Droit du logiciel : 21 mars 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 21/03026

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Droit du logiciel : 21 mars 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 21/03026

C5

N° RG 21/03026

N° Portalis DBVM-V-B7F-K6RN

N° Minute :

Notifié le :

Copie exécutoire délivrée le :

la SELARL LEXAVOUE

GRENOBLE – CHAMBERY

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE SOCIALE – PROTECTION SOCIALE

ARRÊT DU MARDI 21 MARS 2023

Appel d’une décision (N° RG 18/00279)

rendue par le pôle social du tribunal judiciaire de VIENNE

en date du 22 juin 2021

suivant déclaration d’appel du 09 juillet 2021

APPELANTE :

SAS [4], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 1]

représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY, avocat postulant au barreau de GRENOBLE,

et par Me Sofiane COLY, avocat plaidant au barreau de LYON

INTIMEE :

L’URSSAF RHONE ALPES, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 7]

[Localité 2]

représentée par Me Pierre-Luc NISOL de la SELARL ACO, avocat au barreau de VIENNE substitué par Me Emmanuelle CLEMENT, avocat au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président,

Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller,

M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,

Assistés lors des débats de Mme Chrystel ROHRER, Greffier, et de Mme Fatma DEVECI, greffier stagiaire en pré-affectation

DÉBATS :

A l’audience publique du 10 janvier 2023,

M. Pascal VERGUCHT, chargé du rapport, M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président et Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller ont entendu les représentants des parties en leurs conclusions et plaidoiries.

Et l’affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l’arrêt a été rendu.

EXPOSÉ DU LITIGE

L’URSSAF Rhône-Alpes a envoyé à la SAS [4], entreprise spécialisée dans le transport routier de marchandises, une lettre d’observations du 6 novembre 2017 à la suite d’un contrôle de l’application des législations sociales pour les années 2014 à 2016, la fin de contrôle étant datée du 27 octobre 2017. La régularisation s’élevait à 322.427 euros au titre de six chefs de redressement : 1. indemnités de transport des conducteurs routiers non justifiées (10.209 euros) ; 2. indemnités de grand déplacement des conducteurs routiers non justifiées (282.666 euros) ; 3. indemnités de week-end non justifiées (20.868 euros) ; 4. prise en charge de dépenses personnelles d’un salarié (6.590 euros) ; 5. idem pour un autre salarié (1.803 euros) ; 6. idem pour un autre salarié (291 euros).

A la suite d’une lettre en réponse de la société contrôlée, en date du 15 décembre 2017, l’URSSAF a maintenu le rappel par courriers des 23 janvier et 15 février 2018.

Une mise en demeure du 12 avril 2018 a réclamé à la société une somme de 356.295 euros au titre des 322.423 euros de cotisations, de 33.872 euros de majorations, sur le fondement du contrôle notifié par la lettre d’observations et après un dernier échange du 15 février 2018.

La commission de recours amiable de l’URSSAF Rhône-Alpes a rejeté la contestation de la société le 13 décembre 2019.

Le pôle social du tribunal judiciaire de Vienne saisi par la SAS [4] d’un recours contre l’URSSAF Rhône-Alpes a décidé, par jugement du 22 juin 2021, de :

– rejeter le recours de la société,

– confirmer la décision de la commission de recours amiable,

– dire que les frais irrépétibles de l’URSSAF Rhône-Alpes seront pris en charge par la société pour 1.500 euros.

Par déclaration du 9 juillet 2021, la SAS [4] a relevé appel de cette décision.

Par conclusions déposées le 27 décembre 2022 et reprises oralement à l’audience devant la cour, la SAS [4] demande :

– la réformation ou l’annulation du jugement,

– l’annulation du chef de redressement n° 2, et de la mise en demeure et des décisions implicite et explicite de la commission de recours amiable sur ce point,

– la condamnation de l’URSSAF à lui rembourser 282.666 euros et les majorations de retard afférentes,

– subsidiairement l’annulation de la lettre d’observations, de la mise en demeure et des décisions implicite et explicite de la commission de recours amiable, ainsi que la condamnation de l’URSSAF à lui rembourser 322.427 euros et les majorations de retard afférentes,

– la condamnation de l’URSSAF à lui verser 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions déposées le 16 septembre 2022 et reprises oralement à l’audience devant la cour, l’URSSAF Rhône-Alpes demande :

– le débouté des demandes de la société,

– la confirmation du jugement,

– la condamnation de l’appelante à lui verser 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

En application de l’article 455 du Code de procédure civile, il est donc expressément référé aux dernières conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIVATION

Selon l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale en vigueur à l’époque des faits, toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l’occasion du travail, notamment les salaires ou gains, les indemnités de congés payés, le montant des retenues pour cotisations ouvrières, les indemnités, primes, gratifications et tous autres avantages en argent, les avantages en nature, ainsi que les sommes perçues directement ou par l’entremise d’un tiers à titre de pourboire étaient considérées comme rémunérations pour le calcul des cotisations de sécurité sociale, et il ne pouvait être opéré de déduction au titre de frais professionnels sur la rémunération ou le gain des intéressés servant au calcul des cotisations de sécurité sociale que dans les conditions et limites fixées par arrêté interministériel.

Selon l’arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale en vigueur à l’époque des faits, « les frais professionnels s’entendent des charges de caractère spécial inhérentes à la fonction ou à l’emploi du travailleur salarié ou assimilé que celui-ci supporte au titre de l’accomplissement de ses missions » (article 1).

« L’indemnisation des frais professionnels s’effectue :

1° Soit sous la forme du remboursement des dépenses réellement engagées par le travailleur salarié ou assimilé ; l’employeur est tenu de produire les justificatifs y afférents (…)

2° Soit sur la base d’allocations forfaitaires ; l’employeur est autorisé à déduire leurs montants dans les limites fixées par le présent arrêté, sous réserve de l’utilisation effective de ces allocations forfaitaires conformément à leur objet. Cette condition est réputée remplie lorsque les allocations sont inférieures ou égales aux montants fixés par le présent arrêté aux articles 3, 4, 5, 8 et 9 » (article 2).

Il est prévu spécialement pour les « Indemnités forfaitaires de grand déplacement :

1° En métropole :

Lorsque le travailleur salarié ou assimilé est en déplacement professionnel et empêché de regagner chaque jour sa résidence habituelle, les indemnités de missions destinées à compenser les dépenses supplémentaires de repas sont réputées utilisées conformément à leur objet pour la fraction qui n’excède pas le montant prévu au 1° de l’article 3 du présent arrêté. (15 Euros par repas)

S’agissant des indemnités de mission destinées à compenser les dépenses supplémentaires de logement et du petit déjeuner, elles sont réputées utilisées conformément à leur objet pour la fraction qui n’excède pas par jour 54 Euros pour le travailleur salarié ou assimilé en déplacement à [Localité 5] et dans les départements des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne et par jour 40 Euros pour les travailleurs salariés ou assimilés en déplacement dans les autres départements de la France métropolitaine ;

Le travailleur salarié ou assimilé est présumé empêché de regagner sa résidence lorsque la distance séparant le lieu de résidence du lieu de déplacement est au moins égale à 50 kilomètres (trajet aller) et que les transports en commun ne permettent pas de parcourir cette distance dans un temps inférieur à 1 h 30 (trajet aller). Toutefois, lorsque le travailleur salarié ou assimilé est empêché de regagner son domicile en fin de journée pour des circonstances de fait, il est considéré comme étant dans la situation de grand déplacement. » (article 5).

En l’espèce, il résulte des pièces versées au débat que l’agent chargé du contrôle a demandé par courriels des 28 et 31 août 2017 les bulletins de salaires et relevés de conduites pour certains chauffeurs et certains mois sélectionnés. L’entreprise a fait valoir qu’elle ne conservait pas les données de géolocalisation plus de trois mois et, par courriel du 1er septembre, l’agent contrôleur a demandé les bons de livraison ou de tournée. A la suite d’un échange rapporté par un courriel de l’employeur du 12 septembre 2017, des justificatifs de géolocalisation pour 5 chauffeurs ont été donnés pour le mois de juin 2017. Par courriel du 20 octobre 2017, l’employeur a également fourni des relevés de positionnement établis par les chauffeurs sur des feuilles de décompte, en sachant que la recherche était laborieuse pour les années 2014 et 2015 et qu’il était demandé la possibilité de se concentrer sur l’année 2016.

La lettre d’observations du 6 novembre 2017 a retenu que l’employeur n’a pas été en mesure de justifier de la réalité du déplacement des chauffeurs en présence, pour seuls justificatifs, de relevés d’activités des chauffeurs rapportant leurs heures de conduite et non leurs réels déplacements : dans un souci de simplification, des relevés de géolocalisation pour juin 2017 (donc en dehors de la période vérifiée) avaient été fournis pour vérifier le principe des déplacements, mais de nombreuses anomalies avaient été décelées et n’avaient pas pu permettre de valider la réalité des déplacements professionnels (nombre de découchers supérieur au nombre de jours du mois, indemnités de repas et découchers à l’étranger sans que le camion ait dépassé la frontière, indemnités de découchers alors que le camion était au dépôt’). Seules les indemnités de repas de midi ont donc été retenues compte tenu de l’activité de l’entreprise de transport et des relevés de conduite, le reste des indemnités étant réintégré dans l’assiette des cotisations et justifiant le rappel de 282.666 euros, le détail des calculs étant fourni en annexe.

L’employeur a formulé des observations par courrier du 15 décembre 2017, en joignant des tableaux synthétiques avec les justificatifs confirmant les relevés d’activité transmis.

L’agent en charge du contrôle a répondu les 23 janvier et 15 février 2018 en reprenant la chronologie du contrôle : il lui avait été déclaré qu’il n’y avait pas la capacité de produire des justificatifs pour les indemnités de grand déplacement versées aux chauffeurs entre 2014 et 2016 ; il avait été convenu de procéder d’un commun accord à un contrôle sur juin 2017 pour valider le principe des déplacements et des indemnités, à titre exceptionnel ; l’agent a estimé que l’examen des documents n’a pas permis de justifier la pratique de l’entreprise en termes d’indemnisation, et il a donc été demandé une justification par tous moyens pour les années contrôlées, sur le panel de chauffeurs demandé initialement et en sachant qu’en cas d’anomalies sur ces individus il faudrait procéder à un contrôle pour tous les conducteurs sur les trois années ; dès lors que des anomalies ont été relevées, c’est la pratique de la société dans son intégralité qui a été remise en cause et la vérification a été demandée de manière exhaustive ; n’ayant pas reçu de justificatifs au 16 novembre 2017, la lettre d’observations a été adressée. Concernant les documents transmis le 15 décembre 2017, l’agent relevait des incohérences et des anomalies listées dans une annexe, nécessitant une justification exhaustive des déplacements, et il était rappelé que les salariés domiciliés à proximité du siège de l’entreprise ne pouvaient pas être considérés en grand déplacement lorsqu’ils étaient sur place.

Pourtant, en l’état des pièces versées au débat, l’appelante justifie de très nombreuses lettres de voiture nationales et internationales, de bulletins de paie (avec mention des adresses des salariés), de tableaux récapitulatifs, de relevés d’activités par journée de travail, de feuilles de décompte mensuel signées par les chauffeurs, de copies d’écran du logiciel de gestion, qui prouvent les adresses des salariés, leurs déplacements au-delà de 50 km, au cours des trois années 2014 à 2016. Ainsi, contrairement à ce qui a été soutenu par l’agent en charge du contrôle et à ce qui est conclu par l’URSSAF, le principe de la réalité des grands déplacements est bien établi ainsi que le revendique l’appelante sur la base de ces documents, dont il apparaît qu’ils ont bien été transmis à l’agent au cours du contrôle.

Par contre, les annexes jointes aux courriers de l’agent ne font pas clairement apparaître les motifs et le nombre d’anomalies reprochées, et la lettre d’observation reste évasive.

Il convient donc de retenir que le contrôle a porté en partie sur un mois de juin 2017 non concerné par la période contrôlée de 2014 à 2016, peu important que ce soit sur le fondement d’un accord ; l’employeur a fourni des explications et des documents conformément à ce qui lui était demandé et en sollicitant des délais raisonnables ; le principe des grands déplacements a bien été établi, et l’activité de l’entreprise consiste bien principalement, ce qui n’est pas contesté, en des transports de marchandises entre divers lieux en France métropolitaine et le port de [6] en vue d’exportations en Turquie, et inversement pour des importations venant de Turquie ; ce principe ne peut être remis en cause sur le fondement d’anomalies qui ne sont pas rapportées de manière précise ; les justificatifs versés en nombre à la fin du contrôle et au débat attestent de la réalité des grands déplacements et de la légitimité des indemnités versées ; il n’est pas contesté que l’entreprise n’était pas desservie tardivement par des transports publics, et l’un des salariés a attesté pour confirmer qu’il ne pouvait laisser son véhicule personnel au siège de l’employeur afin de le récupérer lors de son retour ; l’URSSAF se contente de conclure qu’une telle situation ne correspondrait pas à un grand déplacement alors qu’il s’agissait bien d’une circonstance particulière suivant un grand déplacement et empêchant le retour au domicile.

Pour l’ensemble de ces raisons, il doit être considéré que les chauffeurs étaient présumés empêchés de regagner leurs résidences en raison de distances de plus de 50 km au vu des documents justifiés, ou d’une circonstance de fait qui les empêchait de retourner chez eux en l’absence de transports publics ou de véhicule personnel disponible, et que les sommes versées étaient réputées utilisées conformément à leur objet, puisqu’il n’est pas prétendu qu’elles dépassaient les plafonds prévus par les textes cités ci-dessus.

C’est donc de manière infondée que l’URSSAF a redressé la société pour l’ensemble des indemnités qui avait été exclues de l’assiette de ses cotisations. Le jugement déféré sera donc infirmé, le chef de redressement contesté sera annulé, ainsi que la part de la mise en demeure concernant ce chef de redressement, et l’URSSAF sera condamnée au remboursement des sommes payées à ce titre, dont le montant n’est pas discuté.

Dans la mesure où la cour fait droit à la demande principale, il n’y a pas lieu d’examiner la demande subsidiaire de l’appelante.

La cour relève que le chef de redressement n° 6 de la lettre d’observations, qui était contesté en première instance, ne l’est plus en appel et qu’aucune demande n’est plus formulée sur ce chef.

En l’absence de demande expresse de l’appelante au titre des frais irrépétibles devant le tribunal, les parties seront déboutées de leurs prétentions sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile en première instance.

L’URSSAF supportera les dépens de la première instance comme de l’instance en appel.

L’équité et la situation des parties justifient que la SAS [4] ne conserve pas l’intégralité des frais exposés pour faire valoir ses droits et l’URSSAF Rhône-Alpes sera condamnée à lui payer une indemnité de 2.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire, en dernier ressort après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Vienne du 22 juin 2021,

Et statuant à nouveau,

Annule le chef de redressement n° 2 de la lettre d’observations du 6 novembre 2017 adressée à la SAS [4] et la mise en demeure du 12 avril 2018 pour la part relevant dudit chef,

Condamne l’URSSAF Rhône-Alpes à rembourser à la SAS [4] la somme de 282.666 euros et les majorations de retard afférentes,

Déboute les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles en première instance sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,

Y ajoutant,

Condamne l’URSSAF Rhône-Alpes aux dépens de la première instance et de la procédure d’appel,

Condamne l’URSSAF Rhône-Alpes à payer à la SAS [4] une indemnité de 2.000 euros pour ses frais irrépétibles en appel sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. DELAVENAY, Président et par M. OEUVRAY, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président

 


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