7ème Ch Prud’homale
ARRÊT N°297/2023
N° RG 20/02595 – N° Portalis DBVL-V-B7E-QVLS
S.A.S.U. ICELTYS
C/
Mme [W] [K]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 22 JUIN 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère, faisant fonction de Président
Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Hervé KORSEC, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,
GREFFIER :
Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 14 Mars 2023 devant Madame Liliane LE MERLUS, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
En présence de Monsieur [D] [Z] médiateur judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 22 Juin 2023 par mise à disposition au greffe, date à laquelle a été prorogé le délibéré initialement fixé au 08 juin 2023
****
APPELANTE :
S.A.S.U. ICELTYS agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 7]
[Localité 2]
Représentée par Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Maud JEZEQUEL, Plaidant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉE :
Madame [W] [K]
née le 10 Janvier 1991 à [Localité 5]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Emmanuel TURPIN de la SELEURL SELURL JURIS LABORIS, Plaidant, avocat au barreau de SAINT-MALO
Représentée par Me Anne BOIVIN-GOSSELIN, Postulant, avocat au barreau de RENNES
EXPOSÉ DU LITIGE
La SASU Iceltys a pour activité la vente, l’installation et la maintenance de matériels informatiques.
Mme [W] [K] a été engagée par la société Iceltys selon un contrat à durée indéterminée en date du 17 octobre 2016. Elle exerçait les fonctions d’ingénieur commercial et était chargée de la commercialisation des produits de la société.
Les relations entre les parties étaient régies par la convention collective des commerces de détail de papeterie, fournitures de bureau, de bureautique et informatique et de la librairie.
Le 26 janvier 2018, la salariée a effectué un signalement à l’inspection du travail et au Procureur de la République de Rennes en dénonçant des pratiques, frauduleuses selon elle, de la société.
À compter du 10 février 2018, Mme [K] a été placée en arrêt de travail prolongé à plusieurs reprises.
Au terme d’une visite de reprise organisée le 27 mars 2018, le médecin du travail a émis un avis d’inaptitude, précisant que tout maintien de la salariée dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.
Par courrier du 10 avril 2018, la société Iceltys a convoqué Mme [K] à un entretien préalable au licenciement fixé au 23 avril suivant.
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 26 avril 2018, la salariée s’est vue notifier un licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
***
Mme [K] a saisi le conseil de prud’hommes de Dinan par requête en date du 19 décembre 2018 afin de voir :
‘A titre principal,
– Dire et juger que Madame [K] a fait l’objet d’un harcèlement moral dans l’exercice de ses fonctions
– Prononcer, en conséquence, la nullité de son licenciement et condamner la Société Iceltys au paiement de la somme de 69 628,56 euros
A titre subsidiaire,
– Dire et juger sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude dont a fait 1’objet Madame [K], en raison du manquement de la société à son obligation de sécurité-résultat
– Condamner, en conséquence, la Société Iceltys au paiement de la somme de 11 604,76 euros à titre d`indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
En tout état de cause ,
– Indemnité compensatrice de préavis, outre 580,23 euros au titre des congés payés afférents : 5 802,38 euros
– Indemnité de licenciement : 3 059,41 euros
– Indemnité au titre du travail dissimulé : 34 814,28 euros
– Rappel de salaire, outre 89 euros au titre des congés payés afférents :890,00 euros
– Remise des bulletins de salaire rectifiés ainsi qu’un certificat de travail, une attestation Pôle Emploi et un solde de tout compte conformes à la décision à intervenir, le tout sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document à compter du 15ème jour suivant la notification de la décision à intervenir, le conseil de prud’hommes se réservant le pouvoir de liquider l’astreinte
– Exécution provisoire
– Article 700 du code de procédure civile : 2 500,00 euros
– Dépens.’
La SASU Iceltys a demandé au conseil de prud’hommes de :
A titre principal,
– Débouter Madame [K] de l’ensemble de ses demandes.
A titre subsidiaire,
– Juger que le salaire mensuel brut moyen de Madame [K] est de 4 895,66 euros
– Indemnité pour licenciement nul : 29 373,96 euros
– Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 2 447,83 euros
-Indemnité compensatrice de préavis, outre 495,56 euros au titre des congés payés afférents :4 895,66 euros
– Indemnité de licenciement doublée (complément) : 2 160,23 euros
– Indemnité au titre de l’indemnisation du travail dissimulé : 29 373,96 euros
– Article 700 du code de procédure civile : 2 500 euros
– Dépens.
Par jugement en date du 11 février 2020, le conseil de prud’hommes de Dinan a :
– Jugé nul le licenciement prononcé à l`encontre de Madame [W] [K] le 26 avril 2018, avec toutes conséquences de droit ;
– Condamné la SASU Iceltys à verser à Madame [W] [K] les sommes suivantes :
– 69 628,56 euros nets au titre des dommages et intérêts pour nullité de licenciement,
– 5 802,38 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
– 580,23 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
– 3 059,41 euros nets au titre de l’indemnité complémentaire de licenciement,
– 890,00 euros bruts au titre du rappel de salaire,
– 89,00 euros bruts au titre des congés payés sur le rappel de salaire,
– 2 500,00 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Prononcé l’exécution provisoire ;
– Ordonné à la SASU Iceltys de remettre à Madame [W] [K] les bulletins de salaire rectifiés ainsi qu’un certificat de travail, une attestation Pôle Emploi et un solde de tout compte conformes à la décision, le tout sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document à compter du 15ème jour suivant la notification de la décision à intervenir ;
– S’est réservé le pouvoir de liquider l’astreinte ;
– Débouté Madame [W] [K] du surplus de ses demandes ;
– Débouté la SASU Iceltys de ses demandes reconventionnelles, à l’exception de l’indemnité pour travail dissimulé ;
– Condamné la SASU Iceltys aux dépens, ce y compris les éventuels frais d’exécution.
***
La SASU Iceltys a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 10 juin 2020.
En l’état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 08 mars 2021, la SASU Iceltys demande à la cour de :
A titre principal
– Déclarer recevable et bien fondé l’appel interjeté par la Société Iceltys,
En conséquence, réformant la décision entreprise,
– Infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Dinan en date du 11 janvier 2020 dans l’ensemble de ses dispositions,
Statuant à nouveau :
– Juger que Madame [K] n’a pas été victime de harcèlement moral,
– Par conséquent, juger le licenciement de Madame [K] justifié et régulier,
En conséquence,
– Débouter Madame [K] de l’intégralité de ses demandes,
À titre subsidiaire, si, par extraordinaire, la cour constatait une situation de harcèlement moral :
– Revoir à de plus justes proportions le montant des indemnités octroyées à Madame [K] sur la base du préjudice subi et d’une rémunération mensuelle moyenne réévaluée dans de plus justes proportions,
À titre très subsidiaire,
– Débouter Madame [K] de sa demande tendant à voir dire que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité,
– Par conséquent, débouter Madame [K] de sa demande au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– Débouter Madame [K] de sa demande au titre de I’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
À titre très infiniment subsidiaire, si, par extraordinaire, la cour constatait un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité:
– Réduire à de plus justes proportions le montant des indemnités octroyées à Madame [K] sur la base du préjudice subi et d’une rémunération mensuelle moyenne réévaluée dans de plus justes proportions,
En tout état de cause,
– Condamner Madame [K] à verser à la société la somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner Madame [K] aux éventuels dépens,
– Débouter Madame [K] de sa demande au titre de I’article 700 du code de procédure civile et au titre des dépens.
En l’état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 03 septembre 2021, Mme [K] demande à la cour de :
‘A titre principal
– Débouter la Société Iceltys de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Dinan le 11 février 2020, en ce qu’il a :
‘ Jugé que Madame [K] a fait l’objet d’un harcèlement moral dans l’exercice de ses fonctions
‘ Prononcé la nullité du licenciement de Madame [K]
‘ Condamné la société Iceltys à lui verser la somme de 69 628,56 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;
‘ Condamné la société Iceltys à lui verser la somme de 5 802,38 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis ;
‘ Condamné la société Iceltys à lui verser la somme de 580,23 euros au titre des congés payés afférents ;
‘ Condamné la société Iceltys à lui verser la somme de 3 059,4 euros à titre de complément d’indemnité de licenciement ;
‘ Condamné la société Iceltys à lui verser la somme de 890 euros à titre de rappels de salaire ;
‘ Condamné la société Iceltys à lui verser la somme de 89 euros au titre des congés payés afférents;
‘ Condamné la société Iceltys a lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Y additant
– Condamner la société Iceltys à verser à Madame [K] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– La condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel ;
A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour d’appel venait à réformer le jugement du conseil de prud’hommes de Dinan concernant la nullité du licenciement
– Dire que la société Iceltys a manque à son obligation de sécurité ;
– Juger sans cause réelle et sérieuse le licenciement dont a fait l’objet Madame [K] ;
– Condamner la société Iceltys à verser à Madame [K] la somme de 11 604,76 euros, soit 2 mois de salaires, à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– Condamner la société Iceltys à verser à Madame [K] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– La condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel.’
***
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 28 février 2023 avec fixation de la présente affaire à l’audience du 14 mars 2023.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions qu’elles ont déposées et soutenues à l’audience.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de rappel de salaires
La société Iceltys critique le jugement en ce qu’il a l’a condamnée au paiement de la somme de 890 euros correspondant au montant de commissions non payées, sans justification et alors que Mme [K], qui prétendait que la société lui était redevable de différentes sommes au titre de rappel de salaires pour une vente et des animations commerciales, n’en justifiait pas non plus et n’apportait aucun élément permettant de considérer que c’était bien elle qui était à l’origine de ces ventes et animations.
Madame [K] réplique qu’elle devait percevoir des primes et chèques cadeaux au titre de certaines opérations réalisées par elle :
-440 euros au titre de la vente imprimerie Boucher,
-220 euros et 80 euros de chèques cadeaux pour l’animation commerciale Action Publicité,
-150 euros de chèques cadeaux pour l’animation Rochard et fils
et qu’elle en justifie, demandant en conséquence la confirmation du jugement sur ce point.
***
Mme [K] produit :
-la facture de la vente au client Porcher, sur laquelle est précisé son nom en qualité de vendeur,
-le mail de l’employeur précisant les conditions à remplir pour bénéficier d’une animation vente et son mail faisant référence à une vente réalisée dans les conditions exigées pour obtenir un chèque cadeau (vente Rochard), non contesté par l’employeur, avant que l’opération ne soit suspendue,
-un mail confirmant que le client Action Publicité était situé sur son secteur, la société ne contestant pas qu’une vente a bien été conclue avec celui-ci.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a condamné la société Iceltys à payer à Mme [K] la somme de 890 euros au titre de rappel de commissions (en euros et chèques cadeaux), outre 89 euros de congés payés afférents.
Sur le travail dissimulé
Mme [K] ne critique pas le jugement entrepris en sa disposition qui l’a à juste titre débouté de sa demande d’indemnité à ce titre, au motif que les chèques cadeaux appartiennent aux fournisseurs, tenus des obligations relatives aux cotisations afférentes. Il sera confiormé de ce chef.
Sur la demande de nullité du licenciement pour harcèlement moral
La société Iceltys critique le jugement entrepris en ce que le conseil des prud’hommes, pour retenir certains des faits allégués par Mme [K], a uniquement tenu compte des éléments, bien que non établis, invoqués par celle-ci, et d’attestations qui ne concernent pas la salariée, sans tenir compte des explications apportées par l’employeur, contrairement à ce que prévoit le régime probatoire applicable en matière de harcèlement.
Mme [K] réplique :
-qu’elle apporte suffisamment d’éléments pour que l’existence de faits susceptibles d’être qualifiés de harcèlement moral soit présumée, comme l’a constaté le conseil des prud’hommes, ainsi que de nombreux éléments permettant également de faire la preuve de la dégradation considérable de son état de santé,
– que les premiers juges ont pris en compte les arguments de la société, qu’ils ont longuement repris dans leur jugement, mais, celle-ci ne parvenant pas à démontrer l’absence de harcèlement à travers ses explications douteuses et non corroborées par des éléments probants, ont légitimement reconnu la situation de harcèlement moral subie par la salariée.
***
En application de l’article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale et de compromettre son avenir professionnel.
En application de l’article L 1154-1 du code du travail il appartient au salarié de présenter les éléments de fait laissant présumer des agissements de harcèlement moral, au juge d’appréhender les faits dans leur ensemble et de rechercher s’ils permettent de présumer l’existence d’un harcèlement, à charge ensuite pour l’employeur de rapporter la preuve que les agissements reprochés ne sont pas constitutifs de harcèlement et s’expliquent par des éléments objectifs.
Au titre du harcèlement moral, Mme [K] expose les éléments suivants :
-la modification unilatérale de son secteur géographique.
Cependant il ressort des propres explications et courriels de Mme [K] adressés en cours d’exécution de son contrat (avant son arrêt de travail) que, si son contrat de travail mentionne qu’elle ‘exercera ses fonctions sur tout le territoire de l’Ille et Vilaine’, (sans qu’il ne soit stipulé une exclusivité sur son secteur), il a toujours été convenu, dès le début de son contrat de travail, qu’elle exerçait en l’état essentiellement sur le secteur nord, c’est à dire : [Localité 8]/[Localité 4]/[Localité 6]. Le fait que le nouveau commercial, M. [P], ait pris une commande, à titre exceptionnel, auprès d’un client de ce secteur, dans une situation sur laquelle l’employeur est amené à apporter des explications, ne peut être considéré comme une modification du secteur géographique de l’intimée, alors même que M. [L] a confirmé, par des courriels du 27 août 2017 et du 18 janvier 2018 que le secteur de Mme [K] était bien toujours le nord ouest du département 35, ainsi que le nord ouest de la ville de [Localité 6], M. [P] se voyant confier la partie nord est, comme le précise d’ailleurs la salariée elle-même dans un mail du 8 janvier 2018, et non pas le secteur antérieurement travaillé par elle. Elle produit une attestation de M. [P] qui affirme simplement qu’il n’a pas eu de problèmes avec elle mais qui n’indique en aucune manière, bien qu’il ne soit plus sous un lien de subordination avec la société, qu’il lui aurait été demandé de prospecter le secteur de Mme [K].
L’élément de fait invoqué n’est donc pas établi et doit être écarté.
-la fixation d’objectifs inatteignables.
Cependant, Mme [K] ne produit qu’une proposition de plan de rémunération et d’objectifs 2018, prévoyant une modification de l’assiette des taux de marge clients et prospects de respectivement 11% et 17% sur marge commerciale à 12% (9% de marge commerciale +3% si les coûts page de l’ancien contrat de maintenance sont maintenus)et 18% (15% de marge commerciale +3% si les coûts page sont validés selon la grille tarifaire), avec une augmentation des objectifs chiffrés. Mme [K] a contesté cette proposition auprès de son employeur de manière argumentée, en indiquant que, pour conclure, elle ne remettait pas en cause la politique commerciale qu’il souhaitait suivre et qu’elle comprenait parfaitement, mais que les objectifs étaient trop importants et que l’augmentation des tarifs à la page risquait de la désavantager vis à vis de la concurrence. L’employeur a tenu compte de son opposition et a proposé le 2 février 2018 un avenant que Mme [K] ne critique pas. Elle ne rapporte pas d’éléments établissant la réalité de menaces, qu’elle allègue, et qui sont contestées, au cas où elle ne signerait pas ce nouvel avenant.
Il ne ressort des pièces produites par Mme [K] qu’une proposition, discutée, à laquelle l’employeur a renoncé ; la bonne foi contractuelle est présumée et les termes du débat entre les parties dans leur échange de courrier ne révèlent pas de mauvaise foi de l’employeur.
La fixation d’objectifs inatteignables n’est donc pas un élément de fait établi et doit être écarté.
-le retrait du téléphone professionnel.
Cependant si le téléphone portable de Mme [K] lui a été ‘retiré’ c’est en raison d’un dysfonctionnement de celui-ci, qu’elle a signalé, comme il résulte des mails qu’elle produit, l’employeur lui demandant en conséquence de ramener au plus vite le téléphone avec la boîte et le chargeur pour que la réparation puisse être prise en charge au titre de la garantie.
Il lui a été indiqué dans un premier temps, le 24 janvier 2018, qu’un téléphone de prêt lui serait remis à l’agence et qu’en attendant les appels entrants étaient réceptionnés à l’entreprise pour le bon fonctionnement des affaires . Il lui a été précisé ensuite le 31 janvier 2018 que la réparation demandait un délai minimum de 15 jours, qu’une solution alternative était recherchée et qu’en attendant elle pouvait appeler les clients à partir des postes fixes de l’agence; qu’un téléphone de prêt était disponible (31 janvier au soir). Il ne ressort d’aucun mail qu’il aurait été demandé à Mme [K] de trouver par elle-même un téléphone portable et la chronologie dément que l’employeur ait attendu qu’elle l’informe le 31 janvier qu’elle avait trouvé un téléphone pour en mettre un à sa disposition, puisque la facture produite aux débats (pièce 25 de l’appelante) démontre que le téléphone a été acheté dès le 30 janvier 2018 et qu’il ressort des explications de la société que la solution de prêt initialement envisagée (téléphone d’un autre salarié) a été abandonnée. Le délai de quelques jours entre le 24 janvier et le 31 janvier durant lequel une solution alternative était recherchée n’est pas indicateur d’un contexte de harcèlement moral et l’élément de fait invoqué, qui n’est en réalité pas un ‘retrait’ de téléphone mais une remise temporaire pour réparation, doit en conséquence être écarté.
-les contre-ordres et critiques injustifiées.
Cependant contrairement à ce qu’affirme Mme [K], dans son mail du 6 février 2018 M. [L] ne lui demande pas de bloquer tous les jeudis pour prospecter physiquement le secteur de [Localité 6], mais ‘ce jeudi’ (8 février), lui rappelant qu’il avait été convenu qu’elle devait bloquer une journée par semaine pour la prospection physique sur ce secteur ; cette consigne lui avait été donnée le 18 janvier 2018 pour une application la semaine suivante et il ne ressort pas du mail du 26 janvier 2018 de M. [L] qu’il y ait eu un contre ordre inexpliqué puisqu’il apparait au contraire qu’il avait été convenu que Mme [K] et M. [P] se rendent disponibles la veille pour relancer leurs clients et prospects en vue de les inviter pour une opération programmée le 22 février 2018, et qu’il a alors proposé à Mme [K], qui avait oublié la consigne, de le faire le 26 janvier. Si M. [L] a commencé à s’intéresser de plus près à l’agenda de la salariée, il lui avait indiqué le 10 novembre 2017 qu’elle n’avait atteint, sauf erreur, que 50% de ses objectifs (au vu de ses bulletins de salaire, sa prime objectifs mensuels, de 500 euros jusqu’alors, était effectivement de 250 euros en octobre 2017), ce qu’elle n’a pas commenté, et dans un mail du 16 novembre 2017 (objet : synthèse entretien revue portefeuille affaires du mercredi 15 novembre) qu’elle n’avait pour novembre et décembre que 10 affaires ‘chaudes’ en portefeuille ; qu’il souhaitait en conséquence l’alerter sur le niveau bas d’affaires traduisant son activité commerciale ainsi que sur le fait que la plupart de ses dossiers se trouvaient géographiquement sur le secteur malouin, l’invitant à développer ses affaires sur un rayon plus large de son secteur. Mme [K] n’a aucunement contesté ce constat à réception et ne produit aucune réponse de sa part sur ces points de vigilance. Les courriels de M. [L], qui intéressaient également M. [J], son associé mis en copie, s’inscrivent en conséquence dans ce contexte dans le cadre de son pouvoir de direction, comme ceux relatifs à ses demandes de compte rendus précis d’activité, nécessaires pour le suivi de l’activité des salariés puisque Mme [K] n’était pas la seule commerciale sur le département d’Ille et Vilaine, et dont rien, dans le ton, le contenu ou la fréquence des demandes, n’est indicateur de critiques ou pressions injustifiées, le mail évoquant la ‘relance 22″ n’apparaissant en outre être rien d’autre qu’une équivoque, pas nécessairement sans fondement puisqu’il résulte de la propre affirmation de Mme [K] dans un courrier du 29 janvier 2018 que ‘il m’arrive de gérer également certains clients du 22″ notamment ‘par recommandation’, l’employeur lui rappelant alors qu’il ne faisait pas partie de ses attributions de gérer la clientèle sur le département des Côtes d’Armor, réservée à l’un de ses collègues.
L’élément de fait allégué n’est pas établi et doit être écarté.
-les entraves à l’exercice des fonctions.
Mme [K] invoque à ce titre qu’elle était régulièrement la cible de propos sexistes de ses supérieurs hiérarchiques, qu’elle devait attendre plusieurs mois et effectuer de nombreuses relances pour obtenir le remboursement de ses frais, que l’employeur a installé sur son ordinateur professionnel un logiciel de récupération de données et un logiciel empêchant la modification des fichiers identifiés comme personnels.
Cependant, s’agissant des frais d’essence, elle ne produit qu’un mail du 17 novembre 2017 qu’elle a adressé à l’employeur dans lequel elle mentionne qu’elle n’a pas eu le remboursement du ticket d’essence de septembre 2017 tandis que l’employeur produit sa demande de remboursement de ses frais d’essence de septembre, qu’elle n’a adressée que le 20 novembre 2017 et qui a donné lieu à règlement le 1 er décembre 2017, ce qui ne peut être considéré comme un paiement avec retard.
S’agissant de propos sexistes dont elle soutient qu’elle était régulièrement la cible, elle produit un mail de M. [L], qu’elle informait s’être fait ‘envoyer bouler’ par les secrétaires d’un client, lesquelles lui avaient raccroché deux fois au nez, lui répondant ‘oui, très beau décolleté… elles n’aiment a priori pas les femmes…je m’en occupe’. Cependant cet échange a eu lieu en juin 2017, soit bien antérieurement à la période où elle aurait commencé, selon elle, à être harcelée en raison d’une dénonciation de pratiques de la société, dénonciation qu’elle situe en septembre 2017, et alors même qu’il ressort de la teneur d’un mail qu’elle a adressé à M. [L] le 1 er décembre 2017 qu’en son absence elle était encouragée et suivie par M. [J], et le reste de l’équipe, dans une bonne ambiance. Le mail isolé précité, dans lequel M.[J], même si cela n’est pas nécessairement approprié, met, en s’adressant à Mme [K], au compte de son excès de charme féminin, et non au compte d’un mauvais relationnel avec le client, la rebuffade qu’elle a essuyée, n’est pas indicateur d’un comportement sexiste dont l’intimée serait la cible habituelle et dont elle n’a du reste jamais fait état durant la relation contractuelle, malgré son abondante correspondance. Quant à l’attestation de M. [H], qui affirme entre autres ‘voir pleurer Mme [K] sous forme de dépression car l’acharnement durait depuis trop longtemps et se répétait sans cesse de la part de M. [L] et M. [J]’, fait état d’un ‘manque de riguerur volontaire dans le paiement des commissions de Mme [K]’et ‘avoir déjà entendu de la bouche de M. [J] le fait que Mme [K] était ‘bonne’ au début de ma période dans l’entreprise’ il y a lieu de rappeler qu’il s’agissait d’un jeune homme employé en alternance dans le cadre de sa formation de vendeur. Rien ne permet de prendre en mauvaise part les propos, non circonstanciés, de M.[J], s’agissant d’une commerciale qui pouvait parfaitement être désignée comme ‘bonne'(commerciale) à un jeune commercial qui avait tout à apprendre de sa formation en alternance.
S’agissant de l’installation de logiciels, celle-ci ne peut être reprochée à l’employeur, s’agissant d’un ordinateur professionnel et il n’est pas établi par les pièces produites aux débats qu’elle ait généré, au-delà de l’adaptation à l’installation, un dysfonctionnement notable.
L’élément de fait invoqué doit donc être écarté.
-les atteintes directes à la rémunération
Mme [K] invoque une suppression injustifiée de primes concernant deux clients, [T] et [G], cependant elle ne formule aucune prétention à ce sujet et admet donc implictement le caractère fondé des explications que lui a adressées la société le 18 janvier 2018. L’élément de fait invoqué n’est pas établi.
Elle fait également valoir que la société employeur a annulé une animation vente Ricoh, au motif d’une annulation de l’opération par la société Ricoh, alors qu’elle avait conclu une vente lui permettant de bénéficier d’une prime dans ce cadre. Elle produit les mails de mise en place de cette animation, d’annulation de l’animation, de réclamation de sa part au sujet de la prime.
Cet élément de fait est établi.
-la reprise de dossiers et de clients :
Elle invoque à ce titre deux clients repris par M. [L], un client repris par M. [J] et un client pris par M. [P], et produit des mails relatifs à ces affaires.
-elle produit des certificats médicaux et des attestations de proches faisant état d’une dégradation de son état de santé qu’ils mettent en lien avec sa vie professionnelle.
Ces éléments pris dans leur ensemble peuvent laisser présumer une situation de harcèlement moral.
Cependant la société Iceltys justifie :
– par la production de la facture Trans Mat, que n’a été vendue qu’une imprimante, sans contrat de maintenance, matériel à marge commerciale très faible n’entrant pas dans les plans de commissionnement, lors d’un passage du client en magasin pour des achats de fournitures,vente faite non par M. [L] mais par le comptable présent,
– par la production du mail adressé par M. [L] au client Action Publicité, qu’il s’agissait bien d’une personne que M. [P] connaissait et avec lequel il était déjà en relation commerciale, comme il s’évince de l’analyse de la teneur du message,
– par les mails des 30 et 31 janvier 2018 que le client [V] n’avait pas encore accepté la proposition commerciale faite par Mme [K], que M. [J] a modifié la proposition, acceptée ensuite par le client, mais qu’il a envoyé le devis à Mme [K], lui laissant le soin de l’adresser au client, ‘comme elle gère le dossier’,
-par les échanges entre M. [L] et la société Sogecom, que cette société, dont il n’est pas contesté qu’il s’agit du cabinet d’expertise comptable de la société, compte plusieurs agences et est un grands compte géré directement par M. [L].
Elle établit donc que la gestion de ces dossiers clients s’explique par des éléments objectifs, étrangers à du harcèlement moral.
Elle ne produit pas d’écrit de la société Ricoh relative à l’opération publicitaire, et ne justifie pas que c’est bien ce fournisseur qui a annulé l’opération, alors que Mme [K] soutient qu’il s’agit d’une opération d’animation interne. Toutefois ce fait, unique, n’est pas constitutif d’agissements répétés ayant pour effet ou pour objet de dégrader les conditions de travail ou l’état de santé de la salariée. Les éléments médicaux qui ne font que rapporter les doléances de la salariée et n’ont donné lieu à aucune constatation personnelle des praticiens, et les attestations produites par Mme [K], ainsi que l’avis d’inaptitude, ne peuvent donc être mis en lien avec les éléments invoqués au titre du harcèlement moral.
Quant aux éléments postérieurs à la rupture du contrat invoqués par Mme [K], relatifs à l’attestation Pôle Emploi et à la portabilité de la Mutuelle, il n’y a pas lieu de les prendre en compte en ce qu’ils n’ont pas pu dégrader les relations de travail pendant l’exécution du contrat.
Il convient en conséquence de débouter Mme [K] de ses demandes de voir dire son licenciement nul pour harcèlement moral subi et de sa demande de dommages et intérêts subséquente, par voie d’infirmation du jugement.
Sur l’obligation de sécurité et la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Mme [K] soutient à titre subsidiaire que l’employeur est resté sourd à tous les signes évidents que la relation de travail était dégradée et n’a pris aucune mesure pour prévenir l’aggravation de cette situation, jusqu’à son arrêt de travail et son inaptitude.
La société Iceltys réplique que Mme [K] oublie que M. [L] lui proposait un accompagnement particulier pour exécuter son travail et qu’elle reproche de manière contradictoire à l’employeur de ne pas avoir pris les mesures de prévention alors même qu’elle lui reproche dans un même temps les mesures d’accompagnement en considérant qu’elles sont constitutives d’une situation de harcèlement moral ; qu’elle ne peut donc se plaindre alors qu’elle a refusé toute aide et n’a jamais fait part d’une quelconque situation de difficulté.
***
Aux termes des articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail en leur rédaction alors applicable, l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité à l’égard des salariés visant à protéger leur santé physique et mentale et à en prévenir les risques d’atteinte ; aux termes de ces dispositions, il doit prendre les mesures pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment par des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation et la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés pour éviter les risques et évaluer ceux qui ne peuvent être évités.
Mme [K] a adressé :
-le 1 er décembre 2017 un mail à M. [L] faisant apparaître une différence, selon elle, dans ses conditions de travail, entre le management de M. [J], qui l’encourageait, et le sien qui ne lui donnait pas envie ‘d’aller chercher des dossiers sur le terrain’, de se ‘démener’,
-le 16 janvier 2018 un courrier dont l’objet était ‘comportement nuisible’, évoquant les textes légaux relatifs aux obligations de l’employeur en matière de sécurité et de harcèlement moral,
-un courrier de l’inspection du travail, répercutant les doléances de Mme [K].
L’employeur, qui n’a traité la situation que sous l’angle des réponses factuelles aux allégations, contestées par lui, de la salariée, dans le cadre d’une dégradation des relations qu’il ne pouvait que constater au vu des mails de Mme [K], ne justifie pas de mesures prises à la suite de ces correspondances.
Il ne justifie d’aucune mesure particulière prise pour prévenir une dégradation de la relation contractuelle, et un risque d’atteinte à la santé mentale et physique de la salariée, qui, à la suite de ces correspondances, a été placée en arrêt maladie.
Le manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur est par conséquent constitué et doit être mis en lien avec l’inaptitude qui s’en est suivie, liée au déficit de communication, et aurait pu être évitée s’il avait pris des mesures d’enquête ou, à tout le moins, d’entretien avec la salariée. Le licenciement de Mme [K] est dès lors dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Il doit en conséquence être fait droit à sa demande de paiement de l’indemnité compensatrice de préavis, sur la base, plus avantageuse pour elle, des trois derniers mois de salaire, soit 5802,38 euros, outre 580,23 euros de congés payés afférents, de l’indemnité de licenciement spécifique de l’article L1234-9 du code du travail, soit un reliquat de 3059,41 euros. Le jugement entrepris sera confirmé en ces dispositions.
En application de l’article L1235-3 du code du travail, Mme [K] a droit à une indemnité, applicable aux entreprises de moins de 11 salariés, comprise entre 0,5 mois et 2 mois de salaire, compte tenu de son ancienneté d’un an. Il y a lieu de réparer le préjudice que lui a occasionné la rupture, au vu des éléments qu’elle produit pour en justifier, par la condamnation de la société Iceltys à lui payer la somme de 7000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, par voie d’infirmation du jugement.
La société appelante devra remettre à Mme [K] les documents de fin de contrat conformes mais il n’est pas justifié d’assortir cete obligation d’une astreinte.
Il est inéquitable de laisser à la charge de Mme [K] ses frais irrépétibles d’appel, qui seront mis à la charge de la société appelante, à hauteur de 1500 euros, en sus de la somme allouée par le premier juge sur ce fondement. La société Iceltys, qui succombe partiellement, sera déboutée de sa demande à ce titre et condamnée aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement entrepris en ce qu’il a dit nul le licenciement de Mme [W] [K] et a condamné la Sasu Iceltys à lui payer la somme de 69 628,56 euros nets de dommages et intérêts pour licenciement nul,et en ce qu’il a assorti d’une astreinte l’obligation de remise des documents de fin de contrat,
Le confirme en ses autres dispositions,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés, et y ajoutant,
Dit que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité,
Dit le licenciement de Mme [W] [K] sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la Sasu Iceltys à payer à Mme [W] [K] les sommes de :
-7000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-1500 euros au titre des frais irrépétibles d’appel,
Condamne la Sasu Iceltys aux dépens d’appel.
Le Greffier Le Président
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