C5
N° RG 21/04995
N° Portalis DBVM-V-B7F-LEG5
N° Minute :
Notifié le :
Copie exécutoire délivrée le :
la SELARL ACO
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE – PROTECTION SOCIALE
ARRÊT DU VENDREDI 02 JUIN 2023
Appel d’une décision (N° RG 19/00286)
rendue par le pôle social du tribunal judiciaire de VIENNE
en date du 10 novembre 2021
suivant déclaration d’appel du 1er décembre 2021
APPELANTE :
SAS [4], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Grégory KUZMA de la SELARL R & K AVOCATS, avocat au barreau de LYON substitué par Me Yasmina BELKORCHIA, avocat au barreau de LYON
INTIMEE :
L’URSSAF RHONE ALPES, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par Me Pierre-Luc NISOL de la SELARL ACO, avocat au barreau de VIENNE
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président,
Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller,
M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,
Assistés lors des débats de M. Fabien OEUVRAY, Greffier, en présence de Mme Laëtitia CHAUVEAU, juriste assistant,
DÉBATS :
A l’audience publique du 09 mars 2023,
M. Pascal VERGUCHT, chargé du rapport, M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président et Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller ont entendu les représentants des parties en leurs conclusions et plaidoirie,
Et l’affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l’arrêt a été rendu.
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 4 octobre 2017, une lettre d’observations de l’URSSAF Rhône-Alpes adressée à la SAS [4], à la suite d’un contrôle pour les années 2014 à 2016, concluait à un rappel de cotisations et contributions sociales de 5.242.611 euros, en identifiant également des irrégularités concernant le calcul des réductions générales de cotisations qui conduisaient à des régularisations créditrices. Il était demandé à la société de se rapprocher de son éditeur de logiciel afin de procéder à un nouveau chiffrage des sommes à déduire des cotisations et à formuler une demande de crédit.
Le 8 décembre 2017, l’URSSAF a ramené le rappel de cotisations à 2.497.300 euros à la suite des observations de la société, et en ce qui concerne l’opération créditrice, l’organisme relevait des irrégularités dans le nouveau calcul de la société et, en raison de l’importance du nouveau traitement à mener, il était annoncé que les résultats seraient notifiés dans une seconde lettre d’observations.
Le 17 janvier 2018, l’URSSAF Rhône-Alpes a adressé à la SAS [4] une lettre d’observations complémentaire qui concluait du chef de la réduction générale des cotisations à une régularisation créditrice de 716.121 euros.
Le 23 mars 2018, l’URSSAF a maintenu ce montant en rejetant une demande de remboursement supplémentaire de 1.210.706 euros formulée par la société.
Le 28 juin 2019, la commission de recours amiable a rejeté la contestation par la société de ce maintien de la régularisation créditrice à 716.121 euros, et sa demande d’une régularisation pour un montant total de 1.926.827 euros.
Le pôle social du tribunal judiciaire de Vienne, saisi par la SAS [4] d’un recours contre la décision de la commission de recours amiable de l’URSSAF Rhône-Alpes du 28 juin 2019 a, par jugement du 10 novembre 2021 :
– rejeté le recours de la société,
– confirmé la décision de la commission de recours amiable,
– dit que les frais irrépétibles de l’URSSAF seront pris en charge par la société pour 800 euros,
– laissé les dépens à la charge de la requérante.
Par déclaration du 1er décembre 2021, la SAS [4] a relevé appel de cette décision.
Par conclusions responsives du 28 février 2023 reprises oralement à l’audience devant la cour, la SAS [4] demande :
– l’infirmation du jugement,
– la condamnation de l’URSSAF à lui rembourser 600.939 euros d’indu au titre de la réduction générale, ou subsidiairement que soit ordonnée une expertise sur le paramétrage de la réduction générale appliquée et s’il justifie un remboursement à chiffrer, avec rédaction d’un prérapport, aux frais avancés de l’URSSAF,
– la condamnation de l’URSSAF à lui rembourser 729.058 euros au titre de l’intégration des indemnités de trajets et heures de route au numérateur de la formule de calcul de la réduction générale en ce qu’elles sont représentatives du temps passé par le salarié pour le compte de l’entreprise.
Par conclusions n° 2 déposées et reprises oralement à l’audience devant la cour, l’URSSAF Rhône-Alpes demande :
– la confirmation du jugement,
– le débouté des demandes de la société,
– la condamnation de l’appelante à lui verser 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
En application de l’article 455 du Code de procédure civile, il est donc expressément référé aux dernières conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIVATION
Sur la conformité du paramétrage du calcul de la réduction générale et la demande d’expertise
1. – La SAS [4] fait valoir qu’elle a procédé à un nouveau chiffrage de sa demande de remboursement au titre du paramétrage de la réduction générale, en appliquant strictement les dispositions des articles L. 241-13 et D. 241-7 du Code de la sécurité sociale dans leurs versions applicables entre 2014 et 2016, ainsi que les recommandations de l’URSSAF et du Bulletin officiel de la sécurité sociale. Elle sollicite donc à ce titre un crédit réévalué de 600.939 euros dont le détail est présenté au sein d’un fichier Excel qui a été fourni à l’URSSAF et dont un extrait est versé au débat. La société estime qu’en l’absence de débat sur le quantum sollicité et de la reconnaissance de l’existence d’un crédit qui lui est dû, l’URSSAF doit être condamnée à son paiement, cette dernière ne pouvant pas imposer ses propres calculs à hauteur de 716.121 euros au lieu de 1.317.060 euros calculés par la société, entraînant une différence restant due de 600.939 euros.
La société demande subsidiairement, sur le fondement des articles 143 et suivants du Code de procédure civile, que soit ordonnée une expertise en présence d’un litige technique.
2. – L’URSSAF Rhône-Alpes répond que le montant sollicité par la SAS [4] (au titre de l’ensemble du débat) n’a pas cessé d’évoluer, en passant de 1.926.827 euros lors de la saisine de la commission de recours amiable et du recours devant le tribunal, à 2.371.030 euros au cours de la première instance et dans les premières conclusions en appel, pour finir à 2.046.118 euros dans ses dernières écritures, une semaine avant l’audience. Elle souligne que la société ne fournit pas d’explication au sujet de ces modifications successives et se contente de solliciter une expertise judiciaire alors qu’en sa qualité de demanderesse puis d’appelante, il lui incombe d’expliquer ses prétentions.
L’URSSAF ajoute que non seulement il n’est justifié d’aucune explication, mais les inspecteurs du recouvrement avaient relevé des erreurs de fond dans les calculs de la société, et non uniquement des erreurs de résultats transmis par le logiciel de paie.
Enfin, l’URSSAF relève que, s’agissant du calcul de la réduction générale en application de l’article D. 241-7 concernant les salariés ayant été absents, les inspecteurs du recouvrement ont précisé qu’ils ne prenaient pas en compte les éléments qui n’étaient pas mensualisés ou contractualisés, et de ce fait qui n’étaient pas pris en compte pour le calcul du taux horaire d’absence. Pour cette raison, les indemnités de repas, les indemnités de trajet et les indemnités de transport ont été considérées comme n’étant pas affectées par l’absence des salariés.
3. – Le litige porte sur la réduction générale de cotisations dites Fillon régie notamment par l’article L. 241-13 du Code de la sécurité sociale qui, dans sa version en vigueur du 1er janvier 2013 au 1er septembre 2018, disposait que les cotisations de sécurité sociale à la charge de l’employeur qui étaient assises sur les gains et rémunérations inférieurs au salaire minimum de croissance majoré de 60 % faisaient l’objet d’une réduction dégressive (I). Cette réduction était appliquée aux gains et rémunérations versés aux salariés au titre desquels l’employeur, non particulier, était soumis à l’obligation d’assurance chômage (II). Le montant de la réduction était calculé chaque année civile, pour chaque salarié, selon des modalités fixées par décret ; il était égal au produit de la rémunération annuelle, telle que définie à l’article L. 242-1, par un coefficient ; ce coefficient était déterminé par application d’une formule fixée par décret et était fonction du rapport entre la rémunération annuelle du salarié telle que définie à l’article L. 242-1, « hors rémunération des temps de pause, d’habillage et de déshabillage versée en application d’une convention ou d’un accord collectif étendu en vigueur au 11 octobre 2007 » (supprimé à compter du 1er janvier 2015) et le salaire minimum de croissance calculé pour un an sur la base de la durée légale du travail augmentée, le cas échéant, du nombre d’heures complémentaires ou supplémentaires, sans prise en compte des majorations auxquelles elles donnaient lieu (III).
L’article L. 242-1 auquel il est renvoyé pour la définition de la rémunération annuelle prise en compte, dans sa version en vigueur du 1er janvier 2013 au 1er janvier 2017, disposait que, pour le calcul des cotisations de sécurité sociale, sont considérées comme rémunérations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l’occasion du travail, notamment les salaires ou gains, les indemnités de congés payés, le montant des retenues pour cotisations ouvrières, les indemnités, primes, gratifications et tous autres avantages en argent, les avantages en nature, ainsi que les sommes perçues directement ou par l’entremise d’un tiers à titre de pourboire.
Le décret intervenu pour l’application de l’article L. 241-13 a prévu, à l’article D. 241-7 du Code de la sécurité sociale, dans sa version en vigueur du 24 septembre 2012 au 1er janvier 2015, que le coefficient était déterminé par application de la formule suivante : Coefficient = (0,26/0,6) × (1,6 × SMIC calculé pour un an / rémunération annuelle brute-1) ; il confirmait que le montant de la rémunération annuelle brute à prendre en compte était défini selon les modalités prévues au III de l’article L. 241-13. Postérieurement, le coefficient est devenu (T/0,6) × (1,6 × SMIC calculé pour un an / rémunération annuelle brute-1), T étant la valeur maximale du coefficient mentionnée au troisième alinéa du III de l’article L. 241-13 fixée conformément à un tableau qui a été modifié à compter du 1er janvier 2016.
Ce même article prévoyait pour les salariés qui n’étaient pas présents toute l’année ou dont le contrat de travail était suspendu sans paiement de la rémunération ou avec paiement partiel de celle-ci, sous certaines conditions, que la fraction du montant du salaire minimum de croissance correspondant au mois où avait lieu l’absence était corrigée selon le rapport entre la rémunération versée et celle qui aurait été versée si le salarié avait été présent tout le mois, hors éléments de rémunération qui n’étaient pas affectés par l’absence.
Enfin, cet article précisait encore que, sous réserve de certaines dispositions, le montant annuel du salaire minimum de croissance à prendre en compte était égal à 1 820 fois le salaire minimum de croissance prévu par l’article L. 3231-2 du Code du travail ou à la somme de douze fractions identiques correspondant à sa valeur multipliée par les 52/12 de la durée légale hebdomadaire.
4. – En l’espèce, la SAS [4] ne développe pas son argumentation sur ce point du litige relatif à ce qu’elle dénomme le paramétrage du calcul de la réduction générale. Ainsi que le relève l’URSSAF, aucune explication n’est précisée sur les paramètres litigieux dans ses dernières conclusions ni aucune explication apportée aux interrogations de l’organisme de sécurité sociale sur la variation des sommes demandées successivement par l’appelante.
A l’audience, la SAS [4] a toutefois précisé qu’une difficulté résidait dans le fait que le SMIC n’était pas suffisamment pondéré en cas d’absence et que l’URSSAF n’expliquait pas les éléments retenus par ses inspecteurs. Il n’en reste pas moins que, même en se reportant aux pièces versées au débat, l’argumentation de la SAS [4] n’apparait pas suffisamment justifiée :
– la lettre d’observations du 17 janvier 2018 rapporte que, après avoir demandé à la société un nouveau calcul nécessitant des traitements de données importants à la suite de la découverte d’erreurs entraînant un crédit au profit de la société, les inspecteurs ont relevé dans le nouveau traitement des erreurs conduisant à une augmentation injustifiée du crédit : à nouveau des erreurs de proratisation en rapport avec des heures supplémentaires ou des éléments non affectés par l’absence des salariés concernés ; mais également des erreurs de fond liées à la présence dans les fichiers de salariés d’une autre société, de salariés identifiés dans le fichier sous le statut d’expatriés alors que des cotisations au régime général étaient versées à leur bénéfice, et un calcul de réduction pour des salariés expatriés ou stagiaires ;
– en réponse, la société a écrit dans un courrier du 22 février 2018 que si le rapport entre la rémunération versée au salarié absent et celle qui lui aurait été versée s’il avait été présent ne prend pas en compte les éléments de rémunération qui ne sont pas affectés par l’absence, comme des primes ou des heures supplémentaires, elle affirme que les indemnités de repas, de trajet et de transport ne sont versées que si le salarié travaille et doivent donc être retenues dans le calcul de la réduction ;
– dans sa réponse par courrier du 23 mars 2018, l’URSSAF a rappelé que les primes et indemnités dont le montant n’est ni contractuel, ni mensualisé, n’est pas pris en compte pour le calcul du taux horaire d’absence car il s’agit d’éléments non affectés par l’absence, l’organisme présentant l’ensemble des éléments ainsi qualifiés dans un tableau ;
– dans sa saisine de la commission de recours amiable, la société a répété que les indemnités de repas, trajet et transport sont impactées par l’absence puisque les salariés ne les perçoivent pas en cas d’absence, et qu’elles devaient donc être prises en compte dans le calcul.
Au final, la SAS [4] ne précise donc pas les erreurs de paramétrage alléguées, ne démontre pas le calcul auquel elle parvient pour solliciter une somme de 600.939 euros de crédit supplémentaire à ce que propose l’URSSAF, ne répond pas aux constatations des inspecteurs du recouvrement sur les erreurs de fond relevées concernant notamment les salariés stagiaires ou expatriés ou d’une société tierce, et ne justifie pas précisément que des indemnités devant être prises en compte dans le calcul régi par l’article D. 241-7 en cas d’absence de salarié sur la période de travail considérée pour le calcul de la réduction générale des cotisations auraient été neutralisées à tort par l’URSSAF, aucun élément de preuve tel un tableau synthétique ou récapitulatif ni aucune liste représentative de cas d’espèce n’étant fournie.
5. – L’article 9 du Code de procédure civile dispose que : « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. »
L’article 1353 du Code civil ajoute que « Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. »
Enfin, l’article 146 du Code de procédure civile prévoit que : « Une mesure d’instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l’allègue ne dispose pas d’éléments suffisants pour le prouver. En aucun cas une mesure d’instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve. »
Par conséquent, comme la SAS [4] ne justifie pas les éléments permettant de fonder le crédit qu’elle réclame à l’encontre de l’URSSAF, et comme elle ne justifie pas davantage d’un commencement de preuve d’erreurs de calcul de l’organisme ou d’un litige portant sur des paramètres concrets utilisés dans le présent litige qui fonderaient sa demande d’expertise, le jugement sera confirmé sur ce premier point du litige.
Sur la prise en compte des indemnités de trajet dans le calcul de la réduction générale
6. – La SAS [4] fait valoir que l’opération de calcul du coefficient prévu par les articles L. 241-13 et D. 241-7, qui vise le salaire minimum de croissance calculé pour un an sur la base de la durée légale du travail augmentée, le cas échéant, du nombre d’heures complémentaires ou supplémentaires, et les corrections prévues par le décret, impliquent que le numérateur de la formule représente le temps passé par le salarié pour le compte de l’entreprise. Elle demande donc la prise en compte de toutes les heures mises à la disposition de l’employeur par le salarié, en sachant que dans le secteur du bâtiment, les temps de trajet doivent être considérés comme un temps de travail effectif. En effet, la convention collective nationale déroge aux dispositions des articles L. 3121-1 et L. 311-4 du Code du travail sur la définition du temps de travail qui exclut le temps de déplacement pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail, en prévoyant des indemnités de trajet qui sont une rémunération du temps passé pour se rendre sur les chantiers, et non une compensation de frais de déplacement. Elle ajoute que la rémunération versée au salarié à ce titre est directement tributaire du temps passé à réaliser le trajet, est fixée en tenant compte de la distance parcourue, n’est pas uniforme et ne bénéficie pas aux salariés sédentaires.
La société réclame donc l’intégration, au numérateur de la formule, des temps de trajet rémunérés en fonction des indemnités figurant sur les bulletins de paie de ses salariés, d’autant que le même élément de rémunération est intégré au dénominateur de la formule en sa qualité d’élément de salaire soumis à cotisations, et donc à ce titre comme le paiement d’un temps de travail selon les horaires fixés par l’employeur, et non comme un remboursement de frais professionnels. La société souligne qu’un principe d’équilibre entre le numérateur et le dénominateur de la formule de calcul doit être respecté.
La SAS [4] précise que l’indemnité de transport compense la seule fraction du temps de trajet entre l’entreprise et le chantier, et non entre le domicile et le chantier, selon des taux variables en fonction de la distance parcourue et du temps passé en déplacement. Elle ajoute que ce versement découle d’une obligation conventionnelle, mais qu’aucune restriction n’est fondée sur la nature de l’obligation de rémunération dans les dispositions applicables en l’espèce.
La société considère donc que l’indemnité rémunère un temps de travail effectif en sus de l’horaire contractuel et estime que l’URSSAF opère une confusion en prétendant que l’indemnité de trajet serait versée en supplément de la rémunération du temps de trajet déjà inclus dans l’horaire de travail.
7. – L’URSSAF Rhône-Alpes réplique que l’indemnité de trajet n’a pas à être convertie en heures pour le calcul de la réduction générale car il s’agit d’un élément de salaire sous la forme d’une indemnité, et non d’heures ayant un impact sur la durée de travail effectif. Elle précise que le numérateur de la formule de calcul se fonde sur le SMIC calculé sur la durée légale de travail, et que cette durée ne peut pas dépasser, aux termes de l’article D. 241-7, une durée de 151,67 heures par mois sauf heures supplémentaires au sens de l’article L. 241-18 du Code de la sécurité sociale ou complémentaires au sens des articles L. 3123-17 et L. 3123-18 du Code du travail, ce que ne constituent pas les temps de trajet litigieux. Elle ajoute que l’indemnité ne rémunère pas un temps de travail effectif, mais compense une sujétion du salarié pour se rendre sur son lieu de travail.
L’URSSAF estime en outre qu’il n’y a pas de principe d’équilibre entre le numérateur et le dénominateur de la formule de calcul, les temps de pause n’étant, par exemple, pas pris en compte pour la détermination du SMIC au numérateur, alors que leur rémunération est intégrée dans le dénominateur.
8. – L’article L. 3121-1 du Code du travail prévoit que « La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. »
L’article L. 3121-4 précise que le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif. Toutefois, s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l’objet d’une contrepartie soit sous forme de repos, soit financière. « Cette contrepartie est déterminée par convention ou accord collectif de travail ou, à défaut, par décision unilatérale de l’employeur prise après consultation du comité d’entreprise ou des délégués du personnel, s’il en existe » (supprimé à compter du 10 aout 2016). La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l’horaire de travail n’entraîne aucune perte de salaire.
La Convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment non visées par le décret du 1er mars 1962 (c’est-à-dire occupant plus de 10 salariés) du 8 octobre 1990, étendue par arrêté du 8 février 1991, disposait que :
– Article 8.11 : « Le régime des petits déplacements a pour objet d’indemniser forfaitairement les ouvriers travaillant dans les entreprises du bâtiment des frais supplémentaires qu’entraîne pour eux la fréquence des déplacements, inhérente à la mobilité de leur lieu de travail.
Le régime d’indemnisation des petits déplacements comporte les 3 indemnités professionnelles suivantes :
– indemnité de repas ;
– indemnité de frais de transport ;
– indemnité de trajet,
qui sont versées aux ouvriers bénéficiaires.
Ces indemnités de remboursement de frais sont journalières, forfaitaires et fixées en valeur absolue. »
– Article 8.13 : « Il est institué un système de zones circulaires concentriques dont les circonférences sont distantes entre elles de 10 kilomètres mesurés à vol d’oiseau.
A chaque zone concentrique correspond une valeur de l’indemnité de frais de transport et une valeur de l’indemnité de trajet, le montant de l’indemnité de repas étant le même pour toutes les zones concentriques. »
– Article 8.14 : « Pour chaque entreprise, le point de départ des petits déplacements, c’est-à-dire le centre des zones concentriques, est fixé à son siège social ou à son agence régionale, ou à son bureau local si l’agence ou le bureau y est implanté depuis plus de 1 an avant l’ouverture du chantier. »
– Article 8.17 : « L’indemnité de trajet a pour objet d’indemniser, sous une forme forfaitaire, la sujétion que représente pour l’ouvrier la nécessité de se rendre quotidiennement sur le chantier et d’en revenir.
L’indemnité de trajet n’est pas due lorsque l’ouvrier est logé gratuitement par l’entreprise sur le chantier ou à proximité immédiate du chantier. »
– Article 8.18 : « Les montants des indemnités journalières de petits déplacements sont forfaitaires et fixés en valeur absolue selon les règles suivantes : (‘)
8.183. Indemnité de trajet
Son montant doit être fixé en valeur absolue de telle sorte que le forfait, qui indemnise la sujétion que représente pour l’ouvrier la nécessité de se rendre quotidiennement sur le chantier et d’en revenir, soit évalué en fonction de la distance entre le point de départ des petits déplacements et la circonférence supérieure de la zone où se situe le chantier. »
9. – En l’espèce, comme pour le précédent point, la SAS [4] ne justifie pas précisément du calcul qui l’amène à réclamer une somme de 729.058 euros de crédit au titre de la réduction générale des cotisations.
Par ailleurs, l’indemnité de trajet constitue un élément de salaire soumis à cotisations de sécurité sociales, au sens de l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale, comme le reconnaît l’URSSAF, et doit donc être comprise dans la rémunération figurant au dénominateur pour déterminer le coefficient de calcul de la réduction générale.
Toutefois, le temps passé en trajet pour se rendre sur les chantiers ne peut pas être considéré comme un temps de travail susceptible d’être pris en compte à titre d’heures supplémentaires ou complémentaires, telles qu’elles sont expressément visées par l’article L. 241-13 qui mentionne expressément un salaire minimum de croissance calculé pour un an sur la base de la durée légale du travail augmentée, le cas échéant, du nombre d’heures complémentaires ou supplémentaires.
La convention collective dont se prévaut la SAS [4] précise elle-même que l’indemnité de trajet rembourse des frais de manière journalière et forfaitaire et, plus précisément encore, a pour objet d’indemniser, sous une forme forfaitaire, la sujétion que représente pour l’ouvrier la nécessité de se rendre quotidiennement sur le chantier et d’en revenir, cette sujétion étant évaluée en fonction de la distance parcourue.
Ainsi, il a été jugé que l’indemnité de trajet prévue par la Convention collective nationale des ouvriers et employés du bâtiment du 8 octobre 1990 ayant un caractère forfaitaire et ayant pour objet d’indemniser une sujétion pour le salarié obligé chaque jour de se rendre sur le chantier et d’en revenir, elle est due indépendamment de la rémunération par l’employeur du temps de trajet inclus dans l’horaire de travail et du moyen de transport utilisé (Soc., 6 mai 1998, n° 94-40.496). De même, l’employeur est tenu de verser cette indemnité de trajet y compris à des salariés qui doivent passer par le siège de l’entreprise avant de se rendre sur les chantiers, et y repasser à leur retour, alors qu’ils sont rémunérés pendant leur trajet du siège au chantier et au retour, au titre de leur temps de travail effectif, dès lors qu’il s’agit d’une compensation de sujétion du salarié (Civ. 2, 15 juin 2017, n° 16-19.162).
L’indemnité venant compenser spécialement une sujétion du salarié, et non directement un temps de déplacement qui peut être compris dans le temps de travail rémunéré au titre de la durée légale du travail, il n’y a donc pas lieu de considérer qu’une conversion horaire devait être effectuée pour en tenir compte au numérateur de la formule de calcul de la réduction générale des cotisations.
Enfin, si, par exception, le temps de trajet entre l’entreprise et le domicile pourrait être qualifié de temps de travail effectif, parce que les salariés seraient soumis à de fortes contraintes et ne pourraient absolument pas vaquer à des occupations personnelles (Soc., 14 décembre 2016, n° 15-19723), la SAS [4] n’établit aucune circonstance de ce type en l’espèce puisque, comme cela a déjà été relevé, elle ne précise ni son calcul ni les circonstances précisément prises en compte.
Par conséquent, le jugement sera intégralement confirmé.
Sur les frais de procédure
10. – La SAS [4] sera condamnée aux dépens de l’instance en appel.
L’équité et la situation des parties justifient que l’URSSAF Rhône-Alpes ne conserve pas l’intégralité des frais exposés pour faire valoir ses droits et la SAS [4] sera condamnée à lui payer une indemnité de 3 000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire, en dernier ressort après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Vienne du 10 novembre 2021,
Y ajoutant,
Condamne la SAS [4] aux dépens de la procédure d’appel,
Condamne la SAS [4] à payer à l’URSSAF Rhône-Alpes la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. DELAVENAY, Président et par M. OEUVRAY, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président
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