14 MARS 2023
Arrêt n°
ChR/NB/NS
Dossier N° RG 20/01419 – N° Portalis DBVU-V-B7E-FPAO
S.A.S. IKO INSULATIONS
/
[E] [T] épouse [B]
jugement au fond, origine conseil de prud’hommes – formation paritaire de clermont-ferrand, décision attaquée en date du 07 octobre 2020, enregistrée sous le n° 18/00413
Arrêt rendu ce QUATORZE MARS DEUX MILLE VINGT TROIS par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d’Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :
M. Christophe RUIN, Conseiller Président
Mme Frédérique DALLE, Conseiller
Mme Sophie NOIR, Conseiller
En présence de Mme Nadia BELAROUI greffier et de Mme Jeanne BELCOUR, greffier stagiaire en pré affectation, lors des débats et Mme Nadia BELAROUI greffier lors du prononcé
ENTRE :
S.A.S. IKO INSULATIONS Agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par Me Sébastien RAHON, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND, avocat constitué, substitué par Me HADDAD, avocat suppléant Me Christelle PREVOST de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de ROUEN, avocat plaidant
APPELANTE
ET :
Mme [E] [T] épouse [B]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Frédérik DUPLESSIS, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
INTIMEE
Après avoir entendu M. RUIN, Président en son rapport, les représentants des parties à l’audience publique du 16 Janvier 2023, la Cour a mis l’affaire en délibéré, Monsieur le Président ayant indiqué aux parties que l’arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
Madame [E] [T] épouse [B], née le 23 octobre 1986, a été embauchée le 1er septembre 2011 par la société COMPAGNIE GENERALES DES ASPHALTES suivant un contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de technico-commercial, statut cadre, niveau VI, échelon B, coefficient 380. Le 31 décembre 2013, le contrat de travail de la salariée a pris fin dans le cadre d’une rupture conventionnelle régularisée entre les parties.
Le 1er janvier 2014, Madame [E] [T] épouse [B] a été embauchée par la SAS IKO INSULATIONS suivant un contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de technico-commercial, statut cadre coefficient 900, avec reprise d’ancienneté au 1er septembre 2011. La convention collective applicable à la présente relation contractuelle est celle de la plasturgie.
Par courrier daté du 27 janvier 2016, la SAS IKO INSULATIONS devait reprocher à Madame [E] [T] épouse [B] différents manquements tenant à l’absence d’élargissement du panel clients, au non respect des conditions tarifaires, aux défauts d’accès à l’agenda et aux rapports de visites. La salariée a contesté l’ensemble de ces griefs par courrier réponse.
Du 29 janvier au 30 septembre 2016, Madame [E] [T], épouse [B] a été placée en arrêt de travail.
Par courrier daté du 23 juin 2017, Madame [E] [T] épouse [B] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 5 juillet suivant.
Par courrier recommandé avec avis de réception expédié le 12 juillet 2017, Madame [E] [T], épouse [B] s’est vue notifiée son licenciement pour faute.
Le courrier de notification du licenciement est ainsi libellé :
« Par courrier en date du 11 mai 2017, nous vous avons convoquée à une «réunion commerciale /formation CRM » fixée aux 16 et 17 mai 2017 à [Localité 2]. Vous étiez convoquée à 9h00.
Vous êtes arrivée à cette réunion avec 1h15 de retard sans raison valable et sans justifier de votre retard. Lorsque vous êtes arrivée, la partie « réunion commerciale » était toujours en cours. Vous avez ainsi été informée des consignes et de la stratégie commerciale. Vous avez pourtant contesté avoir reçu les informations sur les consignes et la stratégie commerciale à l’issue de cette réunion.
Lors de l’entretien, vous avez répondu que vous aviez le droit d’arriver en retard et vous avez maintenu votre position consistant à considérer que vous n’avez pas reçu les informations sur les consignes et la stratégie commerciale. Vos explications ne sauraient ainsi modifier notre appréciation de la situation.
Lors de cette réunion du 16 mal 2017, votre PC portable a été mis à jour et votre clavier a été remplacé dans la mesure où vous nous aviez indiqué qu’il n’était plus en état de marche. Nous avons ainsi pu vérifier que votre PC était bien en état de marche. Le 22 mai 2017, vous avez prétexté que vous rencontriez un problème avec votre mot de passe (alors que celui-ci n’avait pas été changé) et que vous ne pouviez plus vous connecter.
Lors de l’entretien, vous avez d’abord indiqué que l’ordinateur n’e’tait pas en état de marche puis vous nous avez finalement reproché de ne pas vous avoir fourni un nouvel ordinateur.
Vos explications viennent confirmer que vous avez bien prétexté des difficultés informatiques pour tenter de justifier de l’absence de reprise de votre activité.
Depuis la reprise de votre poste de travail, vous ne nous avez communiqué aucun rapport d’activité et nous n’avons pas connaissance de devis, commandes ou factures réalisés par vos sains. Vous êtes au surplus difficilement joignable.
Lors de l’entretien préalable, vous avez considéré que vous n’étiez pas en mesure de reprendre votre travail en arguant du fait que votre ordinateur n’était pas en état de marche.
Compte tenu des développements précédents, nous ne pouvons pas prendre en compte vos explications sur ce point non plus. De manière générale, nous constatons une mauvaise volonté délibérée dans l’exécution de vos fonctions. Vous adoptez un comportement de contestation sans aucune raison valable et usez de stratagèmes pour refuser de reprendre votre travail.
Nous considérons donc que l’ensemble de ces faits sont constitutifs d’une faute et justifie votre licenciement. Nous n’avons ainsi pas d’autre choix que de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute ».
Par requête réceptionnée au greffe de la juridiction le 18 juillet 2018, Madame [E] [T], épouse [B], a saisi le conseil de prud’hommes de CLERMONT-FERRAND aux fins notamment de voir juger que l’employeur a exécuté déloyalement son contrat de travail, dire sans cause réelle et sérieuse son licenciement, outre obtenir l’indemnisation afférente.
L’audience devant le bureau de conciliation et d’orientation s’est tenue en date du 24 septembre 2018 et, comme suite au constat de l’absence de conciliation, l’affaire été renvoyée devant le bureau de jugement.
Par jugement rendu contradictoirement le 7 octobre 2020 (audience du 29 juin 2020), le conseil de prud’hommes de CLERMONT-FERRAND a :
– jugé que le licenciement de Madame [E] [T] épouse [B] est dépourvu de cause réelle et sérieuse;
– condamné la société IKO INSULATIONS à verser à Madame [E] [T] épouse [B] les sommes de :
* 21.500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– dit que les sommes allouées à titre indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement et ce avec capitalisation des intérêts conformément aux règles légales ;
– débouté Madame [E] [T] épouse [B] du surplus de ses demandes ;
– condamné d’office, en application de l’article L. 1235-4 du code du travail, la société IKO INSULATIONS, à rembourser à Pôle emploi le montant des indemnités chômage susceptibles d’avoir été versées à la salariée du jour de la rupture du contrat de travail au jour de la présente décision et ce dans la limite de six mois d’indemnités ;
– débouté la SAS IKO INSULATIONS de l’ensemble de ses demandes et l’a condamnée aux dépens.
Le 23 octobre 2020, la SAS IKO INSULATIONS a interjeté appel de ce jugement.
Vu les conclusions notifiées à la cour le 18 janvier 2021 par la SAS IKO SOLUTIONS,
Vu les conclusions notifiées à la cour le 19 avril 2021 par Madame [E] [T] épouse [B],
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 19 décembre 2022.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières écritures, la SAS IKO INSULATIONS conclut à l’infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, demande à la cour de :
– débouter Madame [E] [T] épouse [B] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– à titre subsidiaire, pour le cas où la rupture du contrat de travail serait jugée sans cause réelle et sérieuse, limiter le montant des dommages et intérêts à la somme de 21.500 euros ;
– en tout état de cause, condamner Madame [E] [T] épouse [B] à lui payer la somme de 3.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de maître RAHON.
L’appelante fait valoir que le licenciement de Madame [E] [T] épouse [B] a été fondé sur deux griefs principaux, à savoir :
* un retard d’1h15 à la réunion du 16 mai 2017 alors même que la salariée en connaissait le contenu, notamment la stratégie commerciale mise en oeuvre, en sorte qu’elle ne peut lui opposer raisonnablement son absence de connaissance de ladite politique ;
* l’absence de reprise effective de son poste de travail (pas de communication de rapport d’activité, ni de devis ou commandes) dont elle considère qu’elle résulte d’une volonté délibérée de la salariée et non d’une prétendue impossibilité de reprendre ses fonctions et ce alors même qu’elle disposait de l’ensemble des outils nécessaires à l’exercice de ses fonctions (notamment un ordinateur en état de marche dès la reprise effective de son poste).
La société IKO INSULATIONS conteste par ailleurs toute illicéité de la clause de mobilité géographique inscrite au contrat de travail de la salariée et subséquemment, toute modification unilatérale de son secteur géographique. Elle conteste enfin tout manquement dans l’exécution du contrat de travail, notamment en l’ayant reçu en entretien afin de préparer sa visite auprès des services de la médecine du travail en l’absence de tout principe qui prohiberait une telle démarche.
Dans ses dernières écritures, Madame [E] [T] épouse [B] conclut à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et sauf en ce qui concerne les quantum alloués et demande à la cour, statuant à nouveau, de :
– condamner la société IKO INSULATIONS à lui payer la somme de 35.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et à titre subsidiaire, la somme de 21.500 euros;
– condamner la SAS IKO INSULATIONS à lui payer une indemnité de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ;
– dire que les sommes porteront intérêts au taux légal avec capitalisation à compter de la demande pour les sommes à caractère de salaire et à compter de la décision pour celles indemnitaires.
Madame [E] [T] épouse [B] fait valoir que :
* s’agissant du retard à la réunion du 16 mai 2017, elle n’a pas été informée de la stratégie commerciale ni même des consignes à respecter lors des réunions des 16 et 17 mai 2017, et ce alors même qu’elle indique avoir alerté à plusieurs reprises son employeur quant à son absence d’information adéquate quant à la politique commerciale et la stratégie à adopter lors de sa reprise de travail. Elle ajoute qu’en ne répondant pas à ses sollicitations, légitimes, l’employeur a exécuté déloyalement le contrat de travail. Elle précise par ailleurs que son secteur d’activité a été modifié à plusieurs reprises en dépit d’une clause de mobilité non licite à défaut de précision d’une zone géographique d’application. Elle explique enfin, concernant le retard même, qu’elle se trouvait en un lieu éloigné de celui de la tenue de la réunion pour l’exercice de ses fonctions et qu’en tout état de cause, un simple retard ne peut justifier le licenciement du salarié en l’absence de tout autre grief ;
* s’agissant de l’invocation prétendument fallacieuse de difficultés informatiques, l’employeur ne peut utilement lui opposer un refus d’utilisation de l’ordinateur professionnel alors qu’elle indique justifier l’avoir sollicité à trois reprises afin qu’il soit réparé, ce qui n’a pas été fait en l’espèce. Elle considère que ce manquement de l’employeur caractérise de même une exécution déloyale du contrat de travail dès lors qu’il lui appartient de fournir au salarié l’ensemble des outils de travail nécessaires à l’exécution de sa prestation. En tout état de cause, elle relève l’absence de tout élément de nature à objectiver le prétendu refus que lui oppose l’employeur ;
* s’agissant de l’absence de travail depuis la fin de son congé maternité, elle expose ne pas avoir été mise en mesure de reprendre son travail.
L’intimée considère ainsi sans cause réelle et sérieuse son licenciement et réclame l’indemnisation afférente.
Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions, moyens et arguments des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux dernières conclusions régulièrement notifiées et visées.
MOTIFS
– Sur le licenciement –
Le licenciement correspond à une rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur.
La lettre de licenciement fixe les limites du litige sur la cause du licenciement, ce qui interdit à l’employeur d’invoquer de nouveaux ou d’autres motifs ou griefs par rapport à ceux mentionnés dans la lettre de licenciement.
Pour que la rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur soit justifiée ou fondée, en tout cas non abusive, la cause du licenciement doit être réelle (faits objectifs, c’est-à-dire précis et matériellement vérifiables, dont l’existence ou matérialité est établie et qui constituent la véritable raison du licenciement), mais également sérieuse, c’est-à-dire que les faits invoqués par l’employeur, ou griefs articulés par celui-ci, doivent être suffisamment pertinents pour justifier le licenciement.
Le licenciement pour motif personnel est celui qui est inhérent à la personne du salarié. Un licenciement pour motif personnel peut être décidé pour un motif disciplinaire, c’est-à-dire en raison d’une faute du salarié, ou en dehors de tout comportement fautif du salarié (motif personnel non disciplinaire). Il ne doit pas être discriminatoire.
Si l’employeur peut sanctionner par un licenciement un acte ou une attitude du salarié qu’il considère comme fautif, il doit s’agir d’un comportement volontaire (action ou omission). À défaut, l’employeur ne peut pas se placer sur le terrain disciplinaire. La faute du salarié correspond en général à un manquement aux obligations découlant du contrat de travail. Elle ne doit pas être prescrite, ni avoir déjà été sanctionnée. Les faits reprochés au salarié doivent lui être personnellement imputables. Un salarié ne peut pas être licencié pour des faits imputables à d’autres personnes, même proches.
En cas de licenciement disciplinaire, le juge doit vérifier que le motif allégué constitue une faute. Selon sa gravité, la faute commise par le salarié emporte des conséquences plus ou moins importantes. Si les faits invoqués, bien qu’établis, ne sont pas fautifs ou constituent une faute légère mais non sérieuse, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, donc abusif. En cas de licenciement fondé sur une faute constituant une cause réelle et sérieuse, le salarié a droit au règlement de l’indemnité compensatrice de congés payés, de l’indemnité de licenciement, du préavis ou de l’indemnité compensatrice de préavis (outre les congés payés afférents).Le licenciement pour faute grave entraîne la perte du droit aux indemnités de préavis et de licenciement. Le licenciement pour faute lourde, celle commise par le salarié avec l’intention de nuire à l’employeur ou à l’entreprise, entraîne également pour le salarié la perte du droit aux indemnités de préavis et de licenciement, avec possibilité pour l’employeur de réclamer le cas échéant au salarié réparation du préjudice qu’il a subi (dommages-intérêts). Dans tous les cas, l’indemnité compensatrice de congés payés reste due.
La sanction disciplinaire prononcée par l’employeur, y compris une mesure de licenciement, ne pas doit être disproportionnée mais doit être proportionnelle à la gravité de la faute commise par le salarié. Le juge exerce un contrôle de proportionnalité en matière de sanction disciplinaire et vérifie en conséquence que la sanction prononcée par l’employeur à l’encontre du salarié n’est pas trop sévère compte tenu des faits reprochés.
Le code du travail ne donne aucune définition de la faute grave. Selon la jurisprudence, la faute grave se définit comme étant celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié, constituant une violation des obligations qui résultent du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et la poursuite du contrat de travail pendant la durée du préavis.
La faute grave suppose une action délibérée ou une impéritie grave, la simple erreur d’appréciation ou l’insuffisance professionnelle ne pouvant ouvrir droit à une sanction disciplinaire. La gravité d’une faute n’est pas nécessairement fonction du préjudice qui en est résulté. La commission d’un fait isolé peut justifier un licenciement disciplinaire, y compris pour faute grave, sans qu’il soit nécessaire qu’il ait donné lieu à avertissement préalable.
La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie la cessation immédiate du contrat de travail sans préavis, en tout cas une rupture immédiate du contrat de travail avec dispense d’exécution du préavis. Elle peut justifier une mise à pied conservatoire, mais le prononcé d’une telle mesure n’est pas obligatoire. La faute grave ne saurait être admise lorsque l’employeur a laissé le salarié exécuter son préavis au salarié. En revanche, il importe peu que l’employeur ait versé au salarié des sommes auxquelles il n’aurait pu prétendre en raison de cette faute, notamment l’indemnité compensatrice de préavis ou les salaires correspondant à une mise à pied conservatoire.
En cas de faute grave, la mise en oeuvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits fautifs, mais le maintien du salarié dans l’entreprise est possible pendant le temps nécessaire pour apprécier le degré de gravité des fautes commises.
Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement ne pèse pas plus particulièrement sur l’employeur (la Cour de cassation juge que la preuve du caractère réel et sérieux du motif de licenciement n’incombe spécialement à aucune des parties), il incombe à l’employeur, en revanche, d’établir la faute grave ou lourde. Le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Dans tous les cas, en matière de bien-fondé du licenciement disciplinaire, le doute doit profiter au salarié.
Aux termes de l’article L. 1332-4 du code du travail : ‘Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.’.
Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires (date de convocation à l’entretien préalable ou de prononcé d’une mise à pied conservatoire / date de présentation de la lettre recommandée ou de remise de la lettre simple pour une sanction ne nécessitant pas un entretien préalable) au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés au salarié.
Si un fait fautif ne peut plus donner lieu à lui seul à une sanction disciplinaire au-delà du délai de deux mois, ces dispositions ne font pas obstacle à la prise en considération de faits antérieurs à deux mois dès lors que le comportement du salarié s’est poursuivi ou s’est réitéré dans ce délai, l’employeur pouvant ainsi invoquer une faute prescrite lorsqu’un nouveau fait fautif est constaté, à condition toutefois que les deux fautes procèdent d’un comportement identique. Toutefois, aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l’engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée à l’appui d’une nouvelle sanction.
En l’espèce, pour fonder sa décision de licencier la salariée, la société IKO CONSULTATIONS reproche à Madame [E] [T] épouse [B] les faits suivants :
1- un retard d’1h15 à la réunion du 16 mai 2017 alors que la salariée en connaissait le contenu, notamment la stratégie commerciale mise en oeuvre, en sorte qu’elle ne peut lui opposer raisonnablement son absence de connaissance de ladite politique ;
2- l’absence de reprise effective de son poste de travail à son retour de congé maternité alors que la salariée disposait de l’ensemble des outils utiles à l’exercice effectif de ses fonctions de technico-commerciale.
En application des principes de droit susvisés, la cour va donc examiner successivement le bien fondé de ces deux griefs de licenciement.
– Sur le premier grief –
La SAS IKO CONSULTATIONS, qui impute à sa salariée un retard d’1h15 à la réunion du 16 mai 2017, verse pour seul élément d’appréciation le témoignage de Monsieur [U] [R], responsable commercial au sein de la société appelante, au terme duquel celui-ci atteste avoir participé à la réunion commerciale organisée à [Localité 2] (63) le 16 mai 2017 au cours de laquelle devait être dispensée une formation CAM, abordée la problématique des prix et effectué un point d’activité. Le témoin expose que Madame [E] [T], épouse [B], est arrivée sur le lieu de réunion à 10h15 avec 1h15 de retard dès lors, que celle-ci avait débuté à 9h.
Madame [E] [T], épouse [B], ne réfute pas expressément être arrivée en retard sur le lieu de réunion le 16 mai 2017, ni au demeurant la durée de ce retard telle qu’avancée par l’employeur et confirmée par le témoignage de Monsieur [U] [R], mais fait valoir qu’elle intervenait la veille dans un département éloigné de [Localité 2], et qu’elle est par ailleurs rentrée particulièrement tard le soir précédant la réunion.
Si Madame [E] [T] épouse [B] soutient qu’elle se serait trouvée la veille de la réunion, soit le 15 mai 2017, à [Localité 4] dans le département 78, force est de constater qu’elle ne produit aucun élément d’appréciation objectif susceptible de corroborer cette affirmation.
À la lecture de l’article 6 du contrat de travail de la salariée, intitulé ‘Lieu de travail et clause de mobilité’, le département 78 relève du secteur commercial d’attribution de Madame [E] [T], épouse [B].
Madame [E] [T] épouse [B] soutient que ladite clause contractuelle ne peut recevoir application en ce qu’elle ne délimiterait pas de façon suffisamment précise sa zone d’application au motif qu’elle institue la possibilité pour l’employeur ‘de modifier cette répartition en fonction des impératifs de commercialisation et du développement de l’activité de l’entreprise. Cependant, l’intimée n’en tire aucune conséquence juridique, en l’absence de toute demande au sein du dispositif de ses écritures d’intimée, notamment quant à l’annulation ou l’inopposabilité de ladite clause. Le fait que Madame [E] [T] épouse [B] se trouvait la veille de la réunion du 16 mai 2017 dans le département 78 ne constitue donc pas une exécution déloyale du contrat de travail imputable à l’employeur.
À supposer avéré l’affirmation de l’intimée en matière de trajet à effectuer pour se présenter à la réunion, il appartenait pour le moins à Madame [E] [T] épouse [B] de prendre les dispositions nécessaires pour être présente le lendemain à la réunion ou, le cas échéant en cas d’impossibilité d’être présente à l’heure, de prévenir au préalable l’employeur de son retard ou de ses difficultés, ce qu’elle n’a pas fait.
Il s’ensuit que ce premier grief est établi.
– Sur le second grief –
La SAS IKO CONSULTATIONS fait ensuite grief à Madame [E] [T], épouse [B], de ne pas avoir repris de manière effective son poste de travail depuis son retour de congé maternité, et notamment de s’être abstenue de communiquer à sa hiérarchie les rapports d’activité qu’elle était tenue de réaliser quotidiennement, ainsi que d’éventuels devis, commandes ou factures qui auraient été réalisés par ses soins.
Comme précédemment, la cour constate que Madame [E] [T], épouse
[B], ne réfute pas expressément les propos de l’employeur mais objecte en revanche ne pas avoir été mise en mesure de reprendre ses fonctions en l’absence de fourniture par l’employeur des outils nécessaires à sa réalisation.
L’intimée invoque tout d’abord la défectuosité de son outil informatique et l’absence de remplacement en temps utile en dépit des demandes de changement d’ordinateur qu’elle aurait adressées à la SAS IKO CONSULTATIONS. Elle verse à cet égard aux débats un courriel adressé le 19 janvier 2017 à Monsieur [T] [L], au terme duquel elle sollicitait la restitution de son véhicule de fonction lors de sa reprise d’activité outre la fourniture d’un ordinateur portable, étant précisé ‘le mien étant en panne comme tu le sais’. Elle produit également un courrier expédié le 19 janvier 2017 en recommandé avec avis de réception à la société appelante et reprenant les termes du courriel précité, notamment s’agissant de la nécessité de se voir restituer son véhicule de fonction et remettre un nouvel ordinateur portable à raison d’une panne affectant celui dont elle bénéficiait déjà. Il échet de relever l’absence de communication du bordereau d’envoi par la salariée. Toutefois, en l’absence de toute contestation de l’employeur quant à la réception effective de cette correspondance, celle-ci sera considérée comme dûment adressée et réceptionnée par la société IKO CONSULTATIONS.
Il est ensuite établi que Monsieur [T] [L] a répondu à la salariée par courrier réponse daté du 28 février 2017 que le véhicule de fonction dont elle disposait antérieurement avait été attribué à un autre salarié de l’entreprise et qu’il lui serait donc attribué temporairement un véhicule de location dont l’enlèvement était fixé à l’agence HERTZ de SAINT GERMAIN EN LAYE à partir du 1er mars suivant. Il convient en revanche de relever l’absence de toute réponse apportée à la salariée s’agissant de sa doléance informatique.
La SAS IKO CONSULTATIONS a en revanche, par courrier daté du 8 avril 2017, indiqué à Madame [E] [T], épouse [B], qu’il lui appartenait de se rendre à ANVERS ‘pour faire réviser votre ordinateur portable et ceci dès réception de ce courrier’, ce qui laisse supposer que la salariée ne disposait pas, à cette date, d’un ordinateur en état de marche.
Par ailleurs, à la lecture du contrat de travail de la salariée, il appert que son lieu de travail habituel est fixé à [Localité 2] (63), en sorte qu’aucune raison légitime ne justifie que l’employeur impose à sa salariée la réalisation d’un trajet conséquent entre son lieu de travail habituel et le lieu où doit être effectuée la révision de son outil informatique. Il appartient en effet à l’employeur de fournir au salarié les outils adaptés à la réalisation de sa prestation de travail, en état de marche effectif ou, à défaut, de prendre les dispositions utiles pour assurer la réparation ou le remplacement des appareils défectueux sans que cela ne pèse, d’une quelconque façon, sur le salarié concerné.
Il s’ensuit que l’employeur ne justifie pas utilement de la mise à disposition de Madame [E] [T], épouse [B], avant cette correspondance du 8 avril 2017, d’un outil informatique en état de marche.
Cette circonstance est au demeurant confirmée par le courrier adressé le 16 mai 2017 à la salariée par Monsieur [T] [L], au terme duquel celui-ci lui indique qu’un nouvel ordinateur portable ainsi qu’une tablette ‘sont en commande et vous seront fournis dans les plus brefs délais’, une telle formulation corroborant à l’évidence le défaut de fonctionnement allégué par la salariée s’agissant de son précédent outil informatique.
Madame [E] [T], épouse [B], reconnaît en revanche au sein de ses écritures d’intimée s’être vue remettre un nouvel ordinateur le 17 mai 2017. Elle soutient toutefois que celui-ci n’aurait pas fonctionné à cette date et réfère sur ce point à un courriel qu’elle a adressé le 22 mai suivant à Monsieur [T] [L] et par lequel elle lui indiquait qu’il lui était impossible d’ouvrir le système d’exploitation Windows, et que ce défaut était manifestement imputable à ‘un reset de mon mot de passe qui n’a pas fonctionné sur le réseau de l’usine. L’ancien et le nouveau ne fonctionnent pas. Ils ne peuvent rien faire à distance, comme mon compte est verrouillé’.
Le même jour Monsieur [T] [L] répondait à la salariée que ‘même si la modification du mdp n’a pas fonctionné tu devrais pouvoir allumer ton ordi. Le mdp de Windows n’est pas influencé par le mdp du réseau. Si tu n’as pas accès à Windows, c’est que c’est le mauvais mdp que tu utilises’.
La cour ne retrouve aucun élément de contradiction dans le dossier de l’intimée qui viendrait contredire la conclusion ainsi apportée par Monsieur [T] [L], laquelle n’est au demeurant pas expressément réfutée par Madame [E] [T], épouse [B].
Dans ces circonstances, il convient de retenir que Madame [E] [T], épouse [B], s’est vue remettre un ordinateur en état de marche effective dès le 22 mai 2017.
Il résulte de la fiche de poste jointe au contrat de travail de la salariée, que celle-ci devait notamment effectuer, par voie informatique, des rapports hebdomadaires de visites détaillés et les communiquer à sa hiérarchie. Or, Madame [E] [T], épouse [B], ne justifie nullement de la communication de tels rapports d’activité pour la période courant du 22 mai 2017 à la date de mise en oeuvre de la procédure de licenciement.
Si la salariée excipe certes du défaut de connaissance de la stratégie commerciale de l’entreprise, il convient de relever que par courrier daté du 8 avril 2017, l’employeur a indiqué à Madame [E] [T], épouse [B], qu’il lui incombait de réaliser 4 visites par jour, et ceci 5 jours par semaine, afin de développer de nouveaux clients parmi ceux référencés et d’en prospecter de nouveaux, outre de faire parvenir tous les jours en fin de journée des rapports de visites détaillés par courriel et tenir à jour l’agenda.
Au vu de ces consignes de travail et précisions afférentes à la stratégie commerciale de l’entreprise, Madame [E] [T], épouse [B], apparaît mal fondée à exciper d’un défaut de connaissance de ces dernières pour justifier l’absence de toute communication de rapports d’activité comme pourtant demandés par l’employeur par courrier du 8 avril 2017 et conformément à sa fiche de poste.
En tout état de cause, l’établissement de rapports d’activité n’entre pas dans la stratégie commerciale d’une entreprise mais dans les procédures internes de communication d’activité, dont la détermination, tant en terme de contenu que de fréquence, relève du pouvoir de direction de l’employeur, la salariée apparaissant d’autant plus mal fondée à se prévaloir de son défaut d’information pour justifier l’absence de réalisation des rapports qu’elle était pourtant tenue de réaliser régulièrement et de communiquer à l’employeur. Le défaut de communication de rapports d’activité est ainsi établi.
S’agissant ensuite du défaut de communication de devis, factures et commandes, la cour constate une nouvelle fois l’absence de contestation de ce manquement par l’intimée, cette dernière invoquant en revanche son absence de formation au logiciel de gestion du suivi clients de l’entreprise.
Il n’est pas contesté par la SAS IKO CONSULTATIONS qu’un logiciel spécifique, dit ‘CRM’, a été mis en place afin, comme cela était expliquée à la salariée par Monsieur [T] [L] par courrier daté du 11 mai 2017, afin d’assurer un suivi des clients et des visites de façon plus précise et mieux organisée.
Si l’intimée excipe de l’absence de formation à cet outil informatique nouveau lors de la réunion des 16 et 17 mai 2017, la cour retrouve toutefois, dans les pièces versées aux débats, un document de fin de réunion signé à la fois par l’employeur et Madame [E] [T], épouse [B], attestant de sa présence à la réunion commerciale des 16 et 17 mai 2017, et sur lequel la salariée a rayé la mention indiquant qu’elle avait été informée des consignes et de la stratégie commerciale de l’entreprise, tout en ayant rajouté manuscritement, au bas de la page, la mention suivante : ‘Erratum : Je conteste avoir été informée des consignes et stratégie commerciale, seulement une formation CRM’.
Il n’est donc pas sérieusement contestable que Madame [E] [T], épouse [B], a été dûment formée au logiciel CRM de suivi et de gestion des clients, en sorte que rien ne justifie, à compter du 22 mai 2017, date précédemment retenue comme celle où la salariée a bénéficié d’un outil informatique en état de marche, qu’elle se soit abstenue de communiquer à l’employeur de quelconques devis, factures ou commandes, sauf effectivement à ce qu’elle n’ait poursuivi aucune prestation de travail. Cette dernière hypothèse apparaît au demeurant corroborée par les relevés téléphoniques versés aux débats par l’employeur afférents au téléphone professionnel mis à disposition de la salariée qui témoignent de l’absence d’activité professionnelle réelle sur la période considérée.
Il s’ensuit que ce second grief est également établi.
– Sur les conséquences –
La société IKO CONSULTATIONS rapporte la preuve d’un retard significatif de la salariée à une réunion commerciale ainsi que celle du défaut d’activité, donc d’exécution effective du contrat de travail, pour la période courant du 22 mai au 23 juin 2017 (date de convocation à l’entretien préalable).
Ce comportement fautif de la salariée justifie le licenciement pour cause réelle et sérieuse notifié à Madame [E] [T] épouse [B] par la SAS IKO CONSULTATIONS.
Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu’il a dit le licenciement disciplinaire de Madame [E] [T], épouse [B] dépourvu de cause réelle et sérieuse et en ce qu’il a condamné la société IKO INSULATIONS à verser à Madame [E] [T] épouse [B] des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Madame [E] [T] épouse [B] sera déboutée de toutes ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail.
Le jugement sera également infirmé en ses dispositions sur les intérêts et en ce que le conseil de prud’hommes a condamné d’office, en application de l’article L. 1235-4 du code du travail, la société IKO INSULATIONS, à rembourser à Pôle emploi le montant des indemnités chômage susceptibles d’avoir été versées à la salariée du jour de la rupture du contrat de travail au jour de la présente décision et ce dans la limite de six mois d’indemnités.
– Sur les dépens et frais irrépétibles –
Le jugement sera infirmé en ses dispositions sur les dépens et frais irrépétibles de première instance.
Madame [E] [T] épouse [B] sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Il n’y a pas lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, en première instance comme en appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
– Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
– Statuant à nouveau, dit le licenciement notifié le 12 juillet 2017 à Madame [E] [T] épouse [B] fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
– Statuant à nouveau, déboute Madame [E] [T] épouse [B] de toutes ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail ;
– Statuant à nouveau, condamne Madame [E] [T] épouse [B] aux dépens de première instance ;
– Statuant à nouveau, dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en première instance ;
– Y ajoutant,
– Condamne Madame [E] [T] épouse [B] aux dépens d’appel ;
– Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
– Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.
Le greffier, Le Président,
N. BELAROUI C. RUIN
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