Droit du logiciel : 2 février 2023 Cour d’appel d’Amiens RG n° 22/00934

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Droit du logiciel : 2 février 2023 Cour d’appel d’Amiens RG n° 22/00934

ARRET

S.A.R.L. ALL COLORS MACLEVITH

C/

[V]

copie exécutoire

le 02 février 2023

à

Me Abderhim

Me Desjardins

CPW/MR/SF

COUR D’APPEL D’AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD’HOMALE

ARRET DU 02 FEVRIER 2023

*************************************************************

N° RG 22/00934 – N° Portalis DBV4-V-B7G-ILSO

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE CREIL DU 24 FEVRIER 2022 (référence dossier N° RG F 20/00106)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

S.A.R.L. ALL COLORS MACLEVITH agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée et concluant par Me Imed Eddine ABDERHIM, avocat au barreau de SENLIS

ET :

INTIMEE

Madame [Z] [V]

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée et concluant par Me Guillaume DESJARDINS de la SCP DESJARDINS – LE GAC – PACAUD, avocat au barreau de SENLIS

DEBATS :

A l’audience publique du 08 décembre 2022, devant Mme Caroline PACHTER-WALD, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l’affaire a été appelée.

Mme Caroline PACHTER-WALD indique que l’arrêt sera prononcé le 02 février 2023 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Malika RABHI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Caroline PACHTER-WALD en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 02 février 2023, l’arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Caroline PACHTER-WALD, Présidente de Chambre et Mme Malika RABHI, Greffière.

*

* *

DECISION :

Suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps plein du 7 novembre 2016, Mme [V] a été embauchée par SARL All colors maclevith (ci-après la société) en qualité de responsable administrative et financière, statut cadre.

La convention collective applicable est celle des industries métallurgiques mécaniques et connexes de l’Oise.

Le 14 septembre 2019, la salariée a fait l’objet d’un arrêt de travail pour maladie jusqu’au 15 octobre suivant, ensuite régulièrement prolongé jusqu’à la rupture.

Le 31 janvier 2020 Mme [V] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement prévu le 11 février suivant, décalé pour motif médical à la demande de la salariée. Une seconde convocation lui a alors été adressée le 19 février 2020 pour un entretien prévu le 4 mars suivant auquel elle ne s’est pas rendue. Son licenciement pour faute grave lui a été notifié le 12 mars 2020, par lettre ainsi libellée:

« (…) Nous vous avons convoquée à deux entretiens préalables afin de vous permettre de vous expliquer sur certains faits nous conduisant à envisager de mettre un terme à votre contrat de travail avec notre entreprise. Suite à notre convocation en date 31/01/2020 à l’entretien du 11/02/2020 à 9h vous nous avez indiqué par courrier RAR reçu le 11/02/2020 soit le même jour et postérieurement à l’horaire convenu de l’entretien, que vous ne serez pas en mesure de venir apporter vos explications. Même si nous n’en n’étions pas obligés, soucieux de respecter vos intérêts, une seconde convocation vous a été adressée le 19 février 2020 en vue d’un entretien préalable le 4 mars 2020 à 9h. Ici encore, vous nous avez indiqué par courriel du même jour soit le 4 mars 2020 à 9h41 pour un rendez-vous à 9h que votre « état de santé s’est dégradé et ne m’a pas permis de sortir ce matin. Par principe de précaution du aux événements récents qui touchent particulièrement notre région, il est recommandé que je reste quelque temps à l’écart ». En conséquence, nous ne pouvons que regretter vos absences aux entretiens et nous sommes contraint de poursuivre la procédure disciplinaire, sans pouvoir recueillir vos explications, malgré les justifications transmises postérieurement aux deux convocations régulièrement faites.

Ainsi, les faits reprochés et confirmés par notre expert-comptable en date du 6 décembre 2019 il a pu être constaté que :

– l’exercice comptable au 30/09/2018 n’a pas été clôturé dans le logiciel EBP Comptabilité,

les écritures d’inventaire ne sont pas extournées,

– aucune facture d’achat n’a été saisie en comptabilité depuis le 31/05/2019 et la mise à jour n’a pas été faite dans EBP Gestion Commerciale (Rapprochement BL / Facture)

– le dernier Rapprochement bancaire, aussi bien Société Générale que Crédit du Nord, datant du 31/12/2018,

– sur la Banque SOCIÉTÉ GÉNÉRALE la saisie est faite jusqu’au 15/02/2019,

– les règlements clients étaient enregistrés dans EBP Gestion Com mais non transférés en compta. – aucune autre saisie n’a été faite depuis le 15 février 2019 : chèques émis, règlements fournisseurs, prélèvements divers, cotisations bancaires, virements sociaux
sur la Banque Crédit Du Nord aucune saisie n’a été effectuée depuis le 31/12/2018. le lettrage des comptes Fournisseurs / Clients : n’est pas fait depuis Novembre 2018.

– Il n’existe aucune procédure existante pour l’utilisation du logiciel EBP Gestion Commerciale et Comptabilité alors que vous êtes en charge de sa mise en place et des paramétrages, ce qui a nécessité un temps considérable pour retrouver les éléments comptables et les principes de fonctionnement,

– Au-delà de courriers type pour retards de paiement, ces relances clients n’ont pas fait l’objet d’un suivi. Il existe donc une importante créance client à ce jour, qui reste à valoriser,

– pour la comptabilité VITH, très peu de règlements clients ont été enregistrés rendant difficile une vision correcte des créances clients sur l’exercice 2019. Le compte banque n’est pas mis à jour en comptabilité et aucune saisie des achats n’a été faite,

– lors de la révision des comptes, fin décembre 2019, nous avons constaté que la comptabilisation de la provision sur stock dans le bilan précédent n’a pas été effectuée impactant ainsi négativement le résultat de l’entreprise pour l’année 2019. Par ailleurs un coût de gestion supplémentaire pour l’intervention non prévue de l’expert-comptable de l’entreprise, pour la reprise de vos manquements fautifs, est à déplorer.

Ainsi, l’ensemble de ces faits permettent de confirmer que pendant plusieurs mois, vous ne respectez pas vos obligations au titre de votre contrat de travail.

Par ailleurs, nous supportons actuellement le coût de votre absence, mais aussi le coût nécessaire au rattrapage des défaillances et manquements répétés, dangereux pour la trésorerie et la gestion administrative et financière de l’entreprise.

Par ailleurs, l’entreprise ALL COLORS MACLEVITH a pu faire un rapprochement entre le tableau que vous avez fourni faisant un décompte des heures supplémentaires prétendument effectuées et les connexions au serveur de la société, le logiciel de comptabilité, ainsi que le relevé des badges d’entrées et sorties au sein du parc d’activité les « Marches de l’Oise ». De multiples manquements et incohérences dont notamment des connexions au serveur avant même les horaires d’arrivées ou encore des défauts de connexions au serveur pourtant déclarées par vos soins :

– sur l’année 2018, les 20 et 27 novembre, le 17 décembre

– sur l’année 2019, le 04, 9,10 et 12 avril, le 02 août et le 03 septembre.

Par ailleurs, le rapprochement entre les jours de congés ou de récupérations affirmés sur votre tableau ne sont pas rapportés sur vos bulletins de salaires, d’autant qu’aucun document validant ces jours de congés déclarés n’a été signé ou validé par nos soins. Ainsi les absences suivantes restent inexpliquées :

– sur l’année 2018, les 12, 15 et 16 décembre et du 24 au 28 décembre,

– sur l’année 2019, les, 9 janvier, 5 février au 8 février, 11 et 12 février, les 4,5,8,25,28 et 29 mars, du 1° au 03 avril, le 11 avril, 31 mai, 7 et 24 juin, 22 au 24 juillet, 16 août, 4 et 14 septembre.

Enfin, les manquements constatés, relevant de vos obligations contractuelles, ne peuvent être justifiés par une surcharge de travail, alors que sur plusieurs dates, les connexions au serveur de l’entreprise sont systématiquement effectuées postérieurement et parfois plusieurs heures après votre arrivée dans l’entreprise, notamment de façon non exhaustive :

– sur l’année 2018, le 19 novembre (1h30), le 6 décembre (3h38), le 13 décembre (2h40),

– sur l’année 2019, le 3 janvier (1h29), le 29 janvier (5h35), le 30 janvier (4h57), le 1er février (2h14), le 27 février (5h28), 11 mars (Sh42), 03 juillet (6h35), 26 août (2h38), 5 septembre (1h29).

Ainsi, votre comportement et l’ensemble de ces faits constituent des manquements inacceptables à vos fonctions et obligations dans l’entreprise nous conduisant à ne plus vous y maintenir en activité sans préavis.

Par conséquent, nous avons le regret de vous notifier votre licenciement pour faute grave.(…)»

Le 19 juin 2020, Mme [V] a saisi le conseil de prud’hommes de Creil afin d’obtenir un rappel de salaire sur la période travaillée de novembre 2018 à septembre 2019, afin de faire constater l’illicéité de son licenciement du fait d’un harcèlement moral subi, et obtenir le versement d’indemnités de rupture en conséquence, outre des dommages et intérêts pour harcèlement.

Par jugement du 24 février 2022 la juridiction prud’homale a :

fixé le salaire mensuel de la salariée à 3 275 euros,

débouté la salariée de sa demande de rappel de salaire et de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

condamné la SARL All colors maclevith à payer à Mme [V]:

19 640 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 1 965 euros au titre des congés payés afférents,

2 726,44 euros à titre d’indemnité de licenciement,

13 100 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

ordonné le remboursement des allocations de chômage versées au salarié dans la limite de 1 mois,

débouté les parties de leurs autres demandes,

condamné la SARL All colors maclevith aux dépens.

Le 1er mars 2022, société All colors maclevith a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions relatives au licenciement et ses conséquences financières, au remboursement ordonné à Pôle emploi et aux dépens, dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas discutées par les parties.

Vu les dernières écritures notifiées par la voie électronique le 24 mai 2022, dans lesquelles société All colors maclevith demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau de dire que le licenciement pour faute grave est justifié, ou à titre subsidiaire qu’il est pourvu d’une cause réelle et sérieuse, et en tout état de cause de condamner Mme [V] au paiement de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Vu les dernières écritures notifiées par la voie électronique le 9 novembre 2022, dans lesquelles Mme [V] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu’il a rejeté sa demande de dire que le licenciement est illicite à raison du harcèlement moral et ses demandes de dommages et intérêts au titre du licenciement illicite d’une part et au titre du harcèlement subi d’autre part, de l’infirmer de ces chefs et de :

– à titre principal, dire et juger que son licenciement est illicite à raison du harcèlement moral et condamner la société à lui payer 19 650 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement illicite ainsi que 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

– à titre subsidiaire, confirmer le jugement en ce qu’il a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse et alloué une somme de 13 100 euros bruts à titre de dommages et intérêts à ce titre,

– dans tous les cas, « CONFIRMER le jugement en ce qu’il a condamné la société All colors au paiement des sommes suivantes :

– 19 650 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis

– 1 965 euros bruts à titre de congés payés sur préavis

– 1 466,77 euros outre 146,67 euros de congés payés afférents à titre de rappel de salaires sur la période travaillée de novembre 2018 à septembre 2019

– 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile »,

– condamner la société au paiement de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles en cause d’appel, ainsi qu’aux dépens.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 23 novembre 2022.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.

Par message adressé par la voie électronique le 8 décembre 2022, jour de l’audience, la cour a invité les parties à faire, en cours de délibéré et avant la date limite du 16 décembre 2022, toutes observations utiles, au regard des articles 542 et 954 du code de procédure civile sur l’absence dans le dispositif des dernières conclusions de Mme [V] d’une demande tendant à l’infirmation du jugement déféré s’agissant du rejet de la demande de rappel de salaire d’une part, de toute prétention à ce titre d’autre part, et sur les conséquences à en tirer.

Par message électronique en réponse du 8 décembre 2022, le conseil de Mme [V] a indiqué qu’il s’agissait là d’un oubli rédactionnel dans le dispositif et qu’en pages 14 et suivantes de ses premières comme de ses dernières écritures, est consacré un paragraphe intitulé «infirmation du jugement et condamnation à un rappel de salaires sur la période travaillée de novembre 2018 à septembre 2019 : 1 466,77 euros outre 146,67 euros de congés payés».

Par message électronique du 16 décembre 2022, le conseil de la société a sollicité la stricte application des articles 542 et 954 du code de procédure civile.

MOTIFS :

I – Sur l’exécution du contrat de travail

1 – Sur le rappel de salaire

Le conseil de prud’hommes a retenu que le décompte d’heures présenté par la salariée d’une part et le relevé de son badge d’accès au site de Marche de l’Oise ne sont pas approchables, et que les différents éléments produits ne peuvent donc pas établir l’existence d’heures supplémentaires effectuées par l’intéressée, et en conséquence, a rejeté la demande de rappel de salaire.

Il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l’appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l’infirmation ni l’annulation du jugement, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement.

Selon cet article 954, pris en son alinéa 2, les prétentions des parties sont récapitulées sous forme de dispositif, la cour d’appel ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif. Il résulte de ce texte, dénué d’ambiguïté, que le dispositif des conclusions de l’appelant ou de l’appelant incident, doit comporter, en vue de l’infirmation ou de l’annulation du jugement frappé d’appel, des prétentions sur le litige.

En outre selon l’article 954 alinéa 4 du même code, les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées.

En l’espèce, les conclusions de Mme [V] comportent un dispositif, qui seul saisit la cour, limitant sa demande d’infirmation de la décision déférée à ses seules dispositions portant sur le harcèlement moral, le bien fondé du licenciement et sa qualification, ainsi que sur les dommages et intérêts réclamés tant au titre du harcèlement moral qu’au titre du licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse, et se bornant à demander « dans tous les cas » de confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société au paiement de diverses sommes dont un rappel de salaire, de condamner la société à lui verser une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens. Le dispositif des dernières conclusions de Mme [V] ne comporte ainsi non seulement aucune demande d’infirmation du jugement s’agissant du rappel de salaire, mais encore et surtout aucune demande de condamnation de la société à ce titre.

En l’état de ces constatations, dont il résulte que le dispositif des conclusions de la salariée ne comporte pas de prétentions au titre du rappel de salaire, les dispositions du jugement de ce chef seront donc confirmées comme n’étant pas discutées.

2 – Sur le harcèlement moral

Mme [V] fait valoir en substance que son arrêt de travail est le résultat d’un surmenage, le médecin faisant état d’un « épuisement, tableau dépressif », alors qu’elle demeure suivie et continue de prendre un traitement médicamenteux composé d’anxiolytiques et d’anti-dépresseurs. Elle précise avoir fait part, les SMS l’attestant, de son implication excessive dans son travail, avec bien souvent du travail effectué à des heures déraisonnables, et des difficultés rencontrées à devoir s’éparpiller et s’épuiser à des tâches sans rapport avec la fonction qu’elle était censée occuper et qu’elle ne pouvait donc accomplir sereinement. Elle estime que le harcèlement moral qu’elle a subi résulte du fait de mener son salarié vers un état de surmenage, d’épuisement professionnel et de dépression.

La société All colors maclevith réplique en synthèse que Mme [V] ne rapporte pas la preuve des faits de harcèlement moral dont elle aurait été victime dans le cadre de l’exécution de sa prestation de travail laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral.

Or, selon l’article L.1l52-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en ‘uvre par l’employeur ou un supérieur hiérarchique dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En cas de litige, l’article L.1154-1 du code du travail dispose que le salarié doit établir la matérialité de faits permettant de présumer l’existence du harcèlement moral, à charge ensuite pour l’employeur de rapporter la preuve que les agissements reprochés ne sont pas constitutifs de harcèlement et s’expliquent par des éléments objectifs.

Pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un tel harcèlement. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs.

Il résulte enfin des articles L.1152-1, L.4121-1 et L.4121-2 du même code que ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.

En l’espèce, Mme [V] reproche à l’employeur un harcèlement moral résultant des agissements répétés suivants :

– son implication excessive dans son travail,

– du travail effectué à des heures déraisonnables,

– des difficultés rencontrées à devoir s’éparpiller et s’épuiser à des tâches sans rapport avec la fonction qu’elle était censée occuper et qu’elle ne pouvait donc accomplir sereinement.

Elle ajoute que ces agissements répétés ont eu pour conséquence d’altérer son état de santé.

Mme [V] justifie avoir été placée par son médecin traitant en arrêt de travail à compter du 14 septembre 2019 pour « épuisement, tableau dépressif » et ce jusqu’à son licenciement en mars 2020. Elle verse également aux débats une attestation d’une psychologue.

Toutefois, la cour souligne que cette attestation évoquant de manière générale la situation douloureuse au travail de Mme [V], sans que le praticien ait lui-même été témoin d’un quelconque fait, ne permet pas d’établir la réalité des difficultés alléguées par la salariée ou une présomption de harcèlement moral, en l’absence d’autres éléments, étant souligné que la salariée ne présente aucunement les faits ou agissements de l’employeur précis et datés qui, selon elle, seraient constitutifs d’un harcèlement moral, se contentant de renvoyer à ses développements sur les manquements reprochés par l’employeur dans le cadre de la lettre de licenciement pour faute grave, sans aucunement indiquer ne serait-ce que les faits ou développements concernés par ce renvoi ou à tout le moins les tâches qui lui auraient été imposées par l’employeur et qu’elle estime ne pas relever de ses fonctions comme elle l’évoque sans plus de précisions.

En ce qui concerne son implication excessive dans son travail, il s’agit là d’agissements de la salariée elle-même, sans qu’elle ne justifie d’une demande quelconque de l’employeur à ce titre ou d’un comportement de ce dernier l’ayant conduite à une implication excessive et anormale qu’au demeurant elle ne démontre pas.

S’agissant même des horaires déraisonnables allégués, la salariée n’en donne pas le moindre exemple, étant ajouté qu’elle a, par confirmation, été déboutée de sa demande de rappel de salaire pour des heures supplémentaires impayées et que même à retenir l’existence d’heures supplémentaires, il n’appartient pas en tout état de cause à la cour de déterminer, sans aucune intervention de l’intéressée, les horaires devant le cas échéant être considérés comme étant susceptibles d’être déraisonnables.

Alors que la salariée invoque le harcèlement dans le cadre de sa demande de dommages et intérêts, elle ne vise pas non plus précisément de documents dans ses développements sur le harcèlement moral, à l’exception de SMS sans date. Il sera néanmoins observé que figurent dans les pièces produites des échanges ponctuels non pertinents de SMS entre Mme [V] et M. [L] du 23 avril 2019. Elle ne produit pas au soutien de ses allégations de documents différents de ceux produits pour contester l’existence d’une faute grave ou pour réclamer un rappel de salaire dans le cadre d’heures supplémentaires impayées dans le corps de ses conclusions, de sorte que la cour n’a pas à rechercher dans l’ensemble des faits évoqués dans les conclusions, ceux qui pourraient venir caractériser un harcèlement moral.

Il se déduit de ces éléments que Mme [V] n’invoque pas de faits qui seraient matériellement établis, laissant présumer l’existence d’un harcèlement, ses seuls arrêts de travail ne pouvant sur ce point suffire.

Elle sera donc déboutée de sa demande indemnitaire, par voie de confirmation.

II – Sur le licenciement

Mme [V] fait valoir en substance que son licenciement est illicite du fait du harcèlement moral subi, et à titre subsidiaire sans cause réelle et sérieuse. Elle souligne que le gérant avait connaissance en temps utile d’éventuels manquements et que les faits fautifs allégués sont prescrits. Elle souligne avoir été en arrêt maladie continu à compter du 14 septembre 2019, et qu’il est donc difficile de lui faire grief de ne pas avoir accompli certaines tâches, surtout 5 mois plus tard. Elle estime notamment que la date de découverte d’erreurs au 6 décembre 2019 est suspecte alors que le gérant était avant cela parfaitement en mesure de relever d’éventuelles tâches non effectuées, et alors que l’absence de saisie et d’écritures de banque a été constatée par le cabinet Arensberg dès le 18 septembre 2019, et donc connu de la société All colors maclevith avant les deux mois ayant précédé la mesure disciplinaire. Elle conteste en tout état de cause point par point les griefs lui étant reprochés par l’employeur dans la lettre de licenciement.

Au contraire, l’employeur considère que la faute grave est parfaitement établie, les divers graves manquements réels, objectifs et matériellement vérifiables reprochés dans la lettre de licenciement ayant été constatés par le cabinet Arensberg et signalés par les deux salariés embauchés à temps partiel pour remplacer Mme [V] pendant son arrêt de travail. Il souligne n’avoir eu connaissance que suite à son placement en arrêt de travail, le 6 décembre 2019, de l’absence de respect par Mme [V] de ses obligations dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail pendant plusieurs mois, grâce au courrier du cabinet Arensberg, puisque l’intéressée était la seule à avoir des compétences dans le domaine de la comptabilité dans l’entreprise. Il précise que ces manquements répétés de la salariée ont exposé la société à des coûts importants pour y remédier, et ainsi le mandatement du cabinet Arensberg, outre qu’ils engagent la responsabilité pénale de la société.

Or, la faute grave privative du préavis prévu à l’article L.1234-1 du code du travail est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, la charge de la preuve pesant sur l’employeur.

L’article L.1332-4 du même code prévoit qu’ ‘aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.’ Néanmoins, ces dispositions ne s’opposent pas à la prise en considération d’un fait antérieur à deux mois si le comportement du salarié s’est poursuivi ou a été réitéré dans ce délai.

S’il subsiste un doute concernant l’un des griefs invoqués par l’employeur, il profite au salarié.

En l’espèce, il est à noter que l’employeur ne justifie pas avoir notifié au salarié le moindre avertissement ni lui avoir adressé le moindre rappel à l’ordre officiel durant l’exécution du contrat de travail.

Le licenciement de Mme [V] est motivé par les griefs suivants:

Exercice comptable au 31 septembre 2018 non clôturé dans le logiciel EBP comptabilité

Ecritures d’inventaire non extournes

Absence de saisie des factures d’achat en comptabilité depuis le 31 mai 2019 et non mise à jour dans le logiciel EBP gestion commerciale des rapprochements BL/factures

Dernier rapprochement bancaire effectué le 31 décembre 2018 pour la Société générale et le Crédit du Nord, et saisie pour la Société générale arrêtée au 15 février 2019, pour le Crédit du Nord au 31 décembre 2018, et absence de saisie depuis le 15 février 2019 des «chèques émis, règlements fournisseurs, prélèvements divers, cotisations bancaires, virements sociaux…»

Règlements clients enregistrés dans EBP gestion mais pas en comptabilité

Lettrage des comptes fournisseurs/clients non effectués depuis novembre 2018

Absence de mise en place d’une procédure d’utilisation du logiciel EBP gestion commerciale et comptabilité

Absence de suivi des relances clients aboutissant à une importante créance client qui «reste à valoriser»

Pour la comptabilité VITH, non encaissement d’une grande partie des créances clients sur l’exercice 2019, absence de mise à jour en comptabilité du compte banque et aucune saisie des achats

Lors de la révision des comptes fin décembre 2019, constat de l’absence de comptabilisation de la provision sur stock dans le bilan

Incohérence sur les heures supplémentaires réclamées, «Multiples manquements et incohérences dont notamment des connexions au serveur avant même les horaires d’arrivée ou encore des défauts de connexions au serveur pourtant déclarés par vos soins: sur l’année 2018, les 20 et 27 novembre, le 17 décembre, sur l’année 2019, le 4, 9, 10 et 12 avril, le 2 août et le 3 septembre»

Des absences qui, après rapprochement des jours de congés et récupération demeurent inexpliqués sur l’année 2018 en décembre et sur l’année 2019 entre janvier et septembre.

A l’appui de ses allégations, l’employeur produit une facture du Cabinet Arensberg du 15 avril 2020, sans toutefois établir aucunement qu’il s’agirait d’une sur facturation résultant des manquements allégués à l’encontre de la salariée.

Il produit également un courrier du Cabinet Arensberg et une attestation de Mme [F], les autres pièces produites étant les bulletins de salaire de l’intéressée établis par l’employeur de novembre 2018 au 31 octobre 2019, un relevé des connexions des heures de la salariée de janvier à juin 2019 et des relevés de badges, entrées et sorties de mai à septembre 2019.

Or, il convient tout d’abord de relever que le courrier du Cabinet Arensberg et l’attestation de Mme [F] ainsi produits portent uniquement sur le travail en comptabilité de Mme [V], et qu’aucun des éléments communiqués n’est de nature à justifier que l’employeur n’a eu connaissance des griefs n°11 et 12 portant sur une période antérieure au 14 septembre 2019, que postérieurement au 30 novembre 2019. A défaut de tout élément sur une découverte tardive de leur commission par l’employeur, ils sont prescrits.

Surabondamment, même à considérer ces faits comme étant non prescrits, ils ne sont aucunement prouvés par les relevés et bulletins de paie produits. Il s’ajoute encore que la salariée n’avait auparavant jamais été sanctionnée ni même reprise quant à la réalisation d’heures supplémentaires, aux demandes en paiement de ces heures ou en matière de prises de jours de congés et de récupération, et que même à retenir que les faits reprochés soient prouvés, l’abus ou même le caractère délibéré de ses agissements ne serait alors aucunement prouvé.

Ensuite, la société produit un courrier du 6 décembre 2019 du Cabinet Arensberg, son expert comptable, dont il ressort qu’il est intervenu le 18 septembre 2019 sur le site de la société afin de vérifier l’état d’avancement de l’enregistrement de la comptabilité sur le logiciel EBP pour l’exercice clos le 30 septembre suivant, et qu’à cette occasion il a été constaté l’absence d’écritures comptables dans le journal d’achats depuis le mois de mai 2019 et également l’absence d’enregistrement d’écritures dans le journal de banque depuis le 15 février 2019. Or, si le courrier est daté du 6 décembre 2019, il n’en ressort cependant aucunement que l’employeur n’a pas été informé des manquements constatés dès le 18 septembre, ce qui apparaîtrait particulièrement étonnant au regard des obligations et responsabilité de l’expert comptable. La société ne tente d’ailleurs pas même d’expliquer la raison qui aurait conduit l’expert comptable à retenir jusqu’en décembre les informations pourtant nécessairement extrêmement importantes puisqu’elles motivent le licenciement pour faute grave de Mme [V]. Ce document est donc tout à fait inopérant à prouver une information reçue tardivement par l’employeur pour les faits qu’il mentionne.

La société produit également une attestation de Mme [F], qui a été embauchée à temps partiel avec un autre salarié pour remplacer Mme [V] durant son arrêt de travail. Pour autant, alors même que deux salariés ont été embauchés à temps partiel pour ce remplacement, aucun témoignage de l’autre salarié n’est communiqué, et il n’est pas non plus communiqué le moindre document de nature à corroborer ou à compléter les propos de Mme [F].

Or, la cour observe que ce témoin indique de façon très imprécise dans l’attestation que «suite à l’information donnée par l’expert-comptable, voici ce que j’ai constaté au sujet de la comptabilité All Colors lors de mon intervention dans l’entreprise», sans donner aucune date ni situer aucune période, et en se contentant ensuite essentiellement de lister les manquements repris dans la lettre de licenciement. Au demeurant, dès lors que l’arrêt de travail de Mme [V] débute le 14 septembre 2019, il peut raisonnablement être retenu que l’embauche de Mme [F] est intervenue à une date proche de l’arrêt de travail, étant rappelé que les constatations de l’expert comptable visées dans l’attestation datent quant à elles du 18 septembre. Pourtant outre que ce témoignage n’est pas circonstancié, les dates exactes de l’intervention de Mme [F] dans la société ne sont pas communiquées par la société All colors, qui ne produit pas non plus son contrat de travail, et l’employeur échoue donc à prouver qu’il a été informé moins de deux mois avant d’engager la procédure de licenciement des manquements ainsi relayés.

Alors même que les manquements correspondent soit à une période ancienne s’agissant des manquements ponctuels, soit à une période se prolongeant dans le temps mais s’arrêtant nécessairement à l’arrêt de travail de la salariée intervenu le 14 septembre 2019 qui a eu pour effet d’écarter la salariée de son poste de travail, l’employeur ne justifie pas d’une découverte de leur commission postérieurement au 30 novembre 2019 alors que la procédure de licenciement a été engagée le 31 janvier 2020, de sorte que les faits reprochés à Mme [V] fondant son licenciement étaient prescrits lorsque la procédure de licenciement a été initiée.

Surabondamment, même à retenir l’absence de prescription des faits fautifs, les documents produits, qui ne sont corroborés par aucun élément de gestion ou de comptabilité sont tout à fait insuffisants à prouver la matérialité des faits reprochés.

Enfin, s’agissant de l’absence de mise en place par la salariée de différents programmes, la société ne démontre pas en avoir été informée moins de deux mois avant d’engager la procédure de licenciement.

Surabondamment, même à retenir l’absence de prescription des faits fautifs, elle ne démontre pas la matérialité des faits reprochés alors encore que même à retenir que la preuve est rapportée, rien au dossier ne vient démontrer qu’il s’agirait là d’un agissement délibéré de la salariée et non d’une simple négligence non fautive de sa part, alors que l’employeur ne l’a jamais interpellée à ce sujet.

Il ressort ainsi de l’ensemble de ces éléments que les faits reprochés à la salariée fondant son licenciement étaient prescrits lorsque la procédure de licenciement a été initiée, et que surabondamment ils ne sont pas matériellement établis. Le licenciement est donc sans cause réelle et sérieuse. Le jugement sera de ce chef confirmé.

La salariée a subi du fait de la rupture du contrat un préjudice qui au regard de son ancienneté (un peu plus de 3 ans), de son âge (plus de 55 ans) au moment de la rupture, et de ses difficultés un emploi similaire depuis lors, a été exactement indemnisé par les premiers juges sur la base d’un salaire mensuel moyen de 3 275 euros, par le versement d’une somme de 13 100 euros qui n’est d’ailleurs pas spécifiquement contestée à titre subsidiaire par l’employeur. Le jugement sera confirmé.

Le jugement déféré accordant par ailleurs une indemnité compensatrice de préavis, l’indemnité de congés payés s’y rapportant et une indemnité de licenciement, dont les montants ne sont pas spécifiquement contestés, sera confirmé.

Enfin, la cour n’est pas saisie par l’employeur, à titre subsidiaire, d’un moyen quelconque en contestation de sa condamnation au remboursement des allocations versées par Pôle emploi en application de l’article L.1235-4 du code du travail.

III – Sur les autres demandes :

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement déféré en ses dispositions sur les dépens et les frais irrépétibles.

La SARL All colors maclevith succombant au principal, sera condamnée aux dépens d’appel. Il ne serait pas équitable de laisser à la charge de la salariée les frais qu’elle a dû exposer en cause d’appel, et qui ne sont pas compris dans les dépens et il convient donc de lui allouer une somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, élevant à 2 500 euros l’indemnité perçue pour l’ensemble de la procédure.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par décision contradictoire mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions soumises à la cour ;

Y ajoutant,

Condamne la SARL All colors maclevith à verser à Mme [V] 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SARL All colors maclevith aux dépens.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.

 


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