ARRÊT DU
14 Avril 2023
N° 580/23
N° RG 22/00019 – N° Portalis DBVT-V-B7G-UBH2
PS/MB/AA
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CAMBRAI
en date du
09 Décembre 2021
(RG F 20/00117 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 14 Avril 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANTE :
S.A.S. PICARDIE POIDS LOURDS
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Alain FOULON, avocat au barreau D’ARRAS
INTIMÉ :
M. [C] [I]
[Adresse 1]
[Localité 5]
représenté par Me Guy DELOMEZ, avocat au barreau de CAMBRAI
DÉBATS : à l’audience publique du 21 Mars 2023
Tenue par Patrick SENDRAL
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Cindy LEPERRE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Marie LE BRAS
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Alain MOUYSSET
: CONSEILLER
Patrick SENDRAL
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 14 Avril 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 28/02/2023
FAITS ET PROCEDURE
En janvier 2001, M.[I] a été engagé en qualité de vendeur par la société PICARDIE POIDS LOURDS (PPL) concessionnaire d’une marque de véhicules automobiles, pour démarcher la clientèle dans le département de l’Aisne. En février 2016 il a été affecté dans le secteur d'[Localité 4] et de la Somme. Le 26 avril 2016 il a été sanctionné d’un avertissement avant d’être licencié le 8 février 2017 pour cause réelle et sérieuse.
Le 20 avril 2018, M.[I] a saisi le conseil de prud’hommes de CAMBRAI de diverses réclamations à l’encontre de son ancien employeur. La société PICARDIE POIDS LOURDS ayant soulevé son incompétence territoriale, ledit conseil s’est déclaré compétent. Sur l’appel interjeté par l’employeur la cour a confirmé la compétence du premier juge par arrêt du 25 septembre 2020.
C’est dans ce contexte que selon jugement du 8 décembre 2021, le conseil de prud’hommes de CAMBRAI a condamné la société PICARDIE POIDS LOURDS à payer à M. [I] les sommes suivantes :
– 33.000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
– 1.000 euros de dommages-intérêts pour sanction injustifiée
– 6.600 euros de dommages-intérêts pour harcèlement moral
– 800 euros de dommages-intérêts pour rupture déloyale des conditions de remboursement de frais
– 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Vu l’appel formé par la société PICARDIE POIDS LOURDS contre ce jugement et ses conclusions du 22/11/2022 ainsi closes’:
‘Déclarer recevable la déclaration d’appel. Dire que l’effet dévolutif est bien constitué’; se déclarer incompétente pour connaître des demandes de Monsieur [C] [I] de nullité de la déclaration d’appel et d’absence alléguée d’effet dévolutif de ladite déclaration,
Subsidiairement, débouter Monsieur [C] [I] de ses demandes de nullité de la déclaration d’appel et d’absence alléguée d’effet dévolutif de ladite déclaration,
Infirmer la décision rendue par le Conseil de Prud’hommes et en conséquence,
DEBOUTER M.[I] de ses demandes et le condamner au paiement d’une somme de 4000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile’.
Vu les conclusions d’appel incident du 24/2/2023 par lesquelles M.[I] prie la cour de’:
« Prononcer la nullité de la déclaration d’appel, Subsidiairement, dire que la déclaration est dépourvue d’effet dévolutif ainsi que les conclusions du 29 mars 2022
Dire irrecevable la société PICARDIE POIDS LOURDS en l’ensemble de ses demandes
Confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement, annulé l’avertissement, déclaré la Société PICARDIE POIDS LOURDS responsable d’actes de harcèlement moral et sur l’indemnité allouée pour rupture unilatérale des conditions de remboursement des frais de repas. Déclarer recevable et bien fondé Monsieur [I] en son appel incident ;
Condamner la société PICARDIE POIDS LOURDS à lui régler’:
– 133.200 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et subsidiairement celle de 61.050 euros sur le fondement de l’article L.1235-3 du Code du Travail
– 30.000 euros de dommages-intérêts pour harcèlement moral
– 3.000 euros d’indemnité procédurale en première instance
– 1.250 euros de rappel de salaires outre 125 euros correspondant aux congés payés
– 1.000 euros sur le fondement de l’article 1240 du Code Civil
– 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du CPC au titre de la procédure d’appel’».
MOTIFS
La saisine de la juridiction d’appel
L’acte d’appel est ainsi rédigé :
Objet/Portée de l’appel : Appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués : II convient d’infirmer le jugement du Conseil de Prud’hommes de CAMBRAI en ce qu’il a :
« DIT le licenciement de Monsieur [C] [I] dépourvu de cause réelle et sérieuse ; « – ANNULÉ l’avertissement notifié le 26 avril 2016 ; « En conséquence, CONDAMNÉ la société PICARDIE POIDS LOURDS à payer à Monsieur [C] [I] les sommes suivantes:
– 33.000 euros (trente trois mille euros) à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 1.000 euros (mille euros) à titre de dommages et intérêts pour sanction injustifiée,
– 6.600 euros (six mille six cents euros) à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
– 800 euros (huit cents euros) à titre de dommages et intérêts pour rupture unilatérale des conditions de remboursement des frais de repas,
– 1.500 euros (mille cinq cents euros) au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile
– DIT que les condamnations emportent intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation pour toutes sommes de nature salariale, à compter de la présente décision pour toute autre somme ;
DÉBOUTÉ la société PICARDIE POIDS LOURDS de sa demande reconventionnelle et l’a CONDAMNÉE aux dépens ».
M.[I] soutient que l’acte d’appel devrait être annulé au motif que l’appelante ne demande pas à la cour de «’statuer à nouveau’» mais d’une part la cour n’a pas le pouvoir d’annuler l’acte d’appel et aucun texte n’obligeait l’appelante à porter la mention prétendument omise. La société PICARDIE POIDS LOURDS ayant du reste critiqué expressément et sans équivoque les dispositions du jugement, la cour est régulièrement saisie de l’effet dévolutif de l’appel. M.[I] prétend par ailleurs que l’absence d’indication des chefs du jugement critiqués dans les conclusions adverses empêche toute dévolution mais l’effet dévolutif procède de la déclaration d’appel en l’espèce régulière. Par ailleurs, la société appelante, qui dans le dispositif de ses conclusions a sollicité l’infirmation du jugement, n’était pas tenue d’y reproduire les chefs de jugement critiqués. Les moyens afférents sont donc infondés.
La demande au titre du rappel de salaires
M.[I] soutient que son employeur ne lui a pas payé, de juillet à octobre 2015 et en janvier 2016, 250 euros d’augmentation de salaire convenus en contrepartie de l’ajout du secteur de [Localité 6] à son périmètre de prospection. Il ne rapporte pas la preuve d’un accord ou d’un engagement unilatéral de l’employeur d’augmenter ses appointements. La demande sera donc rejetée.
La demande de dommages-intérêts pour absence de visite médicale périodique
M.[I] prétend que la société PICARDIE POIDS LOURDS a décidé, en 2013, de cesser de le faire suivre par la médecine du travail. Il produit un courriel d’une salariée de la médecine du travail indiquant que suite à la demande de son employeur son suivi n’a plus été assuré depuis courant 2013. Il appert cependant que le salarié a été déclaré apte par le médecin du travail lors des visites de juin et septembre 2016. Par ailleurs, il ne justifie d’aucun préjudice. Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il l’a débouté de sa demande.
La demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail
Il est avéré qu’en 2016 l’employeur a diminué le remboursement des frais de repas, passé de 16 à 12,50 euros par jour, mais sa mauvaise foi n’est pas caractérisée alors qu’elle est une condition d’engagement de sa responsabilité. La demande sera donc rejetée par infirmation du jugement.
La demande d’annulation de l’avertissement
Cet avertissement était en substance motivé par des prospections insuffisantes et l’absence durable de renseignement de l’agenda partagé. Si aucune pièce ne permet de caractériser une insuffisance de prospection, M.[I] a admis sa négligence en matière d’information de l’employeur sur ses rendez-vous, ce qui pouvait justifier une sanction. Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il l’a annulée et condamné l’employeur au paiement de dommages-intérêts.
Le harcèlement moral
Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Il résulte des dispositions des articles L.1153-1 et L.1154-1 du code du travail que pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Dans l’affirmative, il revient à l’employeur de prouver que les agissements ainsi établis sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, outre des allégations imprécises étayées d’aucun élément et l’énoncé de généralités impropres à fonder sa demande, M.[I] présente les faits suivants :
– il s’est vu délivrer un avertissement ;
ce fait est avéré
– l’employeur n’a pas respecté son engagement de rembourser ses frais de repas à 16 euros ;
il est avéré qu’en 2016 l’employeur a réduit de 16 à 12,50 euros le remboursement des repas
– il a refusé de lui verser l’augmentation de 250 euros à laquelle il s’était engagé ;
ce fait n’est pas avéré, aucune augmentation de salaire n’ayant été consentie au salarié
– il n’a pas eu de visite médicale périodique à partir de 2013 ;
ce fait est avéré, l’employeur ayant en effet accompli des démarches auprès de la médecine du travail pour mettre fin au suivi
– son domicile étant à [Localité 5], il a été affecté au secteur d'[Localité 4] en février 2016 sans avenant à son contrat de travail ;
il n’est pas contesté qu’à compter du 1er février 2016 la zone de prospection de M.[I] a été modifiée. Alors qu’il oeuvrait précédemment dans le secteur de l’Aisne, il a été affecté à [Localité 4] en un lieu plus éloigné de son domicile. Il est également avéré qu'[Localité 4] n’est pas située dans la même zone géographique que le département de l’Aisne. Du reste, le contrat de travail définissait les secteurs du salarié dans le département de l’Aisne pouvant être modifiés «’en fonction des nécessités du marché’».
– au sein de la concession d'[Localité 4], il était installé dans un bureau poussiéreux sans intimité ;
ces allégations ne sont étayées d’aucune démonstration
– à compter de sa mutation à [Localité 4], le directeur général ne l’a plus salué lorsqu’il était en visite dans les locaux ;
ce fait récurrent est établi par l’attestation de M. [Z] indiquant qu’à l’occasion de ses tournées, le directeur général saluait l’ensemble des commerciaux dans leurs bureaux en évitant ostensiblement celui de M.[I].
Les éléments médicaux du dossier consistent en une consultation du médecin-traitant pour stress, un arrêt-maladie de plusieurs mois et un suivi psychologique en raison d’un syndrome anxieux constaté en 2016 par la médecine du travail. Ils établissent la dégradation de l’état de santé du salarié, lequel établit donc des faits laissant présumer le harcèlement moral.
L’employeur ne justifie d’aucune considération objective expliquant la modification substantielle du secteur de M.[I]. Il prétend que ce changement a été négocié mais aucun avenant n’a été présenté au salarié et celui-ci a rechigné à sa mutation. En vertu du contrat de travail, il était affecté à des cantons du département de l’Aisne’; la stipulation «’le secteur d’activité pourra être modifié selon les nécessités du marché’» n’était pas assez précise pour caractériser son accord préalable à une mobilité à [Localité 4] en dehors du secteur géographique contractuel. Du reste, la société PICARDIE POIDS LOURDS ne s’explique pas sur les raisons commerciales ou économiques ayant pu dicter sa décision, alors même que le salarié était remplacé dans son secteur d’origine.
La diminution du remboursement des frais journaliers de repas à compter du 29/08/2016 est d’autant plus incompréhensible que le salarié était muté dans un secteur encore plus éloigné de son domicile. La société PICARDIE POIDS LOURDS indique que les 16 euros avaient été octroyés en 2014 par un directeur local sans l’accord du directeur général, mais c’est par un engagement unilatéral formalisé par lettre du 25/09/2014 qu’il a été décidé, par l’employeur dûment représenté,’de rembourser les frais de repas 16 euros par jour de sorte que la société PICARDIE POIDS LOURDS est revenue sur cet engagement et qu’elle ne justifie pas de considération objectives étrangères au harcèlement moral expliquant sa décision.
La société PICARDIE POIDS LOURDS ne justifie pas, non plus, de raisons objectives expliquant pour quelle raison elle a demandé à la médecine du travail de mettre fin au suivi médical de M.[I] en 2013 alors qu’elle était tenue de protéger sa santé. Elle ne rend par ailleurs compte d’aucune considération objective expliquant son refus d’appliquer durablement les règles élémentaires de politesse à l’égard de son collaborateur.
Il ressort de ce qui précède que celui-ci a subi des agissements répétés de harcèlement moral ayant eu pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Le jugement sera confirmé en ce qu’il a fait une juste appréciation de l’indemnisation du préjudice causé au salarié.
Le licenciement
La lettre de licenciement est ainsi rédigée’:
‘ Il convient d’observer que l’année 2014 s’était finalement traduite par une baisse sensible de vos ventes lesquelles étaient passées de 41 véhicules en 2013 à 33 véhicules en 2014. Nous attendions donc de ce qui précède une reprise de vos ventes en 2015 et en 2016. Or, force nous a été de constater que la reprise escomptée ne s’est malheureusement pas produite puisque, au contraire, vos ventes ont continué de baisser : 30 véhicules en 2015, puis 28 véhicules en 2016.
Ce constat nous avait d’ailleurs amené à vous alerter il y a quelques mois à propos d’une situation objective qui ne faisait que se dégrader. C’est ainsi qu’à la suite d’un entretien informel qui s’était déroulé le 8 septembre 2016, au cours duquel nous vous avions sensibilisé à propos de l’insuffisance de vos ventes depuis le début d’année 2016, nous avions confirmé ce constat dans un courrier du 13 Septembre suivant.
A cette occasion, nous vous avions fixé en particulier deux objectifs au titre des quatre derniers mois de l’année 2016, à savoir de réaliser :
– cinq visites prospects par jour à renseigner sur le logiciel ICAR,
– quatre commandes mensuelles de véhicules.
Malheureusement, au terme de l’année 2016, le constat est sans appel tant vous avez échoué par rapport aux objectifs considérés. II ressort de l’agenda ICAR que votre prospection est notoirement insuffisante, celui-ci étant essentiellement rempli d’informations relatives aux relances clients et non à des démarches prospects.
II s’ensuit que cet outil qui doit servir à apprécier la recherche de nouveaux clients – ce qui constitue manifestement l’activité principale d’un commercial – est révélateur de l’insuffisance constatée.
L’insuffisance de prospects s’est logiquement traduite par une insuffisance de résultats au niveau des ventes comme souligné plus haut ; lesquelles se situent fort en deçà, notamment des objectifs fixés par MERCEDES BENZ FRANCE.
De surcroît, à cette insuffisance de résultats s’ajoute un mauvais suivi des dossiers ainsi qu’en atteste en particulier le dossier TECHNIPLAST. En effet, alors que celui-ci avait été bien monté par votre collègue [H] [D], vous avez trouvé « le moyen » de livrer au client un véhicule SPRINTER 43 S au lieu d’un SPRINTER 37 S ; une telle erreur se traduisant inévitablement par une marge négative.
En l’espèce, vous vous êtes de plus bien gardé de faire remonter l’information auprès de la Direction d’où il suit que ce véhicule a été immatriculé sans l’aval de votre hiérarchie.
Nous avons été amenés à constater que sur vos notes de frais apparaissent des relevés de péage pour des déplacements à des fins privatives puisque nous avons noté des déplacements effectués soit le dimanche soit lors de journées de congés payés. Or, vous n’avez jamais sollicité et a fortiori obtenu l’autorisation de l’entreprise de prendre charge vos déplacements privatifs.
Un tel agissement met malheureusement en exergue un certain relâchement par rapport à vos obligations professionnelles. Ceci n’est pas acceptable. Par suite, au regard de ce qui précède, nous nous voyons contraints de mettre fin à nos relations contractuelles ‘.
Sur ces griefs développés par l’employeur dans ses écritures, M.[I] fait valoir que’:
– aucun objectif n’a été défini et aucune comparaison avec d’autres commerciaux n’est versée aux débats
– il a conclu 19 ventes au 31/08/2016 alors qu’il a été absent pour maladie de février à juin
– la baisse de résultat n’est pas objectivée
– ayant été muté, il a dû reconstituer une clientèle.
Sur ce,
aux termes de l’article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. L’insuffisance professionnelle, si elle est établie au moyen d’éléments précis, peut constituer une telle cause même si aucune faute du salarié n’est établie. Se définissant comme son incapacité objective et durable à exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification elle se caractérise par une qualité défectueuse du travail due à une incompétence professionnelle, à une démotivation ou à une inadaptation à l’emploi. L’insuffisance de résultats ne pouvant constituer en tant que telle une cause de licenciement il appartient au juge de rechercher si les mauvais résultats d’un salarié procèdent de son insuffisance professionnelle.
Présentement, sont reprochés au salarié des faits de nature disciplinaire (l’usage du véhicule de fonctions le week-end, le non respect de la consigne en matière d’agenda) et une insuffisance professionnelle et de résultats.
En premier lieu, aucune pièce n’établit un usage abusif des notes de frais dont l’employeur ne fournit pas le moindre détail. Quand bien même quelques demandes de remboursement auraient concerné des frais de péage, il s’est agi de sommes modiques (1,20 euros par passage) et il lui était loisible de refuser de les rembourser. Toujours est-il que l’indélicatesse du salarié n’est pas avérée et que quand bien même celui-ci aurait cherché à faire prendre en charge par l’employeur les frais de péage jusqu’à [Localité 4], l’employeur l’y avait affecté illicitement et avait diminué brutalement le remboursement de ses frais de repas. La faute n’est donc ni caractérisée, ni en toute hypothèse de nature à justifier le congédiement. Ensuite, il n’est pas établi que postérieurement à l’avertissement, M.[I] ait continué à ne pas remplir l’agenda ICAR.
En ce qui concerne l’insuffisance de résultats, la cour observe qu’ayant muté M.[I] dans un nouveau secteur, la société PICARDIE POIDS LOURDS devait lui laisser un temps suffisant pour s’adapter. Même si aucune donnée objective n’est fournie sur les ventes effectuées par le salarié, il résulte de la lettre de licenciement qu’en 2014, il avait vendu 30 véhicules en 2015 et 19 à la date du 31/08/2016. Il en ressort que bien qu’ayant été absent pendant plusieurs mois, M.[I] a poursuivi le même rythme de ventes que les années précédentes et que ni l’insuffisance de résultats ni le désinvestissement ne sont établis.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a déclaré le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.
Compte tenu des effectifs de l’entreprise, de l’ancienneté de M.[I], de son âge, du revenu dont il a été privé (environ 3700 euros par mois avant revenus de remplacement), de ses qualifications, de ses difficultés relatives à retrouver un emploi et des justificatifs sur sa situation postérieure à la rupture, il convient de confirmer le jugement ayant fait une juste évaluation du préjudice moral et financier causé par la perte d’emploi injustifiée.
Les frais de procédure
L’appel ayant occasionné des frais qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de M.[I], la société intimée devra lui payer une somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Le jugement sera confirmé s’agissant de la somme allouée à ce titre.
Par ajout, il sera fait application de l’article L.1235-4 du code du travail.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
DIT que la cour est valablement saisie de l’appel interjeté par la société PICARDIE POIDS LOURDS
CONFIRME le jugement sauf ses dispositions ayant annulé l’avertissement et condamné l’employeur à des dommages-intérêts pour sanction injustifiée et non-respect de l’engagement de remboursement des frais de repas
Statuant à nouveau sur les dispositions infirmées et y ajoutant
CONDAMNE la société PICARDIE POIDS LOURDS à verser à M. [I] la somme de 3.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais d’appel
DEBOUTE M.[I] du surplus de ses demandes
ORDONNE que la société PICARDIE POIDS LOURDS remboursera à Pôle Emploi les allocations de chômage payées à M.[I], dans la limite de 6 mois
CONDAMNE la société PICARDIE POIDS LOURDS aux dépens d’appel.
LE GREFFIER
Serge LAWECKI
LE PRESIDENT
Marie LE BRAS
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