Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 3
ARRET DU 01 MARS 2023
(n° , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/01185 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBNTR
Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Janvier 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CRETEIL – RG n° F 18/01731
APPELANT
Monsieur [V] [Z] [Y] [F]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Sophie ROUVERET, avocat au barreau de PARIS, toque : B0754
INTIMEE
FEDERATION FRANCAISE DES BANQUES ALIMENTAIRES
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Sophie HUDEC, avocat au barreau de PARIS, toque : G0482
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Anne MENARD, Présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Anne MENARD, présidente
Madame Véronique MARMORAT, présidente
Madame Roselyne NEMOZ-BENILAN, magistrat honoraire
Lors des débats : Madame Sarah SEBBAK, greffière en préaffectation sur poste
ARRÊT :
– contradictoire
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– signé par Madame Anne MENARD, présidente et par Madame Sarah SEBBAK, greffière en préaffectation sur poste à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Monsieur [F] a été engagée par la Fédération Française des Banques Alimentaires (FFBA) le 22 août 1994 en qualité de comptable.
Il a été licencié le 12 février 2018, en raison notamment d’une attitude d’opposition systématique, de divergences de vue, et du refus d’exécuter les directives de son employeur.
Il a saisi le conseil de prud’hommes de Créteil le 16 novembre 2018, en se prévalant de la protection des lanceurs d’alerte pour solliciter la nullité du licenciement, et subsidiairement en contestant le motif réel et sérieux invoqué par l’employeur.
Il a été débouté de ses demandes par jugement du 16 janvier 2020 dont il a interjeté appel le 8 février 2020.
Par conclusions récapitulatives du 23 octobre 2020, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, il demande à la cour de juger son licenciement nul à titre principal, et sans cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire, et de condamner la FFBA à lui payer les sommes suivantes :
105.265 euros à titre de dommages et intérêts pour perte injustifiée de l’emploi
153.600 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice de carrière et de retraite
94.772 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du manque à gagner découlant de la prise en charge pôle emploi
86.900 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse
190.000 euros pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail
Par conclusions récapitulatives du 5 février 2021, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, la FFBA demande à la cour de confirmer le jugement et de condamner monsieur [F] au paiement d’une somme de 5.500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
MOTIFS
– Sur la demande de nullité du licenciement
En raison du statut de lanceur d’alerte
Monsieur [F] se prévaut de la qualité de lanceur d’alerte, après avoir signalé ce qu’il considère comme des irrégularités comptables.
Il expose que le trésorier de l’association, monsieur [U], a mis en oeuvre à partir de 2016 des pratiques comptables irrégulières, et notamment une dépréciation injustifiée de l’actif, une présentation volontairement avangateuse et erronée du CER (compte emploi des ressources), et une présentation partielle et inexacte du budget ; qu’il a en outre imposé un changement de logiciel qui s’est avéré inadapté, et qu’il a obtenu la nomination en qualité de commissaire aux comptes du cabinet Deloitte, ce qui a conduit peu à peu à écarter le commissaire aux comptes historique de l’association.
Il soutient que c’est dans ces conditions qu’il a décidé d’alerter le Président et les dirigeants de l’association ; qu’à partir de là, la directrice et le trésorier l’ont peu à peu exclu des tâches qui étaient les siennes, et ont orchestré son départ.
La FFBA expose de son côté que contrairement à ce qu’il indique, les relations avec monsieur [F] ont toujours été houleuse, avec une forte tendance à contester l’autorité, à refuser de se remettre en question, et à rejeter sur sa hiérarchie ses propres insuffisances en se posant en censeur ; que ce comportement s’est exacerbé avec le dernier trésorier bénévole avec lequel il a travaillé, monsieur [U].
Elle souligne que le salarié n’a donné aucune qualification pénale aux faits qu’il dénonce, ce qui exclut de facto l’application de la protection applicable aux lanceurs d’alerte.
*
L’article L1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au présent litige, énonce :
‘Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions.
Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation professionnelle, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
En cas de litige relatif à l’application des premier et deuxième alinéas, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu’elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime, ou qu’elle a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l’intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles’.
L’article 6 de la loi 2016-1691, dite ‘loi Sapin’, là encore dans sa version applicable à l’espèce, indique par ailleurs qu’ ‘Un lanceur d’alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance’.
En l’espèce, monsieur [F] revient longuement dans ses écritures sur les choix qui ont été faits en matière de comptabilité, et qu’il a critiqués. Il critique également les choix qui ont été fait en ce qui concerne les logiciels de gestion comptable, estimant que le logiciel qui a été choisi sans son accord était inadapté et coûteux.
Alors qu’il n’avait donné aucune qualification pénale à ces faits dans ses dénonciations, non plus dans le cadre de la procédure devant le conseil de prud’hommes, monsieur [F] fait valoir dans le cadre de la présente procédure que le non respect de l’article L123-14 du code de commerce, qui stipule que la comptabilité annuelle doit être régulière, sincère, et donner une image fidèle du patrimoine et de la situation financière de l’entreprise, est susceptible de constituer un faux au sens de l’article 441-1 du code pénal, en ce qu’il s’agit d’une altération frauduleuse de la vérité.
Il convient en tout état de cause de relever que sur le fondement de l’article 6 de la loi dite Sapin II, le statut de lanceur d’alerte peut être invoqué, même en l’absence de délit pénal, dès lors que la dénonciation porte sur une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général.
Il convient donc d’examiner les trois faits dénoncés par monsieur [F] pour déterminer s’ils étaient susceptibles de constituer un délit ou de porter un préjudice grave à l’intérêt général, peu important à cet égard que la dénonciation ait été fondée, dès lors qu’elle a été faite de bonne foi.
– Le premier point concerne une dépréciation injustifiée de l’actif. Il est relatif au choix qui a été fait de déprécier en mars 2017 le système informatique de gestion des denrées, pour une valeur de 109.731 euros, alors que dans un premier temps il avait été prévu d’enregistrer une provision de 130.000 euros dans le cadre du contentieux avec l’éditeur du logiciel.
L’éditeur du logiciel était en redressement judiciaire, ce qui dans un premier temps avait amené à enregistrer une provision, actant un aléa sur la pérennité du système informatique. Il a finalement été décidé de réécrire ce logiciel suite à la liquidation de son éditeur, de sorte qu’il a en définitive été passé en dépréciation d’actif.
Il s’agit d’un choix d’écriture comptable, validé par deux commissaires aux comptes, qui n’a pas d’impact sur la sincérité des écritures et ne peut constituer le délit de faux. Si monsieur [K], expert interrogé par la FFBA dans le cadre de la présente procédure, estime que ce choix relève d’une erreur de schéma comptable, il précise qu’il n’a pas eu pour conséquence de modifier le résultat comptable 2016, de sorte qu’il n’existait aucune menace grave à l’intérêt général.
– le second point porte sur la présentation du compte emploi ressources. Il s’agit de rendre public la manière dont sont utilisés les fonds provenant de l’appel à la générosité publique. Monsieur [F] expose que l’utilisation des fonds se ventile dans trois comptes, la mission sociale, les frais d’appel à la générosité du public, et les frais de fonctionnement : qu’une note déterminait pour l’ensemble des banques alimentaires, et donc pour leur fédération, la manière dont les dépenses devaient être ventilées entre ces postes, et que cette note n’a pas été respectée, amenant à une minoration des frais d’appel à la générosité du public au profit des frais relatifs à la mission sociale.
La FFBA ne conteste pas ce changement de méthode, et explique d’une part qu’il a été décidé sur avis du co-commissaire aux comptes qui venait d’être désigné, le cabinet Deloitte, et d’autre part que ce changement a fait l’objet d’une note explicative qui a permis de porter ce changement à la connaissance de tous.
La FFBA produit une note très précise annexée au rapport des deux commissaires au comptes, sur la méthodologie utilisée, ce qui atteste qu’il n’y a eu aucune dissimulation. Cette note indique notamment que la FFBA ne fait aucune recherche de fonds auprès du public, et n’a pas de salarié affecté à cette activité ; que les frais de gestion liés aux dons et legs issus de la générosité du public et reçus par l’association sont donc constitués du coût de leur traitement administratif et comptable et d’une quote part du site internet.
Au regard de ces éléments, compte tenu de la parfaite transparence dans laquelle ce changement de présentation du CER s’est réalisé, et de l’approbation donnée par deux commissaires aux comptes, il n’apparaît pas que le délit de faux invoqué par monsieur [F] puisse être caractérisé, non plus qu’une menace grave à l’intérêt général.
– Enfin le troisième point dénoncé par monsieur [F] concerne le changement de logiciel comptable. Monsieur [F] expose qu’alors que le logiciel utilisé par les services paie et comptabilité étaient devenu ancien et obsolète, il a sollicité sa mise à jour; que toutefois, monsieur [U] lui a demandé de ne pas l’installer, car un avait décidé d’implanter un nouveau logiciel ; que le choix de ce nouveau logiciel a été fait avec un consultant, sans qu’il soit associé à cette démarche alors qu’il était le principal intéressé, et que le suivi de la comptabilité s’en est trouvé affecté.
Que le choix d’un nouveau logiciel de compatibilité ait été ou non opportun, il n’apparaît pas qu’une telle question puisse relever de la protection des lanceurs d’alerte.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, le jugement sera confirmé en ce qu’il n’a pas retenu la qualité de lanceur d’alerte de monsieur [F], et n’a pas prononcé la nullité du licenciement de ce chef.
En raison de l’atteinte à la liberté d’expression
Monsieur [F] sollicite en second lieu la nullité de son licenciement en se prévalant de l’atteinte portée à sa liberté d’expression, compte tenu de ce que la lettre de licenciement prend en compte dans les motifs les courriels par lesquels il a fait connaître à différents organes de l’association son désaccord sur les choix fait et la gestion opérée par le trésorier monsieur [U].
Tout salarié est libre de faire connaître sa désapprobation, ou de faire état de critiques à l’égard des décisions prises par son employeur, à la condition que ses propos ne soit pas injurieux, diffamatoires ou excessifs.
En l’espèce, monsieur [F] a écrit au président de la FFBA le 17 août 2017 et à la directrice fédérale, les représentants bénévoles et une déléguée du personnel le 28 août 2017. Il utilise notamment les termes suivants : ‘L’information financière délivrée altère notre image, nous met en danger et nous décrédibilise vis à vis de la cour’ ; ‘(…) C’est très dommageable et potentiellement catastrophique en ce qui concerne l’image de la fédération’. S’agissant de monsieur [U] il écrit qu’il ‘a mis en danger la FFBA de recevoir plus qu’un blâme dans le domaine économico-financier et qui n’a aucune déontologie’.
Au regard des points qu’il dénonçait, à savoir d’une part un changement de méthodologie comptable en ce qui concerne la présentation du CER, préconisée par le commissaire au compte et explicité dans une note, et d’autre part la dépréciation d’un matériel informatique dont l’éditeur était en faillite, les termes alarmistes utilisés sont manifestement excessif. Mais surtout, il met en cause la probité du trésorier de l’association, en indiquant qu’il n’a aucune déontologie, ce qui est constitutif de propos injurieux.
Dans ces conditions, le fait de lui avoir reproché ces courriels n’est pas constitutif d’une atteinte à sa liberté d’expression, et il ne sera pas fait droit à sa demande de nullité de ce chef.
– Sur le motif du licenciement
Aux termes des dispositions de l’article L 1232-1 du Code du travail, tout licenciement motivé dans les conditions prévues par ce code doit être justifié par une cause réelle et sérieuse ; en vertu des dispositions de l’article L 1235-1 du même code, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.
Par application des dispositions de l’article L 1232-6 du Code du travail, la lettre de licenciement, notifiée par lettre recommandée avec avis de réception, comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur ; la motivation de cette lettre, précisée le cas échéant dans les conditions prévues par l’article L1235-2 du même code, fixe les limites du litige.
En l’espèce, la lettre de licenciement est motivée de la manière suivante :
‘…depuis plusieurs mois et malgré nos rappels à l’ordre réitérés vous persistez à adopter une attitude d’opposition systématique avec la direction et faites montre d’insuffisances professionnelles caractérisées.
Ceci est attesté par les faits suivants :
Le 9 juillet 2017 vous avez dénoncé par écrit auprès du Président la sincérité et l’exactitude des comptes de l’exercice 2016 en termes alarmistes. Un administrateur et un représentant des bénévoles étaient également destinataires de vos échanges que vous avez renouvelés au mois de septembre 2017.
Vous propos étaient pourtant injustifiés ce que vous ne pouvez ignorer.
Les comptes avaient alors été audités et certifiés par les deux commissaires aux comptes de notre Association : le cabinet THIEULLOY RIVOIRE et le Cabinet DELOITTE. Ils avaient également été adoptés à l’unanimité lors de l’Assemblée générales du 2 juin 2017, à laquelle vous étiez présent.
Se sont ajoutées sur la même période vos critiques formulées par mails vis-à-vis des options comptables prise à la suite de la défaillance de l’éditeur de notre logiciel Passerelle et sur le compte emploi ressources. Et là encore vos allégations se sont avérées mal fondées. Elles sont d’abord intervenues plusieurs mois après que les décisions ont été prises sur les options critiquées. Elles ont ensuite été formulées alors que les décisions en question avaient aussi été validées par nos commissaires au compte. Enfin les faits nous ont depuis donné raison quant à l’exactitude de nos choix. Pour ne prendre que cet exemple, si l’on avait suivi votre raisonnement notre association n’aurait pas dû procéder à une provision pour dépréciation du logiciel passerelle. Or l’éditeur en procédure collective au moment de la prise de notre décision a ensuite été placé en liquidation judiciaire, ce qui était prévisible et nous avons dû procéder à notre charge à la réécriture dudit logiciel pour conserver les maîtrises. Ceci confirme la justesse et l’opportunité de l’option prise par nos soins d’une provision de dépréciation. Nous avons par ailleurs eu à déplorer ces derniers mois votre refus de vous inscrire dans les nouvelles procédures mises en place pour optimiser notre gestion. Alors que vous vous étiez initialement montré ouvert au changement vous vous être ainsi par la suite retranché derrière les procédures antérieures et vos pratiques en matière de comptabilité dont la pertinence est contredite par le nombre et l’importance des recommandation du Cabinet DELOITTE et Cabinet Audit CPA eu égard aux exigences de traçabilité et de contrôle interne en particulier s’agissant d’une association tête de réseau dont l’activité a fortement augmenté ces dernières années.
Quand nous vous avons offerts de l’assistance pour vous adapter et mieux maîtriser les nouveaux outils logiciels déployés en particulier pour réaliser la DSN, vous l’avez refusée. Ceci vous a d’ailleurs valu une lettre de rappel à l’ordre le 5 octobre 2017.
Vous avez encore fait preuve d’une mauvaise volonté manifeste dans le cadre de la collaboration avec votre hiérarchie, plus particulièrement le trésorier avec lequel vous avez adopté un comportement particulièrement méprisant par mail ou en quittant la réunion lors d’une de ses prises de parole le 6 novembre 2017 ou encore notamment le 16 janvier 2018, en déclarant à son encontre que : « ses épaules ne devaient pas porter grand-chose ».
Vous avez aussi refusé de façon réitérée de participer aux réunions mensuelles des collaborateurs salariés et bénévoles ce qui vous a aussi valu un rappel à l’ordre le 4 octobre 2017 dont vous n’avez pas tenu compte par la suite.
Ces faits attestent d’une opposition désormais systématique de votre part aux orientations et à la direction de notre association dont vous ne vous cachez pas ni vis-à-vis de la direction ni des autres collaborateurs.
Or nous sommes en droit d’attendre en cas de divergences de vues éventuelles sur tel ou tel point qu’un responsable de votre niveau fasse preuve de réserve quant à sa position personnelle et fasse prévaloir celle de l’Association avant toute autre.
Tout comportement contraire est de nature à jeter le discrédit sur le management à déstabiliser les collaborateurs en particulier bénévoles à nuire ainsi à la cohésion des équipes et par extension à la bonne marche générale de notre association.
Lorsque votre opposition n’est pas exprimée de vive voix ou par votre attitude elle est manifestée par la force d’inertie que vous opposez ostensiblement aux demandes qui vous sont adressées par la direction et au peu de rigueur des réponses que nous parvenons tant bien que mal à obtenir, ce qui porte préjudice au bon fonctionnement de l’Association et caractérise une insuffisance professionnelle.
A titre d’illustration :
Vous n’avez jamais répondu à nos demandes les 18 octobre 2017, 31 octobre 2017 3 novembre 2017 et 18 décembre 2017 concernant l’arrêté des comptes au 30 juin 2017, puis au 31 décembre, pas plus qu’aux autres questions posées par le cabinet d’experts comptables AUDIT CPA concernant les écarts constatés par lui entre la comptabilité et la gestion commerciale.
Face à l’absence de réactivité de votre part le trésorier n’a eu d’autre choix que d’organiser une réunion le 21 décembre dernier pour obtenir les informations demandées, réunion que vous avez préparée de façon plus qu’approximative. Au cours de ces échanges il est ainsi apparu que l’unique tableau de synthèse que vous aviez dressé faisait état d’une perte de 104.000 €, alors même que le 14 novembre précédent vous aviez transmis une situation dans le même format de tableau dont il ressortait un excédent de 360 000 € soit une dégradation de 464.000 € en à peine 6 semaines. Aucune explication n’était apportée sur les raisons de cette impressionnante dégradation. Vous avez également lors de cette même réunion refusé de fournir la moindre explication ni la moindre estimation sur les produits et charges restant à comptabiliser sur les derniers jours de l’année, alors que cela vous avait été demandé par écrit. Vous n’avez pas davantage répondu aux questions posées sur le niveau des fonds dédiés et leur impact estimé sur le résultat 2017.
Par la suite vous n’avez pas apporté la moindre réponse aux demandes formulées concernant la prévision d’arrêté annuel 2017, et ce en dépit de nombreuses relances et programmation de réunions auxquelles vous ne vous êtes parfois pas même présenté, celle du 9 janvier par exemple.
Et lors de ces réunions destinées à préparer la revue annuelle de nos comptes vous n’avez pas été capable de répondre aux questions essentielles et au bon fonctionnement de l’association relevant de votre compétence.
Ainsi lors de la réunion du 16 janvier 2018 soit à une semaine de la réunion du Conseil d’administration, vous n’avez pas été à même de fournir d’explications ni de liste de produits et charges restant à comptabiliser ni de nous donner le dernier montant des dons des particuliers, nous renvoyant au logiciel comptable. Il en a ainsi été de toutes questions que nous vous posions.
Vous n’avez pas davantage pris en compte nos demandes de clarification de certaines lignes de votre tableau de suivi et notamment de dédoublement de lignes ni même apporté d’indications ou même d’estimations sur le niveau de fonds dédiés et leur impact sur plusieurs mois. Concernant les résultats 2017 de la Fédération vous avez alors également déclaré : ce sera ce que vous voudrez.
En définitive vous avez attendu le 23 janvier 20h00 veille du Conseil d’administration pour nous faire parvenir un email intégrant votre tableau historique de suivi et la balance au 30 décembre au secrétaire du Conseil d’administration [S] [M], au trésorier [J] [U] et à moi-même dans lequel vous faisiez cette fois-ci état d’un résultat positif de plus de 250 k€ sans commentaire ni analyses concernant le chiffre présenté. Le résultat que vous indiquez était majoré d’au moins 60 k€ par le seul fait que vous n’avez pas neutralisé comme cela vous est pourtant demandé les transferts financiers de la Fédération française des Banques Alimentaires vers le réseau, en l’occurrence les subventions ADEME que nous administrons pour le compte du réseau.
Vous ne pouviez pour autant pas ignorer, comme cela vous a été rappelé et écrit plusieurs fois, que ces 60K€ d’écart PRODUITS CHARGES ADEME étaient à soustraire du résultat que vous envoyiez la veille au soir au Conseil d’administration. Pas plus que vous n’ignoriez que l’essentiel du résultat 2017 que vous affichiez sans autre commentaire tenait aussi au niveau élevé de dons obtenus en 2017 auprès des mécènes étrangers, notamment pour financer des projets informatiques et de digitalisation au bénéfice du réseau. Ces fonds sont en effet dédiés à des projets de développement sans analyse ni commentaires.
Vous donniez une vision faussée de la situation financière de la Fédération néfaste au pilotage financier de cette dernière.
Vous comportement et ces négligences nous ont mis dans l’impossibilité de présenter des chiffres fiables et pertinents au conseil d’administration du 24 janvier 2018, nuisant ainsi à la compréhension et à la lisibilité de la stratégie de la Fédération vis-à-vis du réseau et à l’esprit associatif qui anime toute l’équipe de la Fédération.
Par ailleurs à l’occasion de la mise en place du nouveau logiciel comptable intégré et en réseau,nous avons fait intervenir le Cabinet Audit CPA pour nous aider à faire la transition. Ce professionnel de l’expertise comptable a également souligné plusieurs erreurs et inexactitudes dans votre gestion, en particulier s’agissant du lettrage et de la comptabilisation de certaines charges et constaté que les factures d’achats et notes de frais sont parfois directement en débit d’un compte de charge et au crédit du compte de banque 512, ce qui n’est pas conforme.
Nous nous sommes encore récemment rendus compte de cas de double comptabilisation et ce pour des montants substantiels s’agissant de notre Association, nous avons constaté le double règlement de fournisseurs début 2017 et de l’agence citoyenne fin 2017.
Aujourd’hui votre attitude d’opposition systématique nos divergences de vue, votre refus d’exécuter les directives données et votre manque de professionnalisme qui sont matérialisés par des éléments objectifs et matériellement vérifiables ont fortement altéré notre relation. Nous vous avons mis en garde sur l’impérieuse nécessité de modifier votre approche professionnelle en vous avertissant de ce que nous serions sans quoi contraints de réfléchir à la poursuite de notre collaboration, ce dont vous avez manifestement décidé de ne pas tenir compte.
Une telle attitude n’est pas acceptable de la part d’un cadre de votre niveau de responsabilité et ne peut être tolérée plus longtemps. Elle est par ailleurs incompatible avec la volonté affichée de l’Association de travailler harmonieusement. Par conséquent nous sommes aujourd’hui contraints de constater l’impossibilité de poursuivre nos relations de travail et nous vous notifions par la présente votre licenciement ».
Il ressort de la lecture de cette lettre de licenciement que les faits visés sont pour certains de nature disciplinaire, et pour d’autres destinés à étayer l’insuffisance professionnelle alléguée. Cette nature mixte est légale, mais les faits fautifs doivent être examinés sous l’angle des procédures disciplinaires, notamment au regard de la prescription.
– Sur les propos tenus verbalement ou par écrit par monsieur [F]
En ce qui concerne les dénonciations qui ont eu lieu à la fin de l’été 2017, précédemment évoquées, elles se sont produites plus de deux mois avant l’engagement de la procédure de licenciement, de sorte que ces faits sont couverts par la prescription.
En ce qui concerne le fait d’avoir dit à monsieur [U] que ‘ses épaules ne devaient pas porter grand chose’, outre qu’il ne résulte d’aucun élément produit par l’employeur, il s’agit d’une phrase sortie de son contexte, et qui dans ces conditions ne peut s’analyser comme une faute.
– Sur les absences aux réunions et les refus de répondre aux questions posées
La FFBA verse aux débats de nombreux mails, par lesquels monsieur [U], au cours du dernier trimestre de l’année 2017, posait à monsieur [F] des questions très précises dans la perspective de l’arrêté des comptes, et auxquels il n’a pas été répondu.
Il n’a en particulier donné aucune explication sur le fait qu’il présentait le 14 novembre 2017 un tableau montrant un excédent de 360.000 euros, et que six semaines plus tard, un tableau présenté dans le même format faisait apparaître une perte de 104.000 euros.
Monsieur [F] ne s’explique pas dans le cadre du présent litige sur les raisons pour lesquels il ne répondait pas aux questions précises de son trésorier, dans la période d’arrêté des comptes.
Ce refus manifeste de collaborer, et d’exécuter des missions entrant manifestement dans ses fonctions, est constitutif d’une faute, réitérée à de nombreuses reprises.
– Sur les insuffisances professionnelles alléguées
Le premier point concerne le fait que monsieur [F] ne voulait pas passer en dépréciation l’abandon du logiciel ‘passerelle’, compte tenu de la mise en liquidation de son éditeur.
L’employeur a diligenté un expert, dans le cadre de la procédure d’appel, pour analyser les griefs tenant à des insuffisances professionnelles invoqués dans la lettre de licenciement. La cour d’appel rappelle qu’il s’agit d’une expertise amiable, réalisée à la demande de l’une des parties.
En ce qui concerne cette écriture, l’expert mentionne ‘bien que les enregistrements comptables passés dans les livres de la FFBA ne soient pas conformes aux stipulations du plan comptable général, cela n’a pas eu pour conséquence de modifier le résultat comptable 2016. Contrairement à l’argumentaire développé par monsieur [V] [F], il n’y a pas eu de ‘baisse artificielle’ du résultat mais, banalement, une erreur de schéma comptable’. Ainsi, l’expert relève que l’association a bien fait un choix comptable contestable, mais qui est resté sans conséquence contrairement à ce qu’indique le salarié. Pour autant, il a bien validé le fait que l’écriture aurait dû être passée en provision pour risque, comme le préconisait monsieur [F], et non en dépréciation d’actif. De tels constats ne peuvent permettre de justifier d’une insuffisance professionnelle.
En ce qui concerne les subventions versées par l’ADEME, il s’agit de subventions qui avaient été versée à la FFBA, pour les comptes des banques alimentaires, auxquelles elles ont été reversées. La passation de ces écritures, qui aurait dû ne pas impacter les charges et produits de la FFBA, a été faite irrégulièrement, la régularisation étant intervenue à la demande de monsieur [U] en décembre 2017. Monsieur [F] n’apporte pas d’élément sur ce point, sauf à dire que la situation perdurait depuis plusieurs années, et que cette comptabilisation avait fait l’objet de validation par le passé par le commissaire aux comptes historique de l’association.
En ce qui concerne la comptabilisation des achats, l’analyse de la comptabilité réalisée par monsieur [K] a déterminé qu’à différentes occasions, les dépenses étaient directement enregistrées sur le compte de charge au moment de leur paiement, sans avoir été préalablement enregistrées sur un compte de tiers au moment de la facturation. Là encore, monsieur [F] sans formuler d’observation sur ces constats, relève que la pratique était la même depuis des années, sans que le commissaire aux comptes y trouve à redire.
Ces erreurs comptables sont établies, et même si elles n’ont été révélées qu’à l’occasion de l’arrivée d’un nouveau commissaire aux comptes, elles n’en révèlent pas moins une insuffisance professionnelle.
Il est constant que ces mauvaises pratiques perduraient depuis des années sans qu’aucune remarque n’ait pu permettre à monsieur [F] de modifier sa pratique. Toutefois, leur révélation se situe dans un contexte où monsieur [F], en refusant de répondre aux questions qui lui étaient posées, en s’opposant à la mise en place d’un nouveau logiciel, en s’opposant ouvertement au trésorier de l’association, en s’opposant à la nomination d’un co-commissaire aux comptes, a manifesté son refus de se soumettre aux nouvelles pratiques qui étaient attendues de lui.
L’ensemble de ces éléments constitue donc une cause réelle et sérieuse de licenciement, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté monsieur [F] de l’ensemble de ses demandes au titre de la rupture.
– Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail
Monsieur [F] expose que nonobstant la qualité de son travail qui n’a jamais été remise en cause, il n’a pas été écouté par son employeur, que les arbitrages rendus l’ont été en sa défaveur, et qu’il n’a pas été entendu quand il a alerté sa direction en octobre 2017 sur la dégradation de ses conditions de travail et le harcèlement moral dont il faisait l’objet depuis plusieurs mois. Il fait également état de la brutalité de la rupture du contrat de travail, nonobstant le fait que son licenciement n’a pas été prononcé pour faute grave.
Au regard des éléments qui précèdent, les désaccord entre monsieur [F] et le trésorier de l’association, ainsi que le nouveau commissaire au compte, sur les pratiques à mettre en oeuvre ne peuvent caractériser un comportement fautif de l’employeur.
Si l’arrivée d’un nouveau commissaire au compte, imposant de nouvelles pratiques, et le changement concomitant du logiciel, ont pu créer une situation de tension mal ressentie par le salarié, il demeure que ce dernier n’a pas saisi les opportunités qui lui ont été données de se former, qu’il n’a pas cherché à s’adapter aux exigences nouvelles, et a tenté de maintenir malgré les recommandations qui lui étaient faites, ses méthodes antérieures, sans qu’il puisse être fait grief à l’employeur de ne pas lui avoir laissé le temps de s’adapter.
Par ailleurs, les éléments du dossier ne permettent pas de retenir que la rupture ait eu un caractère brutal ou vexatoire.
Au regard de ces éléments, monsieur [F] sera débouté de ses demandes au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail.
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME le jugement,
Vu l’article 700 du code de procédure civile,
DIT n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile
DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes.
CONDAMNE monsieur [F] aux dépens de première instance et d’appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
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