Droit du logiciel : 15 juin 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 21/02958

·

·

Droit du logiciel : 15 juin 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 21/02958

C 2

N° RG 21/02958

N° Portalis DBVM-V-B7F-K6JJ

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

la SELARL ALTER AVOCAT

Me Emmanuelle PHILIPPOT

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 15 JUIN 2023

Appel d’une décision (N° RG 19/00564)

rendue par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 03 juin 2021

suivant déclaration d’appel du 02 juillet 2021

APPELANTE :

Madame [E] [D]

née le 05 Octobre 1957 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 1]

représentée par Me Pierre JANOT de la SELARL ALTER AVOCAT, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMEE :

S.A.S. SKIS ROSSIGNOL, prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège social

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Emmanuelle PHILIPPOT, avocat postulant au barreau de GRENOBLE

et par Me Delphine BRETAGNOLLE de la SELARL DELSOL AVOCATS, avocat plaidante au barreau de LYON substituée par Me Espérance DE MARLIAVE, avocat au barreau de LYON,

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,

M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,

DÉBATS :

A l’audience publique du 03 mai 2023,

M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président chargé du rapport, assisté de Mme Carole COLAS, Greffière, a entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, les parties ne s’y étant pas opposées conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile.

Puis l’affaire a été mise en délibéré au 15 juin 2023, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L’arrêt a été rendu le 15 juin 2023.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [E] [D], née le 5 octobre 1957, a été embauchée le 17 janvier 1989 par la société par actions simplifiée (SAS) Skis Rossignol suivant contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de sténodactylo.

Selon avenant en date du 1er janvier 2009, Mme [E] [D] a évolué au poste de coordinatrice activité informatique et téléphonique, statut cadre.

Mme [E] [D] a été élue déléguée du personnel en décembre 2015.

Du 22 décembre 2015 au 31 octobre 2018, Mme [E] [D] a été placée en arrêt de travail pour maladie.

Par courriel du’18’mai’2018 la salariée a annoncé sa reprise du travail à compter du 1er juin 2018. Toutefois son arrêt de travail a été prolongé jusqu’au 31 octobre 2018.

Des discussions sur une rupture conventionnelle ont été engagées entres les parties mais n’ont pas abouti.

Par courrier en date du 24 octobre 2018, la SAS Skis Rossignol a proposé à Mme [E] [D] d’occuper le poste d’assistante gestion administrative de la communication à compter du 1er novembre 2018.

Un entretien s’est tenu entre les parties le’29’octobre’2018.

Le 6 novembre 2018, à l’issue d’une première visite de reprise, le médecin du travail l’a déclarée «’Inapte au poste, apte à un autre. Pas de travail en position assise/debout. Une étude de poste de travail sera organisée par SMI 8’».

Le 20 novembre 2018, le médecin a rendu un avis d’inaptitude dans les termes suivants’: «’Inapte définitif à tous les postes de l’entreprise. Pas de travail en position assise/debout prolongée’».

Par courrier en date du 7 décembre 2018, la société Skis Rossignol a informé Mme [E] [D] de l’impossibilité de procéder à son reclassement.

Par courrier en date du 10 décembre 2018, Mme [E] [D] a été convoquée par la société Skis Rossignol à un entretien préalable au licenciement fixé au 18 décembre 2018.

Le 3 janvier 2019, le comité d’établissement a rendu un avis favorable concernant le projet de licenciement de Mme [E] [D].

Le 4 mars 2019, l’inspection du travail a autorisé le licenciement de Mme [E] [D].

Par courrier en date du 7 mars 2019, la société Skis Rossignol a notifié à Mme [E] [D] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Par requête en date du 27 juin 2019, Mme [E] [D] a saisi le conseil de prud’hommes de Grenoble afin de contester son licenciement en invoquant un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité à l’origine de l’inaptitude.

La société Skis Rossignol s’est opposée aux prétentions adverses et a soulevé, in limine litis, l’incompétence du conseil de prud’hommes.

Par jugement en date du 3 juin 2021, le conseil de prud’hommes de Grenoble :

– s’est déclaré compétent pour rechercher si l’inaptitude de Mme [E] [D] relève des manquements de la SAS Skis Rossignol,

– a dit et jugé que la SAS Skis Rossignol n’a pas manqué à son obligation de sécurité vis-à-vis de Mme [E] [D],

– a dit et jugé que le licenciement de Mme [E] [D] n’est pas nul,

– a dit et jugé que la rupture du contrat de travail de Mme [E] [D] repose sur une cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

– a débouté Mme [E] [D] de l’ensemble de ses demandes,

– a débouté la SAS Skis Rossignol de sa demande reconventionnelle,

– a dit que chaque partie conservera à sa charge ses propres dépens.

La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusés de réception signés le 8 juin 2021.

Par déclaration en date du 2 juillet 2021, Mme [E] [D] a interjeté appel à l’encontre dudit jugement.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 20 janvier 2022, Mme'[E] [D] sollicite de la cour de’:

Constater l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement pour inaptitude de Mme [E] [D] en ce qu’il est la conséquence des manquements de l’employeur à ses obligations’;

Condamner la SAS Skis Rossignol à verser à Mme [E] [D] les sommes suivantes’:

– Indemnité au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse : 80.000 €

– Dommages et intérêts au titre du manquement à l’obligation de sécurité : 10.000 €

– Indemnité au titre de la violation du statut protecteur : 48.053,25 €

– Article 700 du code de procédure civile : 2.000 €

– Condamner la SAS Skis Rossignol aux entiers dépens.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 24 novembre 2021, la SAS Skis Rossignol sollicite de la cour de’:

Vu le jugement du conseil de prud’hommes de Grenoble en date du 2 juin 2021,

Vu les articles L. 2421-3, L.2411-5 et L. 1235-3 du code du travail

Vu les articles 74, 75, 90 et 700 du code de procédure civile,

Vu les éléments de droits et de faits développés,

In limine litis, de constater son incompétence pour juger du caractère réel et sérieux du licenciement de Mme [E] [D] autorisé par l’inspection du travail ;

En conséquence :

Infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Grenoble en ce qu’il a rejeté cette demande et s’est déclaré compétent ;

Se déclarer incompétente au profit de la cour administrative d’appel de Lyon au titre de la demande de requalification du licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse et de la demande de condamnation de la société au paiement de 80.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Sur le fond et à titre principal :

Si par impossible la Cour se considérait compétente pour connaître de la demande de requalification du licenciement de Mme [E] [D] en licenciement sans cause réelle et sérieuse

Et en tout état de cause pour les autres demandes de Mme [E] [D], il est demandé à la Cour de :

Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Grenoble le 3 juin 2021 en ce qu’il a :

– Dit et jugé que la SAS Skis Rossignol n’a pas manqué à son obligation de sécurité vis-à-vis de Mme [E] [D],

– Dit et jugé que le licenciement de Mme [E] [D] n’est pas nul,

– Dit que la rupture du contrat de travail de Mme [E] [D] repose sur une cause réelle et sérieuse,

– Débouté Mme [E] [D] de l’ensemble de ses demandes, o Dit que chaque partie conservera à sa charge ses propres dépens.

– Constater que la SAS Skis Rossignol n’a commis aucun manquement ;

– Constater que la SAS Skis Rossignol a respecté la règlementation relative au statut protecteur de Mme [E] [D]

En conséquence :

Débouter Mme [E] [D] de sa demande de condamnation de la société à payer la somme de 80.000 € à titre de dommages-intérêts si la Cour se considérait compétente pour connaître de cette demande ;

Débouter Mme [E] [D] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions formulées à l’encontre de la SAS Skis Rossignol.

A titre subsidiaire

Limiter la condamnation de la SAS Skis Rossignol au paiement de la somme de 8.159,7’€ au titre des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle sérieuse, si la Cour se considérait compétente pour connaître de cette demande ;

Limiter la condamnation de la SAS Skis Rossignol au paiement de la somme de 1 € au titre des dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité.

En tout état de cause

Condamner Mme [E] [D] à la somme de2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamner Mme [E] [D] aux entiers dépens d’instance et d’appel.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l’article’455 du code de procédure civile de se reporter aux conclusions des parties susvisées.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 2 mars 2023. L’affaire, fixée pour être plaidée à l’audience du 3mai 2023, a été mise en délibéré au’15 juin 2023.

MOTIFS DE L’ARRÊT

1 ‘ Sur l’exception d’incompétence

D’une première part, en vertu du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires posé par l’article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et par le décret du 16 fructidor an’III, sous réserve des matières réservées par nature à l’autorité judiciaire et sauf dispositions législatives contraires, il n’appartient qu’à la juridiction administrative de connaître des recours tendant à l’annulation ou à la réformation des décisions prises par l’administration dans l’exercice de ses prérogatives de puissance publique.

De même, le juge administratif est seul compétent pour statuer, le cas échéant par voie de question préjudicielle, sur toute contestation de la légalité de telles décisions, soulevée à l’occasion d’un litige relevant à titre principal de l’autorité judiciaire.

Lorsqu’une autorisation administrative de licenciement devenue définitive a été accordée à l’employeur, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement.

D’une deuxième part, dans le cas où une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé est motivée par son inaptitude physique, il appartient à l’administration du travail de vérifier que l’inaptitude physique de l’intéressé est réelle et justifie son licenciement. Il ne lui appartient pas en revanche, dans l’exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude.

Ainsi, l’autorisation de licenciement donnée par l’inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l’origine de l’inaptitude lorsqu’il l’attribue à un manquement de l’employeur à ses obligations.

En l’espèce, Mme [E] [D] sollicite une indemnité au titre de la perte de son emploi, des dommages et intérêts au titre du manquement à l’obligation de sécurité.

Il ressort des écritures de la salariée que cette dernière ne conteste pas la réalité du licenciement mais uniquement l’origine de son inaptitude qui, selon elle, résulterait d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

Or, le juge prud’homal demeure compétent pour rechercher l’origine de l’inaptitude et, le cas échéant, faire droit aux demandes de dommages et intérêts au titre de la perte injustifiée de l’emploi.

Dès lors, c’est à bon droit que le conseil de prud’hommes s’est déclaré compétent pour statuer sur les demandes de Mme [E] [D] au titre de l’indemnité de la perte de son emploi et des dommages et intérêts au titre d’un manquement à l’obligation de sécurité.

D’une troisième part, un salarié protégé, licencié pour inaptitude après autorisation de l’inspecteur du travail, ne peut prétendre à une indemnité pour violation du statut protecteur, la rupture ayant été autorisée.

En l’espèce, Mme [D] sollicite une indemnité au titre de la violation du statut protecteur.

Or, son licenciement a été autorisé par l’inspection du travail par décision en date du 4 mars 2019 sans que l’autorisation accordée n’ait été annulée par la suite.

Dès lors, Mme [E] ne peut solliciter devant le juge prud’homal une indemnité pour violation de son statut protecteur.

Par conséquent, par infirmation du jugement entrepris, il convient de déclarer irrecevable la demande de la salariée au titre de la violation du statut protecteur.

En revanche, par confirmation du jugement entrepris, les demandes au titre de l’indemnité pour perte d’emploi et des dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité sont de la compétence du juge prud’homal.

2 ‘ Sur l’obligation de sécurité

Aux termes de l’article L.’4121-1 du code du travail, l’employeur est tenu, pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, de prendre les mesures nécessaires qui comprennent des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, des actions d’information et de formation et la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés’; l’employeur doit veiller à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.

Il appartient à l’employeur dont le salarié invoque une inobservation des règles de prévention et de sécurité, de démontrer que la survenance de l’accident est étrangère à tout manquement à son obligation de sécurité.

La réparation d’un préjudice résultant d’un manquement de l’employeur suppose que le salarié qui s’en prétend victime produise en justice les éléments de nature à établir, d’une part, la réalité du manquement et, d’autre part, l’existence et l’étendue du préjudice en résultant.

En l’espèce, au titre des manquements à l’obligation de sécurité, Mme [E] [D] avance les faits suivants à l’encontre de la société Skis Rossignol’:

– L’absence d’une visite de reprise au mois de mai 2018,

– Le défaut de réintégration à son poste,

– Le retard de réintégration à un poste équivalent à l’issue de son arrêt de travail.

D’une première part, en application de l’article R.’4624-31 du code du travail, dès que l’employeur a connaissance de la date de la fin de l’arrêt de travail, il saisit le service de travail au travail afin d’organiser l’examen de reprise le jour de la reprise effective du travail, et au plus tard dans un délai de huit jours qui suivent cette reprise.

Il ressort des circonstances de l’espèce que Mme [D] a prévenu la société Skis Rossignol, par courriel du 18 mai 2018, que sa reprise du travail était prévue le vendredi 1er juin.

Puis, après avoir échangé et rencontré son employeur quant aux modalités de sa reprise, elle lui a transmis, par courriel du 31 mai 2018, une prolongation de son arrêt de travail jusqu’au’14’juillet 2018 et n’a donc pas repris son travail de manière effective à la date annoncée.

L’employeur ne développe aucun moyen quant au défaut d’organisation d’une visite de reprise au cours du mois de mai 2018 après que Mme [D] l’avait prévenu de son retour.

Toutefois, la cour constate que Mme [D] n’a pas repris de manière effective le travail le’1er juin, de sorte que la société n’a commis aucun manquement quant au fait qu’il n’ait pas organisé de visite de reprise, d’autant qu’il avait jusqu’à huit jours après la reprise pour l’organiser.

D’une deuxième part, il est établi que, lors d’une rencontre en date du 30 mai 2018, la directrice des ressources humaines a annoncé à Mme [D] que son poste de coordinatrice activité informatique et téléphonique n’était plus disponible.

Aussi, il ressort du compte-rendu de la réunion extraordinaire CE-direction du 3 janvier 2019, relatif au projet de licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement de Mme [D] que «’Le poste de travail occupé par Madame [D] avant la suspension de son contrat de travail pour maladie n’exist[ait] plus, en tant que tel’».

Or, la société Skis Rossignol ne développe aucun moyen pertinent ni ne produit d’élément permettant d’établir que le poste de Mme [D] n’était plus disponible. Elle s’abstient plus généralement de justifier de la suppression du poste pendant l’arrêt maladie de la salariée.

Les moyens développés par les parties quant aux négociations relatives à une rupture conventionnelle en raison de la suppression du poste sont inopérants dès lors qu’aucun élément ne vient corroborer leurs affirmations et qu’aucune rupture conventionnelle n’a été conclue.

D’une troisième part, il ressort des circonstances de l’espèce et des pièces produites par les parties que la salariée a informé son employeur dès le 18 mai de son intention de reprendre le travail le 1er juin et que la société ne lui a proposé aucun poste ni au mois de mai, ni lorsque la salariée l’a recontacté le 28 juin 2018.

Ainsi, malgré les sollicitations réitérées de Mme [D], l’employeur a tardé à lui apporter une réponse quant à son affectation sur un nouveau poste de travail.

En outre, alors que la salariée a recontacté la directrice des ressources humaines par courriel du’26 juin 2018, la société a uniquement proposé un rendez-vous à la salariée sans lui proposer de poste.

En réponse à un courrier de la salariée en date du 20 juillet 2018 par lequel elle interpelle son employeur sur l’absence de poste de substitution, l’employeur s’est contenté de répondre par correspondance en date du 24 août 2018 que «’sous réserve des préconisations du médecin du travail, vous retrouverez à l’issue de la suspension en cours de votre contrat de travail, un emploi similaire’» sans autre précision du poste envisagé.

Puis, alors que la salariée a contacté la directrice des ressources humaines par mail en date du’28’septembre 2018 par lequel elle lui demande comment est envisagée sa reprise prévue le’1er octobre et sur quel poste, l’employeur ne produit aucun élément, de sorte qu’il apparaît qu’il n’a répondu aux demandes de la salariée en vue de sa reprise.

En outre, l’employeur ne peut arguer du caractère subit de la demande et affirmer que «’Le vendredi 28 septembre 2018, Madame [E] [D] informait subitement la société Skis Rossignol qu’elle reprendrait le lundi’1er’octobre 2018, en laissant à la société Skis Rossignol le week-end, pour en particulier finaliser la recherche de poste de reclassement et organiser la visite médicale de reprise’», dès lors qu’il avait connaissance de la volonté réitérée de la salariée de reprendre son travail depuis le mois de mai 2018.

En effet l’employeur a l’obligation de préparer le retour de la salariée dès qu’il a connaissance de l’intention de celle-ci de reprendre son travail, de l’informer et de justifier des mesures adoptées quant au poste de la salariée, puisqu’il affirme que le poste initial de Mme [D] avait été supprimé.

Certes, Mme [D] n’apporte aucun élément permettant d’établir que c’est sur demande de l’employeur, du fait de l’absence de poste qu’elle aurait reporté sa reprise du travail plusieurs fois.

Pour autant, quand bien même l’arrêt de travail de Mme [D] a été prolongé, l’employeur aurait dû adopter les mesures nécessaires afin de l’informer et de lui proposer un nouveau poste.

Encore, par courrier en date du 3 octobre 2018, Mme [D] a de nouveau interpellé son employeur sur sa reprise et sur l’absence de proposition de poste depuis le mois de juin 2018, étant donné qu’elle devait reprendre le travail le 1er juin, le 1er octobre 2018, puis finalement début novembre 2018.

Finalement, c’est seulement par courrier en date du 24 octobre 2018 que l’employeur a proposé à la salariée un poste d’assistance gestion administrative de la communication, la salariée devant reprendre le 1er novembre 2018.

Par courrier en date du 25 octobre 2018, la salariée a sollicité des informations complémentaires sur le poste proposé en indiquant notamment que «’il est nécessaire d’avoir un bac +5 en marketing que je n’ai pas, ainsi qu’une compétence dans un logiciel que je ne connais pas. Vous connaissez mon intérêt pour la formation qui est essentielle pour réussir dans tout poste. Est-il envisagé une formation pour que je sois mise en compétence » En effet, sans une mise à niveau dès mon retour, il ne me sera pas possible d’être sur ce poste, qui n’est pas similaire au poste que j’avais avant mon absence pour arrêt maladie’».

En réponse, par courriel en date du 26 octobre 2018, la directrice des ressources humaines a proposé à Mme'[D] une rencontre le 29 octobre 2018 pour «’faire le point sur le poste et répondre, en présence de [R] [S], à tes questions’», ce dernier attestant de la matérialité de la rencontre.

Et Mme [D] a accepté le poste par appel téléphonique du 31 octobre 2018, acceptation confirmée par l’employeur dans un courrier du 5 novembre 2018.

Il ressort de l’ensemble de ces éléments qu’alors que la salariée a annoncé sa reprise pour le’1er’juin, le 1er octobre et le 1er novembre et malgré qu’elle ait interpellé à plusieurs reprises son employeur quant au poste envisagé pour sa reprise, l’employeur ne démontre pas avoir pris les mesures nécessaires pour rechercher un poste similaire au précédent pour une reprise éventuelle de Mme [D] dès le mois de juin 2018 et informer la salariée des conditions de sa reprise avant le courrier du’24’octobre’2018.

La société Skis Rossignol ne produit aucun élément et ne développe aucun moyen utile quant aux procédures adoptées pour trouver un poste de remplacement à la salariée entre le mois de mai et le mois d’octobre 2018, alors qu’elle était sollicitée par la salariée et informée de la volonté de celle-ci de reprendre ses fonctions pour le 1er juin, puis pour le 1er octobre et finalement début novembre.

La cour note que la société affirme que Mme [D] n’aurait souhaité reprendre son travail qu’en raison de la cessation d’indemnisation de ses arrêts de travail par la CPAM, puis du rejet de son recours à cet égard et qu’elle exerce plusieurs mandats politiques depuis plusieurs années qui «’interroge[nt] par rapport aux restrictions médicales mentionnées dans l’avis d’inaptitude’».

Outre que la société n’apporte aucun élément pour étayer ces affirmations, ces moyens sont inopérants dès lors qu’ils ne portent pas sur le manquement à l’obligation de sécurité reproché par la salariée à son employeur et que la société n’a pas contesté l’avis rendu par le médecin du travail.

Il résulte de l’ensemble des énonciations précédentes que, par son inaction et en proposant tardivement un poste à la salariée alors qu’il avait connaissance depuis le 18 mai 2018 de la volonté de la salariée de reprendre son travail, la société Skis Rossignol a créé une situation d’incertitude pour la salariée quant à son avenir professionnel au sein de la société qui a perduré plusieurs mois entre mai et octobre 2018.

Dès lors, l’employeur a commis un manquement à son obligation de sécurité en ne prenant pas les mesures nécessaires pour sauvegarder la santé psychique de Mme [D], cette dernière démontrant suffisamment avoir subi un préjudice compte tenu de la situation d’incertitude ayant duré près de six mois.

Par conséquent, par réformation du jugement entrepris, il convient de condamner la société Skis Rossignol à payer à Mme [E] [D] la somme de 5’000’euros nets au titre du manquement à l’obligation de sécurité, le surplus de la demande étant rejeté.

3 ‘ Sur l’origine de l’inaptitude

Premièrement, l’employeur a une obligation s’agissant de la sécurité et de la santé des salariés dont il ne peut le cas échéant s’exonérer que s’il établit qu’il a pris toutes les mesures nécessaires et adaptées énoncées aux articles L. 4121-1 et L 4121-2 du code du travail.

Deuxièmement, l’inaptitude fondant le licenciement, provoquée par un manquement préalable de l’employeur, rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Troisièmement, les dispositions de l’article L.1226-10 du code du travail sur l’inaptitude d’origine professionnelle s’appliquent dès lors que, indépendamment de la prise en charge ou non de l’accident ou de la maladie par l’organisme social, l’inaptitude a au moins en partie une origine professionnelle et que l’employeur en était informé au jour du licenciement.

En l’espèce, il est suffisamment établi que l’employeur a commis un manquement à son obligation de sécurité à l’égard de Mme [D] en ne lui proposant pas de poste de reclassement en vue de sa reprise, créant une situation d’incertitude sur son avenir professionnel pendant plusieurs mois.

Par ailleurs, il ressort de l’étude de poste, proposé par l’employeur le 24 octobre, que dans l’identification des contraintes (diagnostic), la médecine du travail a notamment relevé «’Pression des clients, des supérieurs’».

L’employeur ne développe aucun moyen utile quant à cette indication.

Or, cet élément suffit à démontrer que l’inaptitude de Mme [E] [D] constatée par le médecin du travail à l’issue de cette étude de poste, est liée, au moins partiellement, au manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et à l’absence de mesures prises en vue de la protection de la santé psychique de la salariée.

Il convient en conséquence de juger que l’inaptitude fondant le licenciement a été, au moins en partie, causée par le manquement préalable de l’employeur.

En conséquence, Mme [D] est fondée à solliciter des dommages et intérêts pour perte injustifiée de l’emploi.

Mme [E] [D] disposait d’une ancienneté, au service du même employeur, de trente ans et peut donc prétendre, par application des dispositions précitées, à une indemnisation du préjudice né de la perte injustifiée de son emploi comprise entre trois et vingt mois de salaire.

La salariée, qui sollicite 25 mois de salaire, s’abstient de justifier de sa situation au regard de l’emploi suite à son licenciement.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, procédant à une appréciation souveraine des éléments de fait soumis, le moyen tiré de l’inconventionnalité des barèmes se révèle inopérant dès lors qu’une réparation adéquate n’excède pas la limite maximale fixée.

Par conséquent, il convient de condamner la SAS Skis Rossignol à verser à Mme [D] la somme de 60’000’euros bruts à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice.

Le jugement entrepris est donc infirmé à ce titre.

4 ‘ Sur les demandes accessoires

La SAS Skis Rossignol, partie perdante à l’instance au sens des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, doit être tenue d’en supporter les entiers dépens de première instance et d’appel.

Il serait par ailleurs inéquitable, au regard des circonstances de l’espèce comme des situations économiques des parties, de laisser à la charge de Mme [E] [D] l’intégralité des sommes qu’elle a été contrainte d’exposer en justice pour la défense de ses intérêts en première instance et en appel, de sorte qu’il convient de condamner la SAS Skis Rossignol à lui verser la somme de 2’000’euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

En conséquence, la demande indemnitaire de la société au titre des frais irrépétibles qu’elle a engagés est rejetée.

PAR CES MOTIFS’:

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, dans les limites de l’appel et après en avoir délibéré conformément à la loi’;

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu’il’:

– s’est déclaré compétent pour rechercher si l’inaptitude de Mme [D] relève des manquements de la SAS Skis Rossignol’;

– a débouté la SAS Skis Rossignol de sa demande reconventionnelle’;

L’INFIRME pour le surplus’;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DÉCLARE irrecevable la demande de Mme [E] [D] au titre de la violation du statut protecteur’;

DIT que la SAS Skis Rossignol a manqué à son obligation de sécurité ;

CONDAMNE la SAS Skis Rossignol à payer à Mme [E] [D] la somme de’5’000’euros nets (cinq mille euros) au titre des dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité’;

CONDAMNE la SAS Skis Rossignol à payer à Mme [E] [D] la somme de’60’000’euros bruts (soixante mille euros) à titre de dommages et intérêts pour perte injustifiée de l’emploi ;

DÉBOUTE la SAS Skis Rossignol de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile’;

CONDAMNE la SAS Skis Rossignol à payer à Mme [E] [D] la somme de’2’000’euros (deux mille euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile’exposés en première instance et en appel ;

CONDAMNE la SAS Skis Rossignol aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière Le Président

 


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon