Droit du logiciel : 10 mars 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/00851

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Droit du logiciel : 10 mars 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/00851

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 11

ARRET DU 10 MARS 2023

(n° , 12 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/00851 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFAB6

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Novembre 2021 -Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 202019513

APPELANTE

S.A. TOUTABO

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 1]

[Localité 4]

immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Bobigny sous le numéro 480 467 000

représentée par Me Stéphane FERTIER de l’AARPI JRF AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0075

assistée de Me Martin LE PECHON, avocat au barreau de PARIS

INTIMES

Monsieur [V] [J]

[Adresse 2]

[Localité 3]

né le 31 Décembre 1985 à [Localité 5]

Société BEL ARTICLE

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 2]

[Localité 3]

immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le numéro 838 629 178

représentées par Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0753

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Mme Marie-Sophie L’ELEU DE LA SIMONE,Conseillère,chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M.Denis ARDISSON, Président de chambre,

Mme Marion PRIMEVERT, Conseillère,

Mme Marie-Sopie L’ELEU DE LA SIMONE, Conseillère,

Qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : M.Damien GOVINDARETTY

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

-signé par M.Denis ARDISSON; Président de chambre,et par M.Damien GOVINDARETTY, greffier, présent lors de la mise à disposition.

La société Toutabo est spécialisée dans la vente en ligne d’abonnements de presse, la diffusion de périodiques en version papier et numérique et le marketing de fidélisation.

M. [V] [J] est le président de la société Bel Article créée le 11 avril 2018 et spécialisée dans la mise à disposition de logiciels et de plateformes informatiques. M. [V] [J] et M. [W] [C] sont d’anciens dirigeants et/ou collaborateurs de la société Onemoretab, spécialisée dans la diffusion de contenus numériques payants et gratuits, placée en liquidation judiciaire par jugement du 23 août 2017, procédure clôturée pour insuffisance d’actifs le 13 décembre 2018.

Les relations des parties ont débuté dès le mois de novembre 2017, par l’établissement d’un projet de contrat par la société Toutabo. La société Toutabo s’est en effet rapprochée de MM. [J] et [C] afin de leur confier le développement d’une plateforme informatique destinée à permettre à ses clients d’accéder en ligne au contenu de ses périodiques et magazines. Un projet de contrat-cadre a été établi entre la société Toutabo, M. [J] et M. [C] mais n’a pas été signé. Des prestations ont été réalisées et payées jusqu’en mai 2018 par M. [J] et M. [C] pour la société Toutabo. En juin 2018, M. [J] a adressé un autre projet de contrat à la société Toutabo, qui devait être conclu avec la société Bel Article. Il n’a pas non plus été signé.

Par lettres du 23 octobre 2019 puis du 20 novembre 2019, la société Bel Article et M. [J] ont mis en demeure, en vain, la société Toutabo de régler les factures établies par leurs soins. Par lettre de son conseil du 2 mars 2020, la société Toutabo a contesté la facturation et réclamé des dommages-intérêts.

Suivant exploit du 19 mai 2020, M. [V] [J] et la société Bel Article ont fait assigner la société Toutabo en paiement devant le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 17 novembre 2021, le tribunal de commerce de Paris :

s’est dit compétent ;

a dit la société Bel Article recevable en ses demandes au titre de la licence du logiciel, objet du litige ;

a condamné la société Toutabo au paiement à M. [V] [J] de la somme de 8.400 euros au titre des prestations réalisées avant le 14 juin 2019 ;

a condamné la société Toutabo à payer à M. [V] [J] la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

a condamné la société Toutabo à payer la somme de 45.900 euros TTC à la société Bel Article au titre de l’utilisation du logiciel de Bel Article au titre de 2019 ;

a débouté la société Toutabo de l’ensemble de ses demandes reconventionnelles ;

a dit les parties mal fondées en leurs demandes plus amples et autres et les en a déboutées,

a condamné la société Toutabo à payer à M. [V] [J] et à la société Bel Article 5.000 euros à chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les a déboutées du surplus,

a condamné la société Toutabo aux dépens de l’instance.

La société Toutabo a formé appel du jugement par déclaration du 5 janvier 2022 enregistrée le 19 janvier 2022.

Suivant ses dernières conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 21 septembre 2022, la société Toutabo demande à la cour, au visa de l’article L 113-9 du code de la propriété intellectuelle, des articles 32, 32-1, 122, 699 et 700 du code de procédure civile, es articles 1103, 1104, 1112, 1341 et 1359 du code civil :

de débouter M. [J] et la société Bel Article de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

d’infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 17 novembre 2021 en ce que ledit Tribunal :

* S’est dit compétent ;

* A dit la société Bel Article recevable en ses demandes à titre de la licence du logiciel objet du litige ;

* A condamné la société Toutabo au paiement à M. [J] de la somme de 8.400 euros au titre des prestations réalisées avant le 14 juin 2019 ;

* A condamné la société Toutabo à payer à M. [J] la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

* A condamné la société Toutabo à payer la somme de 45.900 euros à la société Bel Article au titre de l’utilisation du logiciel Bel Article au titre de 2019 ;

* A débouté la société Toutabo de l’ensemble de ses demandes reconventionnelles ;

* A dit la société Toutabo mal fondée en ses demandes plus amples et autres et l’en a débouté ;

* A condamné la société Toutabo à payer à M. [J] et à la société Bel Article la somme de 5.000 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

* A condamné la société Toutabo aux dépens de l’instance dont ceux à recouvrer par le greffe.

de confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 17 novembre 2021 en ce que ledit Tribunal a débouté la société Bel Article de ses demandes de dommages et intérêts et a débouté la société Bel Article et M. [J] en leurs demandes plus amples et autres.

Statuant à nouveau :

Vu la contestation relative à la titularité des droits de propriété intellectuelle, de dire le tribunal de commerce matériellement incompétent sur les demandes relatives à la licence d’exploitation,

Vu l’absence de droit moral et patrimonial de la société Bel Article, de la débouter de ses demandes au titre de la licence d’exploitation,

Vu l’absence d’accord sur les modalités et le prix d’une licence d’exploitation, l’absence de livraison d’un outil finalisé et, plus généralement, l’absence de toute créance, de débouter la société Bel Article de ses demandes financières au titre de supposée licence du logiciel,

Vu l’absence d’intérêt à agir de M. [J] et vu l’absence d’accord entre les parties et l’absence d’exécution et de livraison des prestations, de débouter Monsieur [J] de l’ensemble de ses demandes financières à l’encontre de la société Toutabo,

Vu la rupture des relations imputable à la société Bel Article et M. [J],

Vu le préjudice causé par M. [J] et la société Bel Article à la société Toutabo,

de condamner solidairement et conjointement les intimés à verser à la société la somme de 80.000 euros au titre du préjudice subi,

de condamner la société Bel Article à restituer à la société Toutabo la somme de 29.700 euros avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure de la société Toutabo en date du 2 mars 2020,

de condamner la société Bel Article à restituer à la société Toutabo la somme de 21.600 euros avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure de la société Toutabo en date du 2 mars 2020,

de condamner M. [J] à verser à la société Toutabo la somme de 10.500 euros avec intérêts aux taux légal à compter de l’assignation,

de condamner les intimés à verser chacun à la société Toutabo la somme de 10.000 euros au titre de l’abus du droit d’agir,

de condamner les intimés à verser chacun à la société Toutabo la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 et les condamner à supporter l’intégralité des dépens qui pourront être recouvrés par Maître Stéphane Fertier, de la Selarl JRF & Associés, avocat aux offres de droit.

Suivant leurs dernières conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 24 juin 2022, la société Bel Article et M. [V] [J] demandent à la cour, au visa des articles L. 113-1 et L. 113-9 du code de la propriété intellectuelle, des articles L. 110-3 et L. 721-3 du code de commerce, et des articles 1102, 1104, 1113, 1172, 1217, 1221, 1231-2 du code civil :

A titre liminaire :

‘ de confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 17 novembre 2021 en ce qu’il a jugé que le Tribunal de commerce de Paris était compétent ;  

‘ de confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 17 novembre 2021 en ce qu’il a jugé que les demandes de la société Bel Article étaient recevables ;  

‘ de confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 17 novembre 2021 en ce qu’il a jugé que les demandes de Monsieur [J] étaient recevables ;  

A titre principal :

‘ d’infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 17 novembre 2021 en ce qu’il a condamné la société Toutabo à payer à M. [V] [J] la somme de 8.400 euros au titre des prestations réalisées avant le 14 juin 2019 ;  

‘ d’infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 17 novembre 2021 en ce qu’il a condamné la société Toutabo à payer à la société Bel Article la somme de 45.900 euros T.T.C au titre de l’utilisation du logiciel de Bel Article en 2019 ;  

‘ d’infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 17 novembre 2021 en ce qu’il a condamné la société Toutabo à payer à M. [V] [J] la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale de leur relation contractuelle ;  

‘ d’infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 17 novembre 2021 en ce qu’il a débouté la société Bel Article de sa demande de dommages et intérêts au titre de la rupture brutal de leur relation contractuelle ;  

Statuant à nouveau

‘ de condamner la société Toutabo à verser la somme de 10.500 euros H.T. à Monsieur [J] au titre de ses prestations impayées au cours de l’année 2019 ;

‘ de condamner la société Toutabo à verser à la société Bel Article la somme de 87.000 euros H.T. au titre de la licence d’exploitation ;

‘ de condamner la société Toutabo à verser à Monsieur [V] [J] la somme de 37.800 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale de leur relation contractuelle ;

‘ de condamner la société Toutabo à verser à la société Bel Article la somme de 33.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale de leur relation contractuelle ;

En tout état de cause :

‘ de confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 17 novembre 2021 en ce qu’il a débouté la société Toutabo de toutes ses demandes, fins et conclusions ; 

‘ de rejeter purement et simplement tous les arguments de la société Toutabo ;  

‘ de condamner la société Toutabo à s’acquitter de la somme de 10.000 euros chacun auprès de Monsieur [J] et de la société Bel Article en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

‘ de condamner la société Toutabo aux entiers dépens.

*

La clôture a été prononcée suivant ordonnance en date du 10 novembre 2022.

SUR CE, LA COUR,

Sur la compétence du tribunal de commerce de Paris

La société Toutabo soutient que l’article L. 113-9 du code de la propriété intellectuelle désignerait le tribunal judiciaire du siège social de Nanterre comme juridiction compétente. Elle fait valoir que la société Bel Article n’est pas propriétaire du logiciel mis à disposition en contrepartie du paiement de la licence d’exploitation et que ce logiciel est une copie d’un logiciel développé par la précédente société de M. [J], la société Onemoretab.

La société Bel Article et M. [J] soutiennent en revanche que leur action ne porte pas sur la question de la titularité des droits du logiciel de Bel Article mais uniquement sur le règlement des droits d’utilisation de ce logiciel par la société Toutabo. En outre, l’article L. 113-9 est également inapplicable en ce qu’il concerne les conflits nés à l’occasion d’une relation de travail.

Aux termes de l’article L. 113-9 du code de la propriété intellectuelle :

« Sauf dispositions statutaires ou stipulations contraires, les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation créés par un ou plusieurs employés dans l’exercice de leurs fonctions ou d’après les instructions de leur employeur sont dévolus à l’employeur qui est seul habilité à les exercer.

Toute contestation sur l’application du présent article est soumise au tribunal judiciaire du siège social de l’employeur.

Les dispositions du premier alinéa du présent article sont également applicables aux agents de l’État, des collectivités publiques et des établissements publics à caractère administratif. ».

Il en résulte que les actions visant à identifier le titulaire des droits d’auteur d’un logiciel créé par des salariés relèvent de la compétence du tribunal judiciaire.

Or, l’assignation délivrée par M. [J] et la société Bel Article le 19 mai 2020 et les dernières conclusions transmises devant la cour par les intimés visent à obtenir paiement par la société Toutabo de prestations impayées au cours de l’année 2019, d’une indemnité au titre de la licence d’exploitation ainsi que de dommages-intérêts. L’action ainsi diligentée ne concerne donc pas un litige opposant d’anciens salariés de la société Onemoretab, au demeurant liquidée, à leur employeur. L’article L.113-9 du code de la propriété intellectuelle est donc inapplicable.

En vertu de l’article L. 721-3 1 ° du code de commerce :

Les tribunaux de commerce connaissent :

« 1° Des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre artisans, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux ; »

Il en résulte que le jugement sera confirmé en ce qu’il s’est dit compétent pour connaître de l’action initiée par la société Bel Article et M. [J] à l’encontre de la société Toutabo.

Sur la recevabilité des demandes de la société Bel Article et de M. [V] [J]

La société Toutabo soulève une fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt et de qualité à agir de la société Bel Article au titre de la licence d’exploitation de son logiciel, celui-ci n’étant que la copie d’un logiciel développé par la précédente société de M. [J], Onemoretab et que seule cette dernière est recevable à exiger le paiement de redevances.

La société Bel Article rappelle que la société Onemoretab a été liquidée le 13 décembre 2018 et soutient que le logiciel développé est destiné et adapté aux besoins de la société Toutabo et donc différent de celui de la société Onemoretab.

Aux termes de l’article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle :

« La qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l »uvre est divulguée. ».

Il est manifeste que la société Onemoretab, dont la société Toutabo soutient qu’elle serait propriétaire du logiciel litigieux, a fait l’objet d’une clôture de sa procédure de liquidation, pour insuffisance d’actifs, le 13 décembre 2018, et n’a jamais revendiqué la propriété dudit logiciel.

Par ailleurs, la société Toutabo avait établi un cahier des charges en 2018, sur la base duquel la société Bel Article a travaillé. Il y était demandé de « nouveaux développements » (courriel du 20 juillet 2018 de M. [F] à M. [J]). Dans un courriel du 31 octobre 2019, M. [J] explique à M. [F] :

« En ce qui concerne la licence, le logiciel a été entièrement codé par [W] et moi-même après l’arrêt des activités de Onemoretab. Si nous avons bien sûr profité de notre expérience technique chez Onemoretab le code du logiciel n’a rien à voir avec celui utilisé pour le service Articly. (…) ».

En outre, la seule comparaison de captures d’écran de deux sites ne permet pas d’établir que les codes sources en sont identiques.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a dit la société Bel Article recevable en ses demandes au titre de la licence du logiciel, objet du litige.

Sur la recevabilité des demandes de M. [V] [J]

La société Toutabo soutient que son cocontractant serait la société Bel Article et non M. [J] qui n’aurait donc pas intérêt à agir.

M. [J] fait valoir qu’il était convenu entre les parties que les prestations de développement seraient facturées par M. [J] et que les frais d’utilisation de la licence d’exploitation seraient facturés par la société Bel Article. Les factures éditées au nom de M. [J] n’ont d’ailleurs jamais été contestées par la société Toutabo.

Le tribunal de commerce n’a pas expressément statué sur la recevabilité des demandes de M. [J] et ce alors que la société Toutabo lui demandait, dans le dernier état de ses conclusions, de « dire et juger que M. [J] n’a pas d’intérêt à agir et en conséquence le débouter de l’ensemble de ses demandes ». Les premiers juges ont cependant implicitement admis la recevabilité des demandes de M. [J] en condamnant la société Toutabo à lui payer diverses sommes.

Deux factures, n° T-010 du 1er mai 2019 et T-011 du 1er juin 2019 ont été éditées au nom de M. [V] [J]. Elles ont pour référence « Intégration Web » et pour objet détaillé les prestations suivantes :

développement informatique : gestion de projet sur le projet panorama + documentation pour Orange

travail Back-end pour récupérer les flux de l’AFP

travail Back-end pour récupérer automatiquement les 750 flux de magazines, PQN et PQR d’EDD

travail Back-end pour intégrer toutes les rubriques au sein d’un sommaire pour tous les flux de magazines, PQN et PQR d’EDD.

D’autres factures, au nombre de neuf, ont été émises par la société Bel Article pour l’année 2019. Elles ont pour référence « LICENCE201901 » et pour objet détaillé « Licence informatique ».

Après des échanges à compter du mois de novembre 2017 entre la société Toutabo et MM. [J] et [C], les discussions se sont poursuivies au mois de mai 2018 entre M. [J] et M. [F] sur les coûts et la facturation. Par courriel du 16 juin 2018, M. [J] a ensuite adressé à M. [F] « une première version du contrat sans les jours de développements ». Ce projet de contrat de prestations de services, qui n’a jamais été signé, était censé être conclu entre la société Bel Article, prestataire, représentée par M. [V] [J] en sa qualité de président, et la société Toutabo, le client, représentée par M. [T] [F] en sa qualité de président.

La société Toutabo n’a jamais émis la moindre observation sur le fait que des factures soient émises par M. [J] d’une part et par la société Bel Article d’autre part, pour respectivement des prestations de développement la licence d’exploitation.

Des prestations ont été réalisées par M. [V] [J] au profit de la société Toutabo puis facturées sans que celle-ci ne le conteste. Nonobstant l’absence de contrat écrit signé, un contrat s’est néanmoins formé entre M. [J] et la société Toutabo. M. [J] a donc qualité à agir et est recevable en son action et ses demandes à l’encontre de la société Toutabo.

Sur le fond

Aux termes de l’article 1103 du code civil :

« Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. ».

En vertu de l’article 1104 du même code :

« Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.

Cette disposition est d’ordre public. ».

En vertu de l’article 1113 du même code :

« Le contrat est formé par la rencontre d’une offre et d’une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s’engager.

Cette volonté peut résulter d’une déclaration ou d’un comportement non équivoque de son auteur. »

Aux termes de l’article 1217 du même code :

« La partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut :

– refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation ;

– poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation ;

– obtenir une réduction du prix ;

– provoquer la résolution du contrat ;

– demander réparation des conséquences de l’inexécution.

Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter. »

Enfin aux termes de l’article L. 110-3 du code de commerce :

« A l’égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu’il n’en soit autrement disposé par la loi. »

Sur les demandes de M. [V] [J] et de la société Bel Article

M. [J] réclame en premier lieu la somme de 10.500 euros HT au titre de ses prestations impayées au cours de l’année 2019 (facture n° T-011).

L’intimé sollicite le paiement de ses prestations de développement du logiciel réalisées entre le 20 avril 2019 et le 15 mai 2019. Deux factures ont été émises, la première en date du 1er mai 2019, d’un montant de 10.500 euros, couvrant les prestations réalisées par M. [J] du 1er au 20 avril 2019, a été payée, mais la seconde du même montant, émise le 1er juin 2019, pour la période du 20 avril au 15 mai 2019, n’a pas été réglée.

A la demande de M. [F], M. [J] lui a indiqué que le détail des factures figurait dans un lien vers un document en ligne inséré dans son premier courriel.

Le 11 juin 2019, M. [F] écrit à M. [J] « Sur le lot 1 nous avions un budget max de 68Keuros (vs ta proposition à 54 Keuros) qui nous permet d’affecter 14keuros à la suite (licence ou développement) », lequel répond « Je te remercie pour ton retour. Je reviens juste sur le coût de développement du lot 1 qui est de 84 jours soit 58.800 euros et non 54.000 euros. ».

Dans un courriel du 1er juillet 2019, M. [F] écrit :

« Bonjour [V],

Je n’avais pas d’intention de créer des difficultés ;

Le relevé que tu m’as envoyé couvre le temps que tu as passé mais recouvre des choses qui à la fin ne nous sont pas livrées. C’est normal, puisque nous avons suspendu le projet jusqu’à la terminaison des CDG. Toutefois cela fait une facture importante sans livraison.

J’ai besoin que la facturation couvre à la fois la période et ne remette pas en question le fonctionnement du service jusqu’à ce que nous ayons abouti sur la discussion du CDG.

J’ai besoin que tu sois d’accord avec cela.

Je serai disponible après 18h30. ».

Il résulte de cet échange de courriels que la société Toutabo, en la personne de M. [F], reconnaît le temps passé et donc les prestations réalisées par M. [J] mais également la suspension du projet par ses soins et l’absence de livraison intégrale du résultat des prestations. Il admet la poursuite des discussions sur le cahier des charges.

Les premiers juges ont estimé que la facture T-011 comportait un poste déjà facturé au titre de la facture T-010. En effet, l’un des postes facturé comporte exactement les mêmes prestations (« Travail Back-end pour récupérer automatiquement les 750 flux de magazines, PQN et PQR d’EDD ») sur une période identique, à savoir du 10 au 20 avril 2019, pour un prix journalier de 700 euros. La facture du 1er mai 2019 prévoit une durée de 10 jours soit 7.000 euros facturés sur cette période et la facture du 1er juin 2019 une durée de trois jours soit 2.100 euros. M. [J], qui soutient qu’il s’agit d’une erreur de période, ne démontre pas qu’il ne s’agirait pas d’un « doublon » alors que, comme le relèvent justement les premiers juges, il n’a pas émis de facture rectificative.

Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu’il a condamné la société Toutabo à payer à M. [J] la somme de 8.400 euros au titre des prestations réalisées.

La société Bel Article réclame en deuxième lieu la somme de 87.000 euros HT au titre de la licence d’exploitation de son logiciel pour la période du 21 décembre 2018 au 20 septembre 2019.

La société Toutabo soutient qu’il n’a jamais été question de licence d’exploitation et qu’en tout état de cause aucun accord n’est intervenu sur le coût de ladite licence.

Pourtant le 20 juillet 2018, M. [F] écrit à M. [J] « Pour la licence, je reste sur ma proposition de 57.000 euros de juillet à décembre et de 120.000 euros pour 2019. En effet, cette nouvelle proposition augmente considérablement le lot 1 qui est celui qui doit être exécuté le plus rapidement mais qui reflète la montée en puissance de la licence. ». La société Toutabo reconnaît ainsi non seulement l’existence d’une licence d’exploitation et non d’une cession des droits de propriété intellectuelle comme elle tente de le faire valoir malgré les termes précis de ses courriels. Si le 26 avril 2019, M. [J] écrit à M. [F] « Je reviens vers toi avec la définition du budget de licence pour 2019 qui est celle que je t’ai donnée mardi et sur laquelle je ne bougerai pas : 8.000 euros jusqu’à juillet 2019 et 13.000 ensuite. J’estime avoir déjà fait suffisamment de concession tout au long de l’année dernière avec une licence à 4.250 euros (29.750 euros / 7 mois) et en ce début d’année (jusqu’en juillet) avec une licence à 8.000 euros pour la moitié de l’année 2019. Sachant que nous étions partis au début de nos discussions sur une licence à 10.000 euros avec une montée en puissance en fonction des services additionnels en plus de la gestion des articles. (…) ». Si aucun accord n’est intervenu sur ce dernier coût pour l’année 2019, proposé par M. [J] pour la société Bel Article, il ne saurait cependant être réduit au prix consenti pour l’année 2018 alors que la société Toutabo en la personne de M. [F] avait expressément proposé la somme de 120.000 euros pour l’année 2019.

En outre, la « solution » informatique a pourtant été mise à disposition de la société Toutabo, ainsi qu’en atteste le courriel de cette dernière du 19 novembre 2018 « Le lancement a été fait en juin.» et le fait qu’après interruption par la société Bel Article dans l’attente du paiement de ses factures, le service ait été rétabli. Si la société Toutabo a objecté que l’outil informatique ne répondait pas exactement à ses attentes et était incomplet pour refuser tout paiement, elle ne peut en contester la livraison. Elle a par ailleurs suspendu le projet Panorama de son propre chef (courriels de M. [F] des 24 septembre « Nous sommes un peu noyés par la transition qui ne s’est pas bien passée ; nous faisons des réparations depuis le 22/7 et avons mis en suspends tous les autres projets. » et 23 octobre 2019 « Comme tu as pu le voir, j’ai suspendu pour l’instant le projet Panorama » après relance ce M. [J] du 20 septembre 2019), ce qu’elle ne peut reprocher à la société Bel Article.

C’est donc bien la somme de 87.000 euros HT qui est due par la société Toutabo au titre du paiement de la licence d’exploitation pour la période du 21 décembre 2018 au 20 septembre 2019. Le jugement sera infirmé en ce qu’il a condamné la société Toutabo à payer à la société Bel Article la somme de 45.900 euros TTC et celle-ci sera condamnée à verser la somme de 87.000 euros HT à la société Bel Article.

M. [J] et la société Bel Article réclament respectivement la somme de 37.800 euros et celle de 33.000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale de leur relation contractuelle.

Ils soutiennent que la société Toutabo s’était engagée, pour l’année 2019, à verser à la société Bel Article la somme de 120.000 euros HT au titre de la licence d’exploitation du logiciel et à M. [J] la somme de 58.500 euros au titre de ses prestations de développement du logiciel. Ils indiquent que si les parties avaient poursuivi leurs relations contractuelles jusqu’à la fin de l’année 2019, M. [J] aurait perçu la somme supplémentaire de 37.800 euros au titre de ses prestations de développement pour la phase 1 du logiciel et la société Bel Article celle de 33.000 euros au titre de la licence d’exploitation.

Les courriels échangés entre M. [J] et M. [F] montrent qu’alors qu’une première version du contrat avait été adressée par M. [J] à M. [F] le 16 juin 2018 et malgré les nombreuses relances du premier au second en juillet, août et septembre 2018 ainsi que le courriel encourageant de M. [F] du 20 juillet 2018 concluant « J’espère que cela répond à ton attente et je transcris cela dans le contrat », aucune signature n’est intervenue et l’accord de volontés des parties n’a été matérialisé que par une suite de courriels.

Ainsi, si des relations contractuelles ont existé entre les parties et ont donné lieu à la réalisation de prestations de développement par M. [J] et le paiement d’une licence d’exploitation du logiciel de la société Bel Article, leur durée exacte n’a pas été formalisée et de nombreux désaccords ont émaillé les rapports entre M. [J] et la société Bel Article d’une part et la société Toutabo d’autre part.

En outre, à partir du mois de septembre 2019, il est acquis que le service n’a plus été délivré.

Il en résulte que ni M. [J] ni la société Bel Article ne peuvent se prévaloir d’une faute de la société Toutabo dans la cessation des relations contractuelles dans la mesure où la suspension du projet Panorama par la société Toutabo, l’absence de validation du cahier des charges, les dissensions entre les parties sur le budget alloué, le silence de la société Toutabo aux demandes de signature du contrat par la société Bel Article en la personne de M. [J] n’ont pas permis la poursuite sereine de leur collaboration et conféré à celle-ci un caractère incertain pour l’avenir que les intimés ne pouvaient ignorer. La fin des relations contractuelles entre M. [J] et la société Toutabo d’une part, et la société Bel Article et la société Toutabo d’autre part n’a donc pas été brutale ni fautive mais était devenue au fil des mois prévisible.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il a condamné la société Toutabo à payer à M. [J] la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts et ce dernier sera débouté de sa demande de ce chef. Le jugement sera en revanche confirmé en ce qu’il a débouté la société Bel Article de sa prétention à ce titre.

Sur les demandes de la société Toutabo

La société Toutabo réclame, outre la somme de 80.000 euros au titre du préjudice financier et moral prétendument subi, le coût de la licence payée en 2018 (29.700 euros), les coûts de l’éditorialiste (21.600 euros), la facture T-011 payée (10.500 euros) et une indemnité de 10.000 euros à verser par chacun des intimés pour abus du droit d’agir.

Il a été développé supra que la facture T-011 était partiellement due ‘ à hauteur de 8.400 euros – ainsi que le coût de la licence pour 2018. Quant aux coûts de l’éditorialiste, il ne résulte pas des discussions entre les parties que la société Bel Article devait en supporter le coût final sans répercussion sur la société Toutabo. Les demandes de restitution à ce titre ne peuvent donc prospérer et le jugement sera confirmé sur ces points.

La coupure de l’accès à la plateforme n’a été que très momentanée et son rétablissement est intervenu dès paiement des factures. La société Toutabo ne démontre pas le préjudice qui en serait résulté.

Enfin, l’action de la société Bel Article et de M. [V] [J] à l’encontre de la société Toutabo n’a pas dégénéré en abus alors que les intimés étaient en droit d’obtenir paiement des prestations réalisées et du paiement de la licence auprès de leur cocontractant.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté la société Toutabo de l’ensemble de ses demandes.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

La société Toutabo succombant à l’action, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles et statuant de ces chefs en cause d’appel, elle sera aussi condamnée aux dépens, mais il n’est pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge de ses propres frais sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

CONFIRME le jugement sauf en ce qu’il a condamné la société Toutabo à payer la somme de 45.900 euros TTC à la société Bel Article et celle de 15.000 euros à M. [V] [J] ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DECLARE M. [V] [J] recevable en ses demandes ;

CONDAMNE la société Toutabo à payer à la société Bel Article la somme de 87.000 euros HT au titre de l’utilisation du logiciel pour 2019 ;

DEBOUTE M. [V] [J] de sa demande de dommages-intérêts ;

CONDAMNE la société Toutabo aux dépens ;

LAISSE à chacune des parties, la charge de ses propres frais engagés sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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