RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 21/01269 – N° Portalis DBVH-V-B7F-H72N
EM/EB
CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE D’AVIGNON
04 mars 2021
RG :19/00304
S.A.S. KP1
C/
[P]
Grosse délivrée le 13 JUIN 2023 à :
– Me LETENO
– Me JAPAVAIRE
COUR D’APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 13 JUIN 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’AVIGNON en date du 04 Mars 2021, N°19/00304
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Madame Evelyne MARTIN, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président
Madame Evelyne MARTIN, Conseillère
Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère
GREFFIER :
Mme Delphine OLLMANN, Greffier, lors des débats et Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier lors du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l’audience publique du 21 Mars 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 13 Juin 2023.
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.
APPELANTE :
S.A.S. KP1
[Adresse 6]
[Localité 2]
Représentée par Me Jean-luc LETENO, avocat au barreau de LYON
INTIMÉ :
Monsieur [A] [P]
né le 03 Avril 1964 à [Localité 4]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Karine JAPAVAIRE, avocat au barreau de NIMES
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 14 Février 2023
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 13 Juin 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
M. [A] [P] a été engagé par la Sas KP1, société spécialisée dans les sytèmes de construction pour les planchers, structures et ossatures de bâtiments à destination des entreprises, à compter du 15 février 2000 suivant contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de contremaître, Etam, coefficient 240 de la convention collective des industries carrières et matériaux.
Au dernier état de la relation contractuelle, il occupait le poste de responsable fabrication du site de [Localité 7], statut agent de maîtrise, niveau 7.
Par lettre du 11 février 2019, M. [A] [P] a été convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement fixé au 20 février 2019.
Par lettre du 26 février 2019, M. [A] [P] a été licencié pour faute grave après la découverte par la Sas KP1 de manquements qu’elle lui a imputés, qualifiés de graves, dans l’exécution de sa mission touchant à la sécurité des matériaux produits sous sa responsabilité ayant des conséquences directes sur la fiabilité desdits produits et comportant un risque pour l’intégrité physique des utilisateurs des bâtiments construits avec les poutrelles KP1.
Contestant la légitimité de la mesure prise à son encontre, M. [A] [P] a saisi le 09 juillet 2019 le conseil de prud’hommes d’Avignon en paiement d’indemnités de rupture et de diverses sommes, lequel, par jugement du 04 mars 2021, a :
– dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, et a condamné l’employeur au paiement de :
* 6930,20 euros au titre d’indemnité compensatrice de préavis,
* 693,02 euros de congés payés y afférent,
* 1627,03 euros au titre de rappel de salaire au titre de la mise à pied,
* 162,73 euros au titre des congés payés y afférent,
* 18 954,10 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
* 41 600 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné la remise d’un certificat de travail et d’une attestation Pôle Emploi conformes aux dispositions de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros ar jour de retard à compter de 15 jours après sa notification,
– dit qu’il n’y a pas lieu à exécution provisoire sauf celle prévue dans les conditions de l’article R1454-28 du code du travail,
– débouté les parties du surplus de leurs demandes,
– condamné la SAS KP1 aux entiers dépens.
Par acte du 29 mars 2021, la Sas KP1 a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Par ordonnance du 30 novembre 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 14 février 2023. L’affaire a été fixée à l’audience du 01 mars 2023 puis déplacée à l’audience du 21 mars 2023 à laquelle elle a été retenue.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 22 juin 2021, la Sas KP1 demande à la cour de :
– la recevoir en ses demandes, fins et conclusions,
– la déclarer bien fondée en son appel,
En conséquence :
– infirmer le jugement du conseil de Prud’hommes d’Avignon,
Et statuant à nouveau,
– dire et juger que son licenciement repose sur une faute grave,
– le débouter de ses demandes indemnitaires formulées de ce chef,
– condamner M. [A] [P] à lui payer : la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– le condamner aux entiers dépens,
A titre subsidiaire,
– dire et juger que son licenciement repose à tout le moins sur une cause réelle et sérieuse
– débouter M. [A] [P] de la demande de dommages et intérêts formulés à ce titre.
Elle soutient que :
– début 2019, le directeur du site de [Localité 7] avait été alerté par la présence sur le parc du site, de poutres qui avaient été déclarées non-conformes et dont la signalisation avait été retirée ; il s’agissait d’un élément impératif de sécurité ; sur ce type de poutres des étriers sont coulés lors de la fabrication et le 1er étrier qui est fondamental doit se situer dans une fourchette de distance précise, les étriers étant des éléments de sécurité fondamentaux qui garantissent l’ouvrage en cas de risque sismique ou d’incendie ; or, sur certaines poutres, où le premier étrier était trop éloigné du bord, M. [A] [P] a sciemment pris l’initiative de faire percer ces poutres et d’ajouter l’étrier en le fixant à l’aide d’un scellement chimique dans le but de dissimuler le défaut, ce qui fragilisait l’édifice, et en contradiction avec toutes les procédures et directives reçues ; dans tous les cas, le bureau n’aurait pas validé ce leurre comme remplaçant valablement l’original ; sur les 39 poutres, 11 ont dû être remises au rebut ; compte tenu de la gravité des faits, une mise à pied conservatoire a été notifiée à M. [A] [P] le 11 février 2019 ; l’attestation de M. [F] que le salarié a produite est caractéristique d’une attestation de complaisance, ce salarié étant lui-même en litige avec la société et est en contradiction avec les attestations qu’elle verse aux débats ; non seulement M. [A] [P] a reconnu pratiquer ce type de ‘retouche’, mais il les assumait totalement et ne peut aujourd’hui dire le contraire pour les besoins de la cause,
– si le conseil (sic) faisait droit à la demande de M. [A] [P], il y a lieu de relever que le salarié disposait d’une ancienneté d’un peu moins de 19 ans et en application du barème Macron, il pourrait se voir allouer une indemnité comprise entre 3 mois minimum et 14,5 mois ; M. [A] [P] ne démontre pas l’existence d’une raison objective qui pourrait justifier un déplafonnement du barème.
En l’état de ses dernières écritures contenant appel incident, M. [A] [P] demande à la cour de :
– débouter la SAS KP1 de son appel principal comme étant dénué de tout fondement,
– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf sur le quantum de l’indemnité de l’article L1235-3 du code du travail,
En conséquence :
– dire et juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– condamner la SAS KP1 au paiement des sommes suivantes :
* 6 930,20 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis représentant deux mois de salaire,
* 693,02 euros à titre d’incidence congés payés,
* 1 627,03 euros à titre de rappel de salaire au titre de la mise à pied,
* 162,70 euros à titre d’incidence congés payés,
* 18 954,10 euros à titre d’indemnité de licenciement,
– ordonner la remise d’un certificat de travail et d’une attestation Pôle Emploi, conformes aux dispositions de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de sa notification,
– recevoir son appel incident,
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a limité l’indemnité de l’article L1235-3 du code du travail à la somme de 41 600 euros,
Statuant à nouveau :
– condamner la SAS KP1 au paiement de la somme de 83 000 euros au titre de l’indemnité de l’article L1235-3 du code du travail,
– en tout état de cause, condamner la SAS KP1 au paiement de la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la SAS KP1 aux entiers dépens.
Il fait valoir que :
– il a contesté le motif retenu pour son licenciement par un courrier du 21 mars 2019 ; il appartient à l’employeur de justifier qu’il avait bien été informé de non-conformités et qu’il a donné un ordre de reprise sans l’aval du bureau d’études ; il produit une attestation de son supérieur hiérarchique qui explique qu’aucune non-conformité n’a été portée à la connaissance du service auquel il appartient, avant la réunion du 07 février et confirme qu’il n’a jamais donné un quelconque ordre de reprise des désordres affectant les poutres litigieuses, que parfois, compte tenu de l’activité soutenue de l’atelier, les chefs d’équipe prennent des décisions sans en référer à leur hiérarchie et sans être en conformité avec le process en vigueur ; l’employeur est incapable de citer dans la lettre de licenciement les références des repères de poutres qui ont présenté une non-conformité ; mise à part une attestation de M [N], aucune pièce n’a été communiquée susceptible de démontrer avec une parfaite objectivité qu’il ait été informé de la non-conformité des poutres litigieuses ; de son côté, il produit des captures d’écran du système informatique pour la période correspondant à la fabrication des poutres litigieuses, qui démontrent qu’aucun signalement de non-conformité n’a été transmis ni par le laboratoire ni par les bureaux d’études à son service ; il a agi en respectant toujours à la lettre les directives qui lui étaient données ; les contrôles avant coulage étaient peu fréquents et leur qualité peu fiable en raison d’un manque de compréhension par les contrôleurs ou de leurs surcharge de travail ; il est probable que ce soit le service finition qui ait pris l’initiative de reprendre les poutres ; l’attestation de M. [N] produite par l’employeur, n’est pas d’une grand fiabilité ; en réalité, son licenciement procède de la volonté de réduire la masse salariale, ce qui est confirmé par le fait qu’il n’a pas été remplacé ensuite de son départ ; si un doute subsiste, il doit profiter au salarié,
– l’article L1235-3 du code du travail est ‘inconventionnel’ de sorte que le montant maximum prévu par ces dispositions doit être écarté, ce plafonnement violant les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l’OIT et le droit à un procès équitable.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.
MOTIFS
Sur le licenciement :
S’agissant d’un licenciement prononcé à titre disciplinaire, si la lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les griefs formulés à l’encontre du salarié et les conséquences que l’employeur entend tirer quant aux modalités de rupture, il appartient au juge de qualifier les faits invoqués.
La faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et la poursuite du contrat. Il incombe à l’employeur qui l’invoque d’en rapporter la preuve.
La faute grave étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, la mise en oeuvre de la rupture du contrat de travail doit intervenir dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits allégués dès lors qu’aucune vérification n’est nécessaire.
Si l’article L1332-4 du code du travail prévoit en principe qu’aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur a eu connaissance, en revanche ce texte ne s’oppose à pas à la prise en considération d’un fait antérieur à deux mois dans la mesure où le comportement du salarié s’est poursuivi dans ce délai.
La faute grave libère l’employeur des obligations attachées au préavis. Elle ne fait pas perdre au salarié le droit aux éléments de rémunération acquis antérieurement à la rupture du contrat, même s’ils ne sont exigibles que postérieurement.
La gravité du manquement retenu est appréciée au regard du contexte, de la nature et du caractère éventuellement répété des agissements, des fonctions exercées par le salarié dans l’entreprise, un niveau de responsabilité important étant le plus souvent un facteur aggravant, de son ancienneté, d’éventuels manquements antérieurs et des conséquences de ces agissements en résultant pour l’employeur.
Le licenciement prononcé en raison de la faute disciplinaire du salarié doit respecter un délai maximum de deux mois entre la connaissance des faits et l’engagement de la procédure disciplinaire et un délai maximum d’un mois entre l’entretien préalable et la notification de la sanction, à défaut, le licenciement est irrégulier.
En l’espèce, la lettre de licenciement datée du 26 février 2019 qui fixe les limites du litige, énonce les griefs suivants :
‘ Le jeudi 7 février 2019, un agent de contrôle qualité sur le parc a découvert que des poutres R ont été modifiées par le scellement de tiges acier en extrémité de poutres.
Or, ces mêmes poutres avaient été déclarées non conformes par l’agent de contrôle, qui avait respecté l’ensemble de la procédure qualité : calepins correctement renseignés, étiquettes de couleur orange de non-conformité positionnées sur les poutres et information transmise oralement à l’encadrement ESL au quotidien.
En outre, à 4 reprises, Monsieur [B] [N], Responsable Contrôle Qualité, vous a informé de la non-conformité desdites poutres, lors des points production du matin à 9h.
Après analyse, nous avons constaté que ces poutres ont été retouchées suite à la non-conformité de positionnement du 1er étrier (trop éloigné du bord de la poutre). Cette démarche a été réalisée sans aucune autorisation, ni consigne préalable du bureau d’études, ce qui constitue un manquement grave aux règles élémentaires de notre process.
Nous avons investigué et constaté que du mardi 29 janvier 2019 au jeudi 7 février 2019, c’est au total 39 poutres non conformes qui ont été déclarées par le contrôle qualité.
Or, le 4 février 2019, 14 éléments non conformes ont été livrés sur chantier et 25 autres ont été retrouvés sur parc sans l’étiquette orange de non-conformité, dont 9 avaient été retouchés par l’ajout d’un faux étrier.
Nous vous rappelons que si des réparations sur nos produits sont parfois possibles, c’est à la condition exclusive d’avoir été validées préalablement par le bureau d’études qui doit vérifier la faisabilité et la conformité et préconiser la réparation à effectuer. En l’espèce, cela n’a pas été le cas, ce qui constitue une faute grave.
En outre, après analyse de ces réparations par Monsieur [X] [G], Responsable du Bureau d’Etudes, il apparait que ces modifications ont accentué la fragilité mécanique des poutres et que cette opération de dissimulation pouvait entraîner un risque majeur de rupture sur le chantier, pendant la phase de montage/scellage ou d’exploitation. Si le bureau d’études avait été consulté préalablement, il n’aurait pas validé l’ensemble des retouches effectuées, ce qui aurait évité la livraison des 2 poutres non conformes.
Au-delà de l’impact pour notre société, c’est un acte entraînant la mise en danger de la santé voire de la vie d’autrui.
Nous vous rappelons ci-dessous, la chronologie des faits.
* Mardi 29 janvier 2019 : 6 poutres déclarées non conformes
* Mercredi 30 janvier 2019 : 2 poutres NC
* Jeudi 31 janvier 2019 : 4 poutres NC
* Vendredi 1 février 2019 : 5 poutres NC
* Lundi 4 février 2019 : 6 poutres NC
* Mardi 5 février 2019 : 12 poutres NC
* Mercredi 6 février 2019 : 1 poutre NC
* Jeudi 7 février 2019 : 3 poutres NC
Nous vous rappelons que Monsieur [B] [N] vous a informé des non conformités lors des points production du matin les vendredi 1er février, mardi 5 février, mercredi 6 février et jeudi 7 février 2019.
Ce même jour, dans l’après-midi, Monsieur [N] a été informé par son contrôleur de la présence sur parc, de poutres modifiées. Il vous a immédiatement alerté en vous présentant des photos, il s’en est suivi la conversation suivante :
C. [N] : ‘[A] trouves-tu cela normal ces modification »
L. [P] : ‘oui cela fait des années que l’on effectue ce type de réparation, je l’assume’
C. [N] : ‘cela touche l’intégrité du produit’
L. [P] : ‘que veux-tu, tout mettre au déchet ‘ Cela fait des années que l’on fait ainsi et cela n’a jamais posé de problème’
C. [N] : ‘je vais voir le bureau d’étude pour les informer’
L. [P] : ‘libre à toi’
Le Vendredi 8 février matin, après avoir été informé des faits, [U] [D] vous a demandé des explications sur cette situation et vous avez confirmé avoir donné l’ordre de faire modifier les poutres déclarées non conformes. Vous avez même réaffirmé avoir toujours pratiqué ainsi et qu’aucune des poutres modifiées n’avait jamais cassé.
Bien évidemment, l’absence d’antériorité d’accident ne peut être assimilée à une garantie de conformité des produits.
Lors de l’entretien préalable, vous avez dit ne pas avoir été informé des problèmes évoqués ci-dessus, tout en confirmant être responsable de ces non-conformités en tant que responsable du service impliqué, ce qui constitue déjà un changement de version, laquelle est d’ailleurs contredite par les témoignages que nous avons recueillis.
Vous nous avez également répété que vous alliez nous écrire pour préciser votre position.
Postérieurement à l’entretien, nous avons effectivement réceptionné votre courrier, qui globalement réitère vos propos tenus lors de l’entretien préalable et votre position de contestation de toute faute.
Contrairement à vos écrits, nous tenons à préciser que la procédure de mise à pied à titre conservatoire nous semble tout à fait justifiée eu égard à la gravité des faits reprochés.
Les faits ont été découverts en partie le 7 février, confirmé le 8 février et la procédure a été enclenchée le 11 février.
Nous avons également interviewé les différents salariés impliqués dans ce dossier qui nous confirment, y compris au moyen d’attestations, les propos tenus et la réalité des faits décrits ci-avant.
Il n’y a aucun doute possible, vous étiez informé des problèmes sur les poutres et vous avez donné les instructions pour les réparer, en violation des procédures élémentaires de notre profession et de notre société.
Enfin, nous n’avons jamais contesté le fait que les réparations sur les poutres étaient possibles, mais elles doivent impérativement être validées préalablement par le Bureau d’Etudes, ce que vous n’avez pas fait.
Nous avons ainsi dû contacter les clients pour leur demander de ne pas poser les poutres non-conformes le temps de l’analyse, ce qui a été fait le 8 février après-midi et le 9 février.
Ces calculs faits, il en ressort que 2 poutres qui avaient été livrées sur les chantiers ont été déclarées non-conformes, ce qui est très grave. Ces poutres ont été démontées du chantier, détruites, re-fabriquées et re-livrées.
Enfin, sur les 25 poutres qui étaient encore stockées sur notre parc, 9 ont été déclassées et re-fabriquées.
En conclusion, les explications que vous nous avez fournies, tant lors de l’entretien préalable que par écrit postérieurement, ne nous ont pas amenés à reconsidérer la décision que nous projetions de prendre. En effet, nous n’avons jamais cautionné de telles pratiques que nous découvrons sachant que de surcroît les directives du Service Contrôle qualité étaient extrêmement claires.
Votre attitude est d’autant plus inadmissible que quelques mois auparavant, Monsieur [D] avait été amené à refaire un rappel aux 3 responsables de fabrication du site de [Localité 7] sur l’interdiction absolue de toucher à un produit sans passer par le Bureau d’études, dès lors que celui-ci avait été identifié comme non conforme.
En outre, compte tenu de votre ancienneté et de votre expertise, vous ne pouviez ignorer les conséquences de vos actions fautives.
Cette situation ne peut perdurer, sans remettre en cause la pérennité de notre société dans sa capacité à fabriquer et à livrer des produits de qualité, dans le respect des cahiers des charges et des délais.
En conséquence, compte tenu de la gravité de ces faits, votre licenciement pour faute grave intervient à la date d’envoi de cette lettre (…)’.
La Sas KP1 soutient que le licenciement pour faute grave est justifié et produit à cet effet:
– une attestation établie par M. [X] [G], responsable du bureau d’études : ‘j’ai croisé M. [A] [P] dans le couloir devant le bureau du directeur d’usine M. [U] [D]. Il était accompagné de M. [S] [F], le responsable de production. Nous avons discuté des photos qui avaient été remontées par les contrôleurs. Photos qui faisaient visualiser que le premier étrier de la poutre avait été remplacé par un acier scellé à la résine. J’ai expliqué que ce premier étrier était très important et qu’il fallait être vigilant sur son bon positionnement. Que dans tous les cas si cet étrier était oublié ou décalé le bureau d’études devait être au courant pour valider ou non la poutre. Et qu’il fallait surtout pas sceller un bout d’acier pour le remplacer. Sur cette explication, M. [A] [P] m’a dit que ‘ce n’était pas un étrier qui tenait la poutre, que cela faisait plusieurs années que ce genre de réparation était faite, et que ses poutres tenaient’ ; une seconde attestation : ‘lors d’une discussion entre M. [A] [P], [S] [F] et moi-même, discussion qui a eu lieu dans les couloirs des bureaux KP1… M. [A] [P] nous a signifié à M. [F] et moi-même que cela faisait plusieurs années que cette pratique de réparation était utilisée et validée par lui ; réparation qui n’a jamais été validée par le bureau d’études’,
– une attestation de M. [B] [N], responsable contrôle qualité ‘le contrôleur…a identifié 39 poutres non-conformes entre le 29 janvier et le 7 février 2019 ; il a isolé ces produits avec des étiquettes orange contrôle qualité, il a informé oralement l’équipe encadrement ESL, il a identifié les défauts sur les calepins qualité , il a créé des fiches non-conformité dans le logiciel qualité ; j’ai informé M. [A] [P] lors de notre point production matin des non-conformités identifiées,le vendredi 1er février, mardi 5 février, mercredi 6 février et jeudi 7 février. Le 7 février j’ai été informé..de la présence sur le parc de poutres modifiées ; j’ai appelé M. [A] [P] …dans la foulée et j’ai montré les photos de produits retouchés ; s’en est suivi la conversation suivante (reprise dans la lettre de licenciement ).’ ; une seconde attestation dans laquelle il indique M. [A] [P] lui avait confirmé sa démarche : modifier le produit lui-même si ceci touche son intégrité est normale et cela fait des années qu’il fait ainsi et cela n’a jamais posé de problème et que M. [F] n’a jamais témoigné ni affirmé que ce n’est pas la faute à M. [A] [P],
– une attestation de M. [U] [D], directeur d’usine : ‘…j’ai été amené à plusieurs reprises à m’entretenir avec M. [A] [P] en présence de M. [F]…Durant ces échanges, à aucun moment M. [F] a indiqué que M. [A] [P] n’était pas responsable et non informé. Bien au contraire, M. [F] à plusieurs reprises a indiqué être effaré des propos de M. [A] [P] qui indiquait avoir toujours pratiqué ainsi face à des poutres non conformes’,
– une attestation de M. [I] [M], ouvrier animateur d’équipe ‘depuis le démarrage de R4… beaucoup de poutres avaient un problème de ferraillage j’avais l’information que le Cerib allait être là ; j’ai croisé M. [A] [P] ; il m’a donné l’ordre de les percer comme cela le Cerib ne verra rien ; tout ce que j’ai fait a été fait selon ses ordres de travail’,
– un document manuscrit dans lequel M. [C] [R] indique avoir apposé des étiquettes orange ‘contrôle qualité’ sur tous les produits non- conformes entre le 29/01/2019 et le 07/02/2019,
– une lettre d’avertissement du 22 juin 2018 adressée à M. [A] [P] se rapportant à des faits commis le 09 mai 2018 suite à un emportement vis-à-vis de son supérieur hiérarchique dans l’atelier et à son absence à une réunion programmée,
– un courriel de M. [D] du 18/02/2019 dont les termes ont été repris en grande partie dans la lettre de licenciement,
– un courriel de M. [S] [F] le 09/05/2018,
– un document se rapportant au ‘mode opératoire de la Sas KP1″ qui précise qu’une autorisation préalable du BE est nécessaire concernant notamment la mauvaise répartition des étriers, une position transversale ou une position verticale (…),
– une déclaration de non-conformité sur Quasar le 19/02/2019 sur le site de [Localité 5] description du défaut ‘Livaison de deux poutres (fabriquées le 29/01/2019) non-conformes à tort’ et des documents photographiques de plusieurs poutres comportant des étriers métalliques.
M. [A] [P] conteste avoir été informé de ces non-confirmités et avoir agi personnellement ou avoir donné l’ordre pour les modifier. A l’appui de sa contestation, il verse aux débats :
– une attestation de M. [S] [F], son responsable hiérarchique depuis le 07 avril 2017 ‘…je n’ai pas connaissance de poutres déclarées non-conformes pour mauvais positionnement des étriers…avant le 07 février 2019 en fin d’après midi…aucune déclaration de non-conformité n’avait été renseignée pour le secteur de M. [A] [P] depuis le 22 janvier 2019 par le service qualité dans notre système informatique Quasar ; ceci est une grosse défaillance du service qualité car les poutres sont informatiquement en statut disponibles pour les expéditions et aucun service support tel que la planification ou le bureau d’études n’est informé, ce qui va forcément engendrer des problèmatiques clients…aucune information ne m’a été remontée en réunion quotidienne sur ce problème ( j’ai été absent à celle du 31/01/2019 et à celle du 04/02/2019) qui aurait pu être cadré et corrigé dans la foulée pour limiter l’ampleur du nombre de poutres touchées…’,
– une attestation de M. [U] [Z], contremaître de production : ‘chef de poste et subordonné de M. [A] [P] au moment des faits…nous avions à ce moment là une charge et des conditions de travail assez pénibles…qui nous obligeaient à déléguer à nos chefs d’équipes qui travaillent dans le notre secteur ESL une partie de l’activité du secteur. Ils prennent parfois des décisions sans en référer à leur hiérarchie en se basant sur leurs expériences ainsi que les us et coutumes qui parfois ne correspondant plus du tout à nos process et aux normes en vigueur…les réparations d’abouts de poutre R en perçant le béton ont été décidées par l’équipe finition sans consultation de leur hiérarchie…le lundi matin de la sortie de M. [A] [P], M. [D] a demandé en réunion qui avait donné l’ordre de réparer ‘ Et toutes les personnes… ont répondu qu’il n’y avait eu aucun ordre de réparation. Ni moi ni M. [A] [P] n’avons ordonné ces réparations’,
– des captures d’écran d’un logiciel Quazar sur lesquels apparaissent les messages échangés entre 1er et le 08 février 2019,
– une attestation de M. [E] qui indique que M. [A] [P] n’avait reçu aucune information via le logiciel Quazar de ce que les poutres n’étaient pas conformes, mettant en évidence ainsi une faille dans le contrôle qualité ; il indique par ailleurs qu’avec la ‘grande quantité de chantiers en commande, il leur arrivait d’avoir des plans de fabrication avec parfois des erreurs entre les différentes vues sur plan ou des côtes manquantes..quand c’était M. [A] [P] il’ les ‘en informait immédiatement pour’ leur ‘demander de’ s’ ‘adapter aux nouvelles exigences des BE, qu’à ‘d’autres moments, il’ leur ‘demandait de stopper la fabrication jusqu’à ce qu’une décision du BE soit prise…’.
Il résulte des éléments qui précèdent que:
– d’une part, la réalité des non-conformités concernant plusieurs poutres fabriquées le 29 janvier 2019 par le site de [Localité 7] dont M. [A] [P] était le responsable de production n’est pas sérieusement contestée par les parties,
– d’autre part, si M. [U] [F] indique ne pas avoir été informé par l’existence de ces non-conformités avant le 07 février 2019, il convient de relever qu’il a précisé cependant avoir été absent du 31 janvier au 04 février ; cette attestation ne contrevient pas, par ailleurs, au fait que son subordonné, M. [A] [P] ait pu recevoir cette information personnellement ; de même, l’absence de renseignement ou le retard pris par le service qualité pour renseigner le logiciel Quasar de ces non-conformités n’exclut pas que M. [A] [P] en ait été informé oralement et directement ; M. [A] [P] conteste avoir reçu l’information, cependant, l’attestation du responsable qualité est précise et circonstanciée puisque ce dernier affirme l’avoir rencontré à plusieurs reprises à l’occasion de réunions, les vendredi 1er février, mardi 5 février, mercredi 6 février et jeudi 7 février, et avoir évoqué avec lui ces difficultés ; dans un courrier de M. [A] [P] produit par l’employeur, le salarié ne conteste pas avoir rencontré le chef du laboratoire le 07 février 2019 avec lequel il s’est entretenu et qui lui a simplement ‘confirmé qu’aucun rapport n’avait été envoyé’, laissant ainsi penser qu’ils avaient bien abordé le problème concernant les poutres non-conformes, puisque le salarié n’apporte pas d’autres explications sur l’origine et la nécessité de transmission d’un rapport ; par ailleurs, le contrôleur confirme avoir apposé des étiquettes de couleur orange sur les poutres non-conformes entre le 29 janvier et le 07 février 2019 confortant ainsi les déclarations de M. [B] [N],
– enfin, même si M. [U] [Z], dont l’attestation n’est pas circonstanciée, affirme que c’est l’équipe finition qui a procédé aux réparations litigieuses, et qu’aucun salarié à la demande de M. [D] n’a indiqué qui était à l’origine de cet ordre, il n’en demeure pas moins que cette attestation est contredite par celle de M. [I] [M] qui est précise et selon laquelle il s’agit bien de M. [A] [P] qui lui a donné l’ordre de percer les poutres pour que l’organisme de contrôle ne s’aperçoive de rien ; cette attestation conforte celle de M. [U] [D] dans laquelle il a repris les propos tenus par M. [U] [F] : M. [A] [P] pratiquait de la sorte ‘face des poutres non conformes’ ; or, il n’est pas contesté que ces réparations n’ont pas obtenu l’autorisation préalable du bureau d’études et ce, contrairement au mode opératoire déterminé par la Sas KP1.
Il s’en déduit que les griefs invoqués par la Sas KP1 à l’encontre de M. [A] [P] dans la lettre de licenciement sont établis.
Compte tenu des incidences importantes des réparations ‘de fortune’ ainsi réalisées sur plusieurs poutres non-conformes et sans l’aval du bureau d’études, portant sur la qualité et la sécurité des ouvrages sur lesquelles ils reposent, les faits reprochés à M. [A] [P] constituent manifestement une faute grave.
Le licenciement de M. [A] [P] pour faute grave est donc justifié.
M. [A] [P] sera en conséquence débouté de l’ensemble de ses prétentions et le jugement entrepris infirmé en ce sens .
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière prud’homale et en dernier ressort ;
Infirme le jugement rendu par le conseil de prud’hommes d’Avignon le 04 mars 2021,
Statuant sur les dispositions réformées et y ajoutant,
Déboute M. [A] [P] de l’intégralité de ses prétentions,
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,
Rejette les demandes plus amples ou contraires,
Condamne M. [A] [P] aux dépens de la procédure d’appel,
Arrêt signé par le président et par la greffiere.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
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