Droit du logiciel : 14 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/04457

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Droit du logiciel : 14 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/04457

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRÊT DU 14 JUIN 2023

(n° , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/04457 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDWYI

Décision déférée à la Cour : Jugement du 7 Avril 2021 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – Section Encadrement chambre 1 – RG n° F18/04854

APPELANT

Monsieur [B] [N]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Antoine GROU, avocat au barreau de PARIS, toque : E1083

INTIMÉE

SOCIÉTÉ SEAGATE TECHNOLOGY (NETHERLANDS) B.V.

[Adresse 4]

[Localité 1]

PAYS BAS

Représentée par Me Florence GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 5 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Stéphane MEYER, président, chargé du rapport et Mme Nelly CHRETIENNOT, conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Stéphane MEYER, président de chambre

M. Fabrice MORILLO, conseiller

Mme Nelly CHRETIENNOT, conseillère

Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

– signé par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre, et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Monsieur [B] [N] a été engagé pour une durée indéterminée à compter du14 octobre 2013, par la société Electronique 2D, contrat transféré à la société Lacie group, aux droits de laquelle la société Seagate Technology se trouve actuellement. Il exerçait en dernier lieu les fonctions d’ingénieur développement logiciel.

La relation de travail est régie par la convention collective nationale de la Métallurgie

En juin 2016, la société a mis en oeuvre un plan de sauvegarde de l’emploi et par courrier du 1er juillet 2016, a notifié à Monsieur [B] [N] son licenciement pour motif économique.

Le 28 juin 2018, Monsieur [N] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris et formé des demandes afférentes à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement du 7 avril 2021, le conseil de prud’hommes de Paris a déclaré Monsieur [N] irrecevable en ses demandes en raison de la prescription.

A l’encontre de ce jugement notifié le 19 avril 2021, Monsieur [N] a interjeté appel en visant expressément les dispositions critiquées, par déclaration du 10 mai 2021.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 13 avril 2022, Monsieur [N] demande l’infirmation du jugement, que son action ne soit pas déclarée prescrite et demande la condamnation de la société Seagate Technology à lui payer les sommes suivantes :

– dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 27 533,83 € ;

dommages et intérêts pour non-respect des critères d’ordre de licenciement : 4 588,97 € ;

– indemnité pour frais de procédure : 2 000 € ;

– les dépens ;

– les intérêts au taux légal avec anatocisme.

Au soutien de ses demandes, Monsieur [N] fait valoir que :

– le délai de prescription applicable étant de deux ans, son action n’est pas prescrite ;

– le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse du fait de l’absence de nécessité d’une réorganisation en vue de la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise, compte tenu de la situation économique du secteur d’activité du groupe auquel elle appartient ;

– l’entreprise n’a pas respecté ses obligations relatives au reclassement interne ;

– il rapporte la preuve du préjudice que lui a causé le licenciement ;

– la société Seagate Technology n’a pas respecté les critères d’ordre de licenciement ;

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 22 novembre 2021, la société Seagate Technology demande la confirmation du jugement, que l’action de Monsieur [N] soit déclarée irrecevable et à titre subsidiaire mal fondée. Il demande également sa condamnation, à lui payer une indemnité pour frais de procédure de 4 000 €. Elle fait valoir que :

– l’action de Monsieur [N] est prescrite, le délai de prescription applicable étant de douze mois ;

– le motif économique du licenciement est réel et sérieux ;

– elle a respecté son obligation de reclassement ;

– elle n’a pas manqué à ses obligations en matière d’application des critères d’ordre

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 21 février 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.

* * *

MOTIFS

Sur la prescription

Suivie en cela par le conseil de prud’hommes, la société Seagate Technology invoque les dispositions de l’article L.1235-7 du code du travail, relatives aux licenciements pour motif économique, aux termes desquelles toute contestation portant sur la régularité ou la validité du licenciement se prescrit par douze mois à compter de la dernière réunion du comité d’entreprise ou, dans le cadre de l’exercice par le salarié de son droit individuel à contester la régularité ou la validité du licenciement, à compter de la notification de celui-ci.

Cependant, contrairement à ce que soutient la société Seagate Technology, en employant les termes « la régularité ou la validité du licenciement », le législateur a entendu circonscrire l’application de ce texte, dérogatoire du droit commun, aux seules contestations susceptibles d’entraîner la nullité de la procédure de licenciement collectif pour motif économique, en raison de l’absence ou de l’insuffisance d’un plan de sauvegarde de l’emploi.

A cet égard, le fait, invoqué par la société Seagate Technology, que le législateur a, par la suite, en septembre 2017, généralisé le délai de prescription de 12 mois à toutes les contestations relatives à la rupture du contrat de travail, quel qu’en soit le motif, n’est pas de nature à remettre en cause cette interprétation du texte alors en vigueur.

En l’espèce, l’action de Monsieur [N], qui porte sur le motif économique du licenciement, est donc soumise aux dispositions de droit commun de l’article L.1471-1 du code du travail, lesquelles prévoyaient, dans leur version issue de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013, un délai de prescription de deux ans.

L’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, entrée en vigueur le 24 septembre suivant, a porté ce délai à un an.

Cependant, aux termes de l’article 40 II de cette ordonnance, en cas de réduction de la durée du délai de prescription, ce nouveau délai court à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

En l’espèce, la prescription a commencé à courir le 1er juillet 2016, date de notification du licenciement.

La prescription, issue de la loi ancienne, expirait donc le 1er juillet 2018.

Le nouveau délai de prescription a commencé à courir le 24 septembre 2017 et a expiré le 24 septembre 2018.

Monsieur [N] ayant saisi le conseil de prud’hommes le 28 juin 2018, sa demande est donc recevable, contrairement à ce qu’a estimé le conseil de prud’hommes.

Sur le licenciement et ses conséquences

Aux termes de l’article L.1233-3 du code du travail, dans sa version applicable au présent litige, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification substantielle du contrat de travail consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.

La réorganisation de l’entreprise en vue de sauvegarder la compétitivité pour prévenir des difficultés économiques à venir constitue un motif valable de licenciement économique.

Cependant, lorsque l’entreprise appartient à un groupe, les difficultés économiques s’apprécient au niveau du groupe, dans la limite du secteur d’activité auquel appartient l’entreprise.

Ce secteur d’activité est déterminé par la nature des produits, la clientèle ciblée et le mode de distribution mis en ‘uvre.

En l’espèce, l’entreprise, qui a pour activité de « concevoir, fabriquer et commercialiser des solutions externes de stockage de données », appartient au Groupe Seagate, implanté dans 22 pays et qui emploie au total environ 45.000 salariés.

Les parties s’entendent sur le fait que le secteur d’activité du groupe Seagate, auquel la société Seagate Technology appartient, se définit par le secteur « CSG » (« Consumer Solutions Group »), spécialisé dans la fourniture de solutions matérielles de stockage, telles que les disques durs externes.

La lettre de licenciement du 29 juillet 2016, qui fixe les limites du litige en application des dispositions de l’article L.1233-16 du code du travail, énonçait comme motif économique, la réorganisation de l’entreprise en vue de sauvegarder la compétitivité de l’activité « CSG », en raison du déclin inéluctable du marché des disques durs externes, de l’accroissement de la pression concurrentielle, de l’érosion des prix et de la fragilisation globale de Seagate et du CSG sur le marché au cours du dernier semestre 2015.

Il convient tout d’abord de relever que cette lettre ne mentionne aucune donnée relative au chiffre d’affaire et aux résultats du secteur d’activité en question, ainsi qu’à son évolution prévisible.

Par ailleurs, les seuls éléments dont la société Seagate Technology se prévaut pour établir la réalité des motifs économiques invoqués émanent exclusivement d’elle-même ou du groupe auquel elle appartient (rapport annuel du groupe, document unilatéral présenté au CE), à l’exclusion de tout élément comptable.

De son côté, Monsieur [N] se prévaut du rapport de l’expert-comptable qui avait été désigné par le comité d’entreprise (qu’elle ne produit pas mais dont les conclusions, dont l’authenticité n’est pas contestée, sont reprises par ce comité ainsi que par l’inspecteur du travail qui était intervenu dans le cadre du licenciement d’un salarié protégé de l’entreprise), conclusions qui contredisent la réalité de ce motif économique, puisque l’expert estime que l’on ne peut pas voir de corrélation directe entre le marché total du disque dur et l’activité de CSG, laquelle est centrée autour du stockage externe (disques durs externes, NAS, DAS) pour le grand public et les PMEs et est donc en mesure de tirer parti du marché du disque dur (HDD) et de la flash (SSD, clé usb), qu’aucun document présenté ne met en évidence un lien entre croissance du « Cloud » et décroissance du stockage externe.

L’expert ajoute que la réorganisation dont fait état la lettre de licenciement n’aurait que peu d’impact, voire un impact nul sur les comptes du CSG, ce qui laisse à penser que l’objectif premier est ailleurs, puisque, selon lui, les situations financières de l’entreprise et du groupe Seagate sont très bonnes et que les licenciements ne semblent qu’être un moyen de maintenir le versement de dividendes anormalement fréquent aux actionnaires.

L’expert conclut que la société Seagate Technology n’apporte pas la preuve d’une menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise au niveau du secteur d’activité du groupe auquel elle appartient et qui justifierait la réorganisation en cours.

Si ainsi que le relève à juste titre la société Seagate Technology, l’expert désigné par le comité d’entreprise n’offre pas toutes les garanties d’impartialité requises, elle ne produit toutefois aucun élément objectif et extérieur, de nature à contredire utilement ses conclusions précises.

Il résulte de ces considérations que la réalité du motif économique invoqué n’est pas établie.

L’entreprise comptant plus de dix salariés, Monsieur [N], qui avait plus de deux ans d’ancienneté, a droit à l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse prévue par les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction alors applicable au litige, et qui ne peut être inférieure aux six derniers mois de salaire.

Il convient donc de faire droit à sa demande en paiement d’une indemnité de 27 533,83 euros, correspondant aux six derniers mois de salaire.

Enfin, sur le fondement de l’article L.1235-4 du code du travail, il convient de condamner l’employeur à rembourser les indemnités de chômage dans la limite de six mois.

Sur la demande de dommages et intérêts pour inobservation des critères d’ordre

Monsieur [N] ne rapportant pas la preuve, à cet égard, d’un préjudice distinct de celui réparé au titre du caractère infondé du licenciement, doit être débouté de cette demande.

Sur les autres demandes

Sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, il convient de condamner la société Seagate Technology à payer à Monsieur [N] une indemnité destinée à couvrir les frais non compris dans les dépens qu’il a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts et qu’il y a lieu de fixer à 2 000 euros.

Il convient de dire, conformément aux dispositions de l’article 1231-7 code civil, que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et de faire application des dispositions de l’article 1343-2 du même code.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement ;

Statuant à nouveau ;

Déclare Monsieur [B] [N] recevable en son action ;

Condamne la société Seagate Technology à payer à Monsieur [B] [N] 27 533,83 euros d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu’une indemnité pour frais de procédure de 2 000 euros.

Dit que ces condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et que les intérêts seront capitalisés conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil

Ordonne le remboursement par la société Seagate Technology des indemnités de chômage versées à Monsieur [B] [N] dans la limite de six mois d’indemnités ;

Rappelle qu’une copie du présent arrêt est adressée par le greffe à Pôle Emploi ;

Déboute Monsieur [B] [N] du surplus de ses demandes ;

Déboute la société Seagate Technology de sa demande d’indemnité pour frais de procédure formée en cause d’appel ;

Condamne la société Seagate Technology aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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