Droit du logiciel : 15 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/04805

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Droit du logiciel : 15 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/04805

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 3

ARRET DU 15 FEVRIER 2023

(n° , 7 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/04805 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCEW4

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Mai 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOBIGNY – RG n° F17/00457

APPELANT

Monsieur [C] [O]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Stéphanie PARTOUCHE, avocat au barreau de PARIS, toque : A0854

INTIMEE

S.A.R.L. DAPHILIOM

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Maurice PFEFFER, avocat au barreau de PARIS, toque : C1373

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 03 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Anne MENARD, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Anne MENARD, présidente

Madame Fabienne ROUGE, présidente

Madame Véronique MARMORAT, présidente

Lors des débats : Madame Sarah SEBBAK, greffière en préaffectation sur poste

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Madame Anne MENARD, présidente et par Madame Sarah SEBBAK, greffière en préaffectation sur poste à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Le 20 mars 2014, la société Daphiliom a signé avec monsieur [O] un contrat de prestation de service portant sur des interventions de désincarcération des personnes bloquées dans les ascenseurs.

Monsieur [O] était inscrit au répertoire sirène en qualité d’auto-entrepreneur.

Par courrier en date du 25 mars 2015, la société Daphiliom a mis fin à la relation dans les termes suivants : ‘(…) Je vous confirme par la présente qu’à partir du 1er avril 2015, le service de désincarcération ne pourra plus être assuré par des auto-entrepreneurs. De ce fait, nous attendons la création de votre société ; ainsi que le dossier administratif de sous-traitance correspondant complet afin de pouvoir continuer notre collaboration’.

Monsieur [O] a saisi le conseil de prud’hommes de Bobigny le 21 février 2017 afin de voir reconnaître l’existence d’un contrat de travail et d’obtenir le paiement de diverses sommes au titre de l’exécution et de la rupture de ce contrat.

Par jugement en date du 15 mai 2019, ce conseil :

– s’est déclaré compétent

– a requalifié le contrat de prestation en contrat de travail à durée indéterminée

– a fixé le salaire mensuel à 1.843 euros brut

– a condamné la société Daphiliom à payer à monsieur [O] les sommes suivantes :

22.008 euros à titre de rappel de salaire entre le 20 mars 2014 et le 25 mars 2015

2.200,08 euros au titre des congés payés afférents

1.843 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis

184,30 euros au titre des congés payés afférents

368,60 euros à titre d’indemnité de licenciement

10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour absence d’application du droit du travail

– a ordonné la remise de documents sociaux conformes à la décision

– a accordé à la société Daphiliom la compensation demandée à hauteur des prestations facturées et encaissées par monsieur [O] pour un montant non contesté de 46.781 euros avec les condamnations prononcées.

Monsieur [O] a interjeté appel de cette décision le 21 juillet 2020.

Par conclusions récapitulatives du 4 novembre 2022, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, il demande à la cour de :

– confirmer le jugement en ce que le conseil s’est déclaré compétent, a requalifié la relation de travail, et a condamné la société Daphiliom à lui payer les sommes suivantes :

22.008 euros à titre de rappel de salaire entre le 20 mars 2014 et le 25 mars 2015

2.200,08 euros au titre des congés payés afférents

1.843 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis

184,30 euros au titre des congés payés afférents

368,60 euros à titre d’indemnité de licenciement

10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour absence d’application du droit du travail

– infirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté du surplus de ses demandes, fixer la date de début des relations de travail au 17 févier 2014, et condamner l’employeur à lui payer les sommes suivantes :

25.802 euros à titre de rappel de salaire du 17 février 2014 au 25 mars 2015

2.580,20 euros au titre des congés payés afférents

430,03 euros au titre de l’indemnité de licenciement

11.058 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice résultant de l’absence d’application du droit du travail

11.058 euros à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé

72.262,62 euros, ou subsidiairement 35.346,45 euros au titre des heures supplémentaires

7.226,26 euros, ou subsidiairement 3.534,75 euros au titre des congés payés afférents

3.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

– dire que la condamnation à délivrer les documents sociaux sera assortie d’une astreinte de 50 euros par jour de retard

– dire que les sommes versées au titre de l’auto-entreprenariat viennent indemniser le préjudice subi du fait des conditions de travail et ne sont donc pas récupérables

Par conclusions récapitulatives du 11 décembre 2020, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, la société Daphiliom demande à la cour d’infirmer le jugement en ce qu’il a requalifié le contrat de prestations en contrat de travail à durée indéterminée, et en conséquence de débouter l’appelant de toutes ses demandes. Subsidiairement, elle demande à la cour de confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a débouté le demandeur du surplus de ses demandes et ordonné la compensation à hauteur des prestations facturées et encaissées pour un montant de 46.781 euros. Elle sollicite le paiement de la somme de 1.500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

MOTIFS

– Sur la demande de requalification du contrat de prestation

Qualification de la relation

Le contrat de travail se définit par l’existence d’une prestation de travail, une rémunération, et un lien de subordination juridique, ce dernier étant décisif. Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

En l’espèce, le contrat de prestation signé entre les parties permet de retenir l’existence d’un lien de subordination.

Ainsi, il est notamment prévu dans l’article 2 que le prestataire s’engage à la demande du donneur d’ordre, à intervenir dans un délai de 40 minutes sur l’ensemble du secteur ainsi que dans les secteurs avoisinants (…). Toute demande d’intervention se fera sur simple appel du donneur d’ordre (…). La permanence du prestataire doit être joigniable 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, dimanche et jours fériés inclus. Le prestataire devra laisser un agent en place sur le secteur en permanence obligatoirement (…). Le prestataire s’engage à laisser actif le GPS intégré dans son véhicule et/ou sur le logiciel fourni par le donneur d’ordre.

L’article 3 prévoit une échelle de sanctions et un contrôle de l’activité du prestataire dans les termes suivants : ‘Des contrôles pourront intervenir lors des interventions. Ils seront réalisés par le personnel Daphiliom qualifié. Un rapport sera établi et accepté par le prestataire en cas du non respect des procédures. La répétition de défaut de procédure au terme de trois fautes peut engendrer la rupture du contrat :

– la première faute constatée vaut un avertissement

– la seconde faute constatée vaut une mise à pied d’une durée de 7 jours

– la troisième faute constatée vaut rupture du contrat

Un courrier recommandé sera envoyé pour chacun des motifs énumérés.

Ces dispositions contractuelles instituent un véritable pouvoir disciplinaire du donneur d’ordre.

L’article 5 du contrat prévoit que les agents sont tenus de porter une tenue de sécurité, et un polo ou un pull identifié Daphiliom.

L’article 6 prévoit un reporting très formalisé.

L’ensemble de ces éléments permet de retenir l’existence d’un lien de subordination, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu’il a requalifié la relation de travail en contrat à durée indéterminée.

Date du début du contrat de travail

Monsieur [O] demande désormais que le début du contrat de travail soit fixé au 17 février 2014. Toutefois, il ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de ce qu’il travaillait directement pour la société Daphiliom durant le mois qui a précédé son inscription en qualité d’auto-entrepreneur. En effet, la société indique, sans qu’aucun élément vienne démentir cette assertion, que dans un premier temps, elle payait toutes les prestations à monsieur [R], qui s’était présenté avec deux autres personnes, dont monsieur [O], qui travaillaient avec lui. La requalification de la relation est ordonnée sur la base des termes de la convention. Avant cette convention, aucun lien de subordination n’est établi, dès lors que monsieur [O] intervenait pour le compte de son ami monsieur [R], avec lequel, même par la suite, il s’est toujours organisé pour assurer les prestations confiées par la société.

En ce qui concerne le montant du rappel de salaire, le conseil de prud’homme n’est pas critiqué en ce qu’il a fixé le montant du salaire à la somme de 1.843 euros brut, sur la base des dispositions conventionnelles.

Compte tenu de la date retenue pour le début du contrat de travail, le jugement sera confirmé sur le montant du rappel de salaire alloué à monsieur [O].

– Sur la demande d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé

La société Daphiliom a eu recours à un contrat d’entreprise dont les clauses lui assurait le même contrôle et la même disponibilité que ceux qu’elle aurait eu dans le cadre d’une relation salariée, sans permettre à monsieur [O] de bénéficier des garanties du droit du travail.

Le déséquilibre résultant de cette situation permet de caractériser la volonté de dissimuler un emploi, de sorte que le jugement sera infirmé en ce qu’il a débouté monsieur [O] de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé.

Il lui sera alloué une somme de 11.058 euros de ce chef.

– Sur la demande de dommages et intérêts pour absence d’application du droit du travail

Il est constant que durant toute la relation, monsieur [O] n’a pas bénéficié de la protection du droit du travail, en ce qui concerne notamment les temps de repos, les congés, la formation.

Il en est résulté un préjudice qui a été justement indemnisé à hauteur de la somme de 10.000 euros.

– Sur les demandes relatives aux heures supplémentaires

Aux termes des dispositions de l’article 564 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait’.

Ces dispositions sont applicables aux instances prud’homales introduites depuis le 1er août 2016, le conseil de prud’hommes ayant été saisi en l’espèce le 21 février 2017.

En l’espèce, monsieur [O] n’a formé aucune demande devant le conseil de prud’hommes au titre des heures supplémentaires.

Toutefois, aux termes de l’article 565 du code du travail, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

En l’espèce, monsieur [O] avait sollicité des dommages et intérêts pour ne pas avoir bénéficié des dispositions protectrices du code du travail notamment au regard de la durée du travail. La demande de rappel de salaire sur la base des heures supplémentaires réalisées tend aux mêmes fins, et est donc recevable.

En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, de répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

Monsieur [O], pour fonder sa demande principale en paiement de la somme de 72.276,67 euros au titre des heures supplémentaires, produit quatre pages manuscrites de carnet, qui n’explicitent aucunement le calcul réalisé, et ne donne aucune précision sur les horaires pris en compte.

Ces éléments imprécis ne permettent pas à l’employeur de répondre.

La société Daphiliom a produit de son côté le relevé de la totalité des interventions réalisées par le salarié, en indiquant l’heure à laquelle il a été appelé, l’heure d’arrivée sur place, et l’heure de départ. Monsieur [O] a fourni un nouveau décompte, à titre subsidiaire, dont il indique qu’il serait basé sur ces éléments.

Toutefois, les nombreux pointages réalisés par la cour n’ont permis de faire ressortir aucune corrélation entre les heures d’intervention figurant sur ce tableau et le nombre d’heure invoqué.

A titre d’exemples, en prenant en compte l’heure de l’appel et l’heure de la fin de l’intervention, le 1er avril 2014, monsieur [O] a travaillé de 13h30 à 13h55 et de 21h43 à 22h25, soit 1h05, et il fait état de 3 heures de travail.

Le 2 juin 2014 il n’a pas travaillé et il compte 5 heures de travail. Le 3 juin 2014 il a travaillé de 19h08 à 19h50 et il compte 9 heures de travail, le 4 juin 2014 il a travaillé de 8h à 9h35 et de 17h37 à 19h50, soit 3h50, et il compte 12 heures de travail, prenant manifestement en compte son amplitude horaire.

Le 17 février 2015, il a travaillé de 12h40 à 13h15 et de 18h à 18h30, soit une heure, et il compte 3 heures de travail.

Compte tenu de ces éléments monsieur [O] sera débouté de sa demande au titre des heures supplémentaires.

– Sur la rupture du contrat de travail

Compte tenu de la requalification en contrat de travail de la relation entre les parties, la lettre par laquelle l’employeur indique qu’il ne fournira plus de travail à monsieur [O] s’analyse comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera confirmé sur les sommes allouées à titre d’indemnité de licenciement et d’indemnité de préavis.

Le jugement n’a pas fait droit à la demande de monsieur [O] d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, au motif que ce dernier ne justifiait pas de son préjudice.

Toutefois, dès lors qu’après une année de travail régulier, il a perdu une source conséquente de revenus, son préjudice est certain, et il sera indemnisé par l’allocation d’une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l’article L1235-5 dans sa rédaction applicable.

– Sur la compensation avec les sommes versées dans le cadre du contrat de prestation

Les sommes versées dans le cadre du contrat requalifié avaient vocation à rémunérer la prestation fournie par monsieur [O], comme c’est également le cas des salaires qui lui sont alloués dans le cadre de la présente procédure. Dès lors que monsieur [O] bénéficie d’un rappel de salaire dans le cadre d’un contrat de travail, les sommes versées pour les prestations fournies dans le cadre d’un contrat d’entreprise ne sont plus causées. Le fait qu’il n’ait pas bénéficié des mêmes avantages et garanties que les salariés est pris en compte par l’octroi de 10.000 euros de dommages et intérêts et par le versement d’une indemnité pour travail dissimulé.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a ordonné la compensation entre les condamnations prononcées et les sommes qu’il a perçues au titre de la prestation de service.

– Sur la remise des documents sociaux

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a ordonné la remise de documents sociaux conformes à la décision.

Le prononcé d’une astreinte n’apparaît pas nécessaire en l’espèce.

PAR CES MOTIFS

La cour,

CONFIRME le jugement, sauf en ce qu’il a débouté monsieur [O] de ses demandes au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de l’indemnité pour travail dissimulé.

Statuant à nouveau sur ces seuls chefs de demande, condamne la société Daphiliom à payer à monsieur [O] les sommes suivantes :

– 11.058 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé

– 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Ajoutant au jugement,

DÉBOUTE monsieur [O] de sa demande au titre des heures supplémentaires.

Vu l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Daphiliom à payer à monsieur [O] en cause d’appel la somme de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes.

CONDAMNE la société Daphiliom aux dépens de première instance et d’appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


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