Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 8
ARRET DU 23 MARS 2023
(n° , 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/08247 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCYNP
Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Novembre 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’EVRY – RG n° 19/00957
APPELANTE
Madame [B] [E]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Bintou DIARRA, avocat au barreau de l’ESSONNE
INTIMÉE
SAS AMBULANCES DEPARTEMENTALES SUD FRANCILIENNES
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Frédéric INGOLD, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s’étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Nathalie FRENOY, Présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Nathalie FRENOY, présidente de chambre
Madame Nicolette GUILLAUME, présidente de chambre
Madame Emmanuelle DEMAZIERE, vice-présidente placée
Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Madame [B] [E] a été engagée par la société Ambulances Départementales Sud Franciliennes par contrat à durée indéterminée du 1er février 2007, en qualité d’ambulancière 1er degré, (emploi référencé A), classification ‘ ouvriers’ de la convention collective des transports routiers et des activités auxiliaires de transport.
Mme [E] a été élue déléguée du personnel le 16 juin 2014.
Elle a bénéficié d’un congé de formation du 14 novembre 2016 au 20 octobre 2017 et d’un congé sans solde du 21 octobre 2017 au 31 janvier 2018.
Le 6 juin 2018, la société Ambulances Départementales Sud Franciliennes l’a convoquée à un entretien préalable fixé au 15 juin suivant et l’a mise à pied à titre conservatoire.
Par courrier du 19 juin 2018, l’autorisation de procéder à son licenciement a été sollicitée de l’Inspection du travail, qui a refusé la demande de la société ADSF.
Le 28 janvier 2019, Mme [E] a été réélue déléguée du personnel.
Le 19 juin 2019, elle a notifié à la société Ambulances Départementales Sud Franciliennes sa démission.
Souhaitant notamment faire requalifier sa démission en prise d’acte produisant les effets d’un licenciement nul, Mme [E] a saisi le 20 décembre 2019 le conseil de prud’hommes d’Evry-Courcouronnes qui, par jugement du 16 novembre 2020, notifié aux parties par lettre du 20 novembre 2020, a :
-condamné la société Ambulances Départementales Sud Franciliennes, prise en la personne de son représentant légal, à lui verser les sommes suivantes :
-3 703,05 euros à titre de rappel de salaire sur mis à pied,
-370,30 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés afférents au préavis,
-dit que ces deux sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 12 janvier 2020,
-1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
-dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de ce jour,
-ordonné l’exécution provisoire sur la totalité du jugement,
-débouté Mme [E] du surplus de ses demandes,
-débouté la société Ambulances Départementales Sud Franciliennes de sa demande reconventionnelle,
-mis les dépens à la charge de la société Ambulances Départementales Sud Franciliennes, comprenant les éventuels frais d’exécution par huissier de justice.
Par déclaration du 4 décembre 2020, Mme [E] a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 25 novembre 2022, Mme [E] demande à la cour :
-d’infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes d’Evry dans toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a condamné la société ADSF à lui payer la somme de 3 703,05 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire, outre 370,30 euros de congés payés y afférents et la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
statuant à nouveau, il est demandé à la Cour :
-de fixer le salaire moyen à 1 856,38 euros,
-de condamner la société ADSF à payer à Mme [E] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de l’entier préjudice subi du fait du harcèlement moral,
-de condamner la société ADSF à payer à madame [E] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité et de prévention du harcèlement moral,
-de condamner la société ADSF à payer à Madame [E] les sommes de :
-5 569,14 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied à titre conservatoire du 5 juin 2018 au 9 septembre 2018,
-556,91 euros de congés payés y afférents,
-de condamner la société ADSF à payer à Madame [E] la somme de 5 569,14 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice financier,
-de condamner la société ADSF à payer à Madame [E] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de l’absence de renouvellement des délégués du personnel,
-de condamner la société ADSF à payer à Madame [E] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par cette dernière du fait de l’entrave à l’exercice régulier de son mandat de déléguée du personnel,
-de condamner la société ADSF à payer à Madame [E] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la modification imposée de ses conditions de travail,
-de requalifier la démission de Madame [E] en une prise d’acte produisant les effets d’un licenciement nul et ce faisant,
-de condamner la société ADSF à payer à Madame [E] la somme de 55 691,40 euros à titre d’indemnité pour violation du statut protecteur,
-de condamner la société ADSF à payer à Madame [E] les sommes de :
-3 712,76 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
-371,28 euros à titre de congés payés y afférents,
-de condamner la société ADSF à payer à Madame [E] la somme de 6 187,93 euros à titre d’indemnité de licenciement,
-de condamner la société ADSF à payer à Madame [E] la somme de 33 414,84 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
-de condamner la société ADSF à payer à Madame [E] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
-de condamner la défenderesse aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 29 mars 2021, la société Ambulances Départementales Sud Franciliennes demande à la cour :
-de juger que la démission de Madame [E] du 19 juin 2019 est claire et non équivoque,
-de débouter Madame [E] de toutes ses demandes,
-de confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes d’Evry le 16 novembre 2020 en toutes ses dispositions en ce qu’il a débouté Madame [E] de ses demandes :
-de dommages et intérêts pour préjudice subi du fait de l’absence de renouvellement des délégués du personnel,
-de dommages et intérêts pour préjudice subi du fait de l’entrave à l’exercice régulier de son mandat de délégué du personnel,
-de dommages et intérêts pour préjudice financier,
-de dommages et intérêts pour la modification imposée de ses conditions de travail,
-de dommages et intérêts pour harcèlement moral en l’absence de harcèlement moral,
-de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité et de prévention du harcèlement moral, la société ayant respecté ses obligations,
-de requalification de sa démission en licenciement nul,
-de la débouter de ses demandes au titre de l’indemnité de licenciement, l’indemnité compensatrice de préavis ainsi que les congés payés y afférents, dommages et intérêts pour licenciement nul, dommages et intérêts pour violation du statut protecteur, Madame [E] ayant démissionné le 19 juin 2019,
à titre subsidiaire, si par extraordinaire, la Cour requalifie la démission de Madame [E] en un licenciement nul, la Cour ne pourra que condamner la société ADSF à verser à Madame [E] les sommes suivantes :
-3 387,06 euros au titre de l’indemnité de préavis,
-338 euros au titre des congés payés y afférents,
-5 598,05 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
-10 161,18 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement nul,
-de confirmer le jugement du chef de la condamnation de la société ADSF au titre du rappel de salaires, exécutée,
-de réformer le jugement en ce qu’il a condamné la société ADSF à verser une somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et l’a déboutée de sa demande reconventionnelle formée à ce titre,
statuant à nouveau de ces chefs et y ajoutant,
-de fixer la moyenne des salaires de Madame [E] à la somme de 1 693,53 euros,
-d’écarter des débats les pièces n°52, n°53, n°54 produites par Madame [E] en cause d’appel, ces dernières constituant un mode de preuve illicite,
-de débouter Madame [E] de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile tant devant le tribunal que devant la cour,
-de condamner Madame [E] à verser à la Société ADSF la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
-de condamner Madame [E] aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 6 décembre 2022 et l’audience de plaidoiries a été fixée au 14 février 2023.
Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu’aux conclusions susvisées pour l’exposé des moyens des parties devant la cour.
MOTIFS DE LA DECISION:
Sur le harcèlement moral:
Mme [E] soutient qu’elle a été victime de harcèlement moral. Elle indique notamment qu’elle faisait l’objet d’une différence de traitement, qu’elle a été intimidée par son supérieur, qu’un constant discrédit était publiquement jeté sur sa personne, que des pressions étaient exercées sur elle et qu’elle a reçu une multitude de convocations à entretien préalable. Elle ajoute que la société Ambulances Départementales Sud Franciliennes a voulu la sanctionner (licenciement refusé par l’Inspection du travail) alors même que cette sanction est nulle dans la mesure où elle vise à porter atteinte à sa liberté d’ester en justice.
Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Selon l’article L1154-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, ‘lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L.1152-1 à L.1152-3 et L.1153-1 à L.1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.’
Mme [E] produit plusieurs courriers de sa part critiquant le mauvais état du véhicule qui lui a été affecté, l’absence de temps de pause, l’interdiction qui lui a été faite de manger au bureau, différentes directives de la part de Mme [M], chef d’exploitation adjointe, la discriminant ou atteignant à sa liberté individuelle; certaines des doléances contenues dans ces courriers sont confirmées par l’employeur dans son courrier du 22 mai 2018, à savoir l’utilisation d’un véhicule en état de malpropreté, l’obligeant à effectuer un nettoyage de surface, le transport des accompagnants en transport sanitaire, les salariés fumant dans les véhicules ou dans l’enceinte de l’entreprise ainsi que les changements de plannings.
Il ressort par ailleurs de la décision de l’Inspection du travail en date du 2 août 2018 que Mme [E] a été convoquée à trois reprises pour un même fait qui n’a jamais été sanctionné, que face au refus de la salariée de répondre à une demande d’entretien avec l’employeur, ce dernier a envoyé auprès d’elle un ambulancier, puis deux autres membres du personnel pour réitérer la demande et critiquer son comportement, que le reproche qui lui avait été fait de ne pas utiliser le logiciel pour poser ses congés payés n’était pas adressé à d’autres salariées utilisant des formulaires papier pour ce faire, qu’un climat tendu existait au sein de l’entreprise, que des pressions ont été faites sur elle en l’absence de toute mise à pied conservatoire notifiée de façon écrite et que cette dernière n’a pas pu circuler librement dans les locaux de l’entreprise, les gendarmes ayant été dépêchés sur place par l’employeur à cette occasion.
Relativement au grief tenant au discrédit porté à son encontre, la salariée invoque le courrier du 1er mars 2018 de la Résidence [3] de [Localité 4] adressé aux responsables de la structure relativement à l’incident du 28 février 2018 concernant deux ambulanciers, une femme et un homme, dont le comportement et les propos sont critiqués, son mail du 5 mars 2018 s’émouvant de l’affichage de ce courrier permettant d’identifier son équipe et l’accusant de maltraitance envers un patient, l’absence de réponse de l’employeur à ce sujet, ainsi que l’attestation de M. [T], directeur d’exploitation de la société ADSF, faisant état de la grande qualité des relations professionnelles entretenues avec la salariée et le respect mutuel de leurs échanges, mais aussi de pressions émises par ses supérieurs pour qu’il témoigne par écrit du contraire.
Si de nombreux courriels adressés par Mme [E] à la direction de l’entreprise listant différents agissements à son encontre sont produits sans être étayés par des éléments objectifs, comme d’ailleurs sa déclaration de main courante du 7 juin 2018, en revanche l’affichage du courrier de mécontentement du cadre de santé de la Résidence [3] permettant d’identifier compte tenu de la date, de l’horaire et de la localisation de l’incident et de jeter le discrédit sur elle, différentes pressions sur l’appelante, du matériel inadapté (en raison de sa malpropreté) mis à sa disposition dans le cadre de ses activités, le non-versement de son salaire ayant créé des incidents de paiement direct de pension alimentaire, le reproche fait spécifiquement de l’utilisation de formulaires papier pour une demande de congés, l’absence de réponse à de nombreuses récriminations réitérées et écrites de l’intéressée ainsi que des modifications de ses plannings constituent des éléments de fait laissant supposer , dans leur ensemble, l’existence d’un harcèlement moral à son encontre.
La société Ambulances Départementales Sud Franciliennes affirme que Mme [E] n’a pas été victime de harcèlement moral, estime qu’elle ne démontre pas ses allégations et que les griefs invoqués par elle ne sont pas fondés, et ce d’autant qu’après deux années de quasi-absence dont 16 mois consécutifs, l’intéressée qui était soit en arrêt maladie, soit en congé par anticipation, soit en congé sans solde, n’a saisi ni le médecin du travail, ni les représentants du personnel, ni l’Inspection du travail. Elle critique le mode de preuve illicite que constitue l’enregistrement versé en cause d’appel par Mme [E], inaudible qui plus est.
L’employeur justifie de la convocation de la salariée à un entretien préalable au sujet du courrier de plainte de la maison de retraite Résidence [3] et affirme avoir choisi, afin d’apaiser d’éventuelles tensions, de n’engager aucune poursuite disciplinaire à son encontre.
Il verse aux débats également des attestations et documents faisant état de retards de la salariée dans sa prise de poste, sans qu’elle s’excuse à ce sujet, l’accord donné pour la formation souhaitée par la salariée du 14 novembre 2016 au 20 octobre 2017, différentes demandes d’absence ou de congés sans solde présentées par la salariée notamment pour motif personnel.
Il produit des courriels et attestations de Mme [M], chef d’exploitation adjointe, et de M. [G], ambulancier, ainsi que celle de M. [L], DRH, relatifs à la mise à pied conservatoire contestée par la salariée ; cependant, ces éléments permettent de corroborer l’intervention de plusieurs salariés pour conduire l’appelante à s’entretenir avec la direction, et eu égard au refus de cette dernière, à la notification d’une mise à pied conservatoire verbale -dans un premier temps- . La déclaration de main courante en date du 12 juin 2018 effectuée par le gérant de l’entreprise au sujet de cette mise à pied conservatoire, rappelant que l’intéressée n’a pas voulu quitter les locaux et que les services de police ont dû intervenir à cette occasion, ne saurait justifier les pressions exercées en vue d’un simple entretien, décidé par l’employeur le 5 juin 2018 en fin d’après-midi (cf l’attestation de M. [G] et celle du DRH faisant état d’une demande informelle, sans référence à un quelconque écrit), pour lequel la salariée n’avait reçu aucune convocation; la lettre en ce sens du 1er juin 2018 mentionnant sa ‘remise en mains propres’ sans aucun émargement de la salariée ne saurait valoir convocation audit entretien préalable.
Surtout, ces faits s’articulent avec un entretien du 20 avril 2018 au cours duquel Mme [E] s’était plainte des hurlements et de la colère de son supérieur hiérarchique pour lui faire peur et la contraindre au silence, la conduisant à refuser toute discussion avec lui dans ces conditions.
S’il est justifié par ailleurs d’autres convocations à entretien préalable, le 30 mars et le 6 juin 2018, l’absence de suite réservée à ces actes -à défaut d’ élément tangible permettant de les justifier- ne révèle en rien la volonté d’apaisement invoquée par l’employeur qui ne peut ignorer leurs conséquences en termes de pression psychologique sur un salarié restant dans l’attente d’une décision.
En ce qui concerne le refus de la salariée d’inscrire ses demandes de congés dans le logiciel, la société Ambulances Départementales Sud Franciliennes verse aux débats le courriel de Mme [M] et distingue la situation de l’appelante de celle d’autres salariés, de bonne volonté mais incapables de saisir informatiquement lesdites données. Cependant, elle n’en justifie pas.
En ce qui concerne les modifications de planning, la société intimée les conteste et relève que les plannings prévisionnels communiqués par son adversaire ne sont pas définitifs, la salariée se faisant remplacer ou étant en absence pour n’effectuer ni du travail de nuit, ni des missions le week-end.
Si Mme [E], ayant la garde alternée de ses enfants, soutient avoir bénéficié de l’accord de son employeur pour ne pas travailler les week-ends, non seulement l’existence de cet accord n’est pas démontrée mais encore la lecture des différents plannings produits avant et après sa période de formation permettent de vérifier qu’elle a bénéficié d’absences justifiées lors de ses programmations un samedi ou un dimanche en mai, octobre, novembre et décembre 2018, ainsi qu’en janvier, février et avril 2019.
Mme [E] ne saurait donc invoquer une modification de ses conditions de travail qui lui aurait été imposée, ni réclamer une quelconque indemnisation spécifique à ce titre.
Toutefois, comme elle l’indique dans son courrier recommandé reçu le 10 avril 2018 par l’employeur, les différents changements de programmation ne sont nullement justifiés comme ayant été effectués dans un délai de prévenance susceptible de faciliter son organisation.
Enfin, si la société ADSF relève qu’aucune demande au titre des chèques-cadeaux n’est formulée par la salariée dans ses conclusions, elle ne justifie ni de la réponse apportée à la demande d’explication de la salariée par mail du 28 février 2019, ni de la remise desdits avantages à l’intéressée.
Par conséquent, il y a lieu de constater que les éléments de fait présentés par la salariée laissant supposer l’existence d’agissements répétés à son encontre ne sont pas justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.
En l’état des éléments de préjudice démontrés par Mme [E], il y a lieu d’accueillir sa demande d’indemnisation à hauteur de 2 000 €.
Sur l’obligation de sécurité
Mme [E] estime que la société Ambulances Départementales Sud Franciliennes n’a pris aucune mesure pour prévenir ou faire cesser le harcèlement moral dont elle était victime et a manqué à son obligation de sécurité et de prévention dudit harcèlement.
La société intimée réfute tout manquement, soutient qu’ en l’absence de tout harcèlement moral, elle n’avait aucune mesure de prévention à prendre et affirme en tout état de cause qu’elle a mis en place tous les documents d’information, à savoir un règlement intérieur prévoyant des dispositions à ce sujet et l’affichage des textes.
Selon l’article L4121-1 du code du travail dans sa version applicable au litige ‘l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1 ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.’
L’article L4121-2 du même code dispose que ‘l’employeur met en oeuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Eviter les risques ;
2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l’article L. 1142-2-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.’
Plus spécifiquement, l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral et les personnes mentionnées à l’article L. 1152-2 sont informées par tout moyen du texte de l’article 222-33-2 du code pénal, conformément à l’article L1152-4 du code du travail.
Alors que Mme [E], par courriers des 10 avril 2018 et 23 avril 2019, a dénoncé faire l’objet d’ un harcèlement moral, il n’est justifié de la part de la société Ambulances Départementales Sud Franciliennes d’aucune mesure à ce sujet dans le cadre de la prévention du risque, ni d’aucune enquête pour en vérifier l’existence.
Il convient d’accueillir la demande d’indemnisation à hauteur de 500 € de ce préjudice
– distinct de celui résultant du harcèlement moral lui-même dans la mesure où l’attitude de l’employeur, déniant toute valeur aux doléances de la salariée, a permis sa persistance -.
Sur le délit d’entrave
Mme [E] soutient que son employeur a commis un délit d’entrave lié au renouvellement des délégués du personnel -faute d’organisation de nouvelles élections-, lié à l’absence de réunion mensuelle des délégués du personnel. Elle invoque également ne pas avoir été convoquée aux réunions des 20 mai et 12 juin 2019.
La société Ambulances Départementales Sud Franciliennes invoque l’incompétence de la chambre sociale pour statuer sur un délit d’entrave et rappelle en tout état de cause que les mandats des délégués du personnel ont été prorogés dans les dispositions transitoires de l’ordonnance du 22 septembre 2017 jusqu’à la nouvelle élection.
Selon l’article L2317-1 du code du travail, ‘le fait d’apporter une entrave soit à la constitution d’un comité social et économique, d’un comité social et économique d’établissement ou d’un comité social et économique central, soit à la libre désignation de leurs membres, notamment par la méconnaissance des dispositions des articles L. 2314-1 à L. 2314-9 est puni d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 7 500 €.
Le fait d’apporter une entrave à leur fonctionnement régulier est puni d’une amende de
7 500 €.’
L’article L2146-1 du code du travail dispose que le fait d’apporter une entrave à l’exercice du droit syndical, défini par les articles L. 2141-4, L. 2141-9 et L. 2141-11 à L. 2143-22, est puni d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 3 750 euros.
Il résulte de ces textes que les situations de délit d’entrave, telles qu’invoquées par Mme [E], relèvent de la compétence de la juridiction pénale.
Il y a donc lieu de renvoyer Mme [E] à mieux se pourvoir relativement à ces demandes.
Sur la démission
La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.
Lorsque le salarié, sans évoquer un vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu’à la date à laquelle elle a été donnée celle-ci était équivoque, l’analyser en une prise d’acte de la rupture qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d’une démission.
En l’espèce, la lettre de démission de Mme [E] indique ‘après plusieurs années, mois de réflexion, j’ai choisi de donner une nouvelle impulsion à ma vie personnelle, et professionnelle et c’est la raison pour laquelle je vous informe que je démissionne de mon poste à compter de ce jour au sens de l’Article L1231-1 du Code du travail.
Bien que j’aie apprécié travailler avec professionnalisme, à vos côtés durant toutes ces années, ne pouvant plus évoluer au sein de votre entreprise ADSF,à cela s’est ajouté l’état de ma santé, d’où ma reconversion professionnelle.
Je me suis vu proposer une opportunité professionnelle très intéressante.
Par cette occasion je me permets de vous remercier de m’avoir laissée partir pendant 2 ans, afin de préparer mon diplôme et ma sortie’
Merci de m’avoir accordé un congé sans solde, que je mets fin avec ma démission.
J’ai bien noté que les termes de mon contrat de travail et la convention collective prévoient un préavis d’une semaine.
Cependant, et par dérogation, je sollicite la possibilité de ne pas effectuer ce préavis et, par conséquent, de quitter l’entreprise à la date de la réception de ma lettre de démission, mettant ainsi fin à mon contrat de travail’.
Il a été vu que des manquements de l’employeur ont émaillé la période antérieure à la démission et différentes pièces produites montrent que, nonobstant les différents congés et arrêts de travail de l’intéressée du 5 au 17 mars, du 15 au 30 avril, tout le mois de mai et de juin 2019, qu’ils se sont poursuivis jusqu’en avril 2019 (cf le courriel de Mme [E] du du 4 avril 2019 dénonçant qu’on lui a demandé de débaucher plus tôt que ses collègues le 3 avril ‘ Vous n’avez pas cessé Monsieur [H] de me diminuer En me débauchant à mon poste de travail vers 13h15 SOUS PRETEXTE QU’IL N’AVAIT PAS DE TRAVAIL, sauf que ce matin, j’apprends par mes collaborateurs lors de ma prise de fonction qui avait du boulot comme par hasard pour tout le monde sauf pour l’équipage de MME [E] [B] chose étonnante!!! Bien qu’accordant la plus grande importance à mon travail, je considère que ce qui s’est passé hier […] montre l’acharnement à mon égard pour me déstabiliser, me réduire et porter atteinte à mon intégrité et ma santé!’ et son courriel du 26 avril 2019 réclamant son bulletin de salaire du mois de mars précédent).
Par conséquent, la concomitance des récriminations de Mme [E] avec sa démission mais encore l’évocation par elle dans son courrier de son incapacité à ‘exercer convenablement ce métier qui (lui) tient à c’ur, à cause de multiples désaccords’ la rendent équivoque, et ce nonobstant les messages adressés par la salariée à ses collègues à l’occasion de son départ ou la perspective professionnelle intéressante ou son état de santé évoqués par elle dans sa lettre de démission.
Cette démission doit donc être analysée comme une prise d’acte de la rupture ; s’agissant de manquements relevés à l’occasion d’un harcèlement moral notamment, et par conséquent, de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail, elle a eu les effets d’un licenciement nul.
Tenant compte de l’âge de Mme [E] (52 ans) au moment de la rupture, de son ancienneté (remontant au 1er février 2007 ), de son salaire moyen mensuel brut (soit 1 844,99 € selon la moyenne la plus favorable hors arrêts de travail), des justificatifs de sa demande de prise en charge par Pôle Emploi déposée le 13 septembre 2019 et du refus qui lui a été opposé à ce sujet en l’état de son statut de démissionnaire, il y a lieu de lui allouer la somme de 12 000 € de dommages-intérêts au titre de cette rupture.
Il convient d’accueillir la demande d’indemnité compensatrice de préavis à hauteur de la somme de 3 689,98 €, ainsi que les congés payés y afférents.
En ce qui concerne l’indemnité de licenciement, elle est due à hauteur de 6 098,70 €.
Relativement au rappel de salaire correspondant à la mise à pied conservatoire, la salariée admet (page 35 de ses conclusions) avoir été remplie de ses droits, par exécution du jugement de première instance.
Il convient donc de confirmer cette décision de ce chef.
Sur le préjudice financier
En l’état de la mise à pied conservatoire notifiée à tort à Mme [E] et de sa privation de salaire pendant plus de trois mois, les pièces produites (relatives à un incident de paiement direct de pension alimentaire notamment) démontrant le préjudice qui en est résulté pour l’intéressée, préjudice distinct du simple retard apporté au paiement de ladite rémunération, permettent de fixer une indemnisation à hauteur de 500 €.
Sur la violation du statut protecteur
Le salarié licencié en violation de son statut protecteur et qui ne demande pas sa réintégration peut prétendre soit à une indemnité forfaitaire égale au montant des salaires qu’il aurait dû percevoir jusqu’à la fin de sa période de protection s’il présente sa demande d’indemnisation avant cette date, soit à une indemnité dont le montant est fixé par le juge en fonction du préjudice subi lorsqu’il introduit sa demande après l’expiration de sa période de protection sans justifier de motifs qui ne lui soient pas imputables.
Alors que Mme [E] a été réélue déléguée du personnel le 28 janvier 2019, l’action qu’elle a entamée en saisissant le conseil de prud’hommes en décembre 2019 a été engagée avant l’expiration de sa période de protection le 27 juin 2023; il y a donc lieu de dire que sa demande en paiement des salaires à hauteur du plafond de 30 mois prévu par la loi doit être accueillie, à hauteur de la somme de 55’349,70 €, eu égard à son salaire mensuel moyen.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
L’employeur, qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance, par confirmation du jugement entrepris, et d’appel.
L’équité commande d’infirmer le jugement de première instance relativement au montant des frais irrépétibles, de faire application de l’article 700 du code de procédure civile également en cause d’appel et d’allouer à ce titre la somme de 3 000 € à Mme [E].
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
INFIRME le jugement déféré, sauf en ses dispositions relatives au rappel de salaire sur mise à pied, aux congés payés y afférents et aux dépens,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
REQUALIFIE la démission de Mme [B] [E] en prise d’acte de la rupture du contrat de travail ayant eu les effets d’un licenciement nul,
CONDAMNE la société Ambulances Départementales Sud Franciliennes à payer à Mme [E] les sommes de :
– 2 000 € de dommages-intérêts pour harcèlement moral,
– 500 € de dommages-intérêts au titre de l’obligation de sécurité,
– 500 € de dommages-intérêts au titre du préjudice financier,
– 3 689,98 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 368,99 € au titre des congés payés y afférents,
– 6 098,70 € à titre d’indemnité de licenciement,
– 12 000 € de dommages-intérêts au titre de la rupture du contrat de travail,
– 55 349,70 € au titre de la violation du statut protecteur,
– 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
CONSTATE l’incompétence de la juridiction pour statuer sur les délits d’entrave invoqués par la salariée,
RENVOIE Mme [E] à mieux se pourvoir à ce titre,
REJETTE les autres demandes des parties,
CONDAMNE la société Ambulances Départementales Sud Franciliennes aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE
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