Droit du logiciel : 13 avril 2023 Cour d’appel de Chambéry RG n° 21/02505

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Droit du logiciel : 13 avril 2023 Cour d’appel de Chambéry RG n° 21/02505

COUR D’APPEL DE CHAMBÉRY

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 13 AVRIL 2023

N° RG 21/02505 – N° Portalis DBVY-V-B7F-G4A2

S.A.S. VILLE LA DIS

C/ [C] [Z]

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ANNEMASSE en date du 02 Décembre 2021, RG F 20/00138

APPELANTE :

S.A.S. VILLE LA DIS

dont le siège social est sis [Adresse 4]

[Localité 3]

prise en la personne de son représentant légal

Représentée par Me Marie-Pascale VALLAIS de la SELARL VALLAIS AVOCAT, avocat plaidant inscrit au barreau de NANTES

et par Me Carole OLLAGNON DELROISE de la SCP VISIER PHILIPPE – OLLAGNON DELROISE & ASSOCIES, avocat postulant inscrit au barreau de CHAMBERY, substituée par Me Christelle LAVERGNE, avocat au barreau de CHAMBERY

INTIMEE :

Madame [C] [Z]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Audrey GUICHARD, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue en audience publique le 19 Janvier 2023, devant Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller désigné par ordonnance de Madame la Première Présidente, qui s’est chargé du rapport, les parties ne s’y étant pas opposées, avec l’assistance de Madame Capucine QUIBLIER, Greffier lors des débats, et lors du délibéré :

Monsieur Frédéric PARIS, Président,

Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHUILON, Conseiller,

Copies délivrées le :

********

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [C] [Z] a été engagée par la Sas Ville La Dis le 15 janvier 2011 en contrat à durée indéterminée en qualité d’employée commerciale, pour un salaire mensuel brut de 1 616,39 euros.

L’entreprise compte plus de 10 salariés.

La convention collective applicable est celle du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.

Mme [C] [Z] a été victime d’un accident du travail le 6 avril 2018. Lors de sa visite de reprise du 23 octobre 2018, le médecin du travail l’a déclarée apte à reprendre dans le cadre d’un mi-temps thérapeutique avec aménagements, notamment le port recommandé de chaussures de sécurité, éviter durant la période de temps partiel le secteur froid et tout port de charge supérieure à 20 kg.

Par avis du 6 mai 2019 établi dans le cadre de sa reprise à temps complet, elle a été déclarée apte avec les prescriptions suivantes: éviter le secteur froid, éviter le port de charges supérieures à 10 kg, éviter de faire les livraisons pendant les temps de froid.

La salariée a à nouveau été placée en arrêt de travail le 16 octobre 2019 pour une rechute de son accident du travail.

Par avis du 9 mars 2020 dans le cadre de la visite de reprise, elle a été déclarée apte à reprendre le travail dans le cadre d’un mi-temps thérapeutique et sur un poste aménagé, aménagement portant:

– sur le temps de travail: mi-temps thérapeutique à répartir en plages horaires

n’excédant pas 4h30 soit le matin soit l’après-midi pour une période de 8 semaines,

– sur l’exclusion des activités en secteur froid: froid négatif, de façon définitive,

– sur l’exclusion des activités avec port de charges.

Par courrier du 22 juin 2020, la société a convoqué Mme [C] [Z] à un entretien préalable à un éventuel licenciement.

L’entretien préalable a eu lieu le 1er juillet 2020.

Par courrier du 7 juillet 2020, la société a notifié à la salariée son licenciement pour insuffisance professionnelle.

Le 12 novembre 2020, Mme [C] [Z] a saisi le conseil de prud’hommes d’Annemasse pour contester cette décision.

Par jugement du 2 décembre 2021, auquel il convient de se référer pour plus ample exposé des motifs ayant présidé à sa décision, le conseil de prud’hommes d’Annemasse a :

– dit que la Sa Ville La Dis a manqué à son obligation de loyauté ainsi qu’à son

obligation de prévention et de sécurité,

– dit que le licenciement de Mme [C] [Z] est nul,

– condamné la Sa Ville La Dis à payer à la salariée :

. 5000 euros net de CSG-CRDS à titre de dommages et intérêts en réparation du

préjudice subi du fait du manquement aux obligations de prévention, sécurité et

loyauté,

. 17000 euros net de CSG-CRDS à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du licenciement nul,

. 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonné à la SA Ville La Dis de remettre sous astreinte de 20 euros par jour de

retard à compter du 1er janvier 2022 l’attestation Pôle Emploi rectifiée mentionnant

à la rubrique 6.1 le salaire des 12 mois civils complets précédant le dernier jour

travaillé et payé, astreinte que le conseil se réserve la possibilité de liquider,

– débouté la SA Ville La Dis de l’ensemble de ses demandes,

– débouté les parties du surplus de leurs demandes,

– condamné la SA Ville La Dis aux éventuels dépens.

Par déclaration au greffe par RPVA en date du 24 décembre 2021, la Sas Ville La Dis a relevé appel de cette décision dans son ensemble, sauf en ce qu’elle a débouté Mme [C] [Z] du surplus de ses demandes.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 31 mai 2022, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, la Sas Ville La Dis demande à la cour de :

– infirmer le jugement déféré, sauf en ce qu’il a débouté Mme [C] [Z] du surplus de ses demandes,

Statuant à nouveau :

– débouter Mme [C] [Z] de l’ensemble de ses demandes,

– condamner Mme [C] [Z] à lui verser la somme de 4000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Mme [C] [Z] aux dépens de première instance et d’appel,

– subsidiairement, dans l’hypothèse où la cour ferait droit même partiellement aux demandes de la salariée, débouter cette dernière de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile si elle bénéficie de l’aide juridictionnelle,

– en cas de condamnation de la Sas Ville La Dis au paiement de l’article 700 du code de procédure civile, dispenser totalement cette dernière du remboursement au Trésor des sommes avancées par l’Etat au titre de l’aide juridictionnelle.

Au soutien de ses demandes, elle expose que ne pèse sur elle qu’une obligation de sécurité de moyens, et qu’il appartient à la salariée de prouver l’existence d’une faute de l’employeur permettant d’établir de la part de ce dernier le non-respect de son obligation de sécurité. Il appartient également à la salariée de démontrer l’exécution de mauvaise foi du contrat de travail et l’intention malicieuse de l’employeur.

La salariée n’avait pas à porter de charges lourdes, conformément aux préconisations du médecin du travail.

Les attestations de Mme [O] produites par la salariée ne sont pas circonstanciées, et portent par ailleurs sur une période où le port de charges supérieures à 10 kg n’était pas interdit par le médecin du travail, qui préconisait juste de l’éviter.

Le logiciel de la société ne permet pas de retrouver la liste des commandes que la salariée a préparées en 2020, puisqu’il ne permet de remonter au maximum que trois mois en arrière.

La salariée était affectée aux préparations des fruits et légumes et ambiants. Elle était rarement affectée dans les zones où se trouvaient des produits lourds, et si nécessaire elle demandait de l’aide à ses collègues.

Ses anciens responsables attestent de ce que les préconisations du médecin du travail étaient respectées.

La salariée prétend que l’employeur aurait fait pression sur elle pour qu’elle déclare son arrêt de travail en maladie simple, mais les deux attestations qu’elle produit au soutien de cette allégation sont rédigées par son propre fils et par un ex-collègue contre lequel une procédure de licenciement a été engagée pour des absences injustifiées. Ces éléments sont insuffisants pour démontrer l’exécution de mauvaise foi du contrat de travail et l’intention malicieuse de l’employeur.

Les feuilles de performance communiquées démontrent que la salariée ne remplissait pas les objectifs fixés, et qu’elle était bien en-deçà des chiffres de ses collègues, y compris ceux qui avaient moins d’expérience qu’elle.

Le fait qu’elle devait demander de l’aide à des collègues dans le cas où elle se trouvait confrontée à des produits lourds ne ralentissait pas de façon conséquente le temps de préparation de la commande.

L’état de santé fragilisé de la salariée est étranger aux carences qui lui sont reprochées en termes d’efficacité et de productivité.

La procédure de licenciement a été engagée bien avant que la salariée n’obtienne la reconnaissance de la qualité de travailleuse handicapée.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 26 mai 2022, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, Mme [C] [Z] demande à la cour de :

– confirmer le jugement entrepris,

– subsidiairement, en cas de réformation du jugement sur la question de la nullité du licenciement, juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse, et condamner la Sa Ville La Dis à lui payer la somme de 14547,51 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rutpure du contrat de travail,

– condamner la Sa Ville La Dis à lui verser la somme de 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel, ainsi qu’aux dépens de l’instance d’appel.

Au soutien de ses demandes, elle expose que l’employeur a manqué à son obligation de prévention et de sécurité en ne respectant pas les préconisations du médecin du travail relatives au non port de charges lourdes. Ce manquement est à l’origine de sa rechute d’accident du travail qui a conduit à un second arrêt de travail. A la suite de ce dernier, le médecin du travail a cette fois-ci exclu les activités avec port de charges lourdes, ce que là encore l’employeur n’a pas respecté.

Le seul fait de l’avoir affectée à l’activité de préparation des ambiants et à l’activité de réapprovisionnement suffit à démontrer qu’elle a porté des charges lourdes.

La Sa Ville La Dis a toujours refusé de communiquer la liste des commandes préparées par elle postérieurement à l’avis du 9 mars 2020, liste qui aurait permis de vérifier si l’interdiction du port de charges lourdes avait été respectée. Elle ne produit aucun élément permettant de démontrer, ainsi qu’elle l’allègue, que le logiciel ne permettrait pas de remonter plus de trois mois en arrière.

Les attestations émanant de la direction de la société ne peuvent être considérés comme probants. Elle produit pour sa part deux attestations d’une ex-collègue démontrant qu’elle devait soulever des charges lourdes.

L’employeur n’a pas non plus respecté les préconisations du médecin du travail s’agissant de l’aménagement de son temps de travail, tel que cela ressort du planning établi par la société.

L’employeur a exercé sur elle une pression pour qu’elle déclare son arrêt de travail en maladie simple et non en accident du travail, ainsi qu’en atteste son fils qui a assisté à une conversation téléphonique entre elle et M. [W]. Un ex-collègue atteste avoir eu la même demande. Ces éléments constituent un manquement à l’obligation d’exécuter de bonne foi le contrat de travail.

L’employeur ne verse pas toutes les feuilles de performance par opérateur, se contentant de n’en faire qu’une communication très partielle et non détaillée, ce qui ne permet pas de procéder à la comparaison avec ses propres chiffres. Des chiffres pris de manière isolée ne sont pas probants, les performances étant susceptibles de varier chaque jour en fonction par exemple des produits à préparer.

Elle démontre que ses performances étaient particulièrement bonnes quand elle était affectée au rayon des fruits et légumes, activité qui respectait les préconisations du médecin du travail. Si elle pouvait être moins productive, c’est lorsqu’elle était affectée après son accident du travail à des activités comportant des ports de charges lourdes, qui étaient prohibées par le médecin du travail.

Aucune insuffisance professionnelle n’est ainsi caractérisée.

C’est en fait son état de santé et la perspective de son retour à temps complet qui sont la cause de son licenciement, ce qui est confirmé par le fait que le grief relatif à l’insuffisance professionnelle est injustifié, qu’elle n’a jamais fait l’objet de reproches en neuf ans d’ancienneté, que l’employeur lui a proposé une rupture conventionnelle en raison des restrictions médicales qui lui posaient des difficultés au « Drive » dans le cadre d’un retour à temps complet, que les préconisations du médecin du travail n’ont pas été respectées, que son licenciement intervient juste avant son retour à temps complet, et au moment où la qualité de travailleuse handicapée lui est reconnue.

Le licenciement est donc discriminatoire et doit ainsi être déclaré nul, subsidiairement sans cause réelle et sérieuse.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 7 novembre 2022. L’affaire a été appelée à l’audience du 19 janvier 2023. A l’issue, la décision a été mise en délibéré au 6 avril 2023, délibéré prorogé au 13 avril 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l’obligation de prévention, de sécurité et l’exécution de bonne foi du contrat de travail

* Sur l’obligation de prévention et de sécurité

Il résulte de l’article L. 4121-1 du Code du travail que l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1 ;

2° Des actions d’information et de formation ;

3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.

Selon la jurisprudence, l’employeur peut s’exonérer de sa responsabilité s’il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail.

En l’espèce, il appartient à l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité envers la salariée, de démontrer qu’il a respecté les préconisations du médecin du travail.

L’attestation de suivi du 23 octobre 2018 préconisait : « port de chaussures de sécurité recommandé. Eviter le secteur froid pendant le temps partiel thérapeutique avec répartition harmonieuse du temps de travail sur la semaine et sur la journée sans excéder 4 heures de travail quotidien au début puis augmentation progressive ».

L’avis d’aptitude du 6 mai 2019 préconisait :« éviter le secteur froid, éviter le port de charges supérieures à 10 kg, éviter de faire les livraisons pendant les temps de froid ».

L’avis du 9 mars 2020 pris dans le cadre de la visite de reprise a déclaré la salariée apte à reprendre le travail dans le cadre d’un mi-temps thérapeutique et sur un poste aménagé, aménagement portant :

– sur le temps de travail: mi-temps thérapeutique à répartir en plages horaires

n’excédant pas 4h30 soit le matin soit l’après-midi pour une période de 8 semaines,

– sur l’exclusion des activités en secteur froid: froid négatif, de façon définitive,

– sur l’exclusion des activités avec port de charges.

La salariée ne remet pas en cause, au sein de ses écritures, le respect par l’employeur des prescriptions du médecin du travail relatives à l’exclusion du travail en secteur froid et à la nécessité d’éviter les livraisons par temps froid.

Elle soutient que l’employeur n’a pas respecté les préconisations du médecin du travail du 9 mars 2020 s’agissant des modalités de son mi-temps thérapeutique. Elle produit au soutien de cette allégation son planning pour la période du 2 au 7 mars 2020, soit antérieure à l’avis du 9 mars. L’employeur produit pour sa part ses plannings postérieurs à cette date qui démontrent que les modalités du temps partiel telles que préconisées par le médecin du travail ont été appliquées.

S’agissant du respect des préconisations relatives au port de charges lourdes, l’employeur produit :

– une attestation de M. [S], manager de rayon, qui indique que l’employeur a

scrupuleusement suivi les préconisations du médecin du travail concernant le

planning de travail et les zones de fonctionnement où la salariée ne pouvait

travailler, et portait une attention particulière aux charges qu’elle devait manipuler ;

– deux attestations de M. [L], adjoint manager au Drive, qui indique que la

salariée ne travaillait pas dans les secteurs froids et ne portait aucune charge

supérieure à 10 kilos suite à sa reprise du travail à temps plein en mai 2019, et que

suite à sa rechute en mars 2020, les prescriptions du médecin du travail s’agissant

de l’exclusion du travail en zone froide, du travail avec charges et du mi-temps

thérapeutique ;

– deux attestations de Mme [E], adjointe manager au Drive, indiquant que

conformément aux préconisations de la médecine du travail, la salariée ne travaillait

plus dans les lieux réfrigérés (ne faisait pas de préparations surgelés ou frais) et ne

portait pas de charges lourdes, effectuant uniquement le réapprovisionnement de

produits légers. A compter de l’avis du 9 mars 2020, le mi-temps thérapeutique a été

respecté et elle ne portait plus de charges ;

– une attestation de M. [Y], adjoint au responsable de rayon depuis novembre

2019, qui indique que les préconisations de la médecine du travail ont été respectées

suite à la visite de reprise du 9 mars 2020, la salariée ne portant pas de charges, ne

travaillant pas dans un secteur frais mais uniquement en « ambiant » et en « fruits

et légumes », et en mi-temps thérapeutique.

Ces attestations émanent toutes de personnes ayant un lien de subordination hiérarchique avec l’employeur, ce qui est de nature à réduire leur force probante.

Les attestations de Mme [O], collègue de travail de la salariée, selon lesquelles cette dernière était amenée à porter des charges lourdes dans le cadre de son travail et se plaignait de douleurs au doigt concernent manifestement une période antérieure à l’avis du 9 mars 2020 prévoyant une exclusion du port des charges lourdes pour la salariée, puisque la première attestation est datée du 22 octobre 2019 et que la seconde attestation n’est venue que préciser le contenu de la première. Or, à cette période, la préconisation en cours du médecin du travail était celle du 6 mai 2019, à savoir « éviter le port de charges supérieures à 10 kg ». L’attestante évoque le fait qu’elle et la salariée devaient manutentionner des packs de lait, des boîtes de conserve, des croquettes pour animaux, du sel adoucisseur des packs d’eau, certains de ces produits pouvant dépasser les dix kilos.

Au regard de cette attestation, les seules attestations de personnes liées à l’employeur par un lien de subordination, ce qui conduit à réduire leur force probante, ne sauraient établir que celui-ci a respecté scrupuleusement les préconisations du médecin du travail s’agissant des charges supérieures à 10 kilos à compter du 6 mai 2019, étant précisé que le terme « éviter » utilisé par ce dernier impliquait la nécessité pour l’employeur de mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour que la salariée n’ait pas à porter de charges supérieures à 10 kilos.

Il appartient à l’employeur de démontrer la mise en oeuvre de ces moyens. Cette démonstration pouvait notamment être apportée par la production par l’employeur de la liste des commandes préparées par la salariée. L’employeur soutient que son logiciel ne permet de retrouver la liste des commandes préparées par chaque employé que sur trois mois en arrière, mais la seule pièce produite au soutien de cette allégation, une capture d’écran d’ordinateur, ne démontre aucunement cette difficulté.

L’employeur ne démontre donc pas avoir mis en oeuvre les moyens nécessaires pour respecter les préconisations du médecin du travail concernant la salariée s’agissant du port de charges.

Il ne justifie donc pas avoir rempli l’obligation de prévention et de sécurité envers sa salariée qui lui incombait.

* Sur l’exécution de bonne foi du contrat de travail

Aux termes de l’article L 1222-1 du code du travail, « le contrat de travail est exécuté de bonne foi ».

Mme [C] [Z] soutient que l’employeur a exercé une pression sur elle afin qu’elle déclare son arrêt de travail en maladie simple et non en accident professionnel.

Elle se fonde à ce titre sur une attestation de son fils, qui soutient que l’employeur aurait appelé sa mère en février 2017 à la suite d’un accident du travail pour lui demander d’arrêter son arrêt de travail pour accident de travail et de se mettre en arrêt maladie. Cette seule attestation ne saurait cependant être considérée comme un élément suffisamment probant compte-tenu du lien de parenté entre l’attestant et la salariée.

Cette dernière produit également une attestation de M. [N], qui n’évoque que la situation personnelle de ce dernier, de sorte que Mme [C] [Z] ne saurait en tirer argument pour soutenir qu’elle a subi les mêmes faits.

La salariée ne produit ainsi aucun élément probant au soutien de ses allégations au titre de la non exécution de bonne foi du contrat de travail par l’employeur.

La salariée soutient avoir subi un préjudice en ce que le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité a « notamment entraîné » sa rechute.

Si les parties s’accordent au sein de leurs conclusions sur l’existence d’un arrêt de travail en date du 16 octobre 2019 pour une « rechute de son accident du travail », la salariée ne produit aucun élément sur ce point, pas même l’arrêt de travail en question. Elle ne justifie donc pas d’un lien entre cet arrêt de travail et le non respect par l’employeur de son obligation de sécurité, et ne justifie pas d’un quelconque préjudice en lien avec ce dernier point.

La décision du conseil de prud’hommes en ce qu’il a alloué à la salariée la somme de 5000 euros net de CSG-CRDS à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du manquement aux obligations de prévention, sécurité et loyauté sera donc infirmée, et Mme [C] [Z] sera déboutée de sa demande à ce titre.

Sur le licenciement

Par application de l’article L. 1132-1 du Code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié en raison de son état de santé, de sa perte d’autonomie ou de son handicap.

En application de l’article L 1134-1 du code du travail, il convient dans un premier temps d’examiner si la matérialité de certains faits ou des faits invoqués par la salariée au soutien de sa demande est avérée puis, si tel est le cas, d’apprécier si ces faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte. Dans l’affirmative, il appartient à l’employeur de démontrer que les agissements invoqués sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

En l’espèce, il est établi que la salariée a été licenciée le 7 juillet 2020 pour insuffisance professionnelle. La lettre de licenciement mentionne notamment « Nous constatons depuis plusieurs semaines que votre rythme de travail ne correspond pas aux attentes du Drive. (‘) Vous êtes au Drive depuis plus de cinq ans et vos statistiques et rythme de travail (en ambiant comme aux fruits et légumes) sont très inférieurs à ceux de nombreux débutants. »

La procédure de licenciement a été initiée par courrier du 22 juin 2020.

La concomitance entre la procédure de licenciement et la reconnaissance pour la salariée de la qualité de travailleur handicapé n’est pas avérée dans la mesure où Mme [C] [Z] a déposé sa demande de reconnaissance le 23 juin 2020, soit postérieurement au courrier la convoquant à un entretien préalable, et qu’il n’est pas démontré que l’employeur ait eu connaissance de cette procédure de reconnaissance en cours.

La concomitance entre le licenciement et l’imminence d’une reprise du travail à temps complet par la salariée n’est pas avérée. En effet, Mme [C] [Z] produit uniquement au soutien de cette allégation un courrier d’un chirurgien adressé à son médecin traitant, en date du 13 juin 2017, qui évoque une reprise possible du travail à temps complet « le 7 juillet », soit manifestement, au regard de la date du courrier, le 7 juillet 2017. Ce courrier n’a donc aucun rapport avec son licenciement intervenu en 2020.

Mme [C] [Z] ne produit aucun élément de nature à démontrer l’existence d’une proposition par son employeur d’une rupture conventionnelle qui aurait été motivée par le fait que ses restrictions médicales poseraient des difficultés au Drive dans le cadre d’un retour à temps complet, ni aucun élément de nature à démontrer qu’elle a refusé cette proposition de rupture conventionnelle. Ces faits ne sont donc pas avérés.

Il est par contre établi que la salarié n’a reçu aucune sanction ni même aucun reproche écrit depuis son arrivée au service de l’employeur relatifs à de l’insuffisance professionnelle. Elle a fait l’objet d’une seule sanction disciplinaire, sous la forme d’une mise à pied de trois jours en 2014, pour une altercation sur son lieu de travail.

Il a été retenu que l’employeur n’avait pas démontré avoir mis en oeuvre les moyens nécessaires pour respecter les préconisations du médecin du travail s’agissant des limitations relatives au port de charges lourdes. Ces faits sont donc avérés.

Au regard de ces éléments, la salariée apporte la preuve de faits avérés qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’une discrimination.

L’employeur ne produit aucun élément de nature à démontrer que l’absence de mise en oeuvre des moyens nécessaires au respect des préconisations du médecin du travail relatives au port de charges était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

S’agissant du licenciement, si M. [S], manager de rayon atteste qu’il « s’est avéré nécessaire de rappeler à de très nombreuses reprises à Mme [Z] la nécessité de pouvoir fournir le niveau d’efficacité suffisante afin qu’elle puisse participer au bon fonctionnement de l’équipe du Drive », cette attestation n’apparaît pas suffisamment précise, puisque l’attestant n’indique pas s’il a lui-même procédé à ces rappels, s’il les a constatés ou s’ils lui ont été rapportés. Il en est de même de l’attestation de M. [L], évoquant seulement les « performances vraiment médiocres » de la salariée, sans qu’il soit possible de vérifier dans quelles conditions il a pu constater ou évaluer ces performances.

Par ailleurs, l’employeur ne justifie pas avoir déjà averti ou sanctionné la salariée pour un problème d’insuffisance professionnelle.

Les éléments produits par l’employeur pour justifier l’insuffisance professionnelle qui aurait motivé le licenciement n’apparaissent pas suffisamment objectifs car :

– ainsi que l’ont relevé les premiers juges, selon lesquels « on ne sait pas clairement

quels sont leurs objectifs journaliers», il n’est produit aucun élément de nature à

démontrer qu’un objectif de nombre d’UV par heure et de préparations par heure

était fixé aux salariés ;

– les pièces communiquées par l’employeur pour justifier l’insuffisance

professionnelle de la salariée ne permettent pas de comparer les performances de

cette dernière avec l’ensemble des autres salariés travaillant au Drive sur les mêmes

horaires, les mêmes jours et dans les mêmes conditions ;

– l’employeur reconnaît lui-même au sein de ses écritures que si la salariée devait

préparer des produits lourds, elle devait demander de l’aide à ses collègues. S’il

soutient que « cela ne ralentissait pas de façon conséquente le temps de préparation

de la commande », il ne produit aucun élément permettant d’estimer la perte de

temps pour la salariée dans la préparation de la commande, perte de temps qui était

la conséquence directe de son état de santé.

Il résulte de l’analyse de ces éléments que l’employeur ne démontre pas que l’absence de mise en oeuvre des moyens nécessaires au respect des préconisations du médecin du travail relatives au port de charges et le licenciement de la salariée étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

La discrimination est donc établie. Les éléments produits aux débats et ci-dessus examinés permettent de retenir que le licenciement a été prononcé en raison de l’état de santé de la salariée. Il doit donc être déclaré nul.

La décision sur ce point du conseil de prud’hommes sera confirmée.

En application de l’article L 1235-3-1 du code du travail, Mme [C] [Z] est en droit de solliciter une indemnité pour licenciement nul qui ne peut être inférieure à six mois de salaire.

Elle percevait dans le cadre de son emploi auprès de la Sas Ville La Dis un salaire mensuel brut de 1 616,39 euros.

Elle justifie avoir perçu l’allocation d’aide au retour à l’emploi à compter du 2 novembre 2020 pour un montant mensuel variant entre 881 et 910 euros. Elle a signé un CDI à temps complet le 10 novembre 2021, pour un revenu mensuel brut de 1 668,94 euros.

Elle produit un certificat médical de son médecin traitant en date du 25 septembre 2020 mentionnant qu’elle a présenté dans la suite de son licenciement un choc psychologique avec insomnie, anxiété, troubles de la concentration, leurs, perte d’appétit, sentiment d’injustice. Un arrêt de travail lui a été prescrit du 6 octobre au 6 novembre 2020. Elle ne justifie pas de la prescription d’un traitement.

Au regard de ces éléments, la décision du conseil de prud’hommes sera infirmée et il sera alloué à Mme [C] [Z] la somme de 14 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

Sur la demande de remise sous astreinte de l’attestation Pôle Emploi rectifiée

La décision du conseil de prud’hommes sur ce point sera confirmée.

Sur le remboursement des indemnités Pôle Emploi

La salariée ayant au moins deux ans d’ancienneté et l’entreprise employant habituellement plus de dix salariés, il convient de condamner d’office l’employeur à rembourser les indemnités de chômage dans la limite de six mois, comme prévu aux articles L. 1235-4 et L. 1235-5 du code du travail.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

La décision du conseil de prud’hommes s’agissant de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens sera confirmée.

La Sas Ville La Dis succombant en appel, elle sera condamnée à verser à Mme [C] [Z] la somme de 1800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle sera également condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

DECLARE la Sas Ville La Dis recevable en son appel,

CONFIRME le jugement du conseil de prud’hommes d’Annemasse du 2 décembre 2021 en ce qu’il a :

– dit que le licenciement de Mme [C] [Z] est nul ;

– ordonné à la SAS Ville La Dis de remettre sous astreinte de 20 euros par jour de

retard l’attestation Pôle Emploi rectifiée mentionnant à la rubrique 6.1 le salaire

des 12 mois civils complets précédant le dernier jour travaillé et payé ;

– condamné la SAS Ville la Dis aux dépens de première instance ainsi qu’à verser

à Mme [C] [Z] la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du

code de procédure civile ;

INFIRME pour le surplus,

Statuant a nouveau:

DÉBOUTE Mme [C] [Z] de sa demande de dommages et intérêts au titre du manquement aux obligations de prévention, de sécurité et de loyauté ;

CONDAMNE la SAS Ville la Dis à verser à Mme [C] [Z] la somme de 14 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

Y ajoutant :

DIT que l’astreinte commencera à courir dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la présente décision;

DIT que la Cour se réserve la liquidation de l’astreinte ;

CONDAMNE la SAS Ville La Dis à rembourser les indemnités de chômage versées à Mme [C] [Z] dans la limite de six mois d’indemnités de chômage ;

DIT que la présente décision sera notifiée par le Greffe à Pôle Emploi ;

CONDAMNE la SAS Ville La Dis aux dépens de l’instance d’appel ;

CONDAMNE la SAS Ville La Dis à verser à Mme [C] [Z] la somme de 1 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Ainsi prononcé publiquement le 13 Avril 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Frédéric PARIS, Président, et Madame Capucine QUIBLIER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président

 


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