Droit du logiciel : 14 juin 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/01864

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Droit du logiciel : 14 juin 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/01864

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

17e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 14 JUIN 2023

N° RG 21/01864

N° Portalis DBV3-V-B7F-USHN

AFFAIRE :

[G] [F] [A]

C/

Société ASSYSTEM ENGINEERING AND OPERATIONS SERVICES

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 mai 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de VERSAILLES

Section : E

N° RG : F18/00419

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Magali DURANT-GIZZI

Me Julien HAMON

Copies numériques adressées à :

Pôle emploi

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATORZE JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [G] [F] [A]

né le 28 Octobre 1975 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentant : Me Magali DURANT-GIZZI, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 671

APPELANT

****************

Société ASSYSTEM ENGINEERING AND OPERATIONS SERVICES

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentant : Me Julien HAMON, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : 1701

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 7 avril 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Président,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Marine MOURET,

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [A] a été engagé en qualité de responsable informatique, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 2 février 2009, avec reprise d’ancienneté au 9 novembre 2006, par la société Assystem France.

Cette société est spécialisée dans le conseil en ingénierie industrielle. L’effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 10 salariés. Elle applique la convention collective nationale dite Syntec.

Consécutivement à une déclaration d’inaptitude non professionnelle, le salarié été reclassé le 27 janvier 2014 sur un poste d’Administrateur Réseau du Système d’Information Ressources Humaines (SIRH).

Le salarié a été en arrêt maladie du 9 janvier 2017 au 22 janvier 2017 puis du 24 janvier 2017 au 9 août 2017, date de notification de son licenciement pour absences prolongées et nécessité de remplacement.

Par lettre du 21 juillet 2017, le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 2 août 2017.

Il a été licencié par lettre du 9 août 2017 pour « absences prolongées, perturbant le bon fonctionnement de l’entreprise et rendant nécessaire [son] remplacement définitif » dans les termes suivants :

« [‘] Vous occupez au sein d’Assystem Engineering and Operation Services le poste d’Administrateur réseaux depuis le 02 février 2009 (votre ancienneté ayant été reprise au 09 novembre 2006) position 1.1 coefficient 95 de la Convention Collective applicable à l’entreprise. Vous êtes rattaché à l’équipe projet SWAP en tant qu’administrateur réseaux de ce SIRH depuis le 01 février 2014.

L’administration réseaux du SIRH de la société Assystem Engineering and Operation Services est une responsabilité qui appelle une qualification spécifique, que l’on peut qualifier d’expertise. Cette responsabilité au sein de l’entreprise vous incombe directement.

Vos principales activités s’articulent autour des axes suivants :

‘ Être l’interlocuteur technique dédié pour les services formations, habilitations et RH dans leur utilisation de l’outil au quotidien

‘ Piloter les tickets de production ouverts pour la résolution des dysfonctionnements du logiciel en lien avec l’éditeur

‘ Assurer le suivi des tickets hotline et résoudre les problèmes utilisateurs

‘ Paramétrer les évolutions fonctionnelles (définition de la solution technique adaptée, paramétrage, recettage )

‘ Assurer l’interface avec la Direction Informatique pour les échanges de données avec d’autres outils (myskills, etc)

Mais aussi,

‘ Conseiller et définir les solutions techniques

‘ Former les utilisateurs

‘ Mettre à jour les procédures d’exploitation et les guides utilisateurs

Cette fonction est critique pour l’entreprise puisqu’il s’agit d’un poste unique (interlocuteur technique dédié) et mérite une expertise spécifique. Il est par ailleurs en interaction avec plusieurs services utilisateurs (services formation, habilitations, ressources humaines, technique et opérationnel) et son action est primordiale pour leur bon fonctionnement.

Par ailleurs, l’outil SWAP, notre SIRH, est un outil ‘instable’ qui impacte très rapidement les différents utilisateurs par ses dysfonctionnements et mérite ainsi une intervention technique spécifique pour y pallier. En conséquence, une absence sur ce poste, qui plus est en période d’EAD (entretien annuel d’appréciation et de développement), est largement compromettante pour toute l’organisation du service et des usagés associés.

En effet, ce poste ne peut en aucune façon être confié à un profil généraliste ou peu expérimenté et mérite une connaissance de l’historique pour mener à bien les missions de mises à jour de procédures, de guides utilisateurs et de conseil en vue de définir des solutions techniques au regard des dysfonctionnements rencontrés. Il est donc impossible de transférer ces dernières missions sur une autre personne. La vacance ou l’instabilité de ce poste dans la durée est incompatible avec le fonctionnement normal de l’entreprise.

Depuis le début de votre absence, le 3 janvier 2017 soit plus de 7 mois (ce qui représente au total 213 jours), l’entreprise a tenté de s’organiser avec plus ou moins de facilité pour en limiter les conséquences.

Votre manager [X] [O] a ainsi récupéré vos missions, en gérant de façon prioritaire la fin du paramétrage de l’outil SIRH pour la société Radicon (société rachetée par le groupe) laissée en suspens depuis votre absence. Ce retard de traitement a ainsi empêché le bon démarrage de leur campagne d’entretiens annuels initialement prévu en janvier (décalé en février 2017 une fois la finalisation du paramétrage effectuée par votre manager). Il a également repris à sa charge l’ensemble des paramétrages liés aux évolutions de l’outil SWAP.

En complément, du fait des ressources en présence au sein de son service, de leur temps de présence et de leur niveau d’expérience, votre manager s’est organisé en prenant les décisions suivantes :

‘ Solliciter votre collègue, Monsieur [L] [B], qui, initialement, assure des missions toutes autres d’accompagnement et de formation liées au projet SWAP. Votre collègue a ainsi récupéré la gestion de la hotline en prenant, à sa charge, les réponses et le suivi des tickets hotline pour résoudre les problèmes utilisateurs pendant et après la période des EAD. Il a également repris

l’administration de l’outil myskills (notre cvthèque interne) en lien avec la direction technique, compétence très éloignée de sa formation initiale.

Bien évidemment cette charge supplémentaire a entraîné des retards significatifs sur ses propres missions notamment sur la mise à jour des guides et des documents supports utilisateurs avec une incertitude à pouvoir, encore aujourd’hui, les produire d’ici septembre 2017, deadline avant le démarrage de la prochaine campagne EAD.

‘ S’appuyer fortement également sur [U] [Y], ingénieur junior support & contrôle de projet, dont la responsabilité est de seconder [X] [O] dans le pilotage des projets informatiques & RH. En votre absence, cette salariée s’est finalement vu confier des missions de support aux paramétrages, d’interface avec les utilisateurs pour résoudre les dysfonctionnements rencontrés par l’outil SWAP, et de pilotage des campagnes de tests internes pour la mise en ‘uvre de nouvelles versions. De ce fait, cette salariée n’a pas pu assurer la conduite des projets précis sur 2017, notamment celui d’intégrer une nouvelle version de PDC WEB notre outil de gestion des positionnements de nos collaborateurs.

Il apparaît désormais que cette situation n’est pas tenable et n’est pas viable dans la durée car elle :

– fait supporter à d’autres personnes une charge de travail supplémentaire alors même que leur formation n’est pas en adéquation avec les missions récupérées,

– limite la réactivité et l’efficacité de l’équipe projet SWAP qui ne peut s’appuyer sur un expert en interne,

– mobilise un temps significatif et affecte par conséquent les chantiers d’accompagnement sur d’autres projets et outils (nouvelle version de l’outil PDC Web, projets transverses RH direction, accompagnement des évolutions du projet Swap, documentation à produire et supports de communication…),

– entraîne ainsi de nombreux retards et une situation d’objectifs non atteints par l’équipe sur des sujets prioritaires censés être en cours de finalisation alors même qu’ils ne sont à date qu’en phase de commencement,

– entraîne un décalage de prise de congés pour certains membres de l’équipe lié à l’impérative nécessité d’assurer une continuité de service.

En conséquence, l’ensemble des considérations qui précèdent ne permet pas de maintenir nos relations contractuelles et nous conduit à vous notifier, par la présente, votre licenciement en raison de vos absences prolongées, perturbant le bon fonctionnement de l’entreprise et rendant nécessaire votre remplacement définitif. »

Le 3 juillet 2018, M. [A] a saisi le conseil de prud’hommes de Versailles à l’effet de contester son licenciement et d’obtenir paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

Par jugement du 26 mai 2021, le conseil de prud’hommes de Versailles (section encadrement) a :

– dit et jugé que le licenciement de M. [A] n’est pas nul,

– dit et jugé que que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,

– débouté la société Assystem Engineering and Operation Services de sa demande de rejet des pièces adverses 10 et 12,

– débouté chacune des parties de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté les parties du surplus de leurs demandes, fins et conclusions,

– condamné M. [A] aux entiers dépens.

Par déclaration adressée au greffe le 15 juin 2021, M. [A] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 21 mars 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 6 mars 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [A] demande à la cour de :

– le recevoir en son appel,

– infirmer le jugement déféré en ce qu’il jugé le licenciement valable et pourvu d’une cause réelle et sérieuse, a débouté celui-ci de sa demande indemnitaire, l’a débouté de sa demande d’article 700 du code de procédure civile et l’a condamné aux entiers dépens,

– confirmer le jugement pour le surplus,

statuant à nouveau,

à titre principal,

– prononcer la nullité du licenciement,

– condamner la société Assystem Engineering and Operation Services à lui verser la somme de 59 454 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul,

à titre subsidiaire,

– prononcer le défaut de cause réelle et sérieuse du licenciement,

– condamner la société Assystem Engineering and Operation Services à lui verser la somme de 59 454 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

en tout état de cause,

– débouter la société Assystem Engineering and Operation Services de toutes ses demandes, fins et conclusions,

– condamner la société Assystem Engineering and Operation Services à lui verser la somme 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– prononcer l’application des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes, soit à compter du 3 juillet 2018, sur les sommes allouées par la cour,

– condamner la société Assystem Engineering and Operation Services aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 20 février 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Assystem Engineering and Operations Services demande à la cour de :

à titre principal,

– dire et juger que le licenciement de M. [A] n’est pas nul,

– dire et juger que le licenciement de M. [A] repose sur une cause réelle et sérieuse,

à titre subsidiaire,

– la condamner pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dans la limite de 17 844 euros (soit 6 mois de salaire),

en conséquence,

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Versailles en toutes ces dispositions,

– rejeter l’ensemble des demandes de M. [A],

– condamner M. [A] à lui verser la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

MOTIFS

Sur la rupture

Le salarié demande principalement la nullité de son licenciement et subsidiairement de le dire sans cause réelle et sérieuse. Il se fonde sur les articles L. 1132-1, L. 1132-4, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail et expose que sa maladie est directement liée à ses conditions de travail. Il fait valoir qu’il ressort de la combinaison de ces textes qu’un salarié ne peut être licencié que lorsque son absence prolongée perturbe le fonctionnement de l’entreprise, que l’employeur se trouve dans la nécessité de pourvoir à son remplacement définitif et que l’origine des absences du salarié n’est pas liée à un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

Il rappelle d’abord qu’au cas d’espèce, en 2013 il a souffert d’un burn out qui a eu pour conséquence son inaptitude de janvier 2014 et son reclassement au poste d’administrateur réseau SIRH. Il soutient ensuite qu’à son nouveau poste de travail, sa charge de travail a augmenté en 2015 et 2016, ce qui a eu pour conséquence la dégradation de son état de santé, ce dont l’employeur avait été avisé dès le 12 décembre 2016, par le comité restreint RPS ; qu’il a en outre échangé sur le sujet de sa charge de travail avec son supérieur hiérarchique début janvier 2018, lequel n’a pris aucune mesure pour alléger sa charge de travail ; que cette situation a conduit à ses arrêts de travail pour maladie.

Il soutient ensuite que l’employeur ne démontre pas en quoi son absence prolongée perturberait le fonctionnement de l’entreprise ou nécessiterait de pourvoir à son remplacement définitif et fait valoir qu’il n’a en réalité pas été remplacé puisqu’un salarié a été engagé pour occuper un poste d’« administrateur system » avec une position 1.2 et un coefficient 100, alors qu’il occupait un poste d’« administrateur SIRH ».

En réplique, l’employeur conteste la charge de travail prétendument importante du salarié et considère qu’il n’en rapporte pas la preuve. Il explique qu’il n’a été avisé de ce que le salarié considérait sa charge de travail trop importante que le 8 janvier 2017 et qu’auparavant, le salarié ne s’en était jamais plaint auprès de lui ; qu’au surplus, le 8 janvier 2017, le salarié a présenté deux arguments mensongers : le premier relatif à de prétendues heures supplémentaires et le second relatif à son inaptitude de 2013, que le salarié considère à tort comme ayant une origine professionnelle. L’employeur ajoute qu’avant le 8 janvier 2017, il n’a à aucun moment été alerté par le salarié d’une surcharge de travail et que la réunion du comité restreint du 12 décembre 2016 n’a été qu’une réunion informelle préalable à la réunion plénière du CHSCT ; qu’à la réunion dudit comité restreint, l’employeur n’était pas représenté et que lors de la réunion plénière du CHSCT, le cas de M. [A] n’a pas été abordé. Il fait valoir que le salarié a été placé en arrêt de travail dès le 9 janvier 2017 jusqu’à son licenciement, qu’il n’a pu mettre en ‘uvre aucune mesure et qu’il n’a pas manqué à son obligation de sécurité.

L’employeur ajoute que le salarié a été absent du 9 janvier 2017 au 9 novembre 2017, à l’issue de son préavis. Il met en avant d’une part les compétences requises pour le poste d’administrateur réseau SIRH, soutenant que ce poste nécessite une qualification spécifique, et d’autre part l’importance du poste du salarié dans l’organisation de la société. Il ajoute que le salarié a bien été remplacé par un salarié engagé par contrat de travail à durée indéterminée.

***

L’article L. 1132-1 du code du travail, qui fait interdiction de licencier un salarié notamment en raison de son état de santé ou de son handicap, ne s’oppose pas au licenciement motivé, non par l’état de santé du salarié, mais par la situation objective de l’entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l’absence prolongée ou les absences répétées du salarié. Ce salarié ne peut toutefois être licencié que si les perturbations entraînent la nécessité pour l’employeur de procéder à son remplacement définitif par l’engagement d’un autre salarié, lequel doit intervenir à une date proche du licenciement ou dans un délai raisonnable après celui-ci, délai que les juges du fond apprécient souverainement en tenant compte des spécificités de l’entreprise et de l’emploi concerné, ainsi que des démarches faites par l’employeur en vue d’un recrutement.

Cependant, lorsque l’absence prolongée du salarié pour cause de maladie résulte d’un manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité, ses conséquences sur le fonctionnement de l’entreprise ne peuvent être invoquées pour justifier un licenciement (cf. Soc., 13 mars 2013, pourvoi n° 11-22.082, publié).

Sur l’obligation de sécurité

En l’espèce, dans son attestation M. [R] témoigne ainsi : « J’atteste de la dégradation de l’état physique, mental et psychologique [du salarié] dès octobre 2016. Étant membre du CHSCT (‘) j’avais alerté sur la dégradation de son état de santé au comité restreint RPS au préalable de la réunion ordinaire CHSCT qui s’est déroulée le 12 décembre 2016 et à la commission RPS qui s’est déroulée le 28 mars 2017. [le salarié] s’était plaint de sa surcharge de travail, du niveau d’exigence et des délais des livrables qui ont finalement dégradé sa santé au fil des mois passés. Il ne voulait pas que j’alerte à son sujet pensant à une amélioration mais ce n’était pas le cas par la suite. » La dégradation de l’état de santé du salarié à partir d’octobre 2016 est confirmée par M. [N], un collègue (pièce 21 du salarié).

Néanmoins, ainsi que le relève à juste titre l’employeur, le « comité restreint RPS » dont faisait partie M. [R] n’est pas le CHSCT lui-même. Rien ne permet donc de déduire de cette attestation que l’employeur aurait été avisé, le 12 décembre 2016, de ce que le salarié s’était plaintde sa surcharge de travail. D’ailleurs, il ressort du témoignage même de M. [R] que le salarié ne voulait pas qu’il alerte à son sujet. En outre, il n’est pas discuté que lors de la réunion du CHSCT du 12 décembre 2016, le cas du salarié n’a pas été évoqué.

Les pièces du dossier montrent que l’employeur n’a en réalité été avisé de ce que le salarié se plaignait de sa charge de travail que le 8 janvier 2017.

En effet, des échanges de courriels entre le salarié et son supérieur hiérarchique, M. [O], les 8 et 9 janvier 2017, il ressort que le premier a alerté le second sur le fait qu’il avait réalisé 120 heures supplémentaires non rémunérées et qu’il vivait mal l’augmentation de ses tâches. M. [O] a répondu : « C’est effectivement une évolution de tes activités que nous avons vu ensemble dès l’an dernier et qui accompagne la baisse de charge de l’activité d’exploitation liée au fait que l’application n’est maintenant plus hébergée sur nos serveurs mais en mode SaaS. Plus que la charge de travail, cette activité nouvelle, activité de projet, augmente le nombre de tâches à gérer en parallèle et les aléas, avec des périodes plus tendues quand les échéances approchent. Concernant les heures supplémentaires, je ne fais pas le même constat que toi et je n’ai pas l’impression que tu en aies fait au global. Je suis parfaitement conscient que tu n’es pas au forfait jour. Malgré cela, on doit être capable en tant que cadre, d’adapter sa vitesse de production aux enjeux du moment. Contrairement à ce que tu proposes, je ne pense pas qu’il faille intégrer quelqu’un de plus pour s’occuper des sujets de support et d’exploitation mais plutôt limiter ou te renforcer sur les activités de projets ; dans l’objectif bien sûr de te focaliser sur des activités mieux cadrées. A ta disposition pour échanger et t’aider à passer le cap. » .

Contrairement à ce que prétend le salarié, la réponse de M. [O] en date du 9 janvier 2017 ne minimisait pas son mal-être puisqu’il entendait échanger pour « l’aider » à « passer le cap », signe qu’il en avait pris conscience. Il proposait même de « limiter » les activités de projets du salarié ou de le « renforcer » sur lesdites activités.

L’employeur n’a pas eu le temps de mettre en ‘uvre les mesures qu’il préconisait ‘ limitation des activités ou renforcement ‘ puisque le salarié a immédiatement été placé en arrêt pour maladie le 9 janvier 2017.

En outre, la surcharge de travail du salarié n’est pas établie et, comme l’employeur le fait observer, le salarié ne forme aucune demande de rappel d’heures supplémentaires au titre de l’année 2017.

En définitive, l’employeur, qui n’a été alerté que tardivement par le salariée d’une surcharge de travail, qui n’est au demeurant pas établie, ne peut être tenu comme ayant manqué à son obligation de sécurité.

Sur la perturbation du fonctionnement de l’entreprise, la nécessité de remplacer le salarié et la réalité de son remplacement

Si la rupture du contrat de travail d’un salarié absent pour maladie peut être fondée quand elle est motivée, non par l’état de santé du salarié, mais par la situation objective de l’entreprise dont le fonctionnement est perturbé par cette absence prolongée ou des absences répétées, cette seule circonstance ne suffit pas à justifier la rupture. Celle-ci n’est possible que si les perturbations entraînent la nécessité pour l’employeur de procéder au remplacement définitif du salarié absent par l’engagement d’un autre salarié.

Pour caractériser les perturbations générées par l’absence du salarié, la société rappelle d’abord, et à juste titre, qu’il a été absent du 9 janvier 2017 jusqu’à l’issue de son contrat de travail.

La société expose ensuite que le salarié occupait un « poste clé dans la gestion du système d’information des ressources humaines » au sens où, d’une part, son poste nécessitait une expertise technique importante et où, d’autre part, il occupait un poste rattaché à l’équipe « SWAP », lequel est un outil essentiel de management et pour la conduite des entretiens annuels et professionnels. Or, selon la société, l’outil « SWAP » est instable et nécessite des interventions techniques rapides et spécifiques réalisées par l’administrateur réseau SIRH.

A raison, le salarié expose que l’employeur n’établit pas la réalité de l’instabilité du système « SWAP ».

Par ailleurs, il ressort, certes, de la pièce 24 de l’employeur (présentation de l’outil « SWAP » datant de décembre 2018) que ce système a été mis en ‘uvre pour gérer les entretiens (« évaluation des compétences et des connaissances via les EAD et les entretiens métiers (ECM) »), la formation des salariés et réaliser des tableaux de bord et des indicateurs. Elle met aussi en évidence la complexité du système qui était connecté à d’autres outils (outil de paie, outil de gestion plan de charge, MySkills).

Il ressort, certes encore, de l’entretien annuel d’évaluation du salarié établi au moyen de « SWAP », du 12 janvier 2016, que ses missions opérationnelles consistaient notamment en l’administration fonctionnelle des outils SIRH, au rang desquels figurait l’outil « SWAP ». Dans la rubrique réservée, dans l’entretien d’évaluation, aux commentaires du salarié, celui-ci y évoquait les « enjeux stratégiques » ainsi que « l’ampleur et la diversité des actions à mener ». Il y évoquait aussi le caractère « majeur » de « l’enjeu » du « déploiement des outils SIRH à l’international ».

Néanmoins, c’est sans être contesté sur ce point précis que le salarié, titulaire d’un BTS informatique, expose avoir pris ses fonctions en février 2014 après une formation interne qui n’a durée que sept jours. Il faut en déduire que, même si l’outil « SWAP » était très important pour la société ‘ voire même stratégique ‘ il n’en demeure pas moins que la maîtrise de cet outil ne réclamait pas une technicité telle qu’elle ne pouvait être acquise par un salarié engagé par contrat de travail à durée déterminée en remplacement de M. [A] durant son absence pour maladie.

Or, pour que la rupture soit justifiée, il faut d’une part que les perturbations apportées au fonctionnement de l’entreprise par l’absence du salarié malade soient bien réelles et caractérisées ‘ ce qui est le cas en l’espèce ‘, mais aussi d’autre part qu’elles soient d’une importance telle qu’elles impliquent nécessairement son remplacement définitif pour y remédier, ce qui n’est pas établi au cas d’espèce.

Faute, pour l’employeur de démontrer la nécessité de pourvoir au remplacement définitif du salarié, il conviendra de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par conséquent, le jugement sera de ce chef infirmé. Statuant à nouveau, il conviendra de dire sans cause réelle et sérieuse le licenciement.

Le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu, en application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail qui l’imposent et sont donc dans le débat, d’ordonner d’office à l’employeur de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées au salarié, dans la limite de six mois d’indemnités.

Sur les conséquences de la rupture

Le salarié peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois, en application de l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa version en vigueur avant le 24 septembre 2017, s’agissant d’un licenciement prononcé le 9 août 2017.

En l’espèce, compte tenu de l’âge du salarié lors de la rupture (42 ans), de ce qu’il justifie d’une ancienneté de près de 11 ans, de son niveau de rémunération (2 974 euros bruts mensuels), de ce qu’il n’a pas retrouvé de travail avant le 6 janvier 2020, le préjudice qui résulte pour le salarié de la rupture injustifiée de son contrat de travail sera intégralement réparée par une indemnité de 22 000 euros.

Statuant à nouveau, il conviendra de condamner l’employeur à payer au salarié la somme ainsi arrêtée avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Succombant, l’employeur sera condamné aux dépens de première instance et d’appel.

Il conviendra de condamner l’employeur à payer au salarié une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :

CONFIRME le jugement, mais seulement en ce qu’il dit que le licenciement de M. [A] n’est pas nul, et en ce qu’il déboute la société Assystem Engineering and Operation Services de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant,

DIT sans cause réelle et sérieuse le licenciement de M. [A],

CONDAMNE la société Assystem Engineering and Operation Services à payer à M. [A] la somme de 22 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

ORDONNE à la société Assystem Engineering and Operation Services de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées à la salariée, dans la limite de six mois d’indemnité,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,

CONDAMNE la société Assystem Engineering and Operations Services à payer à M. [A] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Assystem Engineering and Operations Services aux dépens de première instance et d’appel.

. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, Présidente et par Madame Marine MOURET, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

 


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