République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 15 juin 2023
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N° de MINUTE :
N° RG 21/06004 – N° Portalis DBVT-V-B7F-T7JD
Jugement (N° 17/01304) rendu le 18 juin 2019 par le tribunal de grande instance de Dunkerque
APPELANTE
La SARL [Localité 3] Bonded Stores, ci-après appelée DBS, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux audit siège
ayant son siège social [Adresse 5]
[Localité 2]
représentée par Me Loïc Le Roy, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistée de Me Stéphane Le Roy, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant
INTIMÉS
Monsieur le directeur régional des douanes et des droits indirects
demeurant [Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 3]
La direction régionale des douanes et des droits indirects
représentée par le directeur régional des douanes et des droits indirects de [Localité 3]
ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 3]
représentés par Me Marie-Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistés de Me Florian Waziers, avocats au barreau de Paris, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Bruno Poupet, président de chambre
Céline Miller, conseiller
Camille Colonna, conseiller
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GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe
DÉBATS à l’audience publique du 06 février 2023 après rapport oral de l’affaire par Bruno poupet. Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 15 juin 2023 après prorogation du délibéré en date du 11 mai 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Bruno poupet, président, et Delphine verhaeghe, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 23janvier 2023
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La société [Localité 3] Bonded Stores (ci-après DBS) exerce une activité d’entrepositaire et est agréée en tant que telle par l’administration des douanes. Elle assure, pour le compte de ses clients, le stockage et la logistique dans le secteur de la bière et du vin qui sont des marchandises soumises à accise.
Les droits correspondants ne sont acquittés que lorsque ces marchandises sont « mises à la consommation’», le paiement en étant suspendu tant que les échanges se font entre des dépositaires agréés et sous le contrôle de l’administration des douanes.
Toutefois, des marchandises qui avaient été mises à la consommation et pour lesquelles les droits avaient été acquittés peuvent être réintégrées dans le régime de suspension, en particulier pour être exportées, et l’entrepositaire peut alors obtenir le remboursement des droits acquittés, lequel peut se faire par compensation avec des droits dont il est débiteur ou bien directement à défaut de droits à compenser. Ces marchandises sont à nouveau soumises au paiement des droits ultérieurement, lorsqu’elles sont mises à la consommation.
Compte tenu du refus opposé à plusieurs demandes de remboursement de droits d’accise, la société DBS a assigné le directeur régional des douanes et droits indirects de Dunkerque et l’administration des douanes et droits indirects, représentée par ce dernier, devant le tribunal de grande instance de Dunkerque afin de voir annuler la décision de refus de remboursement notifiée le 24 mars 2017, condamner l’administration des douanes à lui rembourser la somme de 1 075 426 euros assortie des intérêts au taux légal mensuel de 0,4’% prévu par les articles 1727 du code général des impôts et L 208 du livre des procédures fiscales à compter du dépôt des demandes de remboursement, outre 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens.
Par jugement contradictoire du 18 juin 2019, le tribunal l’a déboutée de ses demandes et condamnée à payer à la direction régionale des douanes la somme de 1500 euros en application de l’article 700 susvisé.
La société DBS, ayant relevé appel de ce jugement, renouvelle ses demandes principales par ses dernières conclusions du 28 septembre 2022, au visa des articles 302 G du code général des impôts et 286 M de l’annexe II dudit code, et sollicite en outre la condamnation de l’administration des douanes aux dépens et à lui payer une indemnité pour frais irrépétibles de 8 000 euros.
La direction régionale des douanes et droits indirects de [Localité 3] et le directeur régional des douanes et droits indirects de Dunkerque ont conclu le 26 janvier 2022 à la confirmation du jugement et à la condamnation de la société DBS à payer à la direction régionale des douanes et droits indirects la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour l’exposé de leur argumentation.
MOTIFS DE LA DÉCISION
L’article 302 G du code général des impôts dispose notamment que :
– l’entrepositaire agréé tient, par entrepôt fiscal suspensif des droits d’accise, une comptabilité matières des productions, transformations, stocks et mouvements de produits mentionnés (…)’; il présente ladite comptabilité et lesdits produits à toute réquisition ;
– un entrepositaire agréé détenant des produits mentionnés aux 1° et 2° du I qu’il a acquis ou reçus tous droits acquittés, ou pour lesquels il a précédemment acquitté les droits, peut les replacer en suspension de droits dans son entrepôt fiscal suspensif des droits d’accise ; sur demande, les droits acquittés ou supportés lui sont remboursés ou sont compensés avec des droits exigibles.
Pour s’opposer au remboursement demandé en l’espèce, l’administration des douanes fait grief à la société DBS :
– d’avoir tenu une comptabilité-matières ne permettant pas d’assurer la traçabilité des lots dont la compensation était demandée et donc de garantir que la marchandise inscrite dans la comptabilité-matières «’en suspension [de droits]’», au titre de laquelle il était demandé le remboursement des droits (directement ou par compensation) correspondait à celle qui était détenue initialement en «’droits acquittés’»,
– de ne pas avoir démontré le paiement des accises des marchandises concernées sur le territoire français.
Sur la traçabilité des marchandises
La cour est saisie parallèlement à la présente affaire, comme le tribunal précédemment, de deux autres dossiers opposant la société DBS aux douanes, l’un portant également sur un refus de remboursement, l’autre sur une taxation et un avis de mise en recouvrement émis après un contrôle de remboursements par compensation opérés par l’appelante.
L’expert désigné le 19 mai 2020 par le conseiller de la mise en état, saisi d’un incident à cette fin par la société DBS, dans les trois dossiers conclut que :
– la traçabilité des lots est assurée, à savoir qu’un lot reçu avec attribution d’un «’numéro de lot d’origine’» peut être suivi dans les différents états comptables jusqu’à sa sortie physique effective de l’entrepôt DBS ;
– avant la mise à niveau du logiciel Vinistoria en 2017, à la demande de l’administration des douanes, les données étaient bien présentes et cohérentes dans le logiciel Vinistoria utilisé par DBS mais l’interface de ce logiciel ne permettait pas de les retrouver ni de les vérifier rapidement, si bien que l’administration des douanes ne pouvait pas contrôler leur cohérence de façon efficace et industrialisable ;
– à partir de la mise à niveau du logiciel en 2017, les requêtes sont devenues «’normales’» et il a été possible d’interroger le système efficacement pour tracer l’histoire d’un lot, y compris de lots antérieurs à la mise à niveau ;
– les données ont toujours été présentes dans la base de données et n’ont été ni modifiées ni altérées par cette mise à niveau ; aucun ajout, aucune suppression n’a été effectué, le logiciel ne le permettant pas ; les données sont affublées d’un numéro de séquence, il y a continuité ; aucune insertion de nouvelle donnée ne peut être réalisée, aucune suppression ne peut s’effectuer sans casser la séquence ;
– l’administration des douanes a pu soumettre plusieurs requêtes qu’elle avait sélectionnées afin de vérifier plusieurs chaînages d’écritures, notamment s’agissant de données antérieures à la mise à niveau du logiciel Vinistoria en 2017. Le logiciel a pu retourner instantanément les données demandées qui ont pu être vérifiées et validées par l’administration des douanes’;
– la traçabilité était assurée depuis l’origine mais l’ergonomie du logiciel utilisé par DBS ne permettait pas de s’en assurer avant la mise à niveau du logiciel.
Ces explications confirment la difficulté initiale, alléguée par l’administration, relative à la traçabilité, autrement dit la preuve du parcours des marchandises et de l’identité entre une marchandise enregistrée «’en suspension de droits’» et une marchandise enregistrée précédemment «’en droits acquittés’», qui a conduit ladite administration, dans le souci de préserver les intérêts du Trésor public’, à estimer que les conditions de remboursement ou d’une compensation des droits d’accise n’étaient pas réunies.
Toutefois, il ressort également des conclusions expertales que cette difficulté provenait de la conception du logiciel, ce à quoi il a été remédié par la suite, mais qu’en réalité «’ la traçabilité était assurée depuis l’origine’», ce qu’ont confirmé les sondages opérés lors des opérations d’expertise.
Dans ces conditions, le défaut de traçabilité ne peut plus être invoqué pour justifier un rejet des demandes de remboursement.
Sur la preuve du paiement des droits d’accise
La société DBS soutient qu’il n’a pas été exigé d’elle dès l’origine qu’elle communique des preuves du paiement initial des droits d’accise impliquant de recueillir des informations sur les mises à la consommation « à la source’», qu’il ne lui a été donné aucune directive sur les modalités à suivre à cette fin, qu’elle n’a aucun moyen de justifier du paiement des droits autrement que par la mention de ce paiement par les vendeurs sur la facture, que les mécanismes des circuits de commercialisation excluent que l’on puisse remonter au-delà dans la chaîne des ventes, que la preuve du paiement résulte suffisamment de ce que les marchandises ont été acquises dans des hypermarchés ou supermarchés qui les détiennent à l’évidence en droits acquittés, qu’en effet, on n’imagine pas des grandes surfaces comme Hyper U ou Leclerc détenir des produits en fraude des droits d’accise légalement dus.
Sur le plan des principes, il ne peut être considéré comme anormal que l’administration, saisie d’une demande de remboursement de droits, puisse vérifier le paiement effectif de ceux-ci, leur taux et leur montant, et en exige donc la preuve. Encore faut-il que les règles soient claires.
Ladite administration se prévaut d’un courriel adressé le 10 novembre 2015 à la société DBS, en réponse à une interrogation de celle-ci, par lequel elle expose que «’la demande de compensation ou de remboursement sera acceptée uniquement si la situation fiscale antérieure (droits acquittés) des produits est clairement établie’» et ajoute «’il convient d’assurer en permanence la traçabilité de la situation fiscale des marchandises par tous moyens acceptés par le service des douanes et droits indirects dont vous relevez’».
Si elle affirme donc la nécessité de pouvoir justifier du paiement des droits, elle ne précise pas comment la situation fiscale antérieure doit être établie, ne fait pas état d’un mode de preuve
déterminé et impératif prévu par un texte mais plutôt d’une certaine latitude laissée aux services douaniers à ce sujet, sans préciser pour autant les «’moyens acceptés par le service des douanes et droits indirects’» dont relève la société ou, plus généralement, les moyens de preuve susceptibles d’être acceptés, la liberté de la preuve dont se prévaut l’appelante n’étant pas discutée. Cette dernière est donc fondée à soutenir qu’aucune exigence précise ne lui a été notifiée, alors même qu’elle s’était enquise de la marche à suivre.
De surcroît, l’administration n’apporte pas la contradiction, par l’exposé précis de procédés de preuve qui la démentirait, à l’affirmation de la société DBS selon laquelle elle n’a aucun moyen de justifier du paiement des droits autrement que par la mention de ce paiement par les vendeurs sur la facture et que les mécanismes des circuits de commercialisation excluent que l’on puisse remonter au-delà dans la chaîne des ventes. Elle ne fait pas état de directives qui auraient été données antérieurement au secteur, imposant par exemple que les factures de ventes successives soient accompagnées du justificatif, tel qu’un récépissé, du paiement initial des droits. Elle ne dément pas non plus l’affirmation de l’appelante selon laquelle son principal client, France Caraïbe Distribution, ne rencontre pas la même difficulté au bureau des douanes de [Localité 4] qui se satisferait des factures produites, l’existence de pratiques différentes n’étant pas compréhensible.
Or, dans le rapport d’expertise judiciaire susvisé, l’expert expose que les établissements Segurel, Francondis et Vadis, auprès desquels ont été acquises la majeure partie des marchandises concernées par les demandes de remboursement de droits litigieuses et dont les factures lui avaient été remises, ont attesté qu’ils avaient bien vendu lesdites marchandises après avoir eux-mêmes réglé les droits d’accise.
L’administration déclare à ce sujet que l’attestation fournie par la SCA Ouest, opérateur enregistré comme entrepositaire agréé, aurait pu, si elle avait été présentée au service à l’époque du contrôle, être acceptée, aucune réserve n’étant formulée. Il en résulte qu’aujourd’hui, le refus de remboursement des droits relatifs aux marchandises provenant de cet opérateur ne se justifie plus.
Certes, l’administration considère en revanche que l’attestation de la SAS Vadis aurait été rejetée car cet opérateur n’avait pas encore été agréé, ce qui n’implique pas au demeurant qu’il n’avait pas acquitté les droits dus, et que les attestations de Francondis ne sont pas assez précises, sans spécifier en quoi. L’expertise, par ailleurs, n’a pas porté sur les autres fournisseurs.
Quoi qu’il en soit, l’administration ne fait pas état de circonstances conduisant à douter de la fiabilité des factures émises par les différents autres établissements d’où proviennent également des marchandises entreposées chez DBS, exerçant notamment sous les enseignes Auchan, Carrefour, Leclerc, Intermarché, Métro, l’appelante soulignant d’une part que les prix pratiqués correspondent à des prix, dont les douanes ont une bonne connaissance, incluant les accises, d’autre part, que le service des douanes de [Localité 3] a les moyens d’obtenir des informations sur le paiement des droits à la source dans le cadre d’une collaboration entre services.
Mais surtout, compte tenu, d’une part, des observations qui précèdent relatives à la traçabilité des marchandises, désormais acquise, comme à la fiabilité admise d’une bonne partie des factures produites, d’autre part, de ce que la société DBS ne s’était pas vu notifier précisément, malgré son interrogation, les justificatifs attendus d’elle, le refus de remboursement opposé à l’appelante pour les motifs invoqués ne se justifie pas, ce qui inclut la question du taux (variable d’une année sur l’autre) des droits dont le remboursement est demandé, à propos desquels l’appelante démontre, par un calcul que l’administration s’abstient de réfuter, qu’une éventuelle erreur ne pourrait avoir une incidence sur le montant dû supérieure à un millième, soit 1619 euros pour les trois dossiers, montant auquel elle aurait renoncé si une telle erreur avait été relevée.
Il y a lieu, dès lors, d’infirmer le jugement et de faire droit à la demande de remboursement de la société DBS.
Sur les autres demandes
En application des articles 696 et 700 du code de procédure civile, il convient de condamner l’administration des douanes, partie perdante, aux dépens de première instance et d’appel et au paiement à l’appelante d’une indemnité pour frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour
infirme le jugement entrepris et, statuant à nouveau,
annule la décision de refus de remboursement du 24 mars 2017,
condamne la direction régionale des douanes et droits indirects de [Localité 3] à payer à la société [Localité 3] Bonded Stores la somme de 1 075 426 euros assortie des intérêts au taux légal mensuel prévu par les articles 1727 du code général des impôts et L 208 du livre des procédures fiscales à compter des demandes de remboursement,
déboute les parties intimées de leur demande d’indemnité pour frais irrépétibles,
condamne la Direction régionale des douanes et droits indirects de [Localité 3] aux dépens de première instance et d’appel et au paiement à la société [Localité 3] Bonded Stores d’une indemnité de 3 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.
Le greffier
Delphine Verhaeghe
Le président
Bruno Poupet
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