les créances dues au salarié en exécution du contrat de travail et au titre de la rupture de celui-ci antérieurement au jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire restent soumises, même après l’adoption d’un plan de redressement, qu’il soit par cession ou par continuation, au régime de la procédure collective et doivent donc être fixées au passif de ladite procédure.

Ainsi, les créances de rappel de salaire et congés payés afférents nées antérieurement à la procédure collective doivent faire l’objet d’une fixation, étant rappelé qu’en tout état de cause l’AGS-CGEA ne fera l’avance des sommes allouées au salarié qu’en l’absence totale de fonds disponibles entre les mains du mandataire judiciaire.

Il n’y a par ailleurs pas lieu de rappeler les limites de la garantie de l’AGS qui sont déterminées par la loi et notamment les articles L. 3253-8 à L. 3253-13, L. 3253-17, R. 3253-5 et L. 3253-19 à L. 3253-23 du code du travail.

De même, le CGEA-AGS de [Localité 6] étant partie à la procédure, la demande de M. [R] de déclarer que la décision à intervenir lui est opposable est sans objet.

V – Sur les demandes accessoires :

– Sur la remise d’une attestation Pôle Emploi modifiée :

Dès lors qu’une somme de 74,04 euros est allouée au salarié à titre de rappel de salaire au titre des congés payés de 2019, la société [I] sera condamnée à lui remettre une attestation Pôle Emploi rectifiée, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.

– Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Le jugement déféré sera infirmé sur ces points.

M. [R] sera condamné à payer à la société [I] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La demande de M. [R] au titre de l’article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

M. [R] succombant pour l’essentiel, il supportera les dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement rendu le 3 juin 2021 par le conseil de prud’hommes de Chalon-sur-Saône sauf en ce qu’il a :

– rejeté les demandes de M. [G] [R] à titre de :

– rappel de salaire au titre des congés payés de 2019,

– rappel de salaire au titre du 1er mai 2019,

– remise d’une attestation Pôle Emploi rectifiée,

– rejeté la demande de la société [I] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau, et y ajoutant,

FIXE au passif du redressement judiciaire par continuation d’activité de la société [I] la créance suivante de M. [G] [R] :

– 74,04 euros à titre de rappel de salaire au titre des congés payés de 2019, – 115,13 euros à titre de rappel de salaire pour le 1er mai 2019,

CONDAMNE la société [I] à remettre à M. [G] [R] une attestation Pôle Emploi rectifiée,

RAPPELLE que la présente décision est nécessairement opposable à l’AGS CGEA de [Localité 6],

REJETTE les autres demandes de l’AGS CGEA de [Localité 6],

REJETTE la demande de M. [G] [R] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. [G] [R] aux dépens de première instance et d’appel.

Le greffier Le président

Frédérique FLORENTIN Olivier MANSION

 


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