COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
11e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 16 MARS 2023
N° RG 21/01197 – N° Portalis DBV3-V-B7F-UOSD
AFFAIRE :
[E] [Y]
C/
S.A.S. EY & ASSOCIÉS
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 Avril 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE
N° Section : E
N° RG : 20/00534
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Nicolas COLLET-THIRY
Me Laurent LECANET de l’ASSOCIATION LECANET & LINGLART
Expédition numérique délivrée à : POLE EMPLOI
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEIZE MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur [E] [Y]
né le 01 Mai 1989 à RENNES (35000)
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Nicolas COLLET-THIRY, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0215, substitué par Maître CHARAGEAT Nicolas, avocat au barreau de PARIS
APPELANT
****************
S.A.S. EY & ASSOCIÉS
N° SIRET : 817 723 687
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Laurent LECANET de l’ASSOCIATION LECANET & LINGLART, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P554
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 23 Janvier 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Thierry CABALE, Président,
Madame Régine CAPRA, Présidente,
Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,
Greffier en pré-affectation lors des débats : Madame Juliette DUPONT,
Greffier en pré-affectation lors du prononcé : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI
Par contrat de travail à durée indéterminée du 3 mars 2017, Monsieur [E] [Y] a été engagé à compter du 18 septembre 2017 en qualité d’auditeur par la Sas « EY & Associés ». Il était soumis à un forfait annuel en heures.Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective des experts comptables et commissaires aux comptes.
Par courrier du 4 novembre 2019, le salarié a pris acte de la rupture de son contrat de travail, estimant avoir réalisé des heures supplémentaires non rémunérées par la société.
Par requête reçue au greffe le 4 mars 2020, Monsieur [Y] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre afin de voir la prise d’acte requalifiée en licenciement sans cause réelle ni sérieuse, et d’obtenir le versement de diverses sommes.
Par jugement du 9 avril 2021, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil des prud’hommes de Nanterre a :
Dit que la prise d’acte s’analysait en un licenciement ;
Condamné la société Ernst & Young et Associés à verser à Monsieur [Y] :
– la somme de 2816,32 euros à titre d’indemnité de licenciement,
– la somme de 17015 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– la somme de 36 224, 68 euros et congés payés afférents 3622,46 euros au titre des paiements d’heures supplémentaires,
– la somme de 2000 euros au titre de la prime 2018 et reliquat 2019,
– la somme de 3000 euros au titre de l’exécution fautive du contrat de travail,
– 1200 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile
Débouté Monsieur [Y] de l’ensemble de ses autres demandes.
Par déclaration au greffe du 20 avril 2021, Monsieur [Y] a interjeté appel de ce jugement.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 22 novembre 2021 auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, le salarié demande à la cour, statuant sur son appel principal interjeté le 20 avril 2021 et sur l’appel incident formé par la société EY par conclusions du 12 octobre 2021, de :
Infirmer le jugement ce qu’il l’a débouté de sa demande tendant au paiement de la somme de 28 967,88 euros à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé (Articles L 8221-5 et L 8223-1 du Code du travail), et, statuant à nouveau, de condamner la société EY & Associés au paiement de cette somme;
Infirmer le jugement en ce qu’il a limité à 3000 euros le montant des dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail, et, statuant à nouveau, de condamner la société EY & Associés au paiement d’une somme de 25 000 euros de ce chef ;
Infirmer le jugement en ce qu’il a limité à 17 015 euros le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et, statuant à nouveau, de condamner la société EY & Associés au paiement d’une somme de 30 000 euros de ce chef ;
Infirmer le jugement en ce qu’il a limité à 1200 euros le montant alloué au titre de l’article 700 du CPC, et, statuant à nouveau, de condamner la société EY & Associés au paiement d’une somme de 3000 euros de ce chef ;
Confirmer le jugement pour le surplus, c’est-à-dire en ce qu’il a condamné la société EY au paiement des sommes suivantes :
– 36 224,68 euros à titre de rappels d’heures supplémentaires 2017-2018, 2018-2019, et 2019-2020, et 3622,46 euros au titre des congés payés afférents ;
– 2000 euros à titre de prime 2018 et de reliquat de prime 2019 ;
– 2816,32 euros à titre d’indemnité légale de licenciement ;
Condamner la société EY & Associés au paiement d’une somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile pour la procédure d’appel ;
Condamner la Société EY & Associés au paiement des intérêts légaux à compter du jour de l’introduction de l’instance conformément à l’article 1344-1 du Code civil ;
Ordonner la capitalisation des intérêts en application de l’article 1343-2 du code civil ;
Condamner la société EY & Associés aux entiers dépens.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 12 octobre 2021 auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, la société EY & associés demande à la cour de :
La recevoir en ses écritures et l’y déclarer bien fondée ;
Confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Monsieur [Y] de sa demande eu titre du travail dissimulé;
Infirmer le jugement de première instance en ce qu’il l’a condamnée au titre des heures supplémentaires et congés payés y afférent, des primes 2018 et 2019, de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat, d’indemnité de licenciement, d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et article 700 ;
en conséquence, statuant à nouveau,
Débouter Monsieur [Y] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
A titre subsidiaire,
Ramener les demandes de Monsieur [Y] à de plus justes proportions ;
En tout état de cause,
Condamner Monsieur [Y] à lui verser la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens qui sont recouvrés par Maître Laurent Lecanet, Avocat aux offres de droit.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 12 décembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les heures supplémentaires :
Le salarié soutient que les décomptes et mails qu’il produit aux débats à l’appui de sa demande au titre d’heures supplémentaires sont suffisamment précis afin de permettre à l’employeur d’y répondre utilement.
La société réplique que le salarié ne fournit pas les éléments suffisamment précis à sa charge dès lors qu’il produit des feuilles de temps qui ne sont pas correctement renseignées et qui aboutissent à comptabiliser des heures qui ne constituent pas du temps de travail effectif s’agissant d’heures de disponibilité durant lesquelles il n’a aucune activité professionnelle et n’est pas à sa disposition permanente sans pouvoir vaquer à ses occupations personnelles, et d’heures de trajet.
Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
En l’espèce, il est constant que conformément à l’article 8.1.2.7 de la convention collective applicable, l’article 4 du contrat de travail du salarié le soumettait à un forfait annuel en heures de 1827 heures dont 220 heures correspondant au contingent d’heures supplémentaires.
Au soutien de sa demande en paiement d’heures supplémentaires qu’il estime avoir accomplies au-delà du forfait, le salarié produit aux débats :
– ses bulletins de salaire,
– des décomptes mensuels détaillés, établis à partir de ses déclarations via un logiciel couvrant la période d’octobre 2017 à août 2019 mentionnant les heures travaillées chargeables (facturables au client), les heures de travail non facturables, les temps de formation obligatoire, d’autres temps non chargeables, des périodes d’intermission ou du déplacement professionnel chez le client, ainsi que des mails du service « Gfis Reporting Services » lui transmettant l’état mensuel d’utilisation personnelle et ses propres mails adressant des « Gfis » à sa hiérarchie, notamment des mails explicatifs ; – deux décomptes annuels récapitulatifs 2017-2018 et 2018-2019 établis à partir du même système ; – des décomptes hebdomadaires des heures de travail de septembre 2019 à janvier 2020.
Cet ensemble d’éléments est suffisamment précis quant aux heures non rémunérées que le salarié estime avoir accomplies afin de permettre à l’employeur d’y répondre utilement.
Afin de contredire ces éléments, l’employeur fait valoir que :
– premièrement, les heures non chargeables ne se rattachent à aucune activité professionnelle, celles-ci ne constituent pas des heures de travail effectif, pouvant ainsi être imputées sur des comptes « tels que Administratif, Unassigned, non valorisable ou Disponible »; les heures disponibles ne constituent pas du temps de travail effectif ; après déduction de ces heures, les chiffres du salarié doivent être ramenés à 1995 heures effectuées de septembre 2017 à août 2018 et 2014 heures effectuées de septembre 2018 à août 2019; les temps de déplacement, qui correspondent à des temps de trajet, ne constituent pas non plus du temps de travail effectif et ne peuvent faire l’objet d’une demande en paiement d’heures supplémentaires ; toutefois, les affirmations de l’employeur, sans offre de preuve, ne sont pas de nature à contredire utilement les éléments produits par le salarié dont il résulte que les données relatives aux temps de travail qu’il déclarait au moyen du système mis en place par l’employeur étaient systématiquement récupérées, analysées et retransmises par un service dédié, et que le détail de ces données permettait ainsi à l’employeur de connaître précisément la répartition des heures déclarées dans les différentes rubriques manifestement dans l’objectif d’une utilisation qui au-delà du suivi de la facturation aux clients lui permettait d’exercer un contrôle du temps de travail, ce qui conduisait le salarié à devoir s’expliquer sur certains points à la demande de sa hiérarchie qui n’a à aucun moment refusé de valider ces fiches de temps ; à ce titre, alors que la société était en mesure de fournir des éléments, notamment des témoignages, sur le temps qu’elle qualifie de « disponible », le salarié n’est pas utilement contredit en ce que celui-ci apporte des précisions et fournit des éléments quant aux données relatives aux temps non chargeables sur un code projet s’agissant notamment de missions spéciales comme celles de « ArianeGroup et Dresser », d’un travail administratif, de réunions de type ressources humaines par exemple, ou de périodes durant lesquelles il est à la disposition permanente de son employeur au sein de la » [Adresse 5] » afin de réaliser des tâches ponctuelles ou de mettre en ordre des dossiers ; – secondement, les temps de déplacement professionnels réalisés par le salarié ne constituent pas du temps de travail effectif et ne peuvent donner lieu à paiement d’heures supplémentaires mais uniquement, le cas échéant, à une contrepartie dans les conditions prévues par l’article L. 3121-4 du code du travail ; en effet, sur ce point, le salarié n’apporte aucun élément lui permettant d’assimiler les temps de déplacement qu’il inclut dans les temps non chargeables, à du temps de travail effectif ; il n’apparaît pas que durant ces temps de déplacement le salarié était à la disposition de l’employeur et se conformait aux directives de ce dernier sans pouvoir vaquer à ses occupations personnelles ; à cet égard, le salarié ne justifie pas ni même n’allègue pouvoir être considéré en tant que travailleur itinérant dont les temps de déplacement entre son domicile et les sites des premier et dernier clients pourraient répondre à la définition du temps de travail effectif relativement à l’obligation d’interprétation des articles L. 3121-1 et L. 3121-4 du code du travail à la lumière de la directive 2003/88/CE.
En conséquence, au vu des éléments d’appréciation, dont les éléments de calcul, il y a lieu d’allouer au salarié la somme de 23 840,98 euros bruts à titre de rappel de salaire correspondant à des heures supplémentaires, outre 2384,10 euros bruts de congés payés afférents.
Le jugement entrepris est dès lors infirmé quant aux montants alloués de ces chefs.
Sur les primes :
Le salarié fait valoir que l’article 5 de son contrat de travail prévoit le versement à son profit d’une prime annuelle sous condition de performance et il reproche à l’employeur une absence de réponse à ses demandes, notamment par mail du 2 septembre 2019, relatives au non-versement de cette prime en 2018 et à un versement incomplet l’année suivante compte tenu du montant qui lui avait été annoncé. Il précise qu’en considération des informations verbales qui lui ont été données sur les critères d’attribution de cette prime et les modalités de calcul de celle-ci, les sommes qu’il réclame sont justifiées.
L’employeur réplique que la prime ayant un caractère discrétionnaire, il n’avait pas en justifier, déniant tout engagement au versement d’un montant déterminé.
Le contrat de travail peut prévoir, en plus d’une rémunération fixe, que le salarié est éligible à une prime fixée discrétionnairement par l’employeur
L’article 5 du contrat de travail comporte notamment les mentions suivantes :
» Vous pourrez, éventuellement, bénéficier d’une prime individuelle qui vous sera octroyée en fonction de vos performances au cours de l’exercice écoulé. Cette prime de performance étant allouée globalement pour l’année, elle ne rentrera pas dans l’assiette des congés payés.
Le versement de ladite prime interviendra tous les ans après la fin de l’exercice, sous réserve de votre présence dans l’entreprise au moment du versement. »
En considération de cette clause, d’une valeur simplement informative, et au vu des éléments fournis, l’employeur ne s’est pas obligé au-delà de l’éventuel versement d’une prime discrétionnaire dont le principe et le montant étaient laissés à son appréciation, et l’intention des parties de donner un caractère contractuel, et donc obligatoire, à une telle prime, ne peut pas se déduire du seul fait que l’employeur a décidé de manière unilatérale de la verser en 2019, sans s’être engagé par ailleurs au versement d’un montant plus élevé.
Le salarié sera donc débouté de ses demandes formées de ce chef, le jugement étant infirmé sur ce point.
Sur l’exécution fautive du contrat de travail :
Au visa des articles L. 4121-1, L. 3121-35 et L. 3131-1 du code du travail et en calculant des moyennes de travail hebdomadaires à partir des heures qu’il estime avoir accomplies annuellement, le salarié soutient que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité en raison de dépassements de la durée hebdomadaire du travail et du non-respect du repos quotidien, quand l’employeur réplique que les calculs du salarié sont inexacts puisqu’ils intègrent notamment des temps de déplacement ne pouvant s’assimiler à du temps de travail effectif, les limites quotidiennes et hebdomadaires n’étant aucunement dépassées et le salarié ne justifiant pas de surcroît de son préjudice.
Il résulte des éléments d’appréciation qu’après déduction des temps de déplacement ne relevant pas d’un temps de travail effectif, les durées moyennes de travail quotidiennes et hebdomadaires du salarié n’ont pas excédé les plafonds légaux, ce dernier n’ayant pas non plus été privé de repos auxquels il pouvait prétendre.
Le salarié invoque également une surcharge de travail sans justifier d’une quelconque alerte à ce sujet ni de son préjudice.
Il sera dès lors débouté de sa demande en paiement de dommages et intérêts formulée au titre de ces différents manquements, le jugement étant infirmé sur ce chef.
Sur la prise d’acte de la rupture :
Etant rappelé que l’exécution du préavis n’a pas d’incidence sur le bien-fondé de la prise d’acte, l’appréciation de la gravité des manquements invoqués ne dépendant pas de la possibilité d’exécuter ou non un préavis, il convient de considérer que le non paiement par l’employeur des heures supplémentaires retenues par la cour constitue, compte tenu notamment du volume et du montant de ces heures non rémunérées, un manquement suffisamment récent et grave pour empêcher la poursuite de la relation de travail et caractérise ainsi une rupture du contrat de travail imputable à l’employeur.
Il y aura donc lieu de dire que la prise d’acte du 4 novembre 2019 produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
Le salarié, qui soutient le caractère illicite du barème de l’article L. 1235-3 du code du travail eu égard aux engagements internationaux de l’Etat français, sollicite une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant de 30 000 euros, alors que l’employeur invoque l’application de ces mêmes dispositions et l’absence de préjudice.
En application de l’article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux fixés par ce texte. Pour déterminer le montant de l’indemnité, le juge peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités de licenciement versées à l’occasion de la rupture, à l’exception de l’indemnité de licenciement mentionnée à l’article L. 1234-9. Cette indemnité est cumulable, le cas échéant, avec les indemnités prévues aux articles L. 1235-12, L. 1235-13 et L. 1235-15, dans la limite des montants maximaux prévus au même article. Au termes de l’article L. 1235-3-1 du code du travail, l’article L. 1235-3 de ce code n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes à :
– la violation d’une liberté fondamentale ;
– des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4 ;
– un licenciement discriminatoire dans les conditions mentionnées aux articles L. 1132-4 et L. 1134-4 ;
– un licenciement consécutif à une action en justice en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les conditions mentionnées à l’article L. 1144-3, ou à une dénonciation de crimes et délits;
– un licenciement d’un salarié protégé mentionné aux articles L. 2411-1 et L. 2412-1 en raison de l’exercice de son mandat ;
– un licenciement d’un salarié en méconnaissance des protections mentionnées aux articles L. 1225-71 et L.1226-13.
Les dispositions des articles L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié et qui prévoient que, dans les cas de licenciements nuls dans les situations ci-dessus énumérées, le barème ainsi institué n’est pas applicable, permettent raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi. Le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l’employeur est également assuré par l’application, d’office par le juge, des dispositions précitées de l’article L. 1235-4 du code du travail. Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT. Il en résulte que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention précitée.
Par ailleurs, dans la partie I de la Charte sociale européenne, « les Parties reconnaissent comme objectif d’une politique qu’elles poursuivront par tous les moyens utiles, sur les plans national et international, la réalisation de conditions propres à assurer l’exercice effectif des droits et principes » ensuite énumérés, parmi lesquels figure le droit des travailleurs à une protection en cas de licenciement.
Selon l’article 24 de cette même Charte, « en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître :
a) le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service ;
b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.
A cette fin les Parties s’engagent à assurer qu’un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial. »
L’annexe de la Charte sociale européenne précise qu’il « est entendu que l’indemnité ou toute autre réparation appropriée en cas de licenciement sans motif valable doit être déterminée par la législation ou la réglementation nationales, par des conventions collectives ou de toute autre manière appropriée aux conditions nationales. »
L’article 24 précité figure dans la partie II de la Charte sociale européenne qui indique que « les Parties s’engagent à se considérer comme liées, ainsi que prévu à la partie III, par les obligations résultant des articles et des paragraphes » qu’elle contient.
Dans la Partie III de la Charte, il est indiqué que « chacune des Parties s’engage :
a) à considérer la partie I de la présente Charte comme une déclaration déterminant les objectifs dont elle poursuivra par tous les moyens utiles la réalisation, conformément aux dispositions du paragraphe introductif de ladite partie ;
b) à se considérer comme liée par six au moins des neuf articles suivants de la partie II de la Charte : articles 1, 5, 6, 7, 12, 13, 16, 19 et 20 ;
c) à se considérer comme liée par un nombre supplémentaire d’articles ou de paragraphes numérotés de la partie II de la Charte, qu’elle choisira, pourvu que le nombre total des articles et des paragraphes numérotés qui la lient ne soit pas inférieur à seize articles ou à soixante-trois paragraphes numérotés.»
Il résulte de la loi n° 99-174 du 10 mars 1999, autorisant l’approbation de la Charte sociale européenne, et du décret n° 2000-110 du 4 février 2000 que la France a choisi d’être liée par l’ensemble des articles de la Charte sociale européenne.
L’article I de la partie V de la Charte sociale européenne, consacrée à la « Mise en oeuvre des engagements souscrits » prévoit que « les dispositions pertinentes des articles 1 à 31 de la partie II de la présente Charte sont mises en oeuvre par :
a) la législation ou la réglementation ;
b) des conventions conclues entre employeurs ou organisations d’employeurs et organisations de travailleurs;
c) une combinaison de ces deux méthodes ;
d) d’autres moyens appropriés. »
Enfin, l’annexe de la Charte sociale européenne mentionne à la Partie III : « Il est entendu que la Charte contient des engagements juridiques de caractère international dont l’application est soumise au seul contrôle visé par la partie IV » qui prévoit un système de rapports périodiques et de réclamations collectives.
Sous réserve des cas où est en cause un traité international pour lequel la Cour de justice de l’Union européenne dispose d’une compétence exclusive pour déterminer s’il est d’effet direct, les stipulations d’un traité international, régulièrement introduit dans l’ordre juridique interne conformément à l’article 55 de la Constitution, sont d’effet direct dès lors qu’elles créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir et que, eu égard à l’intention exprimée des parties et à l’économie générale du traité invoqué, ainsi qu’à son contenu et à ses termes, elles n’ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l’intervention d’aucun acte complémentaire pour produire des effets à l’égard des particuliers.
Il résulte des dispositions précitées de la Charte sociale européenne que les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs, poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu’ils prennent des actes complémentaires d’application selon les modalités rappelées aux paragraphes 13 et 17 du présent arrêt et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique rappelé au paragraphe 18.
Les dispositions de la Charte sociale européenne n’étant donc pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, l’invocation de son article 24 ne peut pas conduire à écarter l’application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, et la décision du Comité européen des droits sociaux publiée le 26 septembre 2022, qui considère que le barème d’indemnités pour licenciement abusif est contraire à cet article 24, ne produisant aucun effet contraignant, il convient d’allouer en conséquence au salarié une indemnité fixée à une somme comprise entre les montants minimaux et maximaux déterminés par ce texte.
En conséquence, l’entreprise employant habituellement au moins onze salariés et le salarié ayant une ancienneté de deux années complètes, il convient d’allouer à celui-ci, âgé de 30 ans au moment de la rupture, en réparation du caractère injustifié de la perte de son emploi telle que celle-ci résulte, notamment, de ses capacités à retrouver un emploi au vu des éléments fournis, la somme de 15000 euros nets (un peu plus de trois mois de salaire brut mensuel de référence) à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail.
Le jugement entrepris est encore infirmé de ce chef
Sur l’indemnité légale de licenciement :
Le salarié sollicite une indemnité légale de licenciement en retenant une ancienneté de 2 ans et 4 mois quand l’employeur réplique que le salarié n’a pas droit à cette indemnité et ne justifie pas de ses calculs.
Au vu des éléments d’appréciation, dont les éléments de calcul, et en application des dispositions des articles L. 1234-9 et R. 1234-1 et suivants du code du travail, le salarié peut prétendre, compte tenu d’une ancienneté de deux années et trois mois, à une indemnité légale de licenciement d’un montant de 2453,54 euros nets.
Le jugement entrepris est donc infirmé sur ce chef.
Sur les intérêts au taux légal:
Les intérêts au taux légal courront :
– sur les sommes de nature salariale, à compter de la date de présentation de la lettre recommandée de convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation et d’orientation, ou de la première demande en justice qui en a été faite ;
– sur les autres sommes, à compter du présent arrêt.
Il y a lieu à capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil.
Sur le remboursement des indemnités de chômage :
En application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail, il convient d’ordonner le remboursement par l’employeur des indemnités de chômage versées au salarié par Pôle Emploi du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d’indemnités.
Sur les frais irrépétibles :
En équité, il ne sera fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile qu’au profit du salarié auquel est allouée la somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel.
Sur les dépens :
La charge des entiers dépens de première instance et d’appel doit être supportée par l’employeur, partie succombante pour l’essentiel.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme partiellement le jugement entrepris et statuant à nouveau sur le tout pour une meilleure compréhension et y ajoutant,
Condamne la société EY & associés à payer à Monsieur [E] [Y] les sommes suivantes :
– 23 840,98 euros bruts au titre d’un rappel de salaire relatif à des heures supplémentaires,
– 2 384,10 euros bruts de congés payés afférents,
Dit justifiée la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par Monsieur [E] [Y] et dit que cette prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Condamne la société EY & associés à payer à Monsieur [E] [Y] les sommes suivantes :
– 15 000 euros nets à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 2 453,54 euros nets à titre d’indemnité légale de licenciement.
Dit que les intérêts au taux légal courront :
– sur les sommes de nature salariale, à compter de la date de présentation de la lettre recommandée de convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation et d’orientation, ou de la première demande en justice qui en a été faite ;
– sur les autres sommes, à compter du présent arrêt.
Dit qu’il y a lieu à capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil.
Ordonne le remboursement par l’employeur des indemnités de chômage versées au salarié, dans la limite de trois mois d’indemnités.
Dit qu’une copie du présent arrêt sera transmise à Pôle Emploi.
Condamne la société EY & associés à payer à Monsieur [E] [Y] la somme de 3000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Déboute les parties pour le surplus.
Condamne la société EY & associés aux entiers dépens de première instance et d’appel.
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Monsieur Thierry CABALE, Président et par Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI, Greffier en pré-affectation, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier en pré-affectation, Le président,
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