ARRÊT N° /2023
SS
DU 20 JUIN 2023
N° RG 22/01343 – N° Portalis DBVR-V-B7G-E7VR
Pole social du TJ de CHALONS-EN-CHAMPAGNE
20/72
20 mai 2022
COUR D’APPEL DE NANCY
CHAMBRE SOCIALE
SECTION 1
APPELANTE :
Caisse CPAM DE LA MARNE prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Mme [M] [L], régulièrement munie d’un pouvoir de représentation
INTIMÉE :
Société [6] prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Florence BOYER, avocat au barreau de PARIS substituant Me Franck DREMAUX de la SELARL SELARL PRK & Associes, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats, sans opposition des parties
Président : Mme BUCHSER-MARTIN
Siégeant en conseiller rapporteur
Greffier : Mme DUWIQUET (lors des débats)
Lors du délibéré,
En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue en audience publique du 03 Mai 2023 tenue par Mme BUCHSER-MARTIN, magistrat chargé d’instruire l’affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s’y étant pas opposés, et en a rendu compte à la Cour composée de Guerric HENON, président, Dominique BRUNEAU et Catherine BUCHSER-MARTIN, conseillers, dans leur délibéré pour l’arrêt être rendu le 20 Juin 2023 ;
Le 20 Juin 2023, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l’arrêt dont la teneur suit :
FAITS ET PROCÉDURE
Monsieur [J] [D] est salarié de la SAS [6] depuis le 16 avril 1986 en qualité de menuisier.
Le 15 février 2019, il a transmis à la caisse primaire d’assurance maladie de la Marne (ci-après dénommée la caisse) une déclaration de maladie professionnelle, accompagnée d’un certificat médical initial établi le 12 février 2019 faisant état d’une « tendinite épaule gauche : rupture désinsertion partielle du tendon du supra épineux ».
Par courrier du 8 avril 2019, la caisse a informé la SAS [6] de la réception de cette déclaration de maladie professionnelle et lui a demandé de lui transmettre les coordonnées de son médecin du travail.
La caisse a instruit la demande dans le cadre du tableau n° 57A des maladies professionnelles.
Par courrier recommandé du 5 août 2019 reçu le 8 août 2019, elle a informé la SAS [6] que le dossier allait être transmis au CRRMP, de sa possibilité de consulter le dossier et formuler des observations jusqu’au 25 août 2019 avant cette transmission, et lui a précisé qu’elle ne pourrait avoir accès aux pièces couvertes par le secret médical que par l’intermédiaire d’un médecin désigné à cet effet par la victime.
Par courrier du 28 août 2019, la SAS [6] a sollicité de la caisse la communication de la copie des pièces du dossier ou la fixation d’un rendez-vous de consultation, et lui a demandé d’effectuer les démarches afin qu’elle puisse obtenir les pièces médicales.
Le 11 septembre 2019, le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) de [Localité 5] Nord-Est a réceptionné le dossier de la caisse.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 20 septembre 2019, la caisse a demandé à monsieur [J] [D] de désigner un médecin afin que son employeur puisse consulter les pièces médicales de son dossier.
Le 23 septembre 2019, la SAS [6] a consulté les pièces du dossier.
Par avis du 4 décembre 2019, le CRRMP a émis un avis favorable à la prise en charge de la pathologie de monsieur [J] [D] au titre de la législation sur les risques professionnels.
Par courrier du 12 décembre 2019, la caisse a informé la SAS [6] de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de monsieur [J] [D].
Par courrier du 6 janvier 2020, la SAS [6] a sollicité la copie de l’avis du CRRMP.
Le 24 janvier 2020, la caisse lui a transmis la copie dudit avis.
Par courrier du 31 janvier 2020, la SAS [6] a contesté la décision de prise en charge de la maladie par-devant la commission de recours amiable.
Par décision du 11 juin 2020, la commission de recours amiable a rejeté son recours.
Le 3 août 2020, la SAS [6] a saisi le tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne d’un recours à l’encontre de la décision de la commission de recours amiable.
Par jugement RG 20/72 du 20 mai 2022, le pôle social du tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne a :
– constaté la recevabilité de la demande formée par la société [6] le 3 août 2020,
– déclaré inopposable à la société [6] la prise en charge de la maladie professionnelle déclarée par monsieur [J] [D] le 15 février 2019 au titre du tableau 57,
– condamné la CPAM de la Marne aux dépens,
– ordonné l’exécution provisoire de la présente décision.
Par acte du 7 juin 2022, la caisse primaire d’assurance maladie de la Marne a interjeté appel à l’encontre de ce jugement.
L’affaire a été appelée à l’audience du 1er février 2023 et renvoyée au 3 mai 2023 à la demande des parties. Elle a été plaidée à cette dernière audience.
PRETENTIONS DES PARTIES
La caisse primaire d’assurance maladie de la Marne, dument représentée, a repris ses conclusions reçues au greffe le 20 février 2023 et a sollicité ce qui suit :
– déclarer l’appel de la CPAM de la Marne recevable
– infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal Judiciaire de CHALONS EN CHAMPAGNE le 20 mai 2022
Y faisant droit et statuer à nouveau
– déclarer que l’instruction du dossier est régulière et que le principe du contradictoire a été respecté
– déclarer que la CPAM de la Marne n’a pas failli à son obligation d’information et a respecté le principe du contradictoire
– déclarer que l’avis du CRRMP de la région Nancy Nord Est est régulier et motivé
– déclarer que la CPAM de la Marne n’avait pas à transmettre l’avis du CRRMP préalablement à sa décision
– déclarer que la maladie déclarée par Monsieur [D] relève du tableau 57 A et revêt un caractère professionnel
– déclarer que la condition du tableau relative au délai de prise en charge est remplie,
– déclarer que la condition du tableau relative à la liste limitative des travaux n’est pas remplie
– déclarer que la CPAM de la Marne était bien fondée à saisir le CRRMP
– déclarer que l’avis du CRRMP est motivé
– déclarer que la CPAM de la Marne était bien fondée à notifier une décision de prise en charge à la suite de l’avis favorable rendu par le CRRMP
Par conséquent
– débouter la société [6] de sa demande tendant à voir déclarer inopposable la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle de la maladie dont souffre monsieur [D]
– déclarer la décision de prise en charge au titre de la législation relative aux risques professionnels de la maladie de monsieur [D] opposable à la société [6]
– confirmer la décision du 12 décembre 2019 de prise en charge au titre de la législation professionnelle de la maladie dont souffre monsieur [D]
– confirmer la décision de la commission de recours amiable en date du 11 juin 2020
A titre subsidiaire
– désigner un nouveau CRRMP
En tout état de cause
– débouter la société [6] de l’intégralité de ses demandes plus amples ou contraires et notamment celle relative à l’article 700 du code de procédure civile
– condamner la société [6] à régler à la CPAM de la Marne la somme de 2 000euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
– condamner la société [6] aux entiers dépens de l’instance.
La SAS [6], représentée par son avocat, a repris ses conclusions reçues au greffe le 31 janvier 2023 et a sollicité ce qui suit :
– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions
– rejeter les prétentions de la CPAM de la Marne
– condamner la CPAM de la Marne à une indemnité de 1 000€ au titre de l’article 700 du CPC au profit de la société [6] qui a dû engager des frais irrépétibles pour les besoins de sa défense devant la cour
Si par impossible, la cour de céans devait envisager de faire droit à la demande de réformation du jugement telle que motivée par la CPAM, il conviendrait alors :
A titre principal
I ‘ Sur l’inopposabilité à l’employeur de la décision de prise en charge de la maladie de monsieur [D] :
– juger que la caisse primaire d’assurance maladie a violé les dispositions des articles R. 441-10 et suivants et D. 461-29 du Code de la Sécurité sociale lors de l’instruction de la pathologie déclarée par monsieur [D]
– juger que l’avis rendu par le CRRMP de Nancy le 4 décembre 2019 l’a été par une composition irrégulière et, partant, que cet avis est nul
– juger que la décision notifiée à l’employeur selon courrier du 12 décembre 2019 de la CPAM, et portant reconnaissance de maladie professionnel motivé par l’avis du CRRMP, est nulle
En conséquence,
– déclarer inopposable à la société [6] la décision de prise en charge de la maladie déclarée par monsieur [D]
– Subsidiairement sur ce point, juger la décision notifiée à l’employeur selon courrier du 12 décembre 2019 de la CPAM, et portant reconnaissance de maladie professionnel motivé par l’avis du CRRMP, nulle et de nul effet dans le rapport caisse employeur
II ‘ Sur l’absence de réunion des conditions administratives des prises en charge
– juger que la preuve du lien de causalité entre les pathologies alléguées et le travail habituel de la victime n’est pas rapportée
– juger que les conditions administratives des Tableaux ne sont pas réunies et que l’avis du CRRMP sur lequel la Caisse s’est fondée irrégulier
En conséquence
– prononcer l’inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie de Monsieur [D] à l’égard de la société [6]
A titre subsidiaire
– ordonner la désignation d’un nouveau CRRMP
En toutes hypothèses
– débouter la caisse primaire d’assurance maladie de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions
– condamner la CPAM de la Marne à une indemnité de 1 000euros au titre de l’article 700 du CPC au profit de la société [6] qui a dû engager des frais irrépétibles pour les besoins de sa défense devant la cour.
Pour l’exposé des moyens des parties, il convient de faire référence aux conclusions sus mentionnées, reprises oralement à l’audience.
L’affaire a été mise en délibéré au 20 juin 2023 par mise à disposition au greffe par application des dispositions de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
Sur l’opposabilité de la décision de reconnaissance de la maladie professionnelle
Sur le respect de la procédure d’instruction
A titre liminaire, il est rappelé que la procédure d’instruction des déclarations d’accidents du travail et de maladies professionnelles du régime général a été réformée par le décret n°2019-356 du 29 avril 2019, modifiant notamment l’article L 461-1 du code de la sécurité sociale, l’article 5 dudit décret prévoyant expressément que ses dispositions sont applicables aux accidents du travail et maladies professionnelles déclarés à compter du 1er décembre 2019.
La maladie professionnelle objet du présent litige ayant été déclarée le 15 février 2019, les dispositions du décret susvisé ne s’appliquent pas.
Aux termes de l’article L461-1 alinéas 2, 3 et 5 du code de la sécurité sociale, est présumée d’origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau. Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d’exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu’elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d’origine professionnelle lorsqu’il est établi qu’elle est directement causée par le travail habituel de la victime après avis motivé d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.
Sur le respect du principe du contradictoire
Aux termes de l’article R441-14 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige, en cas d’enquête, la caisse communique à la victime ou à ses ayants droit et à l’employeur au moins dix jours francs avant de prendre sa décision, par tout moyen permettant d’en déterminer la date de réception, l’information sur les éléments recueillis et susceptibles de leur faire grief, ainsi que sur la possibilité de consulter le dossier mentionné à l’article R. 441-13.
Aux termes de l’article D461-30 du même code, lorsque la maladie n’a pas été reconnue d’origine professionnelle dans les conditions du deuxième alinéa de l’article L461-1 ou en cas de saisine directe par la victime au titre des troisième et quatrième alinéas du même article, la caisse primaire saisit le comité après avoir recueilli et instruit les éléments nécessaires du dossier mentionné à l’article D461-29 et, après avoir statué, le cas échéant, sur l’incapacité permanente de la victime. Elle en avise la victime ou ses ayants droit ainsi que l’employeur.
Il résulte de ces textes qu’en cas de saisine du CRRMP, l’information de l’employeur sur les points susceptibles de lui faire grief doit s’effectuer avant la transmission du dossier audit CRRMP (civ.2e 15 mars 2012 pourvoi n° 10-26.22123, 23 janvier 2014 pourvoi n°12-29420, 25 janvier 2018 pourvoi n° 17-10.994).
Par ailleurs, aux termes de l’article R441-13 du même code, dans sa version applicable en l’espèce, le dossier constitué par la caisse primaire doit comprendre ;
1°) la déclaration d’accident ;
2°) les divers certificats médicaux détenus par la caisse ;
3°) les constats faits par la caisse primaire ;
4°) les informations parvenues à la caisse de chacune des parties ;
5°) les éléments communiqués par la caisse régionale.
Il peut, à leur demande, être communiqué à l’assuré, ses ayants droit et à l’employeur, ou à leurs mandataires.
Ce dossier ne peut être communiqué à un tiers que sur demande de l’autorité judiciaire.
Aux termes de l’article D461-29 du code de la sécurité sociale, le dossier constitué par la caisse primaire doit comprendre :
1° Une demande motivée de reconnaissance signée par la victime ou ses ayants droit intégrant le certificat médical initial rempli par un médecin choisi par la victime dont le modèle est fixé par arrêté ;
2° Un avis motivé du médecin du travail de la ou des entreprises où la victime a été employée portant notamment sur la maladie et la réalité de l’exposition de celle-ci à un risque professionnel présent dans cette ou ces entreprises ;
3° Un rapport circonstancié du ou des employeurs de la victime décrivant notamment chaque poste de travail détenu par celle-ci depuis son entrée dans l’entreprise et permettant d’apprécier les conditions d’exposition de la victime à un risque professionnel ;
4° Le cas échéant les conclusions des enquêtes conduites par les caisses compétentes, dans les conditions du présent livre ;
5° Le rapport établi par les services du contrôle médical de la caisse primaire d’assurance maladie indiquant, le cas échéant, le taux d’incapacité permanente de la victime.
Les pièces demandées par la caisse au deuxième et troisième paragraphes doivent être fournies dans un délai d’un mois.
La communication du dossier s’effectue dans les conditions définies à l’article R. 441-13 en ce qui concerne les pièces mentionnées aux 1°, 3° et 4° du présent article.
L’avis motivé du médecin du travail et le rapport établi par les services du contrôle médical mentionnés aux 2° et 5° du présent article sont communicables de plein droit à la victime et ses ayants droit. Ils ne sont communicables à l’employeur que par l’intermédiaire d’un praticien désigné à cet effet par la victime ou, à défaut, par ses ayants droit. Ce praticien prend connaissance du contenu de ces documents et ne peut en faire état, avec l’accord de la victime ou, à défaut, de ses ayants droit, que dans le respect des règles de déontologie.
Seules les conclusions administratives auxquelles ces documents ont pu aboutir sont communicables de plein droit à son employeur.
La victime, ses ayants droit et son employeur peuvent déposer des observations qui sont annexées au dossier.
Ainsi, lorsque l’employeur demande la communication du rapport établi par le service du contrôle médical visé au 5° de l’article D461-29, il appartient à la caisse d’effectuer les démarches nécessaires en vue de la désignation d’un praticien par la victime (civ.2e 10 décembre 2009, pourvoi n° 08-20.593 P, 20 septembre 2018 pourvoi n° 17-22.512, 9 mai 2019 pourvoi n°18-14.105).
Par ailleurs, les conclusions administratives auxquelles l’avis motivé du médecin du travail et le rapport établi par les services du contrôle médical de la caisse primaire d’assurance maladie ont pu aboutir sont au nombre des éléments, qui faisant grief à l’employeur, doivent figurer dans le dossier mis à sa disposition avant clôture de l’instruction (civ. 2e 17 février 2022 n° 20-18843 D), les conclusions administratives du rapport du contrôle médical de la caisse pouvant être contenues dans l’avis du médecin conseil figurant aux fiches colloques (civ. 2e 8 avril 2021 pourvoi n° 19-25531).
Néanmoins, elles ne sont communicables de plein droit que dans la mesure où la caisse en dispose, étant précisé que l’article D461-29 n’impose pas la rédaction desdites conclusions, lesquelles restent une faculté pour le médecin conseil qui établit le rapport circonstancié et pour le médecin du travail qui établit l’avis motivé (civ.2e 17 février 2022 n°20-17019 D).
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En l’espèce, la caisse primaire d’assurance maladie de la Marne fait valoir qu’elle a respecté ses obligations puisqu’elle a, par courrier du 5 août 2019, informé l’employeur de la clôture de l’instruction et de sa possibilité de venir consulter le dossier émettre ses observations et solliciter la copie de dossier, avant la transmission au CRRMP et au plus tard le 25 août 2019. Elle ajoute que l’employeur a réceptionné ce courrier le 8 août et a disposé de 17 jours.
Elle fait également valoir qu’en aucun cas elle n’a entendu accorder à l’employeur un délai complémentaire ou rouvrir un délai de consultation en adressant les pièces du dossier le 23 septembre 2019. Elle ajoute qu’elle a adressé le dossier au CRRMP le 26 août 2019 et que le CRRMP a réceptionné le dossier le 11 septembre 2019.
Elle fait également valoir fait valoir que monsieur [D] n’a donné aucune suite à son courrier du 20 septembre 2019 par lequel elle lui demandait de désigner un médecin afin que l’employeur puise consulter les pièces médicales du dossier. Elle ajoute qu’il lui appartient uniquement d’effectuer les démarches nécessaires afin d’obtenir un nom de praticien.
Elle fait enfin valoir que l’employeur n’a sollicité la copie du dossier que le 28 août 2019, qu’elle a mis le dossier à sa disposition et que la société n’a pas prétendu que le dossier aurait été incomplet. Elle ajoute que n’ayant émis aucune observation quant à son caractère incomplet, ce qui vaut reconnaissance par l’employeur de son caractère complet. Elle précise que les conclusions administratives ont été consultées par l’employeur puisqu’elles sont contenues dans la fiche colloque ou fiche médico-administrative.
La SAS [6] fait valoir que la caisse ne lui a pas adressé un dossier complet avant la saisine du CRRMP, mais lui a offert la possibilité de consulter le dossier alors qu’il avait déjà été transmis au CRRMP. Elle ajoute que le dossier consulté n’était pas complet et que les démarches de la caisse pour qu’il puisse accéder aux pièces médicales étaient tardives. Elle indique que le courrier de la caisse l’informant de la transmission du dossier au CRRMP ne précisait pas la date de cette transmission, qui n’est intervenue que le 11 septembre 2019.
Elle fait également valoir que la caisse a choisi, par son courrier du 23 septembre 2019, de rouvrir le délai de consultation du dossier, de telle sorte qu’elle devait l’informer de la date de transmission du dossier en lui donnant un accès complet aux éléments recueillis.
Elle fait également valoir qu’elle n’a pas pu consulter les conclusions administratives auxquelles l’avis motivé du médecin du travail et le rapport établi par les services du contrôle médical de la caisse ont pu aboutir.
Elle fait également valoir qu’elle n’a pas pu consulter les pièces couvertes par le secret médical, puisque la caisse n’a saisi le salarié que le jour de la consultation afin qu’il désigne un médecin.
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‘ sur l’information de l’employeur
Il résulte des pièces versées aux débats que la caisse a, par courrier du 5 août 2019 reçu le 8 août 2019, informé l’employeur :
– de la nécessité de saisine du CCRMP
– de sa possibilité de consulter le dossier et de transmettre ses observations jusqu’au 25 août 2019, avant la transmission du dossier au CRRMP
– de sa possibilité d’accéder aux pièces couvertes par le secret médical que par l’intermédiaire d’un médecin désigné à cet effet par la victime.
Par ce courrier, la caisse a mis l’employeur en mesure de consulter les pièces du dossier et de présenter ses observations avant la transmission du dossier au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.
Si elle n’a pas formellement précisé la date à laquelle le dossier serait transmis au CRRMP, elle a clairement informé l’employeur de la date butoir jusqu’à laquelle il pouvait consulter le dossier et transmettre ses observations, de telle sorte que le principe du contradictoire a été respecté.
Si par arrêt du 25 novembre 2021 (pourvoi n° 20-15574), la 2e chambre civile de la cour de cassation a estimé que l’information de l’employeur sur la procédure d’instruction et les points susceptibles de lui faire grief doit inclure la date à laquelle s’effectuera la transmission du dossier au CRRMP, il convient de relever que dans cette espèce, la caisse n’avait pas informé l’employeur de la date butoir de consultation du dossier et ne l’avait pas informé de sa possibilité de formuler des observations.
La caisse ayant pour seule obligation de laisser à l’employeur un délai clair, précis et suffisant pour consulter le dossier et formuler ses observations antérieurement à sa transmission au CRRMP, la date effective de transmission importe peu, à la condition que cette transmission intervienne après l’expiration du délai alloué à l’employeur.
La capture d’écran du logiciel de la caisse, mentionnant au 26 août 2019 « demander avis MP au CRRMP » et « transm.CRRMP-Dossier MP » et la date de réception du dossier au 11 septembre 2019 mentionnée sur l’avis du CRRMP constituent la preuve suffisante d’une transmission du dossier par la caisse au CRRMP postérieurement au 25 août 2019.
Par ailleurs, il ne résulte d’aucune pièce du dossier que la caisse aurait procédé à la réouverture de l’instruction après réception du courrier de l’employeur du 28 août 2019, et il importe peu à cet égard que la caisse ait accepté de communiquer le dossier à l’employeur postérieurement au délai accordé.
‘ sur le contenu du dossier mis à disposition
Il résulte du récépissé de consultation du dossier signé par l’employeur le 23 septembre 2019 qu’il a consulté les pièces du dossier suivantes :
– déclaration AT ou MP
– certificat médical initial
– informations parvenues à la caisse de chacune des parties (ex : questionnaire(s), courrier(s), certificats de travail’)
– enquête administrative (compte-rendu d’entretien)
– fiche colloque (maladie professionnelle)
Le dossier consulté par le CRRMP comprenait :
– la demande motivée de reconnaissance présentée par la victime ou les ayants droit
– le certificat établi par le médecin traitant
– l’avis motivé du ou des médecin(s) du travail
– le rapport circonstancié du ou des employeur(s)
– les enquêtes réalisées par l’organisme gestionnaire
– le rapport du contrôle médical de l’organisme gestionnaire
L’employeur a dès lors eu connaissance de l’ensemble des pièces communiquées au CRRMP à l’exception de l’avis motivé du ou des médecin(s) du travail et du rapport du contrôle médical de l’organisme gestionnaire.
Il a, pour la première fois, sollicité ces pièces médicales par courrier du 28 août 2019, soit après l’expiration du délai pour consulter le dossier et formuler des observations, et la caisse justifie avoir expressément sollicité de monsieur [D] la désignation d’un médecin par courrier du 20 septembre 2019. Elle a dès lors respecté l’obligation mise à charge de solliciter cette désignation, et il ne peut lui être fait grief de l’absence de réponse de la victime.
Par ailleurs, le colloque médico-administratif, qui a été consulté par l’employeur, vise les « informations apportées par le médecin conseil », de telle sorte que la SA [6] a été informée les conclusions administratives découlant de l’avis du médecin conseil.
Enfin, il ne résulte pas des dispositions de l’article D421-29 susvisé que le médecin du travail a l’obligation d’établir, en sus de son rapport, des conclusions administratives directement communicables à l’employeur et aucun élément du dossier ne permet de retenir l’existence d’une telle pièce.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la caisse a respecté le principe du contradictoire au cours de l’instruction du dossier.
Sur l’avis du CRRMP
Il résulte des dispositions de l’article L 461-1 susvisé que si la maladie est désignée dans un tableau mais que l’une des conditions dudit tableau n’est pas remplie, elle peut néanmoins être prise en charge si la preuve d’un lien direct de causalité entre la maladie et le travail habituel de la victime est rapportée, l’avis du CRRMP étant obligatoire et s’imposant à la caisse.
Aux termes de l’article D461-27 du code de la sécurité sociale, lorsqu’il est saisi dans le cadre du troisième alinéa de l’article L461-1, le comité régional peut régulièrement rendre son avis en présence de deux de ses membres. En cas de désaccord, le dossier est à nouveau soumis pour avis à l’ensemble des membres du comité.
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En l’espèce, la SAS [6] fait valoir que l’avis du CRRMP est lapidaire et non motivé et que le comité n’établit pas le lien direct entre la maladie et l’activité professionnelle du salarié et procède par généralités, n’explicitant pas en quoi le poste de travail aurait généré la maladie. Elle ajoute que le CRRMP était irrégulièrement composé puisque le médecin inspecteur régional du travail ou son représentant est mentionné absent dans la composition ayant statué. Elle indique que la sanction de l’irrégularité de la composition est l’annulation de l’avis qui a pour conséquence l’inopposabilité de la décision de la caisse de prise en charge de la maladie.
La caisse fait valoir qu’il n’est pas exigé du CRRMP qu’il reprenne chacun des éléments du dossier et qu’il mentionne expressément ceux qu’il entend retenir. Elle ajoute que l’avis comporte des considérations de droit et de fait qui en sont le support nécessaire. Elle fait également valoir que le CRRMP a été saisi au motif que la condition relative à la liste limitative des travaux n’était pas remplie, de telle sorte qu’il pouvait statuer en présence de deux membres.
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Il résulte de l’avis du CRRMP que madame [C] [V], médecin inspecteur régional du travail ou son représentant, était absente et n’a pas signé l’avis.
Cependant, le CRRMP avait été saisi au titre de l’alinéa 3 de l’article L461-1, au motif que la condition du tableau relative à la liste limitative des travaux n’était pas remplie, de telle sorte qu’il a valablement statué en présence de seuls deux de ses membres.
Par ailleurs, le CRRMP a listé les pièces consultées, les personnes entendues et son avis est rédigé comme suit : « monsieur [J] [D] a rédigé le 15/02/2019 une demande de reconnaissance de maladie professionnelle au titre du tableau n°57A (rupture partielle de la coiffe des rotateurs gauche) appuyée par un certificat médical initial établi le 11/02/2019. L’intéressé est ouvrier menuisier dans l’entreprise actuelle depuis avril 1986, affecté successivement sur des postes en finition de 1986 à 1996, en finition et assemblage de 1996 à 2000, au montage et réparation de 2000 à 2018 puis au montage de volets roulants depuis novembre 2018. Les éléments présents au dossier retrouvent des contraintes pour les tendons de la coiffe des deux épaules sur l’ensemble de sa carrière. En conséquence, les membres du CRRMP estiment qu’un lien direct peut être établi entre la pathologie présentée et l’activité professionnelle exercée ».
Il en résulte que le CRRMP a pris en considération les différents postes de travail occupés successivement par le salarié et a retenu que ces postes engendraient effectivement des contraintes sur les épaules, de telle sorte que la condition du lien direct est remplie. Il a ainsi suffisamment motivé son avis en fait et en droit.
En conséquence, l’avis du CRRMP n’encourt pas l’annulation.
Sur les conditions de fond de la prise en charge de la maladie
Aux termes de l’article R142-17-2 du code de la sécurité sociale, lorsque le différend porte sur la reconnaissance de l’origine professionnelle d’une maladie dans les conditions prévues aux sixième et septième alinéas de l’article L461-1, le tribunal recueille préalablement l’avis d’un comité régional autre que celui qui a déjà été saisi par la caisse en application du huitième alinéa de l’article L461-1.
Le tribunal désigne alors le comité d’une des régions les plus proches.
Dès lors, lorsque la maladie déclarée ne remplit pas les conditions d’un tableau de maladies professionnelle, et lorsque l’employeur conteste l’existence d’un lien de causalité entre la maladie de la victime et son travail habituel, il appartient au tribunal de recueillir, avant de statuer, l’avis d’un second CRRMP (civ.2e 25 janvier 2018 pourvoi n°16-26420, 7 novembre 2019, pourvoi n° 18-23.843 D)
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En l’espèce, la SAS [6] fait valoir que la preuve de l’exposition au risque n’est pas rapportée et que les conditions du tableau ne sont pas satisfaites. Elle ajoute que la caisse ne justifie pas du respect de la condition du délai de prise en charge, et que la condition relative à la liste des travaux n’est pas remplie, ce qui a conduit la caisse à saisir le CRRMP, dont l’avis est lapidaire et s’est fondé sur les seules déclarations de l’assuré et l’avis du médecin du travail non transmis.
La caisse fait valoir que la maladie dont souffre monsieur [D] est bien celle visée au tableau n°57A. Elle ajoute que monsieur [D] n’a pas bénéficié d’arrêts de travail de telle sorte qu’il n’avait pas cessé d’être exposé au risque au 11 février 2019 et que le délai de prise en charge n’avait pas commencé à courir. Elle indique que la condition relative à la liste des travaux n’est effectivement pas remplie, ce qui a motivé la saisine du CRRMP.
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La demande de reconnaissance de maladie professionnelle de monsieur [J] [D] a été instruite au regard du tableau n° 57A des maladies professionnelles, intitulé « affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail », la maladie visée étant « rupture partielle ou transfixiante de la coiffe des rotateurs objectivée par IRM (Ou un arthroscanner en cas de contre-indication à l’IRM »), le délai de prise en charge étant d’un an sous réserve d’une durée d’exposition d’un an, la liste limitative des travaux susceptibles de provoquer ces maladies étant les « travaux comportant des mouvements ou le maintien de l’épaule sans soutien en abduction (les mouvements en abduction correspondent aux mouvements entraînant un décollement des bras par rapport au corps) : avec un angle supérieur ou égal à 60° pendant au moins deux heures par jour en cumulé, ou avec un angle supérieur ou égal à 90° pendant au moins une heure par jour en cumulé ».
Les parties s’accordant sur le non-respect des conditions du tableau relatives à la liste limitative des travaux susceptibles de provoquer la maladie, la saisine du CRRMP s’imposait, étant rappelé qu’il n’appartient pas au CRRMP de se prononcer sur le respect ou non des conditions du tableau mais sur l’existence ou non d’un lien direct entre la pathologie et l’activité professionnelle.
En conséquence, un second CRRMP sera saisi avant dire-droit.
Les dépens seront réservés.
PAR CES MOTIFS
La cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
SURSOIT A STATUER sur l’ensemble des demandes,
ORDONNE la saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de TOURCOING-HAUTS DE FRANCE qui devra donner son avis sur la reconnaissance de la maladie « coiffe des rotateurs : rupture partielle ou transfixianteobjectivée par IRM gauche » dont la date de première constatation médicale est le 5 février 2019 relevant du tableau n°57A des maladies professionnelles dont souffre monsieur [J] [D], salarié de la SAS [6], au titre de la législation professionnelle, et dire s’il existe un lien direct de causalité entre la maladie et le travail habituel de la victime.
INVITE la CPAM de la Marne à lui transmettre le dossier de monsieur [J] [D] conformément aux dispositions de l’article D461-29 du code de la sécurité sociale, y compris l’avis rendu par le CRRMP de Nancy Nord-Est.
RAPPELLE au CRRMP de Tourcoing HAUTS DE FRANCE qu’il dispose, conformément aux dispositions de l’article D461-35 du même code, d’un délai de quatre mois pour adresser son avis motivé au greffe de la chambre sociale,
DIT que le greffier de la chambre sociale devra transmettre au plus tard dans les quarante-huit heures suivant la réception, copie dudit avis aux parties et à leurs représentants,
DESIGNE le président de la 1ère section de la chambre sociale de la cour pour contrôler l’exécution de la mesure ordonnée,
RENVOIE l’affaire à l’audience du 22 novembre 2023 à 13 heures 30 et DIT que le présent arrêt vaut convocation des parties lesquelles devront conclure dans le délai imparti par le courrier accompagnant l’expédition de l’avis motivé du CRRMP désigné,
RESERVE les dépens.
Ainsi prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Et signé par monsieur Guerric HENON, président de chambre et par madame Laurène RIVORY, greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE
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