Droit du logiciel : 13 avril 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/02561

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Droit du logiciel : 13 avril 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/02561

N° RG 21/02561 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IZ4P

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 13 AVRIL 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DU HAVRE du 11 Juin 2021

APPELANT :

Monsieur [W] [O]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Me Elisa HAUSSETETE de la SCP GARRAUD OGEL LARIBI HAUSSETETE, avocat au barreau du HAVRE substituée par Me Jennifer GOUBERT, avocat au barreau du HAVRE

INTIMEE :

S.A.S. PACKGEL

[Adresse 1]

[Adresse 5]

[Localité 3]

représentée par Me Xavier D’HALESCOURT de la SELARL XAVIER D’HALESCOURT, avocat au barreau du HAVRE

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 02 Mars 2023 sans opposition des parties devant Madame BIDEAULT, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente

Madame ALVARADE, Présidente

Madame POUGET, Conseillère, rédactrice

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 02 Mars 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 13 Avril 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 13 Avril 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 1er octobre 2004, M. [W] [O] (le salarié) a été engagé en qualité de responsable fabrication par la société Packgel (la société) dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée, puis il a exercé comme coordinateur d’entretien et enfin, en tant que contrôleur pointeur.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 13 mai 2019, M. [O] a été convoqué à un entretien préalable.

Par courrier recommandé en date du 4 juin 2019, il s’est vu notifier son licenciement pour insuffisance professionnelle.

Contestant cette décision, M. [O] a saisi le conseil de prud’hommes du Havre, lequel a, par jugement de départage, du 11 juin 2021 :

– débouté M. [O] de sa demande :

tendant à voir déclarer le licenciement prononcé le 4 juin 2019 sans cause réelle et sérieuse,

d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

au titre de la prime de froid,

– condamné M. [O] aux dépens de la présente procédure,

– dit n’y avoir lieu à indemnité en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,

– débouté les parties de leurs autres demandes.

M. [O] en a relevé appel le 22 juin 2021 et par conclusions remises le 24 août 2021, il demande à la cour de :

– infirmer le jugement en ses dispositions relatives au licenciement et aux frais irrépétibles,

– juger son licenciement pour insuffisance professionnelle sans cause réelle et sérieuse,

– condamner la société à lui verser la somme de 43 709,56 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– condamner la société à lui verser la somme de 1 500 euros en première instance sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et 1 500 euros en cause d’appel,

– condamner la même aux entiers dépens.

Par conclusions remises le 15 octobre 2021, la société demande à la cour de :

– confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions,

– débouter M. [O] de l’ensemble de ses demandes et le condamner à lui verser la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– à titre subsidiaire, si la cour jugeait le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, limiter le montant de dommages et intérêts à accorder à M. [O] à 3 mois de salaire.

L’ordonnance de clôture a été fixée au 9 février 2023.

Il est renvoyé aux écritures des parties pour l’exposé détaillé de leurs moyens et arguments.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement

Aux termes de l’article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi l’administration de la preuve, en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement, n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, l’employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

L’insuffisance professionnelle constitue une cause légitime de licenciement à condition que l’incompétence alléguée repose sur des éléments concrets et suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail en ce qu’elle perturbe la bonne marche de l’entreprise ou le fonctionnement du service, sans qu’il soit pour autant nécessaire d’établir l’existence d’un préjudice chiffrable pour l’entreprise. Entrent en ligne de compte la qualification professionnelle, l’ancienneté de services, les circonstances de l’engagement, les relations antérieures.

En l’espèce, M. [O] a été licencié pour les faits suivants :

« inadaptation professionnelle : votre hiérarchie et vos collègues se sont plaints d’un manque d’investissement, de réactivité et de rigueur dans votre poste de pointeur manutentionnaire (‘.),

« erreurs : vous avez commis régulièrement des erreurs ces derniers mois qui ne sont plus excusables après plusieurs années de présence dans l’entreprise :

– le 26 mars 2019 : pointage informatique de 35 cartons au lieu de 43 physiquement présents sur le dossier 73744,

– le 5 avril 2019 : pointage de 54 cartons au lieu de 70 physiquement présents sur le dossier 73767,

– le 8 avril 2019 : mise en production d’une palette de filets de sole en trop sur un dossier soit 400 kg,

– le 9 mai 2019 : sur 2 dossiers de production de nuggets, vous vous êtes trompé de lot à mettre en production,

– le 21 mai 2019 : une tôte comptée au lieu de 2 dans le dossier 74111,

oubli de passage de consignes :

– à son collègue pointeur de l’autre équipe : 15 cartons sur le dossier 73829 sont restées en chambre pour rien,

– à l’ordonnancement sur le manque de marchandises pour démarrer les dossiers (ex : dossier 73432),

désorganisation : votre inadaptation professionnelle et vos erreurs conduisent à la désorganisation de votre équipe de production et plus largement à l’ensemble de l’usine,

travail insuffisant :

ruptures d’approvisionnement sur les lignes alors que ces dernières semaines il y a peu de travail à effectuer,

lors des périodes d’inactivité à votre poste, vous n’aidez pas les équipes de production (‘).

Enfin, vous avez du mal à accepter l’autorité de vos supérieurs hiérarchiques et collègues et ne répondez pas à leurs demandes. Plusieurs de vos collègues et notamment responsables hiérarchiques ne veulent plus travailler avec vous. En décembre 2019, vous avez eu une altercation avec votre responsable hiérarchique de l’époque (‘), vous avez eu un ton agressif. Le 15 avril dernier, (‘) vous avez répondu à l’une de vos collègues en charge du quart qui vous demandait de reporter un numéro de dossier : « on m’encule donc je fais pareil ». (‘)

vous n’avez pas l’esprit d’équipe et n’aidez pas vos collègues (faits des 25 et 26 avril dernier, votre hiérarchie vous a demandé de l’aide que vous n’avez pas apportée …récemment, l’un de vos responsables vous a demandé de retirer une étiquette d’un carton et vous ne l’avez pas fait…).

Tous ces faits se sont produits alors que vous avez eu un entretien avec deux de vos supérieurs hiérarchiques il y a 2 mois (…) ».

Concernant les difficultés à accepter l’autorité de ses supérieurs hiérarchiques et l’absence d’esprit d’équipe, ces faits, fussent-ils établis dans leur matérialité, ne relèvent pas de l’insuffisance professionnelle tel que ci-dessus définie. L’employeur qui a fait le choix de se placer sur ce terrain ne peut valablement invoqué des faits qui revêtent un éventuel caractère disciplinaire.

En outre, l’employeur reproche au salarié « une inadaptation professionnelle ». Toutefois, il ne vise, à ce titre, aucun fait précis mais seulement le défaut de certaines qualités (rigueur, réactivité et investissement), ce qui n’est en soi pas constitutif d’un grief. En effet, seules les éventuelles conséquences en résultant peuvent être reprochées au salarié, ce que fait d’ailleurs l’employeur dans le second point de la lettre de licenciement en évoquant de multiples erreurs et des oublis de passage de consignes, de sorte que le premier grief se regroupe avec le second.

Concernant les erreurs de pointage, il n’est pas discuté que celles-ci ont été reprochées au salarié, pour la première fois, lors de l’entretien préalable, ce dont il s’est étonné à cette occasion, comme cela ressort du témoignage du conseiller l’ayant assisté.

L’appelant qui conteste la matérialité desdites erreurs, en discute également l’imputabilité.

Or, la cour ne peut que constater que les relevés informatiques produits par l’employeur et commentés par ses soins, ne permettent ni d’établir l’existence même de certaines de ces prétendues erreurs en l’absence de production des bons de commandes indiquant les quantités requises, ni, surtout, d’imputer lesdites erreurs au salarié, lequel n’apparaît pas nommément comme étant celui qui a renseigné le logiciel, étant observé qu’un autre contrôleur pointeur était de quart et qu’il existait plusieurs lignes de production sur le site.

Il doit également être relevé que les erreurs reprochées par l’employeur sont concentrées sur les seuls mois d’avril et de mai 2019, alors que le salarié disposait d’une ancienneté de près de 14 ans.

De plus, il n’est aucunement justifié des oublis de passages de consignes, du travail insuffisant ou encore de l’entretien de recadrage évoqué dans la lettre de licenciement.

Enfin, il n’est produit ni avertissement ou rappel à l’ordre concernant la qualité ou la quantité de son travail, ni entretiens annuels d’évaluation établissant des manquements dans ces domaines ou encore, évoquant la commission d’erreurs répétées, laquelle ne saurait être établie par les seules attestations de salariés de l’entreprise contredites par d’autres fournies par l’appelant. En toute hypothèse, eu égard à l’ancienneté du salarié, les erreurs fussent-elles matériellement rapportées, sont insuffisantes pour fonder un licenciement, laquelle sanction apparaît comme disproportionnée.

Dans ces conditions, l’insuffisance professionnelle reprochée au salarié n’est pas établie et, partant, son licenciement doit être déclaré sans cause réelle et sérieuse.

En application de l’article L. 1235-3 du code du travail, compte tenu de l’ancienneté du salarié (moins de 14 ans), de son âge au moment de la rupture (57 ans), de son salaire brut moyen (3 642,46 euros), de sa situation postérieure à la rupture dont il justifie et de l’effectif de l’entreprise (plus de 11 salariés), il convient d’allouer à l’appelant la somme de 37 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La décision déférée est infirmée sauf en ce qu’elle a rejeté la demande formée au titre de la prime de froid puisque cette disposition n’est pas remise en cause à hauteur de cour.

Enfin, il convient de faire application des dispositions de l’article L. 1235-4 du même code dont les conditions sont réunies et d’ordonner à l’employeur le remboursement des indemnités de chômage éventuellement versées au salarié, dans la limite de 6 mois.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, la société est condamnée aux dépens de première instance et d’appel et déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles de première instance.

Pour le même motif, elle est condamnée à payer au salarié la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour ses frais de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement du conseil de prud’hommes du Havre du 11 juin 2021, sauf en ce qu’il a rejeté la prétention formée au titre de la prime du froid,

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

Dit que le licenciement de M. [W] [O] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société Packgel à payer à M. [O] les sommes suivantes :

37 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel ;

Rappelle que les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêt au taux légal à compter du présent arrêt ;

Condamne la société Packgel à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage éventuellement versées au salarié, dans la limite de 6 mois ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne la société Packgel aux dépens de première instance et d’appel.

La greffière La présidente

 


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