Droit du logiciel : 23 mars 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/02348

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Droit du logiciel : 23 mars 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/02348

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

11e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 23 MARS 2023

N° RG 21/02348

N° Portalis : DBV3-V-B7F-UUZM

AFFAIRE :

[I] [N]

C/

Société SECURITAS FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 juin 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

Section : AD

N° RG : F19/01287

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Mounir BOURHABA

Me Fabrice HONGRE-BOYELDIEU de l’ASSOCIATION AVOCALYS

Expédition numérique délivrée à : POLE EMPLOI

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT TROIS MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [I] [N]

né le 01 Janvier 1958 à [Localité 5] (MAROC)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Mounir BOURHABA, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2580 ; substitué à l’audience par Me Paul GUILLOTTE, avocat au barreau de PARIS

APPELANT

****************

S.A.R.L SECURITAS FRANCE

N° SIRET : 304 497 852

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Fabrice HONGRE-BOYELDIEU de l’ASSOCIATION AVOCALYS, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 620 – Représentant : Me Marie THUBERT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 6 février 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Thierry CABALE, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Madame Régine CAPRA, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Marine MOURET,

Greffier en pré-affectation lors du prononcé : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI

Monsieur [N] a été engagé par la société Securitas France par contrat de travail à durée déterminée à compter du 28 juin 2001 en qualité d’agent de surveillance à temps plein, puis un contrat de travail durée indéterminée a été conclu le 30 aout 2001 avec reprise d’ancienneté depuis le 28 juin 2001. Il exerçait en dernier lieu les fonctions d’agent de sécurité incendie.

Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité.

Monsieur [N] a été placé en arrêt de travail du 6 aout 2018 au 19 septembre 2018.

Par lettre du 19 septembre 2018, la société Securitas France a convoqué le salarié à un entretien préalable qui s’est tenu le 1er octobre 2018 et qui a été suivi de son licenciement pour faute grave par lettre du 11 octobre 2018.

Par requête reçue au greffe le 2 octobre 2019, Monsieur [N] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt afin d’obtenir la requalification de son licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle ni sérieuse, et le versement de diverses sommes.

Par jugement du 29 juin 2021, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt a :

– jugé que le licenciement de Monsieur [I] [N] reposait sur une faute grave ;

en conséquence,

– rejeté l’ensemble des fins et demandes de Monsieur [I] [N] ;

– rejeté toutes les demandes des parties plus amples ou contraires ;

– rejeté les demandes des parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– laissé à chacune des parties la charge de ses dépens.

Par déclaration au greffe du 19 juillet 2021, Monsieur [N] a interjeté appel de ce jugement.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 10 octobre 2021 auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, Monsieur [N] demande à la cour de :

– le dire et juger recevable et bien fondé en son appel ;

infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

statuant à nouveau,

– dire et juger que son licenciement s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– fixer le salaire mensuel brut à 2169 euros ;

en conséquence,

à titre principal,

– condamner la société Securitas à lui verser les sommes suivantes :

13 014 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du non-respect par l’employeur de son obligation de sécurité de résultat ;

1106,24 euros à titre de rappels de salaires sur la mise à pied conservatoire ;

110,62 euros au titre des congés payés afférents ;

4338 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

433,80 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférents ;

10 483,50 euros à titre d’indemnité légale de licenciement ;

52 056 euros au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse (24 mois de salaire) ;

à titre subsidiaire,

– condamner la société Securitas à lui verser les sommes suivantes :

13 014 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du non-respect par l’employeur de son obligation de sécurité de résultat ;

1106,24 euros à titre de rappels de salaires sur la mise à pied conservatoire ;

110,62 euros au titre des congés payés afférents ;

4338 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

433,80 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférents ;

10 483,50 euros à titre d’indemnité légale de licenciement ;

30 366 euros au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse (14 mois de salaire) ;

en tout état de cause,

– condamner la société Securitas à verser la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Securitas aux entiers dépens de l’instance ;

– assortir la décision des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 6 janvier 2022 auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, la société Securitas demande à la cour de :

– déclarer Monsieur [I] [N] mal fondé en son appel ;

en conséquence,

confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

– dit et jugé que le licenciement notifié à Monsieur [I] [N] est fondé et repose sur une faute grave ;

– dit et jugé que la société Securitas n’a commis aucun manquement à son obligation de sécurité ;

– débouté Monsieur [I] [N] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions formées à son encontre, notamment celles tendant à la voir condamnée à lui payer :

13 014 euros titre de dommages et intérêts en raison du non-respect de l’obligation de sécurité de résultat ;

1106,24 euros à titre de rappel de salaire sur la mise à pied à titre conservatoire et 110,62 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférents ;

4338 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 433,80 euros à titre de congés payés afférents ;

10 483,50 euros à titre d’indemnité légale de licenciement ;

52 056 euros à titre principal à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

30 366 euros à titre subsidiaire à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

au surplus,

– débouter Monsieur [I] [N] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

– dire n’y avoir lieu à application des intérêts au taux légal en vigueur à compter de la saisine du conseil de prud’hommes ;

– condamner Monsieur [I] [N] à lui payer la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 12 décembre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le licenciement :

Il résulte de l’article L.1235-1 du code du travail qu’en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, et que si un doute subsiste, il profite au salarié.

L’article L 1235-2 du même code prévoit notamment que la lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l’employeur, fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs du licenciement. Les griefs doivent être suffisamment précis, objectifs et matériellement vérifiables.

La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et implique son éviction immédiate.

L’employeur qui fonde le licenciement sur une faute grave commise par le salarié doit en justifier.

La lettre de licenciement énonce à titre de motif du licenciement :

« Le 27 juillet 2018, vers 19h00, alors que vous étiez en poste depuis 13h00 le jour même et alors que vous terminiez votre service à 19h00 sur le site de notre client « OPUS 12» à la Défense, vous avez eu une altercation physique avec l’un de vos collègues, Monsieur [H] [I].

Alors que votre relève était en retard, vous avez, peu après son arrivée, souhaité effectuer vous-même votre fin de service informatique sur notre outil GUARDEO VISION avec votre code personnel.

Selon vos propos, Monsieur [H], qui venait de prendre son poste de chef d’équipe, vous a refusé l’accès immédiat au GUARDEO VISION, comme le permet sa fonction de chef

d’équipe. Il vous a également indiqué qu’il effectuerait votre fin de service lui-même.

Une altercation verbale a alors éclaté, suite à quoi vous vous êtes battus sur votre poste de travail avec Monsieur [H].

Aussi, au regard des éléments que nous avons en notre possession, votre comportement est contraire au :

. Règlement intérieur de notre Société qui prévoit sans son Chapitre B – Discipline :

« Le personnel est tenu de se conformer aux instructions qui lui sont données par son responsable hiérarchique ainsi qu’aux consignes et prescriptions portées à sa connaissance par voie de notes de service ou d’affichage, sous réserve que celles-ci respectent les lois et règlements en vigueur (‘)

Tout acte de nature à troubler le bon ordre de la discipline est interdit. Sont, notamment, considérés comme tels et peuvent entraîner des sanctions le fait de :

– se livrer à des actes d’impolitesse, de grossièreté, de brutalité à l’égard de tout membre du personnel de la société ou des clients.

– provoquer ou participer à des rixes »

. Code de la sécurité intérieure qui régit notre profession et prévoit dans son article R. 631-10

– Interdiction de toute violence :

« Sauf dans le cas de légitime défense prévu aux articles 122-5 et 122-6 du code pénal, les acteurs de la sécurité privée ne doivent jamais user de violences, mêmes légères.

. Code de la sécurité intérieure qui dispose dans son article R. 631-7 – Attitude professionnelle:

« En toutes circonstance, les acteurs de la sécurité privée s’interdisent d’agir contrairement à la probité, à l’honneur et à la dignité. Ils font preuve de discernement et d’humanité. Ils agissent avec professionnalisme et veillent à acquérir et à maintenir leurs compétences par toute formation requise ».

. Code de la sécurité intérieure qui stipule dans son article R. 631-5 – Dignité :

« Les acteurs de la sécurité privée s’interdisent, même en dehors de l’exercice de leur profession, tout acte, man’uvre ou comportement de nature à déconsidérer celle-ci »

Les explications recueillies lors de notre entretien n’ont pas permis de modifier notre appréciation des faits.

Votre conduite est inadmissible et est en totale contradiction avec les valeurs de notre entreprise qui sont « Intégrité, Vigilance et Esprit de service ».

Notre métier nécessite une exemplarité et un professionnalisme à toutes épreuves. Notre personnel doit faire preuve de probité en toutes circonstances ce qui n’a pas été votre cas.

Votre comportement fautif est inadmissible et caractérise un manque de conscience professionnelle évident ainsi qu’un désintéressement et un mépris manifeste pour la mission qui vous est confiée. Votre absence de maîtrise de la situation et votre attitude non professionnelle portent gravement atteinte à l’image de marque de notre société et celle de notre client, et est de nature à jeter le discrédit sur l’ensemble du service de sécurité du site.

Compte tenu de la gravité des agissements fautifs qui vous sont reprochés, votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible et justifie le licenciement pour faute grave prononcé à votre encontre. Cette mesure prend donc effet immédiatement et votre solde de tout compte sera arrêté à la date d’envoi de cette lettre.

La mise à pied à titre conservatoire qui vous a été notifiée le 19 septembre 2018 par téléphone suite à votre reprise du travail, et qui vous a été confirmée par courrier AR le 19 septembre 2018, ne vous sera par conséquent pas rémunérée ».

Le salarié fait valoir qu’en raison de sa volonté de se conformer dans le cadre de la fin de son service du 27 juillet 2018, aux règles internes prescrivant la non-divulgation de son code d’accès personnel au logiciel de sécurité de prises et fins de service, il a été victime d’une agression verbale et physique de la part du chef d’équipe qui l’a empêché d’accéder à l’outil informatique en le poussant contre un mur entraînant un choc à la tête puis en lui assénant un coup de poing en profitant de son étourdissement, agressions qui ont eu des conséquences physiques et psychiques, alors que l’employeur, qui ne justifie pas de règles contraires ni du moindre élément permettant de lui imputer la responsabilité de l’altercation et de l’agression, a fait des déclarations dans le sens contraire lors de l’entretien préalable en évoquant la responsabilité de Monsieur [H] qui n’a présenté aucune stigmate à la suite de l’incident.

L’employeur soutient pour sa part que la faute grave du salarié résulte de sa participation active aux faits litigieux telle que cette implication ressort de rapports d’incident du chef de service mis en cause et de deux collègues alors qu’aucun élément n’est de nature à confirmer qu’il avait connaissance de problèmes de comportement de la part de Monsieur [H] qui n’a fait l’objet d’aucune sanction à ce sujet.

Le rapport d’incident daté du 27 juillet 2018 signé par Monsieur [H], qui porte un tampon de réception du 1er août suivant, confirme que l’origine de l’altercation verbale est le refus de ce dernier, motivé par sa volonté d’y procéder lui-même plus tard en raison du fait qu’il exécutait un travail sur le logiciel, de permettre au salarié de tracer informatiquement sa fin de service au moyen de son code confidentiel, quand il est constant que peu avant ces faits une note de service avait interdit au salarié de divulguer ce code strictement confidentiel, l’employeur ne justifiant pas de l’existence d’une exception à ce principe. Le refus du chef de service de permettre au salarié de « faire sa fin de service » est corroboré par Monsieur [L] qui précise dans un rapport d’incident adressé au chef de site qu’à cet instant le salarié avait fini sa vacation à 19 heures. Si ce même employé ajoute : « Alors ils se sont poussés puis ils se sont donnés des coups de poings », aucun élément n’est de nature à confirmer l’existence de violences physiques réciproques sauf l’affirmation de Monsieur [H], qui ne coïncide pas avec la précédente, selon laquelle il aurait « riposté », sans plus de précision, à deux gifles donnée par le salarié, toutes allégations que tend à remettre en cause le fait que ni les personnes présentes lors de l’incident ni un quelconque document de nature médicale n’évoquent chez Monsieur [H] de conséquence physique, ou même psychique, susceptible d’être reliée à une agression physique, contrairement à la situation du salarié objectivée par des pièces médicales dont un certificat médical établi peu après les faits selon lequel il a présenté une plaie de la pommette droite, une tuméfaction occipitale droite et une sensibilité au niveau de la lèvre supérieure entraînant une incapacité totale de travail de plusieurs jours. Ces constatations médicales sont en cohérence avec la présence de sang au-dessous de l »il droit du salarié rapportée par Monsieur [L]. Quant à Madame [O], salariée rédactrice du dernier rapport d’incident, celle-ci se borne à indiquer, s’agissant de l’incident lui-même, « avoir constaté un différent violent et purement verbal, sans en connaître la raison » entre les deux intéressés, et avoir « dû séparer pour les deux agents ».

Au surplus, le salarié produit l’attestation de Monsieur [T] [Y] l’ayant assisté lors de l’entretien préalable du 1er octobre 2018, dont le témoignage n’est utilement remis en cause ni dans sa sincérité ou crédibilité, ni plus généralement dans sa force probante, selon laquelle Monsieur [S], qui représentait l’employeur au cours de cet entretien et dont aucun témoignage n’est produit aux débats en contrepoint, a déclaré durant l’entretien, notamment, qu’il ne doutait pas des paroles du salarié en précisant que Monsieur [H] avait déjà eu des comportements agressifs dans le passé suite à la lecture du dossier du personnel, le représentant de l’employeur ajoutant que Monsieur [H] avait été licencié après avoir reconnu par écrit avoir porté des coups à l’encontre du salarié, restant persuadé que Monsieur [H] était la cause de cet incident.

Or, il est constant que Monsieur [H] a été licencié en raison des mêmes faits survenus le 27 juillet 2018 et que ce dernier n’a présenté aucune trace de coups en lien avec cet événement.

Par ailleurs, le salarié produit aux débats plusieurs témoignages concordants d’anciens collègues de travail sur ses qualités professionnelles, le décrivant comme posé, respectueux, agréable, ne perdant ni son calme ni son sang-froid au cours de vacations communes. Un ancien chef

d’équipe dresse le même portrait d’un salarié très professionnel sachant gérer avec calme et discernement différentes situations.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que le licenciement disciplinaire est sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris est dès lors infirmé sur ce chef.

Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Le salarié invoque l’illégalité des dispositions législatives prévoyant un plafonnement des indemnités sanctionnant un licenciement injustifié. Il sollicite l’allocation d’une indemnité représentant 24 mois de salaire de référence et, à défaut, 14 mois de salaire sur le fondement de l’article L. 1235-3 du code du travail, invoquant notamment son âge au moment du licenciement.

L’employeur réplique qu’en application de ces mêmes dispositions, le salarié ne saurait obtenir aucune indemnité faute de démonstration de son préjudice.

En application de l’article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux fixés par ce texte. Pour déterminer le montant de l’indemnité, le juge peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités de licenciement versées à l’occasion de la rupture, à l’exception de l’indemnité de licenciement mentionnée à l’article L. 1234-9. Cette indemnité est cumulable, le cas échéant, avec les indemnités prévues aux articles L. 1235-12, L. 1235-13 et L. 1235-15, dans la limite des montants maximaux prévus au même article.

Aux termes de l’article L. 1235-3-1 du code du travail, l’article L. 1235-3 de ce code n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes à :
– la violation d’une liberté fondamentale;
– des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L.1152-3 et L. 1153-4 ;
– un licenciement discriminatoire dans les conditions mentionnées aux articles L. 1132-4 et

L.1134-4 ;
– un licenciement consécutif à une action en justice en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les conditions mentionnées à l’article L. 1144-3, ou à une dénonciation de crimes et délits ;
– un licenciement d’un salarié protégé mentionné aux articles L. 2411-1 et L. 2412-1 en raison de l’exercice de son mandat ;
– un licenciement d’un salarié en méconnaissance des protections mentionnées aux articles L. 1225-71 et L. 1226-13.

Les dispositions des articles L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié et qui prévoient que, dans les cas de licenciements nuls dans les situations ci-dessus énumérées, le barème ainsi institué n’est pas applicable, permettent raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi. Le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l’employeur est également assuré par l’application, d’office par le juge, des dispositions précitées de l’article L. 1235-4 du code du travail.

Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT.

Il en résulte que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention précitée.

Par ailleurs, dans la partie I de la Charte sociale européenne, « les Parties reconnaissent comme objectif d’une politique qu’elles poursuivront par tous les moyens utiles, sur les plans national et international, la réalisation de conditions propres à assurer l’exercice effectif des droits et principes» ensuite énumérés, parmi lesquels figure le droit des travailleurs à une protection en cas de licenciement.
Selon l’article 24 de cette même Charte, « en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître :
a) le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service ;
b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.
A cette fin les Parties s’engagent à assurer qu’un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial. »
L’annexe de la Charte sociale européenne précise qu’il « est entendu que l’indemnité ou toute autre réparation appropriée en cas de licenciement sans motif valable doit être déterminée par la législation ou la réglementation nationales, par des conventions collectives ou de toute autre

manière appropriée aux conditions nationales. »

L’article 24 précité figure dans la partie II de la Charte sociale européenne qui indique que « les Parties s’engagent à se considérer comme liées, ainsi que prévu à la partie III, par les obligations résultant des articles et des paragraphes » qu’elle contient.
Dans la Partie III de la Charte, il est indiqué que « chacune des Parties s’engage :
a) à considérer la partie I de la présente Charte comme une déclaration déterminant les objectifs dont elle poursuivra par tous les moyens utiles la réalisation, conformément aux dispositions du paragraphe introductif de ladite partie ;
b) à se considérer comme liée par six au moins des neuf articles suivants de la partie II de la Charte : articles 1, 5, 6, 7, 12, 13, 16, 19 et 20 ;
c) à se considérer comme liée par un nombre supplémentaire d’articles ou de paragraphes numérotés de la partie II de la Charte, qu’elle choisira, pourvu que le nombre total des articles et des paragraphes numérotés qui la lient ne soit pas inférieur à seize articles ou à soixante-trois paragraphes numérotés.»
Il résulte de la loi n° 99-174 du 10 mars 1999, autorisant l’approbation de la Charte sociale européenne, et du décret n° 2000-110 du 4 février 2000 que la France a choisi d’être liée par l’ensemble des articles de la Charte sociale européenne.
L’article I de la partie V de la Charte sociale européenne, consacrée à la « Mise en oeuvre des engagements souscrits » prévoit que « les dispositions pertinentes des articles 1 à 31 de la partie II de la présente Charte sont mises en oeuvre par :
a) la législation ou la réglementation ;
b) des conventions conclues entre employeurs ou organisations d’employeurs et organisations de travailleurs ;
c) une combinaison de ces deux méthodes ;
d) d’autres moyens appropriés. »
Enfin, l’annexe de la Charte sociale européenne mentionne à la Partie III : « Il est entendu que la Charte contient des engagements juridiques de caractère international dont l’application est soumise au seul contrôle visé par la partie IV » qui prévoit un système de rapports périodiques et de réclamations collectives. Sous réserve des cas où est en cause un traité international pour lequel la Cour de justice de l’Union européenne dispose d’une compétence exclusive pour déterminer s’il est d’effet direct, les stipulations d’un traité international, régulièrement introduit dans l’ordre juridique interne conformément à l’article 55 de la Constitution, sont d’effet direct dès lors qu’elles créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir et que, eu égard à l’intention exprimée des parties et à l’économie générale du traité invoqué, ainsi qu’à son contenu et à ses termes, elles n’ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l’intervention d’aucun acte complémentaire pour produire des effets à l’égard des particuliers.
Il résulte des dispositions précitées de la Charte sociale européenne que les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs, poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu’ils prennent des actes complémentaires d’application selon les

modalités rappelées aux paragraphes 13 et 17 du présent arrêt et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique rappelé au paragraphe 18.

Les dispositions de la Charte sociale européenne n’étant donc pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, l’invocation de son article 24 ne peut pas conduire à écarter l’application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, et la décision du Comité européen des droits sociaux publiée le 26 septembre 2022, qui considère que le barème d’indemnités pour licenciement abusif est contraire à cet article 24, ne produisant aucun effet contraignant, il convient d’allouer en conséquence au salarié une indemnité fixée à une somme comprise entre les montants minimaux et maximaux déterminés par ce texte.

En conséquence, l’entreprise employant habituellement au moins onze salariés et le salarié ayant une ancienneté de 17 années complètes, il convient d’allouer à celui-ci, âgé de 60 ans au moment de la rupture, en réparation du caractère injustifié de la perte de son emploi telle que celle-ci résulte, notamment, de ses capacités à retrouver un emploi au vu des éléments fournis, la somme de 26 028 euros nets (12 mois de salaire brut mensuel de référence) à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail.

Le jugement entrepris est encore infirmé de ce chef.

Sur l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents

Le salarié réclame une indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois de salaire outre les congés payés afférents, quand l’employeur soutient que le salarié ne peut y prétendre en raison d’un licenciement pour faute grave.

Au vu des éléments d’appréciation, dont les éléments de calcul, et en application des dispositions des articles L. 1234-1 et L. 1234-5 du code du travail, il sera alloué au salarié la somme de 4338euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 433,80 euros bruts de congés payés afférents.

Le jugement est dès lors infirmé sur ce point.

Sur l’indemnité légale de licenciement :

Le salarié sollicite une indemnité légale de licenciement en retenant une ancienneté de 17 ans quand l’employeur réplique que le salarié n’a pas droit à cette indemnité en raison d’un licenciement pour faute grave.

Au vu des éléments d’appréciation, dont les éléments de calcul, et en application des dispositions des articles L. 1234-9 et R. 1234-1 et suivants du code du travail, le salarié peut prétendre, compte tenu d’une ancienneté au moins égale à celle qu’il revendique, à une indemnité légale de licenciement d’un montant de 10 483,50 euros nets.

Le jugement entrepris est donc infirmé également sur ce chef.

Sur le rappel de salaire 

Le salarié indique avoir été injustement privé de son salaire au cours de la mise à pied conservatoire compte tenu du caractère injustifié du licenciement, alors que l’employeur soutient que la mise à pied conservatoire est justifiée eu égard au licenciement pour faute grave.

Considérant le caractère infondé du licenciement pour faute grave, la mise à pied conservatoire se trouve elle-même dépourvue de tout fondement.

Au vu des éléments d’appréciation, dont les éléments de calcul, l’employeur sera condamné au paiement d’un rappel de salaire d’un montant de 1106,24 euros bruts outre 110,62 euros bruts de congés payés afférents.

Sur l’obligation de sécurité

Le salarié soutient que l’employeur n’a pas respecté l’obligation de sécurité à laquelle il était tenu en application des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail puisqu’il n’a pris aucune mesure face au comportement agressif de Monsieur [H] envers ses collègues permettant ainsi la réalisation de l’agression dont il a été victime et qui lui a valu d’être licencié pour faute grave quand la société était pourtant informée des conséquences physiques et psychiques de l’événement sur sa personne. Il s’appuie sur l’attestation de la personne qui l’a assisté au cours de l’entretien préalable qui reprend les propos alors tenus par le représentant de l’employeur sur les antécédents de Monsieur [H] ainsi que sur des pièces médicales s’agissant des retentissements sur sa santé portés à la connaissance de la société.

La société réplique qu’elle n’avait pas connaissance d’un risque quelconque en lien avec des problèmes de comportement de la part de Monsieur [H] exigeant qu’elle prenne des mesures préventives alors que le salarié a été acteur d’une altercation verbale et physique qui a motivé son licenciement de nature disciplinaire prononcé après que celui-ci ait été immédiatement placé en arrêt de travail.

Selon l’article L. 4121-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017 :

« L ’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1 ;

2° Des actions d’information et de formation ;

3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. »

L’article L. 4121-2 du même code prévoit que :

« L’employeur met en oeuvre les mesures prévues à l’article L.4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L.1152-1 et L.1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l’article L.1142-2-1;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Il ressort de l’attestation de la personne qui a assisté le salarié au cours de l’entretien préalable que l’employeur n’ignorait pas l’existence de comportements agressifs de la part de Monsieur [H].

Or, s’il est constant que Monsieur [H] a été licencié en raison de l’agression survenue le 27 juillet 2018, il n’apparaît pas que l’employeur ait pris une mesure quelconque prévue par les dispositions légales précitées afin de prévenir tout risque à cet égard.

Il est tout autant avéré, au vu des pièces médicales produites par le salarié non utilement remises en cause ni contredites, qu’à la suite de cette agression celui-ci a été placé en arrêt de travail pour accident du travail, et ce, jusqu’au 17 septembre 2018, et a présenté une plaie de la pommette droite, une tuméfaction occipitale droite et une sensibilité au niveau de la lèvre supérieure entraînant une incapacité totale de travail d’une semaine hors conséquences psychologiques, celles-ci ayant été par ailleurs objectivées par un psychologue clinicien, psychothérapeute, qui évoque un stress post traumatique important, le tout porté à la connaissance de l’employeur par ce même psychologue par courrier du 10 août 2018.

En conséquence, le salarié justifie d’un préjudice spécifique découlant du non-respect par l’employeur de son obligation de sécurité qu’il convient de réparer intégralement par l’allocation de dommages et intérêts d’un montant de 1500 euros nets.

Le jugement est également infirmé sur ce chef.

Sur les intérêts au taux légal

Les intérêts au taux légal courront :

– sur les sommes de nature salariale, à compter de la date de présentation de la lettre recommandée de convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation et d’orientation, ou de la première demande en justice qui en a été faite ;

– sur les autres sommes, à compter du présent arrêt.

Sur le remboursement des indemnités de chômage

Par application de l’article L 1235-4 du code du travail, il y a lieu à remboursement par l’employeur des indemnités de chômage versées au salarié, dans la limite de trois mois d’indemnités.

Une copie du présent arrêt sera transmise à Pôle Emploi.

Sur les frais irrépétibles

En équité, il n’y a lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile qu’au profit du salarié auquel la somme de 2000 euros sera allouée de ce chef pour les frais irrépétibles de première instance et d’appel.

Sur les dépens

Les entiers dépens de première instance et d’appel seront mis à la charge de l’employeur, partie succombante pour l’essentiel.

PAR CES MOTIFS:

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement disciplinaire de Monsieur [I] [N].

Condamne la société Securitas France à payer à Monsieur [I] [N] les sommes suivantes:

– 26 028 euros nets à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 4338 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

– 433,80 euros bruts de congés payés afférents,

– 10 483,50 euros nets au titre de l’indemnité légale de licenciement,

– 1106,24 euros bruts de rappel de salaire,

– 110,62 euros bruts de congés payés afférents,

– 1500 euros nets à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité.

Dit que les intérêts au taux légal courront :

– sur les sommes de nature salariale, à compter de la date de présentation de la lettre recommandée de convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation et d’orientation, ou de la première demande en justice qui en a été faite ;

– sur les autres sommes, à compter du présent arrêt.

Ordonne le remboursement par l’employeur des indemnités de chômage versées au salarié, dans la limite de trois mois d’indemnités.

Dit qu’une copie du présent arrêt sera transmise à Pôle Emploi.

Condamne la société Securitas France à payer à Monsieur [I] [N] la somme de 2000euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Déboute les parties pour le surplus.

Condamne la société Securitas France aux entiers dépens de première instance et d’appel.

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Monsieur Thierry CABALE, Président et par Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI, Greffier en pré-affectation, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier en pré-affectation, Le président,

 


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