AFFAIRE : N° RG N° RG 21/01790 – N° Portalis DBWB-V-B7F-FT6N
Code Aff. :AP
ARRÊT N° 23/ AP
ORIGINE :JUGEMENT du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Saint Pierre en date du 17 Septembre 2021, rg N° F 19/00004
COUR D’APPEL DE SAINT-DENIS
DE LA RÉUNION
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 15 JUIN 2023
APPELANTE :
Monsieur [W] [H]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Benoît TITRAN, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉ :
Fondation FONDATION PERE FAVRON fondation reconnue d’utilité publique par décret du 20 août 1997, représentée par son président en exercice
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentant : Me Jean pierre GAUTHIER de la SCP CANALE-GAUTHIER-ANTELME-BENTOLILA, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
Clôture : 07/11/2022
DÉBATS : En application des dispositions de l’article 804 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 11 Avril 2023 devant la cour composée de :
Président : Monsieur Laurent CALBO, Conseiller
Conseiller : Madame Aurélie POLICE,
Conseiller : M. Laurent FRAVETTE, Vice-président placé
Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.
A l’issue des débats, le président a indiqué que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition le 15 Juin 2023.
ARRÊT : mis à disposition des parties le 15 JUIN 2023
greffier lors des débats et de la mise à disposition : M. Jean-François BENARD
* *
*
LA COUR :
Exposé du litige :
M. [H] (le salarié) a été engagé par l’Union des oeuvres sociales réunionnaises (UOSR), selon contrat de travail à durée indéterminée et à temps plein du 7 août 1987, modifié par avenant du 1er août 1991, en qualité de médecin chef de service du centre d’action médico-sociale précoce (CAMSP) de [Localité 4].
Par avenant du 29 septembre 2016, la fondation Père Favron (la fondation), venant aux droits de l’UOSR, a proposé à M. [H], qui l’a accepté, une affectation à temps partiel au centre ressources sur le syndrome d’alcoolisation foetale (SAF) en qualité de directeur délégué à la mise en place des réseaux de proximité et à la coopération nationale et internationale.
Le 18 janvier 2017, un avertissement a été notifié à M. [H] en raison de l’insuffisance de son activité de consultation au CAMSP et de propos tenus à l’encontre du directeur de l’agence régionale de santé (ARS) et de la fondation, dans un courriel du 16 décembre 2016.
Le 4 avril 2018, un second avertissement a été notifié à M. [H] en raison de l’insuffisance de son activité de consultation et de propos tenus lors d’une réunion générale au CAMSP en date du 20 février 2018.
Des négociations se sont engagées entre les parties à compter du mois d’avril 2018. Par courrier du 17 octobre 2018, la fondation Père Favron a demandé à M. [H] de reprendre son poste de travail et lui a proposé la direction médicale des instituts médico-éducatifs (IME).
Par requête du 4 janvier 2019, M. [H] a saisi le conseil de prud’hommes de Saint-Pierre de la Réunion d’une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur et de condamnation de ce dernier au paiement notamment d’indemnités de préavis, de congés payés afférents, de licenciement, d’un solde de congés payés, de dommages et intérêts pour retentissement et empêchement du libre exercice médical.
M. [H] a fait valoir ses droits à la retraite à compter du 30 avril 2020 et a substitué, devant la juridiction prud’homale, à sa demande en résiliation judiciaire, la prise d’acte de la rupture du contrat de travail aux torts de son employeur.
Par jugement du 17 septembre 2021, le conseil a débouté M. [H] de l’ensemble de ses demandes et l’a condamné à payer à la fondation Père Favron la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Appel de cette décision a été interjeté par M. [H] par acte du 18 octobre 2021.
Vu les dernières conclusions notifiées par la fondation Père Favron le 30 septembre 2022;
Vu les dernières conclusions notifiées par M. [H] le 2 octobre 2022 ;
Par ordonnance du 7 novembre 2022, la clôture de l’instruction a été prononcée et l’affaire fixée pour être plaidée à l’audience collégiale du 13 décembre 2022.
L’affaire a fait l’objet d’un renvoi, à la demande de l’appelant, à l’audience du 11 avril 2023.
Pour plus ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, aux conclusions susvisées ainsi qu’aux développements infra.
Sur ce :
Sur l’effet dévolutif de la déclaration d’appel
Vu les articles 54 2°, 542 et 901 4° du code procédure civile’;
La fondation soulève l’absence d’effet dévolutif de la déclaration d’appel, eu égard à l’absence de précision de son objet.
En vertu de l’article 562 alinéa 1 du code de procédure civile, l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent.
En l’espèce, la déclaration d’appel litigieuse mentionne l’intégralité des chefs de jugement critiqués. L’effet dévolutif a donc nécessairement opéré.
Le fait que l’appelant n’ait pas expressement sollicité la réformation du jugement est indifférent dès lors que l’article 901 4° du code de procédure civile exige uniquement que les chefs du jugement expressément critiqués soient mentionnés, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
En outre, M. [H] précise régulièrement, dans le dispositif de ses conclusions, l’objet de sa demande, à savoir la réformation du jugement entrepris.
En conséquence, l’acte d’appel a opéré effet dévolutif.
Sur la demande de voir écarter des débats les conclusions et pièces notifiées le 30 septembre 2022
Vu l’article 135 du code de procédure civile ;
L’appelant demande que les conclusions et pièces communiquées par la partie adverse le 30 septembre 2022 soient écartées des débats, compte tenu du fait que les parties avaient été informées par avis du 16 août 2022 de la clôture de l’instruction à la date du 3 octobre 2022.
Il apparaît toutefois que malgré l’avis de clôture du 16 août 2022, le conseiller de la mise en état n’a pas clôturé l’instruction à la date prévue du 3 octobre 2022, que la clôture est intervenue le 7 novembre 2022 et que l’appelant a pu en tout état de cause utilement répondre aux conclusions et pièces communiquées le 30 septembre 2022.
Il s’en déduit que les conclusions et pièces de la fondation ont été communiquées en temps utile et qu’il n’y a lieu à les écarter des débats.
Sur la recevabilité des demandes d’annulation des avertissements
L’article 564 du code de procédure civile dispose qu’à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.
L’article 565 du même code ajoute que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
Ainsi que le relève la fondation, M. [H] sollicite à hauteur d’appel l’annulation des avertissements prononcés à son encontre les 18 janvier 2017 et 4 avril 2018 alors qu’il ne résulte ni des conclusions ni de la note d’audience du conseil de prud’hommes du 16 avril 2021 qu’une telle prétention aurait été formée par M. [H] devant les premiers juges.
Pour autant, il est établi que M. [H] sollicitait, en première instance, de voir qualifier la rupture de son contrat de travail en prise d’acte aux torts de son employeur, aux motifs notamment d’un harcèlement moral, reposant notamment sur le caractère infondé des avertissements pris à son encontre.
La demande tendant à voir annuler les avertissements prononcés à l’encontre de M. [H] est donc l’accessoire de celle tendant à la prise d’acte.
La demande d’annulation des avertissements des 18 janvier 2017 et 4 avril 2018 sera donc déclarée recevable.
Sur la recevabilité de la demande de requalification du départ en retraite en un licenciement aux torts de l’employeur
La fondation considère que la demande en résiliation judiciaire du contrat de travail est devenue sans objet dès lors que le salarié a fait valoir ses droits à la retraite, que sa décision est fondée sur des considérations objectives indépendantes des conditions d’exécution du contrat de travail et qu’il n’est fait mention d’aucun grief à l’encontre de l’employeur dans la lettre de notification de départ à la retraite du 28 janvier 2020.
Le départ à la retraite est en effet un acte unilatéral par lequel le salarié doit manifester de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.
M. [H], sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de son départ à la retraite, remet en cause celui-ci en raison des manquements qu’il impute à l’employeur. Il appartient alors à la cour de déterminer si sa décision était équivoque en raison de circonstances antérieures ou contemporaines de son départ. En effet, un départ en retraite non équivoque fait obstacle à toute demande de requalification de la rupture de la relation de travail en prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle ou sérieuse.
En l’espèce, il est établi que M. [H] a saisi la juridiction prud’homale d’une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail, faisant valoir au soutien divers manquements de la part de la fondation, ce qui caractérise l’existence d’un différend rendant de fait le départ en retraite équivoque. Il convient par ailleurs de relever que si M. [H] ne reprend pas la liste des griefs formulés à l’encontre de l’employeur dans la lettre de notification de son départ en retraite, il prend néanmoins le soin de préciser que : «’La présente n’emporte aucunement renonciation à la procédure en cours devant le conseil de prud’hommes.’», ce qui confirme le caractère équivoque de sa décision de partir en retraite.
Ainsi, la demande de requalification du départ en retraite en prise d’acte de la rupture aux torts de l’employeur sera dite recevable.
Sur la demande d’annulation des avertissements des 18 janvier 2017 et 4 avril 2018
M. [H] conteste les sanctions prises à son encontre, faisant valoir que l’organisation mise en place depuis des années au sein du CAMSP était efficiente et permettait de cumuler les missions de prévention et de soin dévolues budgétairement au centre, et que les propos qu’il a pu tenir ne sont ni injurieux, ni diffamatoires, ni excessifs mais relèvent de la seule liberté d’expression. Il ajoute que les autres médecins lui ont apporté leur soutien, démontrant ainsi que l’équipe était satisfaite du mode de fonctionnement.
Par courrier du 18 janvier 2017, la fondation a notifié à M. [H] un avertissement en raison de son activité de consultation au sein du CAMSP et du courriel du 16 décembre 2016.
Sur le premier grief, la fondation Père Favron indique : « En effet, si vos confrères pédiatres en C.A.M.S.P, sur des postes et spécialités similaires, affichent une activité annuelle d’environ 800 à 1 000 consultations, soit en moyenne 5 consultations par jour ouvrable, nous constatons que vous avez consulté en 2016 seulement 34 enfants alors que, selon nous, en tenant compte de votre décharge de 20 % pour la direction médicale du C.A.M.S.P et proratisé à votre temps de travail sur ce service, vous auriez dû consulter plus de cinq cents enfants en 2016.
Ce constat est inacceptable au regard d’une file d’attente en consultation pédiatrique de 247 enfants au 31 décembre 2016, du budget qui nous est alloué par l’A.R.S pour l’activité du C.A.M.S.P et des éléments d’activités individuels qui peuvent nous être demandés par l’A.R.S. ».
M. [H] ne conteste pas les chiffres avancés quant au nombre de consultations effectuées, mais considère que celles-ci doivent être réalisées par les autres praticiens, ce qui lui permet d’être libéré et de se consacrer aux actions de prévention. Il ajoute que cette organisation a été mise en place depuis de nombreuses années et a donné pleine satisfaction.
Il convient toutefois de relever que l’employeur avait manifesté, préalablement à cet avertissement et à plusieurs reprises, sa désapprobation quant à cette organisation. Dans un courrier du 15 avril 2016 (pièce 2 / intimée), la fondation prenait note de l’engagement de M. [H] d’assurer, dans les meilleurs délais, une activité de consultation destinée à réduire de façon significative la file d’attente, activité impactée par son engagement pour la cause SAF. La fondation rappelait également que l’activité associative ne pouvait être supportée par le budget du CAMSP ou celui du centre.
Par courriel du 1er juin 2016, M. [H] indiquait reprendre les consultations et l’optimisation de l’équipe.
Pour autant, par courrier du 12 juillet 2016 (pièce 4 / intimée), la fondation Père Favron a de nouveau rappelé à M. [H] qu’elle attendait de sa part une activité médicale correspondant à l’attente des familles et aux moyens budgétaires alloués par l’ARS et qu’il convenait d’éviter toute confusion entre les activités de SAF France, du centre de ressources SAF et du CAMSP.
Contrairement à ce que soutient M. [H], si le rapport d’évaluation externe du CAMSP de janvier 2015 relève en effet la qualité de l’accompagnement proposé par une équipe pluridisciplinaire riche, il relève également le temps insuffisant dédié à la coordination du centre et les délais de prise en charge qui peuvent dépasser les six mois, notamment sur l’accompagnement rééducatif. Ce rapport préconise donc une réflexion sur la gestion de la file active et sur la réduction du délai d’attente pour les consultations (pièce 10 / appelant).
L’employeur a donc pris la mesure de cet audit en exprimant auprès de son salarié la nécessité d’exercer sa mission médicale de consultation. Or, malgré les rappels à l’ordre et les engagements de M. [H], il est établi que ce dernier a fait fi de la directive donnée par son employeur dans le strict respect de ses prérogatives.
Sur le second grief, la fondation Père Favron indique : « Nous avons fait référence à votre mèl du 16 décembre 2016 adressé à M. [R] [N], directeur délégué de l’A.R.S.O.I pour la Réunion, dont copie au professeur [L] [V], directrice du centre de ressources, votre directeur, [B] [C], et moi-même.
Le mèl concerné porte des intimidations et menaces à l’encontre du directeur de l’A.R.S.O.I et de votre employeur, la Fondation. En outre, ces menaces, émises pendant votre temps de travail et à partir de votre messagerie professionnelle, l’ont été sous votre titre de Président de l’association S.A.F France.
Ces propos sont d’autant plus intolérables du fait que vous êtes censé oeuvrer avec l’équipe du Centre de ressources S.A.F depuis la signature de votre avenant en date du 29 septembre 2016 et en acceptant la rémunération correspondante. ».
Le courriel litigieux du 16 décembre 2016 (pièce 16 / appelant) est la réponse apportée par M. [H] au message de M. [N], directeur de la délégation de l’ARS, dans lequel ce dernier lui rappelle que les missions assurées dans le cadre de l’activité du centre de ressources SAF ne peuvent se confondre avec son engagement associatif au sein de SAF France et que les moyens du centre ne peuvent être engagés que sur des missions définies dans le plan régional. Or, M. [H], qui considère ses missions conformes au statut du centre et à sa délégation écrit que : « Il conviendrait donc que la Fondation du Père Favron respecte les règles que vous venez de rappeler et cesse de remettre en cause l’autorité du Pr [L] [V]. C’est en cela que je juge que son attitude inflexible représente un abus de pouvoir et une entrave forte à mon rôle. Dans ce contexte délétère, je crains de ne pouvoir répondre à vos attentes pour lesquelles vous m’avez coopté en tant qu’expert national et international et serais contraint de mettre un terme à ma collaboration si le manque de coordination et d’acceptation des rôles de chacun continuaient de conduire le projet à un échec que je ne veux pas cautionner.
[‘] En tant que Président de SAF France, conscient du gâchis qui se prépare et en raison de ma loyauté envers les familles, si rien ne change avant la fin de l’année, moi et mon conseil d’Administration serons contraints d’informer l’opinion publique des raisons de l’échec prévisible du projet. […] ».
Il résulte de cette pièce que les critiques émises par M. [H] à l’égard de son employeur, auprès d’une personne extérieure à la fondation, caractérisent un manque de loyauté et que les termes employés quant à une éventuelle médiatisation en cas d’absence de prise en charge de ses frais de fonctionnement s’apparentent en effet à une menace. En tout état de cause, les propos ainsi tenus excèdent la liberté d’expression accordée dans un cadre professionnel.
L’avertissement du 18 janvier 2017 est donc justifié et M. [H] sera débouté de sa demande d’annulation.
Par courrier du 4 avril 2018, la fondation Père Favron a notifié un second avertissement à M. [H] en raison à nouveau de son activité de consultation au sein du CAMSP et des propos qui auraient été tenus lors d’une réunion générale du 20 février 2018.
Malgré les rappels à l’ordre et le précédent avertissement, il résulte du tableau récapitulatif des consultations réalisées (pièce 13 / intimée), non contesté, que M. [H] a effectué uniquement 29 rendez-vous au cours de l’année 2017 pour 18 enfants.
M. [H] a ainsi persisté dans son refus de reprendre une activité normale de consultations au sein du CAMSP, ce qui caractérise l’insubordination du salarié et a eu pour conséquence d’accroître encore les délais, 626 rendez-vous demeurant en attente au jour de l’envoi de ce second avertissement.
Le fait que plusieurs médecins aient apporté leur soutien à M. [H] et relèvent l’importance de la prévention dans les fonctions des CAMSP (pièce 15 / appelant), ne retire rien à la faute commise par le salarié qui a refusé de suivre les directives de son employeur.
En outre, la fondation reproche à M. [H] d’avoir, au cours de la réunion du 20 février 2018 « publiquement, de façon explicite et à plusieurs reprises montré votre désaccord envers les actions menées ou orientations mises en oeuvre par votre employeur. Vous avez critiqué une centralisation excessive, une vision court-termiste et statistique en décrochage complet des besoins et de »l’âme du CAMSP ». Vous avez remis en cause le déploiement du logiciel Ogirys mis en oeuvre depuis deux ans et totalement inadapté selon vos dires, les modes de recrutement, la gouvernance de l’IMS Charles Isautier et insisté sur l’inadéquation des dispositifs nouvellement mis en oeuvre.
[‘] Nous considérons que vous avez ainsi manqué au devoir de réserve qui découle de votre obligation de loyauté dans l’exécution de votre contrat de travail. ».
La tenue de ces propos sont confirmés par M. [P], adjoint de direction de l’IMS Charles Isautier, qui a établi un rapport d’observations quant à cette réunion qui s’est tenue en présence des membres de l’équipe (pièce 27 / intimée).
Néanmoins, ces propos tenus dans le cadre d’une réunion interne de fonctionnement ne sauraient caractériser un manque de loyauté de la part de M. [H].
Pour autant, le seul grief relatif à l’absence de reprise des consultations caractérise une insubordination et suffit à justifier l’avertissement du 4 avril 2018.
M. [H] sera donc également débouté de sa demande d’annulation de ce second avertissement.
Sur la prise d’acte
Vu les articles L. 1231-1 et suivants du code du travail’;
Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission, ou, dans le cas présent, d’un départ volontaire en retraite.
Les manquements allégués qui s’apprécient à la date de la prise d’acte doivent présenter un caractère de gravité suffisant pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
La fondation fait valoir que les griefs formulés par le salarié sont insusceptibles à justifier la rupture du contrat de travail dès lors que M. [H] a été placé en arrêt maladie à compter du mois d’octobre 2018, qu’il avait donc cessé de travailler plus d’une année avant sa décision de départ en retraite et que les circonstances dont il se prévaut n’ont pu rendre impossible la poursuite de la relation contractuelle.
Bien que l’arrêt de travail de M. [H] ne soit pas versé aux débats, il n’est pas contesté que ce dernier a été arrêté suite à la réception du courrier du 17 octobre 2018 et jusqu’à l’ouverture de ses droits à la retraite.
Pour autant, ainsi qu’il a été vu précédemment, M. [H] s’est prévalu de plusieurs manquements de la part de son employeur dans le cadre de l’action en résiliation judiciaire initialement engagée devant le conseil de prud’hommes, requalifiée ensuite en demande de prise d’acte du fait du départ en retraite. Ainsi, l’action qui se fonde sur des circonstances antérieures à la décision de rupture du contrat de travail doit être examinée, la durée écoulée entre la suspension du contrat et sa rupture étant indifférente.
En premier lieu, au soutien de sa demande de prise d’acte, M. [H] fait grief à son employeur de ne pas justifier de ses exigences soudaines à son égard en matière de consultations et d’utilisation des moyens.
M. [H] a été embauché en qualité de médecin chef du service du CAMSP. Ses attributions étaient «’notamment’» la direction technique du CAMSP. Le contrat prévoit ensuite que’: «’vous ne devez pas faire appel au personnel de l’Établissement pour des activités étrangères à celui-ci, sauf autorisation expresse de la Direction. Il en est de même du matériel de l’Établissement.’».
Contrairement à ce que soutient le salarié, la fondation a, à de multiples reprises, rappeler que les frais engagés au titre de SAF France ne pouvaient être pris en charge par le centre ressource ou par le CAMSP et que les déplacements effectués à titre associatif ne pouvaient être effectués qu’en-dehors de son temps de travail (courriers des 15 avril 2016, 17 mai 2016, 12 juillet 2016, courriels des 4 novembre et 1er décembre 2016). Quelle qu’ait été la pratique antérieure, c’est dans un souci de bonne gestion et dans les limites de son pouvoir d’organisation que la fondation a veillé à l’affectation de ses fonds.
En outre, M. [H] a été engagé en sa qualité de médecin. S’il est établi que le CAMSP a pour missions non seulement le soin mais également le dépistage, le diagnostic précoce et la prévention, il apparaît toutefois que l’employeur a décidé dans le cadre de ses prérogatives d’employeur que chaque médecin fasse néanmoins des soins, d’autant que les actions de prévention effectuées par M. [H] étaient exclusivement tournées vers le SAF alors que de nombreuses pathologies sont traitées au sein des CAMSP. Ainsi, M. [H] ne pouvait être dispensé de toute consultation, quand bien même ce mode de fonctionnement a préexisté, d’autant cette organisation ne répondait plus aux besoins du service. Ainsi qu’il a été dit ci-dessus, le délai d’attente était devenu anormalement long et ne répondait pas aux objectifs de la structure.
La fondation a donc à raison rappelé puis exigé une augmentation du nombre de consultations, encore que la priorisation relève de son pouvoir de direction.
En deuxième lieu, M. [H] fait grief à son employeur de lui avoir imposé une mutation, en violation des dispositions contractuelles.
M. [H] a en effet été nommé en 1991 qualité de chef de service du CCAMSP de [Localité 4]. Aucune clause de mobilité géographique n’est prévue au contrat.
Par courrier du 17 octobre 2018 (pièce 8 / intimée), la fondation a indiqué’: «’Nous vous indiquons que nous souhaitons vous confier la direction médicale non plus du CAMSP de [Localité 4] (Charles Isautier) mais des IME de la Fondation Père Favron.’».
D’une part, il résulte toutefois de la fiche de poste annexée au courrier que les fonctions ainsi proposées concernaient le suivi des enfants et des établissements, mais également d’assurer l’encadrement et l’organisation des services médicaux et des missions de représentation et de recherche. Il n’est donc pas démontré que M. [H] aurait perdu des responsabilités, les deux postes étant similaires.
D’autre part, le poste proposé était basé auprès de l’IMP de [Localité 5]. Le CAMSP de [Localité 4] est éloigné d’une quinzaine de kilomètres de [Localité 5], une voie rapide séparant les deux communes.
Dès lors que le poste proposé était similaire et situé dans un même secteur géographique, il est constaté que la fondation a procédé à un simple changement des conditions de travail.
Il n’est pas davantage établi que le poste au CAMSP aurait été attaché exclusivement à la personne de M. [H], quand bien même cette structure aurait été créée par ses soins.
La décision de la fondation n’a donc pas opéré de modification substantielle du contrat de travail en sorte que relevant de son pouvoir de direction, l’accord du salarié n’était pas requis.
Enfin, cette proposition a été formulée par l’employeur dans un contexte de dissensions quant à la gestion du CAMSP, clairement exposées par M. [H], de sorte que ce dernier y avait cessé de fait son activité depuis le mois d’avril 2018 bien qu’il continuait à percevoir son entière rémunération. Des négociations ont été engagées par les parties qui n’ont pu aboutir, sans qu’il ne soit d’ailleurs démontré que la fondation y aurait mis un terme brutalement, de sorte que la proposition de lui confier la direction des IME se justifiait pleinement.
En troisième lieu, M. [H] fait grief à son employeur d’avoir porté atteinte à l’indépendance de l’exercice médical.
Si en vertu des articles R. 4127-8 et suivants de la code de la santé publique, le médecin doit rester libre du choix des soins et prescriptions, il demeure soumis, en étant salarié, au pouvoir de direction de son employeur en ce qui concerne les questions organisationnelles.
L’exigence de la fondation relative à l’augmentation du nombre de consultations afin de diminuer la file active, relève exclusivement des choix organisationnels opérés dans un souci de bon fonctionnement de la structure et donc de son pouvoir de direction.
En quatrième lieu, M. [H] fait grief à son employeur d’avoir fait un usage dévoyé de ses pouvoirs de direction et disciplinaire.
Ainsi qu’il a été dit précédemment, les rappels à l’ordre et avertissements prononcés à l’encontre de M. [H] sont totalement justifiés.
Le fait que M. [H] ait été mis à pied à titre conservatoire en date du 28 février 2018, alors qu’une simple mesure d’avertissement ait été prise ensuite ne démontre aucun usage excessif par l’employeur de son pouvoir de direction mais plutôt une bienveillance à l’égard de M. [H].
En cinquième lieu, M. [H] fait grief à son employeur d’avoir commis à son égard des faits de harcèlement moral, caractérisés par les demandes d’augmentation du volume de consultations, la remise en cause des choix médicaux et organisationnels qu’il avait opérés, l’engagement de sanctions répétées dont une procédure de licenciement avec mise à pied conservatoire n’ayant donné lieu qu’à un avertissement, sa mutation illégale sur un poste créé en raison de l’échec des négociations menées. Il considère que ces agissements ont eu pour effet de dégrader son état de santé.
En application de l’article L. 1154-1 du code du travail, pris dans leur ensemble, ces éléments de fait laissent supposer l’existence d’un harcèlement. Il incombe par conséquent à la société de prouver que ces agissements n’étaient pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il convient toutefois de relever que l’intégralité des faits invoqués au soutien du harcèlement sont ceux fondant la demande de prise d’acte de la rupture du contrat de travail et que la fondation a démontré que tous ses agissements et décisions étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à un harcèlement.
Aucun harcèlement moral à l’égard de M. [H] n’est donc caractérisé.
En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [H] de sa demande de prise d’acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur, qui devra s’analyser en un départ en retraite.
Sur les indemnités en lien avec la rupture du contrat de travail
Vu les articles L. 1234-9, L.1235-3, L. 1234-1 du code du travail’;
Dès lors que la prise d’acte n’a pas été requalifiée en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [H] ne peut qu’être débouté de ses demandes d’indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d’indemnité légale de licenciement et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause, d’autant qu’il résulte du bulletin de paie d’avril 2020 que M. [H] a perçu une indemnité de départ volontaire à la retraite de 72 555,60 euros, correspondant à six mois de salaire.
Le jugement sera donc confirmé de ces chefs.
Sur le solde de congés payés
M. [H] demande un rappel de salaire au titre des jours de congés payés et jours de réduction du temps de travail (RTT) non pris, soit 64,5 jours, pour une somme de 41 392 euros.
Il résulte en effet du bulletin de paie du mois de décembre 2018 qu’un solde de 36 jours demeurait acquis au titre de l’année N-1, 13 jours au titre de l’année N et 15,5 jours au titre de jours RTT.
Or, sur le bulletin de paie du mois d’avril 2020, il apparaît que 48 jours de congés payés ont été versés à M. [H], pour une somme de 26 785,63 euros.
Il est donc établi que la fondation demeure redevable d’un jour de congés payés.
Or, à défaut d’accord collectif ou de disposition dans la convention collective nationale des établissements privés d’hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951 relative à l’indemnisation, l’absence de prise des jours de repos au titre de la réduction du temps de travail n’ouvre droit à une indemnité que si cette situation est imputable à l’employeur.
En l’espèce, il est établi que M. [H], bien que rémunéré, a été dispensé de l’exécution de son contrat de travail, de sorte que la fondation a empêché la prise de 15,5 jours de RTT, qui doivent donc être rémunérés.
En conséquence, la fondation sera condamnée à payer à M. [H] la somme de 9 207,49 euros, correspondant au solde de 16,5 jours restant dus.
Le jugement sera infirmé sur ce point.
Sur le préjudice de retentissement
M. [H] considère avoir subi un préjudice psychologique du fait du traitement qu’il a subi de la part de l’employeur.
Outre le fait que le docteur [K] est revenu sur son certificat médical du 20 avril 2020, indiquant ne pouvoir faire le lien entre l’épuisement constaté et les conditions de travail de M. [H], il apparaît qu’aucun manquement de la part de la fondation n’est caractérisé.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté M. [H] de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.
Sur le préjudice d’empêchement du libre exercice médical
Ainsi qu’il a été retenu précédemment, l’intervention de l’employeur sur les questions organisationnelles de la structure ne saurait caractériser un empêchement au libre exercice médical, de sorte qu’aucune faute de la part de la fondation n’est caractérisée.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté M. [H] de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Dit que l’acte d’appel a opéré effet dévolutif ;
Rejette la demande tendant à voir écarter des débats les conclusions et pièces de la fondation Père Favron ;
Déclare recevable la demande en annulation des avertissements des 18 janvier 2017 et 4 avril 2018 ;
Déclare recevable la demande en requalification du départ en retraite en prise d’acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur’;
Confirme le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Saint-Pierre de la Réunion en date du 17 septembre 2021 sauf en ce qu’il a débouté M. [H] de sa demande au titre d’un solde de congés payés et l’a condamné aux dépens ;
Statuant à nouveau du chef infirmé,
Condamne la fondation Père Favron à payer à M. [H] la somme de 9 207,49 euros au titre du solde de congés payés et jours de réduction du temps de travail’;
Y ajoutant,
Déboute M. [H] de sa demande d’annulation des avertissements des 18 janvier 2017 et
4 avril 2018′;
Vu l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute la fondation Père Favron et M. [H] de leurs demandes au titre des frais non répétibles ;
Condamne la fondation Père Favron aux dépens de première instance et d’appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Laurent CALBO, Conseiller, et par M. Jean-François BENARD, greffier placé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Laisser un commentaire