Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 13
ARRET DU 22 MARS 2023
(n° , 13 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/02234
Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Janvier 2020 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS – RG n° 17/17327
APPELANT
Monsieur [J] [R]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111
INTIMEE
SAS PWC SOCIÉTÉ D’AVOCATS
[Adresse 2]
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034, et ayant pour avocat plaidant Me Guillaume REGNAULT de la SCP RAFFIN ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 18 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre, chargée du rapport et devant Mme Estelle MOREAU, Conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
– Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre
– Mme Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre
– Mme Estelle MOREAU, Conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Justine FOURNIER
ARRET :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 22 mars 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Mme Florence GREGORI, Greffière , présente lors de la mise à disposition.
***
Cession de brevet associé à un logiciel et arrêt du Conseil d’Etat du 12 mars 2004
Le 27 janvier 1995, M. [J] [R] a cédé à la société Translations, dont il était le gérant, un brevet associé à un logiciel constituant ensemble un ‘serveur-outil de traduction’moyennant un prix formé d’une partie fixe de 250 000 francs (38 112 euros) et d’une partie variable, sous forme d’annuités versées jusqu’au 31 décembre 2001 et correspondant à 10% du chiffre d’affaires de la société Translations généré par l’utilisation dudit brevet.
Dans sa déclaration de revenus pour l’année 1995, M. [R] mentionnait, au titre de la plus-value générée par cette opération, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, la somme de 5 826 304 francs, intégrant la partie fixe du prix de cession et une estimation de sa partie variable.
Le 23 décembre 2002, l’administration fiscale lui notifiait un redressement au titre des années 1999, 2000 et 2001 non prescrites, considérant que les sommes effectivement versées par la société Translations en vertu de la clause de complément de prix de cession excédaient le montant déclaré par M. [R] dans sa déclaration de revenus établie en 1995. Il en résultait un supplément d’impôt à sa charge de 146 349 euros.
Contestant le bien-fondé du redressement, M. [R] saisissait le tribunal administratif de Paris.
Par arrêt du 27 avril 2011, la cour administrative d’appel de Paris confirmait le jugement du 20 avril 2009 l’ayant débouté de sa demande de décharge de l’imposition supplémentaire et des pénalités.
Selon arrêt du 12 mars 2014, le Conseil d’Etat annulait cet arrêt pour illégalité mais, statuant au fond, rejetait la demande présentée par M. [R].
Le 8 septembre 2014, M. [R], représenté par la SELAS PWC selon lettre de mission du 4 juin précédent, saisissait la Cour européenne des droits de l’homme (la CEDH ou la Cour) d’une requête fondée sur une violation par l’Etat français de l’article 1er du premier protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (la Convention).
Le 18 septembre 2014, le greffier de la Cour indiquait à l’avocat que sa requête ne respectait pas les exigences de l’article 47 du règlement de la Cour et que s’il souhaitait que cette dernière examine ses griefs, il devait produire un formulaire de requête complet et valable accompagné de tous les documents requis.
Une seconde requête était déposée le 24 septembre suivant.
Le 20 novembre 2014, le greffe de la cour informait l’avocat que la Cour, siégeant à juge unique et par décision du 13 novembre 2014, avait déclaré la requête irrecevable, les conditions de recevabilité prévues par les articles 34 et 35 de la Convention n’étant pas remplies.
Cession des logiciels et arrêt du Conseil d’Etat du 25 septembre 2014
Le 12 janvier 2002, M. [R] cédait à la société Translations un ensemble de logiciels, en contrepartie du versement d’une rémunération fixe de 50 000 francs et d’un complément de prix variable correspondant à 10 % du chiffre d’affaires de la société Translations lié à l’utilisation de ces logiciels jusqu’au 31 décembre 2008.
M. [R] déclarait pour l’année 2002, au titre de la plus-value générée par cette opération la somme de 1 043 017 francs, intégrant la partie fixe et une estimation de sa partie variable.
Le 30 septembre 2008, M. [R] se voyait notifier un avis d’imposition rectificatif à hauteur de 178 875 euros au titre de l’année 2006 non prescrite, l’administration fiscale considérant que le montant des redevances perçues excédait l’évaluation initiale sans que la plus-value correspondante n’ait été déclarée.
Estimant le redressement infondé, M. [R] saisissait le tribunal administratif qui rejetait sa demande par décision du 20 juin 2011, rejet confirmé par la cour administrative d’appel le 19 septembre 2012, puis par le Conseil d’Etat le 25 septembre 2014 aux termes d’une solution identique à celle retenue le 12 mars 2004.
Le 12 février 2015, le greffe de la Cour informait l’avocat que la Cour par décision du 5 février 2015 avait déclaré la requête de M. [R] déposée le 12 novembre 2014 irrecevable, sur le fondement des articles 34 et 35 de la Convention.
Le 16 février 2015, la société PWC proposait à M. [R] de saisir le défendeur des droits, saisine qui n’a pas eu lieu.
C’est dans ces circonstances que, par acte du 14 novembre 2017, M. [R] faisait assigner la société PWC au titre de sa responsabilité civile professionnelle.
Par jugement du 8 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Paris a débouté M. [R] de ses demandes et l’a condamné aux dépens et à payer à la société PWC la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, sous le bénéfice de l’exécution provisoire.
Le 27 janvier 2020, M. [R] a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 22 avril 2020, M. [J] [R] demande à la cour de :
– le recevoir en son appel et l’y déclarer bien fondé,
– réformer la décision entreprise et statuant à nouveau,
– ordonner la réformation totale du jugement,
en conséquence,
– condamner la société PWC à lui verser à titre de dommages et intérêts, correspondant au préjudice fiscal les sommes suivantes :
– 282 160 euros (soit 146 349 euros correspondant au redressement fiscal exigible au 30 septembre 2003, actualisé au 30 septembre 2017 selon le taux retenu par l’administration fiscale pour le calcul des intérêts moratoires),
– 223 182 euros (soit 178 875 euros correspondant au redressement fiscal exigible au 30 septembre 2008, actualisé au 30 septembre 2017 selon le taux retenu par l’administration fiscale pour le calcul des intérêts moratoires),
– 111 206 euros (soit 99 826 euros correspondant au redressement fiscal exigible en 2015 pour les impositions 2013, actualisé au 30 septembre 2017 selon le taux retenu par l’administration fiscale pour le calcul des intérêts moratoires),
– 215 312 euros au titre des impositions sur les revenus 2014, 2015 et 2016 par application de la jurisprudence « [R] », calculées selon le régime actuel de 31,5 % (impôt sur la plus-value à 16 % et prélèvements sociaux de 15,5 %) (soit 197 190 euros actualisé au 30 septembre 2017 selon le taux retenu par l’administration fiscale pour le calcul des intérêts moratoires),
– 152 796 euros au titre des impositions sur les revenus 2017 et 2018 par application de la jurisprudence « [R] », calculées selon le régime de 30% (impôt sur la plus-value à 12,8% et prélèvements sociaux de 17,2%),
– 402 205 euros au titre des impositions prévisionnelles (progression annuelle de 5% sur la base 2018) au titre des revenus 2019, 2020, 2021, 2022 par application de la jurisprudence « [R] », calculées selon le régime de 30% (impôt sur la plus-value à 12,8% et prélèvements sociaux de 17,2%),
– condamner la société PWC à lui verser la somme de 343 665 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice commercial subi,
– condamner la société PWC à lui verser la somme de 1 730 526 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi,
– condamner la société PWC à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation de la faute civile constituée par la situation de conflit d’intérêts volontairement créée par la société PWC et le faux en écriture que constitue l’imitation de sa signature sur la deuxième requête de « régularisation » pour dissimuler sa faute professionnelle,
– condamner la société PWC à lui verser la somme de 100 000 euros pour défaut de saisine du défenseur des droits contrairement à l’instruction écrite par lui en réponse à la proposition de la société PWC,
– condamner la société PWC à lui verser la somme de 21 063 euros correspondant au remboursement des honoraires perçus par elle dans le cadre des procédures devant la CEDH, ainsi que la somme de 6 934 euros correspondant aux honoraires de consultation versés au professeur [H] [L],
– condamner la société PWC à lui verser la somme de 20 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société PWC aux entiers dépens qui seront directement recouvrés par la Scp Grappotte Benetreau dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 23 juillet 2020, la société PWC société d’avocats demande à la cour de :
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement en ce qu’il a débouté M. [R] de toutes ses demandes et l’a condamné à lui régler la somme de 3 500 euros ainsi qu’aux entiers dépens,
ce faisant,
– dire et juger qu’il n’est pas établi d’autre faute que celle consistant à avoir adressé au greffe, le 8 septembre 2014, une requête irrégulière en la forme,
– dire et juger en tout état de cause que M. [R] ne justifie pas d’un lien de causalité direct et exclusif entre les fautes qui lui sont reprochées et les préjudices allégués,
en conséquence,
– débouter M. [R] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
à titre très subsidiaire, le cas échéant par substitution de motifs,
– dire et juger que M. [R] ne rapporte pas la preuve d’une perte de chance de voir aboutir ses recours devant la CEDH,
en conséquence,
– débouter M. [R] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
à titre infiniment subsidiaire,
– réduire à de plus justes proportions les sommes sollicitées par M. [R],
en tout état de cause,
– condamner M. [R] à lui régler la somme de 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d’appel,
– condamner le même aux entiers dépens de l’instance dans les termes de l’article 699 du code de procédure civile.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 29 novembre 2022.
SUR CE,
Sur la faute de la société PWC
Le tribunal a jugé que :
– il appartient à l’avocat de rapporter la preuve du respect de ses obligations,
– la société PWC a manqué à son obligation de diligence en saisissant la CEDH d’une première requête que le greffe a considéré incomplète, pour des motifs manifestement imputables à l’avocat de M. [R],
– à défaut de communication des décisions et donc des motivations de la CEDH, il ne peut être établi que la requête rectificative du 24 septembre 2014 et celle formée contre l’arrêt du Conseil d’Etat du 25 septembre 2014 ont été déclarées irrecevables du fait d’un manquement imputable à l’avocat, l’irrecevabilité pouvant relever d’un motif en lien avec une absence évidente de violation de la Convention ou un préjudice insuffisamment important, indépendants des diligences de l’avocat,
– M. [R] ne démontre pas que les démarches effectuées par la société d’avocat auprès du greffe de la cour, le caractère incomplet de la requête initiale ou l’irrecevabilité de la requête rectificative lui aient fait perdre une chance de voir examiner favorablement les requêtes suivantes, l’objet des redressements fiscaux de 2002 et 2008 et les procédures auxquelles ils ont donné lieu étant différents,
– le parcours judiciaire de M. [R] depuis 2003 démontrant une volonté inaltérable de voir reconnaître infondés les redressements litigieux après avoir recueilli l’avis d’auteurs convaincus de l’erreur du Conseil d’Etat, ce dernier aurait choisi d’introduire son instance même si l’avocat l’avait avisé des risques d’échec de la procédure engagée devant la CEDH,
– M. [R] ne détaille ni ne justifie de l’intérêt et de l’issue possible de la saisine du défendeur des droits qui n’a pas été effectuée.
M. [R] soutient que la société PWC est l’auteur de fautes professionnelles aux motifs que :
– la société PWC était tenue d’accomplir tous les actes et formalités nécessaires à la régularité de forme et de fond de la procédure,
– cette société de renommée mondiale a commis une faute grave lors du dépôt de la requête initiale en ne respectant pas l’exigence de procédure de l’article 47 du règlement de la Cour laquelle a vicié les requêtes successivement déposées devant la CEDH, faute initiale qu’elle ne conteste pas,
– de sa propre initiative et sans l’accord de son client, elle a déposé une seconde requête en régularisation, cette requête étant non seulement hors délai mais également antidatée et revêtue d’une imitation de sa signature constitutive d’un faux en écriture corroboré par l’expertise de Mme [X] [S], experte près la cour d’appel de Paris et agréée par la Cour de cassation,
– la seconde requête enregistrée sous un numéro différent de la première qu’elle visait à régulariser, a été considérée comme nouvelle par la CEDH qui l’a rejetée seulement au regard du dépassement du délai de 6 mois dans lequel elle devait être déposée selon l’article 35 § 1 de la Convention, motif qui s’impose en l’absence de communication des décisions de la Cour,
– cette seconde requête hors délai a créé un précédent [R] auprès de la CEDH ayant conduit au rejet de la troisième requête formée à l’encontre du second arrêt du Conseil d’Etat, pour des faits, griefs et moyens essentiellement identiques, la CEDH ne pouvant rendre une décision autre que celle d’une irrecevabilité puisqu’elle présentait une identité de parties, une similitude de faits et de griefs avec la requête précédente, conformément à l’article 35 § 2.b de la Convention,
– en revanche, les requêtes n’ont pu être rejetées pour irrégularité de fond au motif d’un préjudice insuffisamment important,
– les juges du fond ont inversé la charge de la preuve en émettant des suppositions sur les raisons qui ont conduit à déclarer irrecevable la troisième requête de M. [R] alors qu’il appartient à la société PWC et à elle seule de démontrer que l’irrecevabilité n’est pas due à un manquement qui lui est imputable,
– la société PWC a utilisé des méthodes très contestables en interférant auprès du greffe et des juges de la CEDH en dehors de tout cadre professionnel afin d’obtenir des décision favorables de la Cour dans son intérêt personnel après la décision initiale de rejet afin de s’exonérer de sa responsabilité, ce qui n’a pu qu’agacer les greffiers et les juges et les inciter à appliquer strictement les principes de procédure et à être fermes à son égard, méthodes qui ont atteint leur paroxysme par l’établissement d’un faux lors du dépôt de la requête de régularisation antidatée et revêtue d’une imitation grossière de sa signature,
– elle s’est placée dans une situation de conflit d’intérêts visant à s’exonérer de sa responsabilité en poursuivant des diligences pour tenter de régulariser la première requête puis en déposant une requête à l’encontre du second arrêt du Conseil d’Etat, fondée sur des faits et griefs similaires à la requête à l’encontre du premier arrêt, laquelle a été rejetée pour une irrégularité de fond, ce qui lui permet de conclure à une absence de préjudice réparable en raison de la faute ayant abouti au rejet de la première requête, alors qu’elle aurait dû se déporter,
– en dépit d’une instruction ferme de sa part, la société PWC n’a procédé à aucune démarche auprès du défenseur des droits.
Dans son argumentation au titre du préjudice et du lien de causalité, il fait également valoir que la société PWC, tenue d’une obligation d’information et de conseil, aurait dû si elle estimait la consultation du professeur [H] [L] reprise dans ses requêtes critiquable, l’informer du risque d’échec de la procédure devant la CEDH, le tribunal inversant encore une fois à ce titre la charge de la preuve en matière d’obligation d’information et de conseil de l’avocat.
La société PWC réplique que :
– ne contestant pas la faute commise lors de la requête initiale formellement incomplète au regard des dispositions de l’article 47 du règlement de la Cour, elle a adressé une requête rectificative pour le premier contentieux fiscal ainsi qu’une nouvelle requête pour le second contentieux fiscal qui ont été toutes deux déclarées irrecevables par la Cour et M. [R] ne démontre pas sa responsabilité dans ces décisions d’irrecevabilité, le simple constat de la faute étant insuffisant, – la faute commise quant au non-respect des exigences formelles lors de l’envoi de la requête initiale est une erreur qui s’explique par la densité technique des observations présentées dans l’intérêt de M. [R] et un souci de lisibilité, le cabinet ayant repris chaque rubrique du formulaire dans un unique document joint à celui-ci, sans reproduire les observations sur le formulaire,
– sa demande de régularisation de la requête s’est inscrite dans le cadre légal (sic) de l’article 47 du règlement de la Cour et a été effectuée avec l’accord préalable de M. [R],
– il ne peut lui être reproché d’avoir pris contact avec le greffe, n’ayant ni exercé une pression ni effectué une intervention empêchant l’exercice normal de la justice, le greffe ne lui ayant jamais reproché de l’avoir contacté et n’ayant ainsi manifesté aucune hostilité à son égard,
– aucune faute ne peut par ailleurs être caractérisée quant au dépôt de la requête rectificative, M. [R] ayant compris et accepté que devait être adressée au greffe une demande identique à la précédente mais remise en forme,
– l’imitation de signature est indifférente puisque l’appelant avait accepté la démarche envisagée et que la requête n’a pas été déclarée irrecevable en raison d’une difficulté de signature, celle-ci aurait en effet été rejetée dans le cas contraire par le greffe sans examen comme l’exige le règlement de la Cour,
– elle n’avait aucune volonté de dissimuler son erreur, M. [R] averti ayant poursuivi ses relations avec elle car il avait intérêt à ce que sa requête soit tranchée au titre de son second contentieux fiscal, l’argumentation de la requête étant par ailleurs approfondie et conforme à sa position, elle n’avait aucune raison de se déporter en raison d’un intérêt personnel contraire à celui de son client et aucune faute quant au dépôt de la requête portant sur le second contentieux fiscal ne peut être caractérisée,
– il ne peut lui être fait grief de ne pas avoir saisi le défenseur des droits, M. [R] s’étant rétracté durant une conversation téléphonique après avoir accepté sa proposition, raison qui explique qu’il n’ait pas relancé le cabinet ni invoqué une faute à ce titre dans la lettre de réclamation qu’il lui a adressée.
Elle ajoute, dans son argumentaire relatif à l’absence de lien de causalité, que dans sa seconde requête, elle sollicitait de la Cour, alternativement, qu’elle puisse être considérée comme enregistrée à la date du 8 septembre 2014 ou qu’elle soit examinée par la Cour conformément aux dispositions de l’article 47 § 5.1 du règlement de la Cour permettant de statuer sur une requête nonobstant son envoi hors délai et il n’est pas démontré ni que celle-ci n’aurait pas fait droit à sa demande ni que la requête aurait été rejetée du fait du non respect du délai de six mois, l’article 35 § 1 n’étant pas spécialement visé mais l’article 35 de la Convention de manière générale, la requête ayant pu être rejetée pour un autre motif sans lien avec les fautes qui lui sont reprochées.
La responsabilité professionnelle de l’avocat est une responsabilité de droit commun qui suppose la preuve d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité entre l’une et l’autre. Il en résulte, notamment, que le préjudice invoqué doit être certain, qu’il s’agisse du préjudice entier ou d’une perte de chance.
Soumis à une obligation générale de loyauté, de prudence et de diligence, l’avocat est tenu à un devoir d’information et de conseil et à une obligation de diligence consistant en la défense des intérêts de son client en mettant en oeuvre les moyens adéquats.
L’avocat manque à son obligation de diligence s’il n’accomplit pas tous les actes utiles à la recevabilité de l’instance qu’il a été chargé d’introduire.
L’article 47 du règlement de la CEDH prévoit que :
1. Toute requête déposée en vertu de l’article 34 de la Convention est présentée sur le formulaire fourni par le greffe, sauf si la Cour en décide autrement. Elle doit contenir tous les renseignements demandés dans les parties pertinentes du formulaire de requête et indiquer :
(…)
e) un exposé concis et lisible des faits ;
f) un exposé concis et lisible de la ou des violations alléguées de la Convention et des arguments pertinents ;
g) un exposé concis et lisible confirmant le respect par le requérant des critères de recevabilité énoncés à l’article 35 § 1 de la Convention ;
2. a) Toutes les informations visées aux alinéas e) à g) du paragraphe 1 ci-dessus doivent être exposées dans la partie pertinente du formulaire de requête et être suffisantes pour permettre à la Cour de déterminer, sans avoir à consulter d’autres documents, la nature et l’objet de la requête.
b) Le requérant peut toutefois compléter ces informations en joignant au formulaire de requête un document d’une longueur maximale de 20 pages exposant en détail les faits, les violations alléguées de la Convention et les arguments pertinents.
(…)
5.1. En cas de non-respect des obligations énumérées aux paragraphes 1 à 3 du présent article, la requête ne sera pas examinée par la Cour, sauf si :
a) le requérant a fourni une explication satisfaisante pour le non-respect en question ;
b) la requête concerne une demande de mesure provisoire ;
c) la Cour en décide autrement, d’office ou à la demande d’un requérant.
5.2. La Cour pourra toujours demander à un requérant de soumettre dans un délai déterminé toute information ou tout document utiles sous la forme ou de la manière jugées appropriées.
6. a) Aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention, la requête est réputée introduite à la date à
laquelle un formulaire de requête satisfaisant aux exigences posées par le présent article est envoyé à la Cour, le cachet de la poste faisant foi.
b) Si elle l’estime justifié, la Cour peut toutefois décider de retenir une autre date.
Par ailleurs, la Convention dispose que :
Article 34 ‘ Requêtes individuelles
La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de ce droit.
Article 35 ‘ Conditions de recevabilité
1 – La Cour ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes, tel qu’il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus, et dans un délai de six mois -dans sa version applicable au litige- à partir de la date de la décision interne définitive.
2 – La Cour ne retient aucune requête individuelle introduite en application de l’article 34, lorsque :
a – elle est anonyme ; ou
b – elle est essentiellement la même qu’une requête précédemment examinée par la Cour ou déjà soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et si elle ne contient pas de faits nouveaux.
3 – La Cour déclare irrecevable toute requête individuelle introduite en application de l’article 34 lorsqu’elle estime :
a – que la requête est incompatible avec les dispositions de la Convention ou de ses Protocoles, manifestement mal fondée ou abusive ; ou
b – que le requérant n’a subi aucun préjudice important, sauf si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles exige un examen de la requête au fond et à condition de ne rejeter pour ce motif aucune affaire qui n’a pas été dûment examinée par un tribunal interne.
4 – La Cour rejette toute requête qu’elle considère comme irrecevable par application du présent article. Elle peut procéder ainsi à tout stade de la procédure.
– sur le manquement à l’obligation de diligence au titre du dépôt des requêtes
La société PWC chargée d’une mission de représentation en justice devait d’accomplir tous les actes et toutes les formalités nécessaires à la régularité de forme et de fond de la procédure et contrairement à ce qu’ont estimé les premiers juges, la preuve du manquement incombant à celui qui l’invoque, il appartient à M. [R] d’établir que la société d’avocat a commis des manquements à son obligation de diligence et non l’inverse.
Le 18 septembre 2014, le greffier de la Cour a écrit à l’avocat de M. [R] pour lui indiquer :
‘ Vous n’avez pas respecté les exigences énumérées à l’article 47 du règlement de la Cour.
Le formulaire de requête ne contient pas d’exposé des faits.
Le formulaire de requête ne contient pas d’exposé des violations alléguées de la Convention et des arguments pertinents.
Le formulaire de requête ne contient pas d’exposé sur la question du respect des critères de recevabilité (épuisement des voies de recours internes et observation de la règle des six mois), énoncés à l’article 35 § 1 de la Convention.
Dès lors, la Cour ne peut examiner vos griefs. Veuillez noter qu’aucun élément de votre dossier n’a été conservé.
Si vous souhaitez que la Cour examine vos griefs, vous devrez soumettre un formulaire de requête complet et valable accompagné de tous les documents requis conformément à l’article 47 du règlement de la Cour.
J’appelle votre attention sur le fait que le délai de 6 mois visé à l’article 35 § 1 de la Convention n’est interrompu que par l’envoi à la Cour d’une requête complète’.
La société PWC a adressé le formulaire de requête en laissant vierges les parties pertinentes de ce document relatives aux points prévus à l’article 47 § 1,e,f,g du règlement de la Cour et en produisant une annexe de 19 pages sans donner d’explications particulières au non-respect du § 2.a. En ne respectant pas les exigences de forme de la requête telles qu’exposées de manière précise à l’article précité, la société d’avocats a manqué à son obligation de diligence, ce qu’elle ne conteste pas.
La société PWC a formulé une demande de régularisation de la première requête dans sa lettre d’accompagnement de la seconde requête reçue le 24 septembre 2014 par la Cour, de manière régulière puisque fondée sur le § 6, b (enregistrement à la date de la première requête) et le cas échéant le § 5.1, a (acceptation de ses explications) de l’article 47 du règlement de la Cour.
Le 20 novembre 2014, le greffe a informé l’avocat que la Cour, siégeant à juge unique entre les 30 octobre et 13 novembre 2014 et par décision rendue à cette dernière date, avait décidé de déclarer la requête introduite le 24 septembre 2014 irrecevable au visa des articles 34 et 35 de la Convention visés.
Dans sa lettre de notification, le greffier mentionnait que la décision de la Cour était définitive et insusceptible de recours et que le greffe ne serait pas en mesure de fournir d’autre précision sur la décision du juge unique, ce dont il convient de déduire que comme le soutient à bon droit M. [R], la CEDH ne communique pas ses décisions d’irrecevabilité autrement que par cette notification.
Toutefois, la Cour a, selon la notification adressée, estimé que, compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, les conditions de recevabilité prévues par les articles 34 et 35 de la Convention n’étaient pas remplies et ce, sans viser l’article 47 du règlement de la Cour, ce dont il résulte que la Cour n’a pas entendu reprendre l’examen de la précédente requête et faire droit aux demandes de M. [R] au visa de ce texte, sans que ce refus puisse caractériser une nouvelle faute de la société d’avocats.
En effet, M. [R] ne justifie pas que l’action de son avocat auprès de deux greffiers de la Cour, celle auprès de juges n’étant pas démontrée, dans l’intention de trouver un interlocuteur à qui expliquer les raison et spécificité de la requête de régularisation envoyée et la nécessité de la soumettre à un juge, seul habilité à exercer les pouvoirs dévolus à la cour aux paragraphes 5 et 6 de l’article 47 du règlement de la Cour, ait été ressentie par les intéressés comme une pression empêchant le fonctionnement normal de la justice et ait donné lieu à une réprobation de leur part.
Cette démarche exercée dans l’intérêt de M. [R] ne peut pas plus être considérée comme une tentative de la part de la société PWC de s’exonérer de sa responsabilité alors qu’elle était effectuée dans l’intérêt de M. [R] et dans un cadre réglementaire et ne saurait caractériser l’existence d’un conflit d’intérêts entre la société d’avocats et son client.
De même, il ne peut être fait grief à la société d’avocats d’avoir maintenu la date du 8 septembre dans la requête qu’elle souhaitait rectificative et il n’est pas établi qu’elle ait déposé cette requête sans en avoir averti au préalable son client, le courriel adressé par ce dernier à son avocat le 26 septembre 2014 démontrant, en réalité, le contraire.
Par ailleurs, la société PWC ne conteste pas sérieusement le fait que la signature de M. [R] ait été imitée dans sa requête rectificative mais cette imitation est indifférente et sans conséquence puisque M. [R], dûment informé, avait donné son accord pour le dépôt de cette requête et que la Cour n’a pas relevé d’irrégularité à ce titre.
En revanche, à la date de l’introduction de cette nouvelle requête, le délai de six mois pour saisir la CEDH courant à partir de la date de la dernière décision interne définitive était expiré puisque l’arrêt du Conseil d’Etat constatant l’épuisement des voies de recours internes a été rendu le 12 mars 2014.
La société PWC le savait puisque dans son courriel du 1er octobre 2014, elle écrivait à M. [R] : ‘Ainsi que nous vous l’avons indiqué, nous avons déposé une nouvelle requête en bonne et due forme avec le risque que celle-ci soit rejetée au motif que la date de saisine est expirée.’
La société d’avocat, ayant reçu mandat de saisir la CEDH depuis le 4 juin 2014 a manqué à son obligation de diligence.
S’agissant de la troisième requête relative au second contentieux fiscal, M. [R] ne reproche pas à son avocat un manquement de diligence mais un conflit d’intérêts visant à l’exonérer de sa responsabilité pour avoir déposé une requête à l’encontre du second arrêt du Conseil d’Etat, fondée sur des faits et griefs similaires à la requête à l’encontre du premier arrêt, laquelle a été délarée irrecevable sur le fondement de l’article 35 § 2 de la Convention, ce qui lui permet de conclure à une absence de préjudice réparable en raison de la faute ayant abouti au rejet de la première requête, alors que la société PWC aurait dû se déporter.
Cependant, l’intérêt de M. [R] était qu’une requête soit déposée au titre du second contentieux fiscal quand bien même il pouvait exister un risque que cette requête soit considérée comme ‘essentiellement la même’ que la précédente au sens de l’article 35 § 2 de la Convention et il n’est justifié d’aucun conflit d’intérêts entre l’avocat et son client à ce titre, de sorte que la société PWC n’avait pas à se déporter.
M. [R] soutient que l’erreur de procédure initiale commise lors de l’introduction de sa requête du 8 septembre 2014 a entraîné l’irrecevabilité de sa troisième requête au motif qu’elle était essentiellement la même que la précédente au sens de l’article 35 § 2 de la Convention.
Ce grief qui est une conséquence des deux fautes retenues doit être examiné au titre du lien de causalité entre les fautes commises et les préjudices allégués.
– sur le manquement à l’obligation d’information et de conseil
La société PWC devait s’acquitter de son obligation d’information de manière complète et objective, en déconseillant si besoin est l’exercice d’une voie de recours vouée à l’échec.
La société PWC ne justifie aucunement, alors que cette preuve lui incombe, qu’elle a informé M. [R] des risques de rejet de ses requêtes par la CEDH tant en raison d’une irrecevabilité, mis à part le risque de voir la seconde requête déclarée irrecevable car hors délai si la Cour n’acceptait pas la régularisation sollicitée de la première requête, que de son mal fondé, en exerçant un regard critique sur la consultation du professeur [H] [L] fondant la motivation de sa requête et qu’elle lui ait donné quelque conseil que ce soit à ce titre.
– sur le défaut de saisine du défenseur des droits
M. [R] justifie avoir acquiescé à la proposition de la société PWC de saisir le défenseur des droits à ses frais (une telle intervention étant au demeurant gratuite) dans son courriel du 18 février 2015 alors que celle-ci n’établit aucunement qu’il se serait postérieurement rétracté par téléphone. Un manquement à son obligation de diligence doit être retenu à ce titre.
Sur le lien de causalité et le préjudice
M. [R] soutient que :
– le tribunal a omis de reconstituer fictivement le litige pour estimer la perte de chance qu’il a subie, du fait de la privation de l’examen au fond de ses requêtes en raison des fautes de la société PWC, d’obtenir deux décisions favorables de la CEDH aux fins de voir constater la violation par l’Etat français de l’article 1er du protocole additionnel n°1 par les deux arrêts du conseil d’Etat et ainsi d’obtenir ‘la prononciation d’une solution équitable’ au sens de l’article 41 de la Convention,
– les chances de succès de ses requêtes contre les deux arrêts du Conseil d’Etat étaient manifestement réelles et sérieuses, ainsi qu’il résulte de la consultation juridique du professeur [H] [L] mais aussi du commentaire des arrêts par le cabinet CMS Francis Lefebvre faisant autorité en matière fiscale et de l’analyse critique des arrêts puis de la consultation du professeur [I] [E] sur le caractère sérieux des dites pertes de chance,
– la société PWC reprenant intégralement la consultation du professeur [L] dans ses requêtes, elle ne peut qu’avoir admis la pertinence et la justesse de son analyse pour aboutir à une chance réelle d’obtenir une décision favorable de la CEDH,
– il appartient à la société PWC d’exposer l’utilité et/ou le bénéfice de la saisine du défenseur des droits et il ne peut ainsi lui être reproché de ne pas justifier de l’intérêt et de l’issue possible de cette démarche.
L’appelant ajoute qu’il a subi cinq préjudices distincts au titre des manquements retenus par la cour:
– un préjudice financier au titre des impositions des années 1999-2016 et 2017-2022,
– un préjudice commercial au titre de l’effondrement du chiffre d’affaires de sa société Translations, puisque, celle-ci ayant un caractère intuitu personae, il était dans l’incapacité en raison de sa profonde dépression de gérer correctement cette société,
– un préjudice moral du fait de la dépression ayant fait l’objet d’un lourd suivi psychiatrique consécutive à l’erreur de forme de sa requête commise après 20 ans de procédure et qui a scellé pour le passé et l’avenir ses espoirs de réussite, dont le montant s’élève au montant cumulé des préjudices financier et commercial,
– les frais et honoraires qu’il a exposés inutilement dans le cadre des différentes requêtes devant la CEDH,
– un préjudice de 100 000 euros au titre de l’absence de saisine du défenseur des droits.
La société PWC réplique que :
– M. [R] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe du lien de causalité entre les manquements allégués et ses préjudices,
– il ne démontre pas que la troisième requête portant sur le second contentieux fiscal ait été déclarée irrecevable au motif qu’elle était ‘ sensiblement la même’ que la précédente, alors que l’identité des faits n’est pas établie, quant à leur objet et la période concernée : imposition de la plus-value d’une cession de brevets (propriété intellectuelle) intervenue en 1995 dans un cas et d’une cession d’un actif incorporel différent, en l’occurrence un logiciel (droit d’auteur) intervenue en 2002,
– l’identité de principes n’est pas un motif d’irrecevabilité de la requête,
– celle-ci ayant été introduite dans les formes et délai requis, la cour a dû procéder à l’examen des autres motifs d’irrecevabilité et la requête a ainsi été déclarée irrecevable pour des raisons étrangères à son intervention : le défaut d’épuisement des voies de recours interne, faute pour M. [R] d’avoir allégué devant le Conseil d’Etat une atteinte à son droit de propriété, le mal fondé manifeste de la demande, la Cour ayant pu considérer que sa demande revenait à ériger la CEDH en quatrième instance s’agissant d’une contestation portant sur une prétendue dénaturation par le Conseil d’Etat de dispositions fiscales internes, le mal fondé manifeste du fait de l’absence apparente de violation d’un droit garanti par la Convention ou encore le défaut de préjudice important,
– même informé des chances de succès de son action, M. [R] n’aurait pas abandonné son action, ce dernier décrivant lui-même que le combat mené contre l’administration fiscale était le ‘combat de sa vie’, au point d’engager de nombreux frais, de façon totalement déraisonnable,
– il ne démontre pas non plus que la saisine du défenseur des droits aurait pu réparer ses prétendus préjudices et qu’elle était susceptible de prospérer, sa responsabilité ne pouvant être engagée au seul motif qu’elle a proposé à titre gracieux (sic) cette procédure, M. [R] n’ayant par ailleurs pas saisi le défenseur des droits avec son nouveau conseil.
Elle ajoute subsidiairement que la preuve de la chance réelle et sérieuse d’obtenir gain de cause n’est pas établie,
– la consultation du professeur [L] étant privée et effectuée à la demande de M. [R], il n’est pas démontré que la cour se serait rangée à cet avis subjectif, lequel n’aborde ni la thématique de la recevabilité de l’action de M. [R], alors que statistiquement, moins de 5 % des requêtes font l’objet d’une décision sur le fond, ni les chances concrètes de succès d’un recours devant la CEDH fondé sur ces arguments,
– la consultation du professeur [E] n’aborde pas plus la question de la recevabilité,
– rien n’établit que les requêtes auraient pu satisfaire les autres critères de recevabilité cités précédemment, ni que sur le fond la violation de l’article 1er du protocole additionnel n°1 de la CEDH aurait été retenue, l’atteinte à la propriété du requérant devant être justifiée tout comme l’ingérence illégitime de l’Etat,
A titre encore plus subsidiaire, elle estime que l’appelant ne démontre aucun préjudice.
Lorsque l’avocat ne rapporte pas la preuve qu’il a rempli son devoir d’information et de conseil ou lorsque il est démontré par son client un manquement de diligence dans l’accomplissement de sa mission, il doit réparer le préjudice direct, certain et actuel en relation de causalité avec le manquement commis.
En outre, lorsque le manquement a eu pour conséquence de priver une partie d’une voie d’accès au juge, il revient à celle-ci de démontrer la réalité de la perte de chance, réelle et sérieuse, laquelle doit résulter de la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable.
Il convient d’évaluer les chances de succès de la voie de droit manquée en reconstituant le procès comme il aurait dû avoir lieu, ce à l’aune des motivations de la décision qui a été rendue, des dispositions légales qui avaient vocation à s’appliquer au regard des prétentions et demandes respectives des parties ainsi que des pièces en débat.
Il doit être apporté la preuve que la perte de chance est réelle et sérieuse et si une perte de chance même faible est indemnisable, la perte de chance doit être raisonnable et avoir un minimum de consistance. La réparation de la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.
Il est rappelé que selon l’article 35§ 2 de la Convention, la Cour ne retient aucune requête individuelle nouvelle lorsqu’elle est essentiellement la même qu’une requête précédemment examinée par elle.
La Cour vérifie si les deux requêtes dont elle a été saisie ont trait essentiellement à la même personne, aux mêmes faits et aux mêmes griefs ([A] c. Croatie (déc.), § 28 ; Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], § 63 ; [U] et autres c. Roumanie, §§ 106-111 ; [V] [Localité 6] c. Espagne, § 44).
En particulier, dans l’arrêt [U] et autres c. Roumanie, précité, la Cour a relevé que:
– les requérants avaient introduit deux plaintes pénales, la première en 2004 et la seconde en 2007, pour dénoncer les mêmes faits qui avaient eu lieu le 18 mars 2004, ces plaintes ayant donné lieu à des procédures distinctes,
– elle était saisie d’une requête au titre du rejet de la première plainte alors que le rejet de la seconde plainte avait fait l’objet d’une seconde requête déclarée par elle irrecevable pour tardiveté, en application de l’article 35 § 1 et 4 de la Convention.
Les deux plaintes pénales ayant donné lieu à des procédures distinctes devant les juridictions internes, la Cour a jugé recevable la requête dont elle était saisie au titre de la première plainte dès lors que la procédure ouverte à la suite de cette plainte n’avait pas été examinée dans le cadre de la requête déclarée irrecevable pour tardiveté.
Dès lors que les deuxième et troisième requêtes introduites par la société PWC dans l’intérêt de M. [R] portaient sur des faits différents à savoir deux impositions de la plus-value intervenues l’une en 1995 au titre d’une cession de brevet et l’autre en 2002 au titre d’une cession de logiciels, ayant donné lieu à deux procédures différentes et que la troisième requête ne portait pas sur la première imposition examinée dans le cadre de la requête déclarée irrecevable, la Cour, de manière certaine, ne peut avoir déclaré irrecevable cette troisième requête au motif qu’elle était sensiblement la même que la précédente, au sens de l’article 35 § 2 de la Convention.
Il s’en déduit, non seulement que cette requête a été déclarée irrecevable pour l’un ou plusieurs des autres motifs d’irrecevabilité mentionnés à l’article 35 de la Convention à savoir le défaut d’épuisement des voies de recours interne, le mal fondé manifeste de la demande, le mal fondé manifeste du fait de l’absence apparente de violation d’un droit garanti par la Convention et le défaut de préjudice important, mais également que la saisine de la CEDH au titre du premier contentieux fiscal, même respectant les exigences de l’article 47 du règlement de la Cour et présentée dans le délai de six mois prévu à l’article 35 § 1 de la Convention dans sa version applicable à la date de la requête, qui était formulée dans les mêmes termes, aurait également été déclaré irrecevable pour l’un ou plusieurs des motifs précités.
En conséquence, M. [R] n’établit pas de lien de causalité entre les manquements de diligence retenus quant à la saisine de la CEDH et les préjudices qu’il invoque.
M. [R] ne soutient pas et, en toute hypothèse, n’établit pas que dûment informé des risques d’échec de son action devant la CEDH, il aurait renoncé à introduire ladite action, exposant non seulement qu’il ne doutait pas de la pertinence et de la justesse de l’analyse juridique du professeur [L] laquelle a été intégralement reprise dans ses requêtes au titre de sa démonstration de la violation de l’article 1er du protocole additionnel n°1 de la Convention mais surtout que le combat mené contre l’administration fiscale était le ‘combat de sa vie’.
Enfin, il ne justifie pas en quoi l’absence de saisine du défenseur des droits lui aurait fait perdre une chance d’obtenir la réparation des préjudices qu’il allègue.
En conséquence, en absence de lien de causalité entre les fautes de la société PWC et les préjudices invoqués par M. [R], ce denier est débouté de ses demandes, en confirmation du jugement.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les dispositions relatives aux dépens et aux frais de procédure de première instance sont confirmées.
Les dépens d’appel doivent incomber à M. [R], partie perdante.
Toutefois, il n’y a pas lieu, en équité, de le condamner à payer à la société PWC une somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Condamne M. [J] [R] aux dépens, dont distraction au profit de la Scp Raffin et associés agissant par M. [P] [O],
Déboute la SELAS PWC de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La Greffière La Présidente
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