COUR D’APPEL D’ORLÉANS
C H A M B R E C I V I L E
GROSSES + EXPÉDITIONS : le 20/03/2023
la SCP LAVAL – FIRKOWSKI
Me Alexis DEVAUCHELLE
la SELARL CABINET GENDRE & ASSOCIES- TOURS
ARRÊT du : 20 MARS 2023
N° : – : N° RG 19/03333 – N° Portalis DBVN-V-B7D-GBJQ
DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du tribunal de grande instance de BLOIS en date du 19 Septembre 2019
PARTIES EN CAUSE
APPELANTS :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265251685197230
Madame [F] [D] épouse [R]
née le [Date naissance 4] 1989 à [Localité 7]
[Adresse 3]
[Localité 8]
représentée par Me Olivier LAVAL de la SCP LAVAL – FIRKOWSKI, avocat au barreau d’ORLEANS
Monsieur [X] [R]
né le [Date naissance 5] 1983 à [Localité 11]
[Adresse 3]
[Localité 8]
représenté par Me Olivier LAVAL de la SCP LAVAL – FIRKOWSKI, avocat au barreau d’ORLEANS
D’UNE PART
INTIMÉS : – Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265246670753615
Monsieur [U] [W]
né le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 12] (,BULGARIE)
[Adresse 6]
[Localité 9]
représenté par Me Alexis DEVAUCHELLE, avocat postulant au barreau d’ORLEANS et par Me MEIL substituant Me Georges LACOEUILHE de l’AARPI LACOEUILHE & ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de PARIS,
Timbre fiscal dématérialisé N°1265250164604860
S.A. POLYCLINIQUE DE [Localité 7] prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège
[Adresse 2]
[Localité 9]
représentée par ZAOUI-TAIEB substituant Me Nicolas GENDRE de la SELARL CABINET GENDRE & ASSOCIES, avocat postulant au barreau de TOURS et ayant pour avocat plaidant Me Gilles CARIOU de la SCP NORMAND & ASSOCIES, du barreau de PARIS
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LOIR ET CHER prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège
[Adresse 10]
[Localité 7]
n’ayant pas constitué avocat
D’AUTRE PART
DÉCLARATION D’APPEL en date du :17 Octobre 2019
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 06 décembre 2022
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats,
En l’absence d’opposition des parties ou de leurs représentants :
Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de chambre,
Madame Laure- Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles ont entendu les avocats des parties en leurs plaidoiries, avec leur accord, par application de l’article 786 et 907 du code de procédure civile.
Lors du délibéré
Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de chambre,
Madame Florence CHOUVIN-GALLIARD, Conseiller,
Madame Laure Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles.
Greffier :
Madame Fatima HAJBI, Greffier lors des débats et du prononcé.
DÉBATS :
A l’audience publique du 06 FEVRIER 2023, à laquelle ont été entendus Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de Chambre, en son rapport et les avocats des parties en leurs plaidoiries.
ARRÊT :
Prononcé le 20 MARS 2023 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
FAITS ET PROCEDURE
Le 12 octobre 2015, Mme [F] [D] épouse [R] a débuté une seconde grossesse.
Le Docteur [U] [W], gynécologue obstétricien exerçant à la Polyclinique de [Localité 7], était en charge du suivi de la grossesse. Dans ce cadre, il a réalisé plusieurs échographies à la suite desquelles il a conclu à l’absence d’anomalie morphologique du f’tus.
Le 11 juillet 2016, Mme [R] a donné naissance à un enfant prénommé [K], qui présentait une hypoplasie de l’avant-bras droit et une agénésie complète de la main droite.
Saisi par M. et Mme [R], le conseil départemental de l’Ordre des médecins du Loir-et-Cher a estimé qu’aucun manquement ne pouvait être reproché au Docteur [W].
Une expertise amiable a été réalisée le 15 février 2017 par le Docteur [E] [V], mandaté par l’assureur de protection juridique de M. et Mme [R].
Par acte d’huissier du 16 novembre 2017, M. et Mme [R] ont fait assigner la société Polyclinique de [Localité 7], le Docteur [W] et la CPAM de Loir-et-Cher devant le tribunal de grande instance de Blois aux fins d’obtenir réparation du préjudice subi.
Par jugement en date du 19 septembre 2019, le tribunal de grande instance de Blois a :
– débouté M. [X] [R] et Mme [F] [D] épouse [R] de l’ensemble de leurs demandes contre le Docteur [U] [W] et la SA Polyclinique de [Localité 7] ;
– condamné M. [X] [R] et Mme [F] [D] épouse [R] à payer au Docteur [U] [W] la somme de 800,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné M. [X] [R] et Mme [F] [D] épouse [R] à payer à la SA Polyclinique de [Localité 7] la somme de 500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné M. [X] [R] et Mme [F] [D] aux entiers dépens ;
– autorisé les avocats de la cause à recouvrer directement ceux des dépens dont ils auraient fait l’avance sans avoir reçu provision ;
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration du 17 octobre 2019, M. et Mme [R] ont interjeté appel de ce jugement en critiquant expressément tous ses chefs.
La déclaration d’appel a été signifiée à la CPAM du Loir-et-Cher par acte d’huissier du 16 janvier 2020, remis à personne morale. Elle n’a pas constitué avocat.
Par ordonnance du 4 juin 2021, le conseiller de la mise en état a ordonné une mesure d’expertise judiciaire et désigné pour y procéder M. [I] [M], expert près de la cour d’appel de Paris.
L’expert a déposé son rapport le 8 avril 2022.
Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 28 novembre 2022, M. et Mme [R] demandent à la cour de :
– infirmer en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 19 septembre 2019 par le tribunal de grande instance de Blois ;
Statuant de nouveau,
– dire et juger que le Docteur [W] a commis une faute caractérisée engageant sa responsabilité à l’égard des époux [R] ;
– condamner le Docteur [W] in solidum avec la Polyclinique de [Localité 7] à verser à M. et Mme [R] une somme de 20.000 € à chacun au titre de leur préjudice moral; – condamner le Docteur [W] in solidum avec la Polyclinique de [Localité 7] à verser à M. et Mme [R] une somme de 6.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de la première instance, et d’appel dont distraction pour ces derniers au profit de Me Laval conformément au droit prévu à l’article 699 du code de procédure civile ;
– déclarer la décision commune et opposable à la CPAM du Loir et Cher.
Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 8 novembre 2022, M. [U] [W] demande à la cour de :
– le recevoir en ses écritures les disant bien fondées ;
A titre principal,
– écarter sa responsabilité,
En conséquence,
– confirmer le jugement entrepris en ses dispositions ayant débouté les consorts [R] de leurs demandes dirigées à son encontre ;
– condamner les consorts [R] à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner les consorts [R] aux entiers dépens en ce compris les frais d’expertise ;
A titre subsidiaire,
– écarter l’existence de toute perte de chance ;
– limiter l’indemnisation des consorts [R] au titre de leur préjudice moral à la somme de 6 000 euros ;
– condamner les consorts [R] à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner les consorts [R] aux entiers dépens en ce compris les frais d’expertise.
Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 23 mars 2020, la société Polyclinique de [Localité 7] demande à la cour de :
– la recevoir en ses écritures et la déclarer bien fondée ;
– constater que le Docteur [W] exerçait à titre libéral au sein de la Polyclinique de [Localité 7] ;
– constater l’absence de manquement de la Polyclinique de [Localité 7] dans la prise en charge de Mme [R] ;
– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté les consorts [R] de l’ensemble de leurs demandes à l’encontre de la Polyclinique de [Localité 7] ;
– débouter les consorts [R] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions en tant que dirigées à l’encontre de la concluante ;
– condamner tout succombant à payer à la Polyclinique de [Localité 7] la somme de 2.000 euros, au titre des frais irrépétibles ;
– condamner le même aux entiers dépens dont distraction au profit de l’avocat postulant conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions récapitulatives.
MOTIFS
Sur la responsabilité du Docteur [W]
En application de l’article L. 114-5 du code l’action sociale et des familles :
Nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance.
La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l’acte fautif a provoqué directement le handicap ou l’a aggravé, ou n’a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l’atténuer.
Lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale.
Le législateur a ainsi entendu restreindre l’engagement de la responsabilité des professionnels chargés d’établir un diagnostic prénatal, au nom desquels figurent les médecins échographistes, en subordonnant leur responsabilité à la preuve d’une faute ‘caractérisée’.
Il est constant en conséquence qu’une faute simple n’est pas suffisante pour engager leur responsabilité,.
Une faute ‘caractérisée’ est une faute qui répond à un double critère d’intensité et d’évidence.
En l’espèce, Mme [R] a donné naissance le le 11 juillet 2016 à un garçon qui présentait une hypoplasie de l’avant-bras réduit à un reliquat de radius et cubitus et une agénésie complète de la main droite. Ces malformations n’ont pas été diagnostiqués pendant la grossesse.
Les compte-rendus des échographies réalisées au cours de la grossesse mentionnaient respectivement, au sujet des membres supérieurs :
– échographie du 24 décembre 2015 :
‘Membres supérieurs : les deux sont visibles comprenant chacun trois segments’
– échographie du 3 mars 2016 :
‘Membres : les 4 membres sont vus sur leurs différents segments’
– échographie du 10 mai 2016 :
‘Membres : les 4 membres sont vus sur leurs différents segments’
Ces échographies ont été réalisées par le Docteur [W] dont M. et Mme [R] recherchent la responsabilité, en raison de la négligence qu’il a selon eux commise dans la conduite des échographies de dépistage, et d’une information erronée donnée de façon répétée quant à la présence des 4 membres comportant chacun 3 segments. Ils font valoir que le Docteur [W] ne pouvait affirmer avoir vu les membres dans leurs trois segments et s’il avait des doutes comme il le reconnaît aujourd’hui, il lui appartenait de faire preuve de réserves en sollicitant l’avis d’un confrère ou en menant une échographie de second intention. Ils estiment que la mention ‘absence d’anomalie morphologiquement décelable’ ne pouvait porter sur l’absence d’une partie du corps indiquée comme visible.
M. [W] conteste quant à lui le principe de sa responsabilité. Il fait valoir que ni l’erreur de diagnostic, ni le manquement du praticien à son obligation d’information ne sont constitutifs d’une faute caractérisée au sens de l’aticle L114-5 du code de l’action sociale et des familles, et il cite un arrêt de la Cour de cassation rendu le 5 juillet 2017 (1ère Civ 5 juillet 2017, n°16-21.147).
Il soutient également qu’il a parfaitement rempli son obligation d’information, puisqu’il a informé Mme [R] sur les limites de l’échographie et sur le fait qu’il peut arriver qu’une anomalie ne soit pas détectée à l’examen, ainsi qu’il résulte du formulaire de consentement qu’elle a signé le 24 décembre 2015. Il ajoute que les compte-rendus d’échographies mentionnaient l’absence d’anomalie morphologique ‘échographiquement décelable’.
Il soutient encore qu’il n’a pas commis de négligence dans la réalisation des échographies, dans la mesure où rien ne permet d’affirmer que la malformation était visuellement identifiable, l’absence de détection ne résultant pas d’un manquement de sa part mais d’une erreur de diagnostic inhérente aux limites du dépistage prénatal, cette malformation n’étant identifiée, au mieux, que dans 60 à 65% des cas. L’erreur de diagnostic ne saurait être dans ces conditions qualifée de faute caractérisée.
S’agissant du fait qu’aucune anomalie n’ait été mentionnée sur les compte-rendus, il souligne que les difficultés techniques évoquées par l’expert s’expliquent par l’obésité de la patiente, qu’aucun élément ne lui permettait ni d’objectiver ni de soupçonner une quelconque anomalie, qu’il ne peut dès lors lui être reproché de n’avoir formulé aucune réserve et qu’en tout état de cause, à supposer qu’il lui soit reproché d’avoir manqué de rigueur et d’attention, cela ne saurait s’analyser comme une faute caractérisée.
********
L’expert judiciaire a :
– d’une part estimé que le Docteur [W], qui avait la compétence requise pour réaliser ces échographies, a pratiqué les échographies foetales avec un matériel adapté, aux âges gestationnels recommandés, avec des durées d’examen reflétant des études consciencieuses, et que l’absence de dépistage de la malformation d'[K] ne relevait pas d’un manquement du Docteur [W] mais des limites du dépistage prénatal des malformations foetales compte tenu du taux de dépistage de ce type de malformation, de l’ordre de 60 à 70% à cette date, et du surpoids de Mme [R] qui a nécessairement altéré la performance des échographies foetales;
– mais que toutefois, le Docteur [W] a manqué d’attention et de rigueur en concluant sur chacun des comptes-rendus à la présence des membres supérieurs dans leur intégralité et en ne mentionnant pas les difficultés techniques qui semblent pourtant manifestes à la lecture des clichés. Il estime qu’il s’agit d’une erreur probablement liée à la non correction de comptes-rendus semi-automatisés produits par le logiciel informatique du Docteur [W].
S’agissant du contenu des échographies, l’expert explique que :
– sur l’échographie du premier trimestre, rélalisée le 24 décembre 2015, 17 clichés sont joints, de qualité moyenne, 4 clichés de main sont visibles, un seul cliché montre deux avant-bras, mais une seule main est visible sur ce cliché. Dans le compte-rendu, il est spécifié que les conditions de l’examen étaient bonnes, ainsi que ‘membres supérieurs : les deux sont visibles, comprenant chacun 3 segments’.
– sur l’échographie du second trimestre, réalisée le 3 mars 2016, 39 clichés sont joints au compte-rendu, de qualité moyenne. Les membres supérieurs ne sont visualisés sur aucun des clichés, mais ils ne sont pas exigés par le comité national technique de l’échographie de dépistage prénatal (CTE) ; dans le compte-rendu, il est indiqué que les conditions de l’examen étaient bonnes, et ‘Membres : les 4 membres sont vus sur leurs différents segments’ ;
– échographie du 3ème trimestre réalisée le 10 mai 2016 : 23 clichés sont joints, de qualité moyenne. Les membres supérieurs ne sont visualisés sur aucun des clichés (et ne sont pas exigés par le CTE). Dans le compte-rendu, il est spécifié que les conditions de l’examen étaient bonnes, ainsi que ‘Membres : les 4 membres sont vus sur leurs différents segments’.
Les clichés joints aux compte-rendus ne corroborent donc pas l’affirmation relative à la présence de deux membres supérieurs comportant chacun trois segments ainsi que mentionné dans les trois comptes-rendus.
S’agissant de l’échographie du 2ème trimestre, au cours de laquelle il doit être procédé à l’examen morphologique des membres du foetus, l’expert estime que nonobstant la mention dans les compte-rendus du fait que les conditions de l’examen étaient bonnes, la lecture des clichés montre qu’ils sont de qualité médiocre en raison d’une échogénicité paraissant fortement altérée, possiblement par le surpoids de la patiente, de sorte que ces conditions techniques difficiles n’ont pas permis de bien visualiser les membres du foetus. Il estime que le Docteur [W] aurait dû émettre une réserve sur la visualisation des membres à cette date et non pas faire état de leur présence.
S’agissant des deux autres échographies, l’expert estime probable que l’examen des membres n’a pas été fait au 3ème trimestre, conformément aux recommandations du CET. Pour expliquer la discordance entre les compte-rendu d’échographie des premier et troisième trimestres et la réalité morphologique d'[K], l’expert forme l’hypothèse que la mention de la présence des 3 segments de chaque membre sur 3 échographies relève de la production d’un compte-rendu semi-automatisé par le logiciel informatique, que le Docteur [W] n’a pas corrigé.
L’expert relève que le fait de mentionner de façon répétée la présence d’un élément alors que celui-ci est absent constitue un manquement qui peut être reproché au Docteur [W].
Il résulte de ces éléments qu’il est constant que les comptes-rendus des échographies étaient erronés en ce qu’ils décrivaient des vues normales des membres supérieurs dans leur intégralité, sans aucune mention de la possibilité d’un doute ou de la nécessité d’un contrôle et sans faire état de réserves tenant aux conditions de l’examen, lesquelles ont au contraire été qualifiées de bonnes alors qu’elles étaient médiocres. Or a malformation dont est atteint [K] rendait cette affirmation impossible.
S’il ne peut être reproché au Docteur [W] de n’avoir pas détecté la malformation d'[K] lors des échographies compte tenu des conditions médiocres de l’examen et des limites de l’examen qui ne permet pas, selon l’expert, un dépistage systématique de ce type de malformations, il a en revanche commis une faute en affirmant de façon réitérée, à trois reprises, que les trois segments des membres supérieurs étaient visibles, alors que la main droite ne pouvait l’être puisqu’elle n’existait pas et que l’avant-bras présentait une hypoplasie, sans assortir cette assertion d’aucune réserve tenant notamment à une échogénécité altérée, le médecin ayant au contraire qualifié les conditions de l’examen de bonnes.
La mention à la fin des compte-rendus d’échographie de l’ ‘absence d’anomalie morphologique échographiquement décelable’ ne pouvait être interprétée comme signifiant qu’une partie du corps mentionnée comme visible pouvait être en réalité absente.
De même, le consentement signé le 1er février 2016 par Mme [R], qui mentionne les limites de l’examen et notamment le fait que l’absence d’anomalie décelée à l’examen ne permet pas d’affirmer que le foetus est indemne de toute affection, ne saurait justifier qu’une partie du corps mentionnée, sans aucune réserves, comme étant visible ou présente, n’existe en réalité pas.
Ce faisant, le Docteur [W] a commis une faute dont l’intensité et l’évidence justifient sa qualification de caractérisée, et est de nature à engager sa responsabilité.
Sur la responsabilité de la Polyclinique de [Localité 7]
Il est constant que, si la polyclinique n’a à répondre ni d’une faute ni d’un défaut d’information imputable aux praticiens exerçant à titre libéral en son sein, elle engage néanmoins sa responsabilité si la défaillance de son organisation et/ou de son fonctionnement ont contribué à la production du dommage subi par le patient. La charge de la preuve de cette défaillance incombe à celui qui l’invoque.
Or en l’espèce, les échographies ont été réalisées par le Docteur [W], qui exerce à titre libéral au sein de la clinique, et il n’est justifié d’aucune défaillance imputable à la clinique à l’origine du dommage subi par M. et Mme [R].
Ils seront en conséquence déboutés de leurs demandes dirigées contre la polyclinique de [Localité 7].
Sur l’indemnisation du préjudice
M. et Mme [R] sollicitent l’indemnisation de leur préjudice moral. Ils sollicitent à ce titre des dommages et intérêts à hauteur de 20 000 euros chacun.
M. [W] estime qu’en cas de condamnation, une somme de 6000 euros à chacun indemniserait plus justement leur préjudice.
M. et Mme [R] justifient que la naissance d’un enfant présentant un telle malformation, sans y avoir été préparé puisque les échographies faisaient au contraire mention, sans aucune réserve, du fait qu’étaient visibles les deux membres supérieurs en leurs trois segments, leur a causé un choc psychologique majeur.
Ils produisent en effet de nombreuses attestations de proches, qui font état du choc au moment de la découverte du handicap de leur fils au moment de sa naissance et de leur profond désarroi au point que Mme [R] attribue à ce choc une poussée d’urticaire géante faite après la naissance de l’enfant : ‘Ils étaient complètement effondrés, sous le choc’, ‘M. [R] est complètement désemparé, déboussolé, à vouloir trouver des solutions à tout et tout de suite’ (attestation de M. [G]) ; ‘Ses parents ont eu un choc terrible à la vue brutale de l’absence de sa main droite et de son avant-bras très atrophié, qui a dû être géré dans le stress et la douleur par la sage-femme très démunie (…)’ ; ‘je n’ai malheureusement pu que constater le désarroi et le traumatisme de [F] et [X] [R] lors de la naissance d'[K] ainsi que durant les mois qui ont suivi’ (M. [N]) ; ‘Les jours qui ont suivi, l’allaitement a été très difficile, ma belle-fille a fait une forte fièvre et un urticaire géant certainement en réaction au choc psychologique ressenti à la vue de son enfant handicapé, épreuve à laquelle elle n’avait pas été préparée. Un accompagnement médical a dû être mis en place car elle n’arrivait pas à surmonter le choc’ (Mme [Z]).
Les témoins mentionnent leur difficulté à accepter ce handicap, à l’annoncer à leurs proches, leur difficulté aussi à accepter le regard des autres, que ce soit à la maternité où Mme [R] n’osait pas se rendre à la nurserie pour ne pas affronter le regard des autres mais encore après la sortie de l’hôpital, Mme [R] s’efforçant par exemple de cacher le bras droit sur les photos : ‘Mme [R] m’a prévenu par message de la naissance de son fils. Je suis rapidement passée à la maternité pour partager ce moment de joie avec mon amie. Je ne m’attendais pas, en passant la porte de sa chambre, à la trouver dans une telle détresse. Il lui a été impossible de prévenir ses proches du handicap de son fils’; /’Mme [R] a refusé qu’on prenne des photos de son fils sans que son bras soit caché’.
Ces témoignages font également état de leurs difficultés à surmonter au cours des mois qui ont suivi le choc psychologique qu’a représenté pour eux la découverte brutale de son handicap, du fait qu’ils n’osaient plus sortir et se renfermaient sur eux-mêmes et de la nécessité d’un étayage psychologique.
Les attestations produites évoquent également le sentiment de culpabilité ressenti par M. et Mme [R] pour n’avoir pas accueilli leur enfant comme ils l’auraient souhaité et de la crainte qu’il en subsiste des séquelles psychologiques sur l’enfant.
La multiplicité des témoignages produits, et la description précise et circonstanciée que font l’ensemble des témoins du traumatisme important et durable causé à M. et Mme [R] par la découverte inattendue de la malformation de leur fils au moment de sa naissance, à laquelle ils n’avaient pas pu se préparer, démontrent la réalité et l’ampleur du choc psychologique qu’ils ont subi du fait de leur impréparation à ce handicap.
En revanche, il ne peut êre retenu que l’absence de dépistage anténatal les a privés de la possiblité de recourir à une interruption de grossesse alors qu’il n’est pas démontré qu’un dépistage lors de la 2ème échographie le 23 décembre 2015 aurait permis d’envisager une telle interruption, le Docteur [V] ayant, dans son avis technique du 15 février 2017, estimé qu’une telle demande aurait été vraisemblablement refusée en France en considération des conditions posées par la loi française et aucun élément du dossier n’établissant qu’il aurait été possible de recourir à une interruption de grossesse à l’étranger.
En considération de l’ensemble de ces éléments, le Docteur [W] sera condamné à leur verser une somme de 15 000 euros à chacun en réparation de leur préjudice moral.
Sur la demande en déclaration d’arrêt commun à la caisse primaire d’assurance maladie
M. et Mme [R] demandent que la présente décision soit déclarée commune et opposable à la caisse primaire d’assurance maladie du Loir-Et-Cher.
Celle-ci ayant été régulièrement attraite à la cause, il convient d’accueillir cette demande.
Sur les demandes accessoires
M. [W] sera condamné aux dépens de première instance et d’appel, en ce compris le coût de la mesure d’expertise.
Les circonstances de la cause jusfient de le condamner à verser une somme de 4000 euros à M. et Mme [R] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et de rejeter la demande de a Polyclinique de [Localité 7] à ce titre.
PAR CES MOTIFS
Statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,
INFIRME en ses dispositions critiquées le jugement entrepris ;
Statuant à nouveau :
CONDAMNE M. [U] [W] à payer à Mme [F] [D] épouse [R] et à M. [X] [R] une somme de 15 000 euros à chacun à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral ;
REJETTE les demandes de M. et Mme [R] à l’égard de la polyclinique de [Localité 7] ;
DECLARE le présent arrêt commun et opposable à la caisse primaire d’assurance maladie de Loir-et-Cher ;
CONDAMNE M. [U] [W] à verser une somme de 4000 euros à M. et Mme [R] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [U] [W] aux dépens de première instance et d’appel, en ce compris les frais de l’expertise judiciaire, dont distraction au profit de Maître LAVAL conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de Chambre et Madame Fatima HAJBI, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
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