COUR D’APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE – SECTION A
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ARRÊT DU : 25 JANVIER 2023
PRUD’HOMMES
N° RG 19/04492 – N° Portalis DBVJ-V-B7D-LF2U
Madame [R] [U] épouse [H]
c/
Association ADMR LA VOIE VERTE
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 08 juillet 2019 (R.G. n°F 18/00180) par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PERIGUEUX, Section Activités Diverses, suivant déclaration d’appel du 05 août 2019,
APPELANTE :
Madame [R] [U] épouse [H]
née le 13 Avril 1971 à [Localité 3] de nationalité Française demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Frédérique POHU PANIER, avocat au barreau de PERIGUEUX
INTIMÉE :
Association ADMR La Voie Verte, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 1]
représentée par Me Frédéric COIFFE, avocat au barreau de PERIGUEUX
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 28 novembre 2022 en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente
Madame Sylvie Tronche, conseillère
Madame Bénédicte Lamarque, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Evelyne Gombaud,
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
***
EXPOSE DU LITIGE
Madame [R] [U], née en 1971, a été engagée en qualité d’agent de bureau administratif par l’Association ADMR La voie verte, par contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel à compter du 27 septembre 2011.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale de la branche de l’aide, de l’accompagnement des soins et des services à domicile du 21 mai 2010.
Le montant de la rémunération mensuelle est discuté.
En 2013, Mme [U] a été sanctionnée de deux avertissements.
Mme [U] a été placée en arrêt maladie une première fois en décembre 2014 puis à compter du 2 avril 2015 sans discontinuité.
Par courrier du 11 mai 2015, Mme [U] épouse [H] a dénoncé auprès de l’employeur et de l’inspection du travail un harcèlement moral.
Le 22 septembre 2016, Mme [U] a saisi le conseil de prud’hommes aux fins de voir reconnaître les faits de harcèlement commis à son encontre et de solliciter la résiliation judiciaire de contrat de travail. Elle sollicitait également d’être rétablie dans ses droits, notamment en termes de classification.
Le 1er décembre 2016, Mme [U] épouse [H] a été déclarée inapte à tout poste dans l’Association par avis du médecin du travail.
Par lettre datée du 13 décembre 2016,Mme [U] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 21 décembre 2016.
Mme [U] a ensuite été licenciée pour inaptitude par lettre datée du 26 décembre 2016.
A la date du licenciement, l’association occupait à titre habituel plus de dix salariés.
Demandant sa reclassification, réclamant la résiliation judiciaire de son contrat de travail et diverses indemnités et contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, outre des dommages et intérêts pour harcèlement moral, des rappels de salaires pour heures supplémentaires et des rappels de salaires, Mme [U] a saisi le 21 novembre 2018, selon réinscription au rôle après radiation, le conseil de prud’hommes de Périgueux qui, par jugement rendu le 8 juillet 2019, a :
– débouté Mme [U] de l’ensemble de ses demandes,
– a condamné Mme [U] aux dépens.
Par déclaration du 5 août 2019, Mme [U] a relevé appel de cette décision, notifiée le 8 juillet 2019.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 16 avril 2020, Mme [U] demande à la cour de :
– réformer le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
– dire que son poste correspond à celui de secrétaire en vertu de la convention collective applicable,
– ordonner sa reclassification au statut catégorie C (secrétaire) de la convention collective,
– condamner l’Association ADMR La voie verte à lui régler les sommes suivantes :
* 5.661, 42 euros bruts au titre des rappels de salaire du 1er septembre 2013 au 31 décembre 2016,
* 566, 14 euros bruts au titre des congés payés afférents,
* 1.734, 40 euros bruts au titre du rappel d’heures complémentaires et supplémentaires juin à août 2014 (128 heures),
* 173,44 euros bruts au titre des congés payés afférents,
* 5.000 euros au titre des dommages et intérêts pour non tenue des EPI,
– dire qu’elle a été victime de faits constitutifs de harcèlement moral,
– condamner l’Association ADMR La voie verte à lui régler la somme de 16.250 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
A titre principal,
– ordonner la résiliation judiciaire du contrat de travail la liant à l’Association ADMR La voie verte en raison du harcèlement moral subi,
– dire que la résiliation produit les effets d’un licenciement nul,
A titre subsidiaire,
– dire que son licenciement pour inaptitude est dû au comportement fautif de l’employeur et qu’il est par conséquent dépourvu de cause réelle et sérieuse,
En tous les cas,
– condamner l’Association ADMR La voie verte à lui régler les sommes suivantes:
* 8.200 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement nul ou subsidiairement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
* au titre du solde d’indemnité de licenciement :
. 198,03 euros à titre principal,
. 69,88 euros à titre subsidiaire,
. 4.058,01 euros bruts au titre du préavis (3 mois)
. 405,80 euros bruts au titre des congés payés sur préavis
– ordonner la remise sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir d’une attestation Pôle Emploi, d’un certificat de travail et solde de tout compte rectifiés,
– condamner l’Association ADMR La voie verte à lui régler la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– dire que toutes les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter de la demande en justice avec capitalisation des intérêts,
– condamner l’Association ADMR La voie verte aux entiers dépens en ce compris les frais éventuels d’exécution.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 24 janvier 2020, l’Association ADMR La voie verte demande à la cour de’:
– dire:
* qu’il convient de confirmer dans l’ensemble de ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Périgueux,
* qu’il convient par conséquent de débouter Mme [U] de ses demandes :
. en paiement d’un rappel de salaire au titre de la réévaluation de sa classification professionnelle,
. en paiement d’un rappel de salaire pour heures supplémentaires,
. en reconnaissance d’un harcèlement moral et de sa demande indemnitaire afférente,
. en résiliation judiciaire de son contrat de travail produisant les effets d’un licenciement nul ou de sa demande subsidiaire en reconnaissance d’un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, ainsi que de sa demande indemnitaire afférente,
. en paiement d’un rappel au titre de l’indemnité de licenciement,
. en paiement d’une indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents,
* qu’il convient de débouter Mme [U] de l’ensemble de ses autres demandes,
* qu’il convient de condamner Mme [U] au paiement de la somme de 1.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ,
* qu’il convient de condamner Mme [U] aux entiers dépens et frais d’exécution éventuels,
A titre subsidiaire,
* qu’il convient de plafonner le montant du rappel de salaire au titre de la classification revendiquée par Mme [U] épouse [H] à la somme de 4.985,09 euros bruts, somme à majorer des congés payés y afférents.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 27 octobre 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 28 novembre 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ainsi qu’à la décision déférée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La demande de reclassification
Mme [U] fait valoir qu’au regard de la convention collective et des fonctions effectivement exercées, son poste relevait du statut de secrétaire catégorie C et non d’agent de bureau catégorie A. Pour l’essentiel, elle fait valoir qu’elle était titulaire d’une licence en langues étrangères et avait une expérience de 14 années en qualité de secrétaire et qu’ elle réalisait les plannings.
L’association répond que Mme [U] établissait les plannings sur la base des directives de son responsable de secteur et photocopiait ou transmettait des documents tels que des enquêtes de satisfaction ou des factures.
Le salarié qui réclame une classification plus haute de son poste, doit établir qu’il réalisait effectivement des fonctions relevant du niveau revendiqué.
Les diplômes et expériences de Mme [U] sont inopérants dès lors qu’ils ne sont pas déterminants au regard des exigences posées par la convention collective.
Le contrat de travail de Mme [U] mentionne un poste d’agent de bureau, catégorie A, niveau1, Mme [U] ayant en charge « le secrétariat, la bureautique télégestion, la tenue du standart, l’aide à la gestion du personnel de terrain ».
La fiche de poste précise notamment que Mme [U] réceptionne et traite les demandes et réclamations physiques et téléphoniques des clients, organise les interventions chez les bénéficiaires dans le respect de la législation du travail et de la modulation du temps de travail s’agissant des plannings, des congés et du remplacement des salariés en arrêt maladie. Elle devait aussi participer à des réunions et prendre en charge les relations avec les services de la fédération ADMR de la Dordogne et les bénévoles.
La partie intimée n’établit pas que Mme [U] n’effectuait pas ces tâches.
Une note de cadrage sur les règles légales et conventionnelles de planification des horaires de travail des salariés lui a été transmise (durée maximale de l’amplitude de travail, du temps de travail hebdomadaire, mensuel et journalier, roulement du travail les dimanches et jours fériés, congés…). Cette note était destinée à une salariée chargée d’élaborer les plannings des intervenants.
Aux termes de sa lettre à l’employeur, datée du 11 mai 2015, Mme [U] énumére certaines de ses tâches telles que la gestion des plannings dans le respect de la modulation du temps de travail des salariés, le travail de secrétariat et le suivi administratif. Elle évoque précisément les modalités de réalisation voire du changement (en cas d’absence d’intervenant) des plannings et le contrôle du temps de travail des salariés par le badgeage.
Lui répondant, l’employeur n’a pas contesté ces missions.
Les extraits de la main-courante interne rédigés par Mme [U] indiquent qu’elle rédigeait des plannings voire » le contrat de travail à durée déterminée d’Angélique », et gérait les congés, durées de temps de travail et arrêts de travail.
Des salariés se sont plaints de leur planning élaborés par Mme [U] ( pièce 39). Sa responsabilité était donc recherchée au delà du simple suivi des plannings.
Par lettre datée du mois de mai 2012, le directeur de l’ADMR interrogeait Mme [U] sur la gestion du remplacement d’une intervenante.
L’avertissement notifié le 21 mai 2013 est motivé par la mauvaise gestion du planning suite à la plainte de la fille d’une bénéficiaire.
Mme [U] organisait donc elle-même les plannings et gérait les absences et les congés des intervenants dans le respect de dispositions impératives spécifiques, peu important les directives générales du responsable de secteur et l’utilisation d’un logiciel après saisie des données d’interventions.
Les missions de cette dernière excédaient les tâches de l’agente de bureau affectée à la seule exécution de tâches de classement, de reprographie et la tenue d’un standard telles que mentionnées dans la convention collective.
Les fonctions réellement exercées par Mme [U] correspondaient au poste d’une secrétaire et la demande de l’appelante d’une reclassification en catégorie C sera accueillie. Le jugement sera infirmé de ce chef.
Au titre des rappels de salaire à compter du 22 septembre 2013, Mme [U] qui travaillait 28 heures pas semaine, demande l’application des coefficients 307( 1/9/2013-30 /6/ 2014), 307 (1/7/2014- 31/8/2014), 311 (1/9/2014- 1/9/2015), 313 ( 1/9/2015 – 31/8/2016) et 316 (1/9/2016 – 31/8/2017).
L’intimée répond que le rappel de salaire ne peut excéder la somme de 4 995,09 euros compte tenu de l’application du coefficient 296 depuis l’embauche juqu’au terme de la première année, du coefficient 304 au titre de la 2ème année et du coefficient 307 pour la 3ème année, 311 pour la suivante et 313 pour la 5ème année. Elle oppose aussi les périodes d’arrêts de travail non professionnels, le maintien du salaire à hauteur de 90% et le temps partiel.
Sauf à considérer que la première année ne relève d’aucun coefficient, ceux ci sont applicables depuis le début de la relation de travail et non à l’issue d’une année. Par ailleurs, les calculs présentés par Mme [U] prennent en compte tant la durée hebdomadaire du travail, que les périodes de suspension du contrat de travail et les salaires perçus. L’ employeur sera condamné à payer à Mme [U] les sommes de 5 661,42 euros et 566,14 euros au titre des rappels de salaire et de congés payés afférents sur la période du 1er septembre 2013 au 31 décembre 2016.
Les heures supplémentaires
Mme [U] fait valoir qu’elle effectuait des heures complémentaires puis supplémentaires dont certaines ont été récupérées, que mesdames [S] et [P] quittant leur travail à 16h30, elle partait après 17 heures pour terminer les tâches de ses deux collègues, que la plateforme téléphonique qu’elle mettait en route a été installée en décembre 2014 ou janvier 2015 et que l’ employeur ne lui a demandé de ne plus faire d’heures supplémentaires qu’en août 2014 au vu d’un relevé d’heures supplémentaires cumulées de 214 heures.
L’association fait état de ce que la charge de travail de Mme [U] ne nécessitait pas de travailler au-delà des horaires prévus et qu’elle n’avait pas autorisé les heures complémentaires, qu’il n’aurait pas été permis à ses deux collègues de quitter le bureau en laissant du travail et qu’un répondeur et une plateforme fonctionnaient à compter de 17 heures.
Aux termes de l’ article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’ employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.
Le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Si la preuve des horaires effectués n’incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l’employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’ employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Mme [U] demande paiement d’heures de travail réalisées au cours des mois de juin à août 2014, date à laquelle l’employeur a interdit la réalisation d’heures complémentaires.
L’association reconnaît que Mme [U] a récupéré des heures effectuées au delà des horaires contractuels de sorte qu’elle ne peut valablement arguer ne les avoir pas autorisées implicitement avant sa note d’ août 2014.
Mme [U] verse :
-un calendrier de l’année 2014 indiquant le nombre d’heures travaillées au delà de 17 h ou avant 9 h, le samedi voire le dimanche au cours de la période de référence,
– le carnet de la main- courante interne dont les passages de consignes de Mme [U] , notamment datés des samedi 28 juin, dimanche 29 juin, samedi 5 juillet, dimanche 6 juillet. Certaines pages mentionnent l’heure de fin de travail de Mme [U] ( samedi 16 août de 14h à 20 h, 19 h le lundi 11 août , 21 h le vendredi 1er août….), voire la tâche effectuée; il ne peut être reproché à la salariée de n’avoir pas inscrit tous ses horaires de travail sur la main- courante dont ce n’était pas l’utilité;
Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur de produire les horaires effectivement réalisés, ce dernier ne pouvant se retrancher derrière une prétendue insuffisance professionnelle de sa salariée, la facilité affichée d’utilisation du logiciel Philea ou l’absence de difficultés rencontrées par mesdames [S] et [P].
L’association ne produit aucun élément établissant les horaires réalisés par l’appelante dont il n’est pas contesté qu’elle avait accès à son bureau sans limite au cours de la période considérée.
Compte-tenu de ces éléments et sans qu’il soit nécessaire de recourir à une mesure d’instruction, la cour a la conviction que l’association est débitrice d’ un rappel de salaire à hauteur de 1 734,40 euros majorés des congés payés afférents (173,44 euros).
Les entretiens professionnels individuels
Au visa de l’ article 6 du chapitre 1, titre XI de la convention collective, Mme [U] reproche à l’ employeur de n’avoir pas organisé d’entretien professionnel au cours de la relation salariée et qui lui aurait permis d’évoquer ses difficultés notamment relationelles.
Elle entend souligner que ces absences pour arrêt de travail pour maladie n’empéchaient pas d’en organiser et qu’aucun salarié de l’entreprise n’en a bénéficié.
L’association répond que la convention collective intégre les entretiens individuels professionnels annuels dans la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences qui n’est obligatoire que dans les entreprises ou associations de plus de 300 salariés, qu’elle n’emploie qu’environ 100 personnes, que Mme [U] a été absente du 4 décembre 2014 au 25 janvier 2015 puis à compter du 2 avril 2015 sans discontinuité, que Mme [U] aurait pû évoquer un prétendu harcèlement moral auprès des représentants du personnel.
Aux termes de l’article 6 sus visé, chaque salarié bénéficie tous les deux ans d’un entretien professionnel avec son employeur ou son représentant. Cet entretien a notamment pour objet d’échanger sur les perspectives d’évolution professionnelle, notamment en termes de qualification et de formation et sur les difficultés rencontrées par le salarié.
La convention collective n’exclut pas les entreprises employant moins de 300 salariés; cependant, la date d’effet de la loi relative aux entretiens professionnels prenant effet le 7 mars 2014, l’entretien devait avoir lieu au plus tard le 6 mars 2016. Mme [U] ayant été placée en arrêt de travail sans discontinuité à compter du 2 avril 2015 jusqu’à la rupture de son contrat de travail, l’ employeur ne pouvait être tenu de la convoquer à un entretien.
Mme [U] sera déboutée de ce chef.
Le harcèlement moral
Mme [U] fait valoir qu’elle a été victime d’une différence de traitement par rapport à sa collègue Mme [P], de reproches incessants et injustifiés, de dénigrement et d’humiliation et que l’employeur n’a jamais répondu à ses demandes d’entretien. Ces circonstances seraient à l’origine de l’altération de son état de santé, des arrêts de travail et de son inaptitude.
L’association répond que Mme [U] connaissait des difficultés relationnelles avec les intervenants et ses collègues; qu’elle est intervenue de manière déplacée à l’égard de Mme [K] au sujet de sa consommation d’alcool ; que Mme [P] a été sanctionnée elle aussi à la suite d’une erreur de planning, que Mme [U] a été entendue, n’a jamais saisi les représentants du personnel ou le conseil d’administration, qu’en réalité, Mme [U] présentait une insuffisance professionnelle qu’elle tentait de couvrir, qu’enfin, cette dernière était suivie pour des épisodes dépressifs bien avant son embauche.
L’ employeur, tenu à une obligation de sécurité, doit assurer la protection et la santé des travailleurs dans l’entreprise et notamment prévenir les faits de harcèlement moral.
Dès lors que les faits sont avérés, la responsabilité de l’employeur est engagée, ce dernier devant répondre des agissements des personnes qui exercent de droit ou de fait une autorité sur les salariés.
Aux termes de l’ article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Aux termes de l’article L. 1154-1 du code du travail dans sa rédaction ici applicable – Mme [U] n’alléguant pas d’agissements postérieurs à la suspension de son contrat de travail en avril 2015- en cas de litige, si le salarié présente des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement, au vu ce ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’ un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Au soutien de la différence de traitement, Mme [U] fait valoir que sa charge de travail était supérieure à celle de sa collègue Mme [P], que l’employeur était plus exigeant avec elle, la contraignant à terminer ses plannings avant de partir en congés et la sanctionnant lorsque cette dernière ne l’était pas pour les même faits.
Elle verse les pièces 14 , 21 et 41.
Aux termes de la première datée du 26 août 2014, l’employeur rappelle à Mme [U] ses horaires de travail et lui enjoint de ne pas venir travailler le week end ou un jour férié. Le rédacteur ajoute que tous les courriers à destination des bénéficiaires ou des salariés doivent être validés avant d’être transmis.
La cour constate que Mme [P] n’effectuait pas d’heures supplémentaires et qu’aucune circonstance n’établit que cette dernière n’était pas soumise à la même validation de ses courriers.
Les pièces 21 et 41 sont le calendrier de l’année 2014 et la transmission de plannings par la salariée à ses collègues sus examinés dans le cadre de la demande en paiement d’ heures supplémentaires.
Mme [U] dit aussi que ses deux demandes à être reçue par le président de l’association n’ont pas éte suivies d’effet. Elle produit un mail daté du 29 mai 2013 sollicitant un rendez- vous avec M. [T] aux fins de discuter de son poste.
La partie intimée dit être intervenue lors des faits intéressant Mme [K], mais ils étaient sans lien avec l’organisation du poste de Mme [U]. Elle produit un extrait du procès – verbal de réunion du conseil d’administration du 4 septembre 2015 aux termes duquel, en dépit d’un essai de répartition des tâches administratives entre mesdames [P] et [U] et de la lettre cotée 14 sus visée, des dysfonctionnements subsistent qui ne sont pas » forcéménent de la mauvaise volonté mais très vraissembablement un manque de communication et de cadrage ». Entendu dans le cadre de l’enquête consécutive à la dénonciation de harcèlement moral par la salariée, M. [N], vice – président, dira avoir reçu Mme [U] en septembre 2014 au sujet de ses horaires et de la nécessité d’établir les plannings avant son départ en congé le 19 mars 2015 et que ces plannings avaient dus être repris. Il ajoute avoir parlé le 1er avril 2015 avec la salariée perturbée par les reproches de sa responsable et le courrier de Mme [K]. La trésorière, Mme [W], témoigne de ce que le président est intervenu plusieurs fois pour calmer les tensions.
De ces éléments, il résulte que le poste de Mme [U] , et la répartition de la charge de travail avec sa collègue Mme [P], ont été étudiés et organisés de sorte que la salariée ne peut valablement arguer de l’absence de réponse de l’employeur à sa demande d’examiner sa charge de travail. De la même manière, l’employeur a tenu compte des dissensions existantes entre Mme [U] et Mme [P].
Le mail coté 49 de Mme [U], daté du 15 décembre 2014, est inopérant dès lors que cette dernière remercie M. [T] de son message et qu’aucun lien ne peut être établi avec la demande du 29 mai 2013.
Mme [U] fait état de reproches injustifiés mais les pièces 31 , 37 et 40 , dont deux sont rédigées par la salariée, ne corroborent pas cette allégation.
Le message de la fille d’un bénéficiaire qui aurait mentionné à tort le prénom de Mme [U] n’établit pas que Mme [S] aurait, à dessein, mal renseigné la rédactrice pour décrédibiliser l’appelante.
Aucune pièce n’est produite pour établir que les mêmes erreurs commises par mesdames [P] et [U] n’auraient pas été sanctionnées de la même manière ou que Mme [S] aurait isolé celle-ci.
Mme [U] ne peut pas non plus reprocher à l’employeur d’avoir considéré qu’elle avait dépassé les limites de ses compétences et de ses missions en interrogeant une collègue, Mme [K], sur sa consommation d’alcool.
Les termes du message adressé par Mme [K] à Mme [U] au sujet d’un planning, « j’ai un planning de merde, merci [R] » bien qu’inélégants, doivent être considérés au regard des relations difficiles entretenues par les deux collègues dont l’une s’était vue interrogée sur sa consommation d’alcool par l’autre de manière tout à fait déplacée et humiliante. Aucune pièce n’établit en tout état de cause, que les salariés se permettaient des écarts de langage à l’endroit de Mme [U].
Mme [U] reproche à l’employeur de ne l’avoir pas entendue dans le cadre de l’enquête diligentée à la suite de la lettre adressée par celle-ci à l’inspection du travail le 11 mai 2015.
La lettre de Mme [U] relative à un harcèlement moral à l’association et à l’inspecteur du travail est datée du 11 mai 2015. Les auditions ont été réalisées entre le 27 mai et le 22 juin 2015 alors que Mme [U] était placée en arrêt de travail depuis le 2 avril 2015 jusqu’à son licenciement. Il ne peut être reproché à l employeur d’avoir reporté deux rendez- vous avec sa salariée en arrêt de travail, étant précisé d’une part, qu’aucune opposition de cette dernière aux deux lettres de l’employeur n’est même alléguée et d’autre part, que l’état de santé de Mme [U] a nécessité son hospitalisation pendant deux mois et demi.
Mme [U] a été placée en arrêt de travail en décembre 2014 et à compter du 2 avril 2015. Quatre avis d’arrêt de travail mentionnent une décompensation dépressive en relation avec les conditions de travail. En adressant sa patiente à un confrère de la clinique de [Localité 4], le médecin traitant de Mme [U] évoque un « syndrome anxio dépressif … burn out lié à des problèmes au niveau de son activité professionnelle ». Le praticien relate les propos de sa patiente sans faire état d’élément établissant le lien entre les conditions de travail et l’état de santé de cette dernière.
Mme [U] a été reçue par la psychologue du service santé au travail du CHU de Bordeaux. La rédactrice fait état de symptômes de dépression sévère mais aucun lien avec des faits de harcèlement moral n’est mentionné.
Le certificat rédigé par le Dr [G], du centre hospitalier de [Localité 3],indique que Mme [U] est « connue et suivie au CMP de [Localité 3] depuis 2006 pour des troubles dépressifs récurrents. Elle a toujours gardé une activité professionnelle malgré les soins et les hospitalisations. Elle est en arrêt de travail depuis le 2 avril 2015 pour une rechute dépressive en lien avec un vécu de harcèlement au travail » .
À ce sujet, l’association fait état de la fragilité antérieure de Mme [U] mais ce seul point est inopérant dès lors qu’ une personne ayant connu des périodes dépressives peut avoir été victime d’un harcèlement moral.
Mme [U] a reçu des soins à la clinique de [Localité 4] du 6 août au 2 octobre 2015 et a été reconnue travailleur handicapé le 1er septembre 2015 sans qu’il soit établi que ces circonstances aient eu un lien avec les conditions de travail de la salariée au sein de l’association.
L’avis d’inaptitude est ainsi formulé : » inapte à tout poste dans l’entreprise après avis spécialisé ». Il n’apporte pas d’élément utile.
De l’examen de ces pièces, il ne résulte pas que Mme [U] ait été traitée avec plus de sévérité que sa collègue ni qu’elle aurait injustement été sanctionnée, qu’elle aurait été mise à l’égard et humiliée. L’exécution d’ heures supplémentaires dont le paiement est demandé sur la seule période de juin à août 2015 ne caractérise pas un agissement répété ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité, d’altérer la santé physique ou mentale ou de compromettre l’avenir professionnel de la salariée.
Ces différents éléments, pris dans leur ensemble, ne permettent pas de présumer un harcèlement moral.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté Mme [U] de sa demande de paiement de dommages et intérêts de ce chef.
La rupture du contrat de travail
Mme [U] fait valoir que la résiliation de son contrat de travail doit être ordonnée et produire les effets d’un licenciement nul au regard du harcèlement moral dont elle a été victime ou, subsidiairement d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
L’association contestant le harcèlement moral demande à la cour de débouter Mme [U] de ses demandes.
La demande tendant au prononcé de la résiliation du contrat de travail est antérieure au licenciement.. Il revient à la cour d’examiner la première demande et si elle est inondée, la validité du licenciement.
À titre principal, la cour n’ayant pas retenu l’existence d’un harcèlement moral, la demande de Mme [U] sera rejetée.
À titre subsidiaire, Mme [U] fait valoir que l’ employeur a méconnu son obligation de sécurité en ne mettant pas en place une organisation et des moyens adaptés. Elle dit avoir travaillé dans des conditions pénibles, étant isolée et prise à partie par mesdames [S] et [P], sans que l’employeur n’intervienne en dépit de ses demandes d’explication. Cette situation serait à l’origine de la dégradation de son état de santé et de son inaptitude.
Il a été retenu que l’employeur a pris la mesure des tensions et de la répartition des tâches dévolues à mesdames [P] et [U] et recherché le modalités d’un exercice partagé. La mise à l’écart et humiliations alléguées ne sont pas avérées. Il n’est pas établi non plus que les décisions prises par l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de direction auraient été injustifiées.
Il ne peut être retenu que les conditions d’exercice de ses fonctions par l’appelante se sont dégradées par le seul effet de la réalisation d’ heures supplémentaires sur la période des mois de juin, juillet et août 2014.
Aucun lien n’est enfin avéré entre les arrêts de travail puis l’inaptitude motivant le licenciement et l’attitude de l’ association.
Mme [U] sera déboutée de sa demande tendant à dire son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, aucun autre motif de contestation du licenciement lui même n’étant allégué.
Les demandes pécuniaires
Mme [U] sollicite le paiement d’une indemnité compensatrice de préavis doublée par l’effet de l’ article L.5213-9 du code du travail et de sa qualité de travailleur handicapé.
L’association oppose l’absence du bénéfice d’une indemnité compensatrice de préavis en cas de licenciement pour inaptitude.
La cour retiendra qu’ à défaut de lien établi entre l’inaptitude médicale de Mme [U] et l’attitude de l’employeur, aucune indemnité compensatrice de préavis n’est due et Mme [U] sera déboutée de se demande.
Mme [U] demande ensuite le paiement d’un solde d’ indemnité de licenciement sur la base du salaire correspondant à la classification de ses fonctions à la catégorie C de la convention collective ordonnée supra. La cour fera droit à sa demande de considération prise d’une ancienneté réduite des périodes d’arrêt de travail. L’association sera condamnée à payer à l’appelante la somme de 198,03 euros représentant la différence entre la somme due à hauteur de 946,87 euros et celle versée de 748,84 euros.
L’association devra délivrer à Mme [U] le certificat de travail et l’attestation Pôle Emploi conformes au présent arrêt dans le délai d’un mois à compter de sa signification, le prononcé d’une astreinte n’étant pas nécessaire.
Il n’y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil en application desquelles les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l’article 1343-2.
Vu l’équité, l’ association sera condamnée à payer à Mme [U] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Partie perdante, l’association supportera les dépens des procédures de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a débouté Mme [U] de ses demandes relatives :
– à la reclassification des fonctions de Mme [U],
– aux heures supplémentaires,
– au solde de l’ indemnité de licenciement,
statuant à nouveau de ces chefs,
Condamne l’association ADMR La voie verte à payer à Mme [U] les sommes suivantes :
* 5 661,42 euros et 566,14 euros au titre du rappel de salaire d’un poste de secrétaire catégorie C,
* 1 734,40 euros et 173,44 euros au titre des heures supplémentaires et congés payés afférents;
*198,03 euros au titre de l’ indemnité de licenciement,
Dit n’y avoir lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil en application desquelles les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l’article 1343-2 ;
Ordonne à l’association ADMR La voie verte de délivrer à Mme [U] le certificat de travail et l’attestation Pôle Emploi conformes à l’arrêt dans le délai d’un mois à compter de la signification de l’arrêt ;
Condamne l’association ADMR La voie verte à payer à Mme [U] la somme de
2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne l’association ADMR La voie verte aux entiers dépens des procédures de première instance et d’appel et les éventuels frais d’exécution.
Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard
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