COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
21e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 13 AVRIL 2023
N° RG 21/01055 – N° Portalis DBV3-V-B7F-UNZL
AFFAIRE :
[R] [O]
C/
S.A.S. SOCIETE HOTELIERE DE [Localité 4] ET D’INVESTISSE MENTS…
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 Février 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE
N° Chambre :
N° Section : C
N° RG : F 18/02397
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Maud MIALLON
Me Laurent LIGIER de la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TREIZE AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur [R] [O]
né le 26 Avril 1973 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Maud MIALLON, constituée, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0223
APPELANT
****************
S.A.S. SOCIETE HOTELIERE DE [Localité 4] ET D’INVESTISSE MENTS prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège
N° SIRET : 752 838 409
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Laurent LIGIER de la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS, constitué, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 1983 – N° du dossier 21.0103 –
Représentée par Me Laurence MURE-RAVAUD de la SELARL ELYAS AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 821, substituée par Me Véronique ROUBINE, avocate au barreau de LYON.
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 28 Février 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Véronique PITE, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,
Mme Florence SCHARRE, Conseiller,
Madame Véronique PITE, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE, et Maxime PLANCHENAULT, greffier stagiaire.
FAITS ET PROCEDURE
M. [R] [O] a été engagé, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 23 mai 2016, en qualité de réceptionniste de nuit, statut employé, par la société à responsabilité limitée Datel (laquelle a été absorbée, en juin 2017, par la société par actions simplifiées société hôtelière de [Localité 4] et d’investissements), qui gère l’hôtel Ibis à [Localité 4] et relève de la convention collective nationale des hôtels, cafés et restaurants.
M. [O] a été convoqué le 17 mai 2017 à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire, fixé au 23 mai suivant.
Convoqué le 23 mai 2017 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 1er juillet suivant, et mis à pied à titre conservatoire, M. [O] a été licencié par lettre du 7 juin 2017, énonçant une faute grave.
Contestant son licenciement, M. [O] a saisi, le 21 septembre 2018, le conseil de prud’hommes de Nanterre aux fins de contester son licenciement et condamner la société au paiement de diverses sommes de nature indemnitaire ou salariale.
La société s’est opposée aux demandes du requérant et a sollicité sa condamnation au remboursement des primes versées par erreur et au paiement d’une somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement rendu le 8 février 2021, notifié le 9 mars 2021, le conseil a statué comme suit :
Dit que le licenciement pour faute grave de M. [O] est justifié,
Déboute M. [O] de l’ensemble de ses demandes,
Déboute la société hôtelière de [Localité 4] et d’investissements de sa demande de remboursement de prime.
Condamne M. [O] à verser à la société hôtelière de [Localité 4] et d’investissements la somme de 100 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamne M. [O] aux éventuels dépens.
Le 8 avril 2021, M. [O] a relevé appel de cette décision par voie électronique.
Selon ses dernières conclusions, remises au greffe le 2 juillet 2021, M. [O] demande à la cour d’infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil des prud’hommes de Nanterre et de le déclarer recevable et bien-fondé dans son action, et en conséquence :
Fixer la moyenne des salaires à la somme de 1 920,08 euros bruts
Déclarer son licenciement abusif
Condamner la société hôtelière de [Localité 4] et d’investissements au paiement des sommes suivantes:
o Rappel de mise à pied conservatoire :993,69 euros bruts
o Congés payés afférents : 99,37 euros bruts
o Indemnité de préavis : 1 920,08 euros bruts
o Congés payés afférents : 192 euros bruts
o 13ème mois : 1 920,08 euros bruts
o Congés payés afférents : 192 euros bruts
o Rappel de prime de nuit : 842,40 euros
o Congés payés afférents : 84,24 euros
o Dommages et intérêts pour licenciement abusif : 11 500 euros
o Article 700 du code de procédure civile : 2 000 euros
Avec intérêt légal à compter de la décision à intervenir
Ordonner la remise du certificat de travail Pôle Emploi et solde de tout compte conformes sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document.
Condamner la société intimée aux entiers dépens
Débouter la société intimée de ses demandes reconventionnelles.
Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 20 octobre 2022, la société hôtelière de [Localité 4] et d’investissements demande à la cour de :
I – Sur le bienfondé du licenciement
A titre principal :
Confirmer le jugement du 8 février 2021 du conseil de prud’hommes de Nanterre en ce qu’il a jugé que le licenciement pour faute grave de M. [O] était bien fondé
En conséquence
Débouter M. [O] de ses demandes
A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour devait écarter l’existence d’une faute grave: Juger que le licenciement de M. [O] repose à tout le moins sur une cause réelle et sérieuse
En conséquence
Rejeter la demande de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse formulée par M. [O]
A titre infiniment subsidiaire :
Ramener l’indemnisation pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse à verser le cas échéant à M. [O] à hauteur de 11 166 euros
II ‘ Sur l’exécution du contrat de travail
Confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [O] de l’ensemble de ses demandes
Reformer le jugement du 8 février 2021 du conseil de prud’hommes de Nanterre en ce qu’il a rejeté sa demande de remboursement au titre des primes de nuit indument versées
Et, statuant à nouveau :
Dire et juger bien fondée sa demande de remboursement
Condamner M. [O] au remboursement de la somme de 706,80 euros nets au titre des primes versées par erreur
En tout état de cause
Reformer le jugement du 8 février 2021 du conseil de prud’hommes de Nanterre en ce qu’il a condamné M. [O] à verser la somme de 100 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
Et, statuant à nouveau :
Condamner M. [O] au paiement d’une somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile de première instance et d’appel
Rejeter toutes les demandes plus amples ou contraires de M. [O]
Condamner le même aux entiers dépens
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.
Par ordonnance rendue le 1er février 2023, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 28 février 2023.
MOTIFS
I – Sur le licenciement
La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi libellée :
« Nous faisons suite à l’entretien préalable du 1er juin 2017 auquel vous avez été convoqué par courrier remis en main propre le 23 mai 2017 et pendant lequel vous étiez assisté de Monsieur [F] [T], Conseiller du salarié.
Au cours de cet entretien, nous vous avons fait part des raisons qui nous amenaient à envisager votre licenciement et que nous vous rappelons ci-après :
Vous faites partie de notre entreprise depuis le 23 mai 2016 en qualité de réceptionniste de nuit, catégorie employé, ce qui implique principalement :
– D’assurer la sécurité de l’hôtel, vérifier la bonne fermeture des accès extérieurs (SAS, portail parking, porte accès parking, porte de secours, porte cuisine économat et salle de réunion) ;
– D’établir un compte-rendu et de passer les consignes au réceptionniste qui prend la relève ;
– De nettoyer et préparer les salles de réunions en fonction des demandes des clients ;
– De préparer le buffet petit déjeuner ;
– De répondre aux mails et aux téléphones ;
– D’assurer le service du bar et des encas ;
– Laisser le bar et restaurant propre pour ces collègues et clients ;
– Rangement des livraisons pendant ces heures de services ;
– Faire la clôture journalière (PMS, VG, TPE).
L’accomplissement de ces missions doit naturellement s’inscrire dans le respect des règles de fonctionnement de l’entreprise, ce qui implique non seulement de réaliser vos tâches loyalement et selon les directives émanant de votre hiérarchie, mais également d’adopter un comportement correct et exempt de tout débordement envers vos collègues ainsi que la Direction de l’entreprise.
Or, nous avons appris le 16 mai 2016, que vous aviez adopté un comportement particulièrement déplacé et irrespectueux envers Madame [Z] [G] [L], Chef de réception.
Tout a commencé à son arrivée, aux alentours de 6h45 dans la mesure où vous avez refusé de lui répondre alors qu’elle venait de vous saluer.
Votre comportement fautif s’est poursuivi lorsqu’elle vous a demandé qui étaient les clients installés en salle de petit déjeuner puisque vous avez, ici encore, refusé de lui répondre.
Interloquée par votre mutisme, Madame [Z] [G] [L] a dû vous signaler que vous ne pouviez vous permettre de lui manquer de respect, en ne répondant à aucune de ses paroles ou questions.
Vous vous êtes alors emporté, en hurlant : « Je te dirai pas ‘bonjour’, je te parlerai pas, je te passe les consignes, c’est tout !! ».
Vous ne vous en êtes malheureusement pas arrêté là.
En effet, et voyant qu’elle n’arriverait pas à communiquer avec vous de manière constructive, Madame [Z] [G] [L] a préféré regagner son bureau, en commençant par faire du rangement et du classement.
Vous avez alors surgi dans son bureau en lui interdisant de manière particulièrement virulente de toucher à votre sac à dos qu’elle venait de déplacer pour accéder à la boite d’archives.
Pire, et alors qu’elle tentait de quitter son bureau, vous lui avez barré le passage, essayant de l’intimider, puis avez menacé d’appeler la police pour vous plaindre du fait qu’elle « venait de toucher [votre] sac ».
Vous l’avez ensuite rejoint à la réception alors qu’elle était en train d’appeler le service technique Accor pour un problème de notre logiciel de réservation et avez encore essayé de l’intimider, lui demandant de manière menaçante si elle « voulait avoir des problèmes avec [vous] ».
Lorsque Madame [Z] [G] [L] vous a instamment demandé de la laisser travailler, vous l’avez bousculée pour récupérer le combiné et avez raccroché violemment, alors qu’elle était encore en ligne pour résoudre le problème technique sur notre logiciel de réservation.
Particulièrement ébranlée par votre comportement et vos propos agressifs et menaçants, Madame [Z] [G] [L] nous a instamment demandé, dans la matinée, de prendre les mesures permettant d’assurer sa sécurité et celle des clients, d’autant qu’elle nous a précisé que vous aviez déjà adopté une attitude déplacée et agressive à son encontre la semaine précédant ces débordements.
Suite à ces débordements, nous avons été contraints de vous convoquer à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire, entretien fixé au 23 mai 2017 à 6h30.
Or, le 23 mai 2017, vous avez réitéré les comportements fautifs déjà relevés et sur lesquels nous souhaitions revenir avec vous.
Ainsi, lors de son arrivée à l’hôtel et alors que Monsieur [V] [S], Directeur, vous tendait la main, vous avez ostensiblement refusé de le saluer, devant témoin.
Lorsque Monsieur [V] [S] vous a rappelé qu’il devait vous rencontrer à 6h30, mais qu’il souhaitait, avant, de faire le point avec vous sur l’activité de la veille, vous avez refusé de répondre à ses interrogations légitimes et de le suivre dans son bureau.
Stupéfait, Monsieur [V] [S] vous a alors demandé comment vous envisagiez vos relations de travail, en soulignant qu’un minimum d’échanges était indispensable au bon fonctionnement de l’hôtel.
Dans la mesure où vous persistiez dans le mutisme le plus complet, en rejetant ostensiblement toute tentative de communication de la part de votre hiérarchie, et en vous éloignant du bureau de Monsieur [V] [S] alors qu’il venait justement de vous inviter à le rejoindre, celui-ci, profondément interloqué par la situation et n’ayant jamais été confronté à un tel comportement depuis sa nomination en qualité de Directeur, a finalement préféré couper court à toute tentative d’échanges, avant de nous saisir de vos derniers écarts, ce qui nous a contraint à envisager à votre égard une mesure de licenciement et à vous convoquer à un nouvel entretien.
En définitive, il en ressort que vous êtes totalement incapable d’entretenir des relations courtoises et professionnelles avec vos collègues et votre hiérarchie, votre comportement passant du mutisme le plus complet à l’ignorance, l’irrespect, l’agressivité ou encore les menaces et les tentatives d’intimidation.
Vous comprendrez que votre attitude particulièrement fautive et s’inscrivant en dehors des règles de fonctionnement de la société, ne peut pas être tolérée compte tenu de l’ambiance délétère et des difficultés de communication et de fonctionnement qu’elle engendre.
Dans ces conditions, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave dans la mesure où vos agissements sont tout à fait incompatibles avec la poursuite d’une activité professionnelle au sein de l’entreprise. »
Sur la cause du licenciement
M. [O] fait valoir la prescription des faits fautifs du 16 mai 2016 en application de l’article L.1332-4 du code du travail. Il dispute la valeur probante des attestations adverses non autrement corroborées. Il considère que ses réclamations salariales, concomitantes, sont cause de son licenciement, et fait valoir que la décision de licenciement prise avant sa notification, ainsi qu’en témoigne l’offre publique de son poste avant celle-ci, le prive de toute cause.
Notant que le salarié devait rendre compte et passer les consignes au réceptionniste prenant la relève, la société, qui plaide l’attitude conflictuelle et discourtoise d’habitude de M. [O] évoluant vers l’insubordination et l’agression de ses supérieurs en dépit de mises en garde, soutient les griefs énoncés dans sa lettre de licenciement dont elle administre, selon elle, la preuve objective, d’autant plus incompatibles avec la poursuite d’une relation normale de travail que l’employeur est obligé de veiller sur la santé de ses collaborateurs.
Selon l’article L.1235-1 du code du travail, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du code du travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. L’employeur doit rapporter la preuve de l’existence d’une telle faute, et le doute profite au salarié.
Cela étant, l’article L. 1332-4 du code du travail exprime qu’aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.
Si la lettre de licenciement fixe au 16 mai 2016 les premiers faits reprochés, la société plaide l’erreur de plume.
Or, il ressort des mails de M. [O], de Mme [G] [L], de M. [S] du 16 mai 2017, de l’attestation de Mme [G] [L] du 26 mars 2019 les relatant que l’altercation entre cette dernière et l’appelant survint le 16 mai 2017 et non le 16 mai 2016 comme la lettre de licenciement l’énonce, au reste en contradiction avec la période, moindre, qu’a durée la relation de travail, en sorte que le moyen tiré de la prescription disciplinaire manque en fait.
Ensuite, Mme [G] [L] expose, de manière concordante, dans son mail et son attestation, que sollicitant la passation des consignes à sa prise de poste en suite du salarié, ce dernier, d’abord muet, lui répondit ne souhaiter ni la saluer, ni lui parler, puis l’ayant suivie l’agressa verbalement dans les conditions énoncées par l’employeur dans sa lettre, qu’après avoir gêné son passage, il la suivait encore, la menaçait, la bousculait « très violemment » et raccrochait le combiné dont elle faisait usage, et qu’elle avait été effrayée, s’étant sentie en danger.
Si M. [O] souligne sa subjectivité, il n’en reste pas moins que la preuve est libre, et que ce témoignage, précis et circonstancié, est corroboré par le mail adressé par l’intéressée dès la survenance des faits dénoncés, relayé par le directeur. Il fait au demeurant écho au discours de M. [S] dans son attestation du 20 mars 2019, sur de précédentes doléances de Mme [G] [L] à l’égard de son collègue « peu coopératif et mutique », qu’il avait dû recadrer le 14 février puis le 4 avril, et qui faisait constat qu’après la promotion de celle-ci en avril « la relation de travail s’est alors considérablement détériorée », « qu’il a commencé à adopter un comportement d’opposition systématique à l’égard de Mme [G] [L] (refusant de la saluer, refusant de lui répondre). »
Par ailleurs, le 23 mai 2017, M. [S] expose par mail, dans les mêmes termes que ceux reprochés dans la lettre, s’être heurté à l’hostilité ostensible et muette de son collaborateur, ce qu’il confirme par attestation du 19 mars 2019. Il ajoute en avoir été « choqué », « bouleversé et surpris », d’autant plus que le salarié appelait la police, qui se déplaça, dans les suites immédiates de leur entretien avorté.
Sa relation est corroborée dans le détail par celles de Mme [H], réceptionniste, des 19 mars 2019 et 17 août 2021, qui certifie sa présence niée par M. [O] au seul motif du planning prévoyant son embauche un peu décalée, et évince son argument tenant à l’agressivité du directeur, qu’elle dit au contraire avoir été « déboussolé » et « poli ».
Cela étant, l’employeur justifie suffisamment des faits objectifs reprochés à M. [O], peu important qu’il émit dans le même temps diverses revendications salariales, le surplus de ses arguments étant sans portée.
Parce que, déjà prévenu à plusieurs reprises, il adopta un comportement réitéré hostile voire menaçant envers sa hiérarchie dans le contexte d’une petite structure hôtelière, créant « une drôle d’ambiance » selon Mme [H], même un sentiment de peur, de nature à gêner la continuité du service, la gravité de la faute, manifestée par l’impossible poursuite de la relation de travail, doit être considérée acquise. Le jugement sera confirmé en ce qu’il a dit que le licenciement pour faute grave de M. [O] est justifié, et qu’il a rejeté ses prétentions subséquentes.
II ‘ sur l’exécution du contrat de travail
Sur la prime de 13ème mois
M. [O] fait valoir l’égalité de traitement entre les employés placés dans une même situation, en relevant que d’autres percevaient cette prime.
En application du principe à travail égal, salaire égal, l’employeur est tenu d’assurer l’égalité de rémunération entre tous les salariés pour autant que ceux-ci sont placés dans une situation identique.
Il appartient au salarié invoquant une atteinte à ce principe de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, et il incombe à l’employeur de rapporter la preuve d’éléments objectifs et matériellement vérifiables justifiant cette différence.
En l’occurrence, M. [O] fait valoir le nom de plusieurs employés dont l’ancienneté remonte pour le plus récent au 21 septembre 2012, ayant droit, selon lui, à la prime de 13ème mois, que ne conteste pas l’employeur qui en donne pour fondement l’accord collectif annuel de 2001 du GIE des hôtels Ibis, instituant une prime de 13ème mois.
Il est par ailleurs constant que M. [O] ne la perçoit pas.
Pour s’en justifier, la société fait valoir la cession du fonds de commerce le 1er octobre 2012, et la survie des avantages sociaux durant 18 mois échus le 30 mars 2014, aux termes d’un avenant du 16 décembre 2010. Elle exprime que le salarié a été engagé après ce terme, le 23 mai 2016, si bien qu’il n’était pas éligible à la prime réclamée. Elle considère qu’ainsi les différences de traitement entre les salariés sont justifiées au regard des dispositions de l’article L.1224-1 du code du travail.
Cela étant, l’avenant du 16 décembre 2010 régit les modalités d’accompagnement et le transfert des salariés des hôtels cédés du groupe Accor en application de l’article L.1224-1 du code du travail dont le « GIE des hôtels Ibis », et son article 10 précise qu’« en cas de mise en cause, les conventions et accords collectifs applicables au sein de l’établissement continuent de produire effet en faveur des salariés transférés jusqu’à l’entrée en vigueur du ou des accords de substitution, qui seraient conclus avec le cessionnaire » « qu’ils continuent de produire effet pendant une durée d’un an (postérieure au préavis d’une durée de trois mois) » et qu’« à l’issue du délai de survie légal ou conventionnel, si aucun accord de substitution n’a été conclu, les avantages individuels que les salariés ont acquis, en application des accords mis en cause, seront conservés par les salariés. »
En l’occurrence, le 1er octobre 2012, la totalité des parts de la société à responsabilité limitée Datel changeait de main.
Cela étant, l’employeur n’était pas modifié, sa personnalité civile, que n’affecte pas les mouvements de la répartition de son capital, persistant.
Dès lors, c’est à tort que la société hôtelière se prévaut des dispositions de l’article L.1224-1 du code du travail, prévoyant « lorsque que survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise » dont elle évince la dénonciation de l’accord collectif de 2001 en application de l’article L.2261-14.
En tout état de cause, elle ne justifie pas la dénonciation de l’accord collectif de 2001 et sa sortie de son périmètre, par la production de son avenant et du guide pratique Accor sur les conséquences du changement d’employeur sur le contrat de travail, mais non de sa notification à l’ensemble des parties signataires et de son dépôt au greffe et auprès de l’inspection du travail.
Le quantum réclamé n’étant pas discuté, il sera alloué à M. [O] la somme réclamée de 1.920,08 euros bruts, outre les congés payés afférents, et le jugement sera infirmé dans son expression contraire.
Sur la prime de nuit
M. [O] se prévaut du paiement par l’employeur d’une prime de nuit, qui fut supprimée en janvier 2017 au faux motif d’être remplacée par une prime d’objectifs en réalité déjà versée, et il plaide son impossible suppression sans autre forme.
Il est constant que cette prime lui fut versée jusqu’en novembre 2016, et que la société hôtelière, par mail du 4 janvier 2017, lui fit savoir sa suppression par substitution en ces termes : « il n’y aura plus de rectification sur la paie de décembre, et plus de prime de nuit. Il y aura dorénavant des primes sur objectifs mensuels selon les résultats quantitatifs et qualitatifs obtenus. »
Au salarié qui sollicitait de plus amples informations sur les modalités de calcul de la nouvelle prime, aucune réponse ne fut donnée.
En la cause, la société considère qu’elle fut réglée par erreur sans lui être due, et que son versement erroné n’est pas créateur de droit et ne constitue pas un usage. Elle l’explique des mêmes moyens que ci-avant, précisant que la prime de nuit fut instituée par accord du 24 mars 2003, en relevant que M. [O] ne s’en réclame pas. La société hôtelière, la disant indue, sollicite sa répétition.
Pour autant, les bulletins de paie de mai à novembre 2016 laissent voir que le salarié, réceptionniste de nuit, percevait chaque mois une « prime de nuit » variant selon le nombre de nuits travaillées.
Dès lors, sans qu’il soit nécessaire que le contrat de travail l’exprime, il s’induit de sa régularité comme des circonstances exprimées de sa suppression, au reste immédiatement contestée, par substitution d’une autre, qu’elle était entrée dans le champ contractuel, ce qui la fonde.
Elle ne pouvait ainsi pas être supprimée sans forme, et ne peut donner lieu à restitution sur le fondement de l’article 1376 du code civil, dans sa version applicable au litige, sous l’observation que c’est au demandeur en restitution des sommes qu’il prétend avoir indûment payées qu’incombe de prouver le caractère indu du paiement, et que l’intimée y défaille.
Ainsi, le jugement sera infirmé en ce qu’il a rejeté la demande de M. [O] en paiement de cette prime, et son quantum n’étant pas disputé, la société sera condamnée au paiement de 842,40 euros plus les congés payés afférents, et confirmé en ce qu’il a rejeté la demande reconventionnelle en répétition de l’indu.
III ‘ sur les autres demandes
Le salarié triomphant partiellement, il n’y a lieu de faire droit à l’appel incident de l’intimée sur le quantum des frais de justice alloués en première instance.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire
Confirme le jugement en ce qu’il a dit que le licenciement pour faute grave de M. [O] est justifié, en ce qu’il a rejeté les demandes financières de M. [O] subséquentes et en ce qu’il a débouté la société hôtelière de [Localité 4] et d’investissements de sa demande de remboursement de la prime de nuit ;
L’infirme pour le surplus ;
Statuant de nouveau sur les chefs infirmés ;
Condamne la société par actions simplifiée société hôtelière de [Localité 4] et d’investissements à payer à M. [R] [O] les sommes de :
– 1.920,08 euros bruts au titre de l’inégalité de traitement ;
– 192 euros bruts pour les congés payés afférents ;
– 842,40 euros bruts pour la prime de nuit de décembre 2016 à mai 2017 ;
– 84,24 euros pour les congés payés afférents,
– 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Dit que ces sommes seront augmentées des intérêts au taux légal dès ce jour ;
Condamne la société par actions simplifiée société hôtelière de [Localité 4] et d’investissements aux entiers dépens.
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Madame Dévi POUNIANDY Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,
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