COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
15e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 01 JUIN 2023
N° RG 21/02324 – N° Portalis DBV3-V-B7F-UUTU
AFFAIRE :
S.A.S. TORANN-FRANCE
C/
[T] [Y]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 30 Juin 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE
N° Section : AD
N° RG : F 18/03006
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Chantal DE CARFORT de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT
Me Ondine CARRO
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE PREMIER JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
S.A.S. TORANN-FRANCE
N° SIRET : 343 321 618
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Chantal DE CARFORT de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 462 – Représentant : Me Stéphane BAROUGIER, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1602
APPELANTE
****************
Monsieur [Y] [T]
né le 31 Décembre 1983 à [Localité 8] (MAURITANIE)
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Aurélie BOUSQUET, Plaidant, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire : 214, substituée par Me Anne-Lise HERRY, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS – Représentant : Me Ondine CARRO, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C212
INTIME
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 05 Avril 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Régine CAPRA, Présidente,
Monsieur Thierry CABALE, Président,
Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Sophie RIVIERE,
Par contrat de travail à durée indéterminée à temps plein du 7 août 2014, M. [T] a été embauché par la société Torann-France en qualité d’agent de sécurité.
Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité.
Lors de l’exécution du contrat de travail, M. [T] s’est vue notifier plusieurs avertissements pour des retards et des absences injustifiés.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 19 mars 2018, M. [T] a reçu une convocation à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, avec mise à pied conservatoire, prévu le 27 mars 2018.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 mars 2018, la société Torann-France a notifié à M. [T] son licenciement pour faute grave lui reprochant notamment des absences injustifiées.
Par requête reçue au greffe le 14 novembre 2018, M. [T] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre aux fins de contester la légitimité de son licenciement et d’obtenir le versement de diverses sommes.
Par jugement du 30 juin 2021, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Nanterre a :
– Fixé le montant du salaire brut moyen de Monsieur [Y] [T], sur les trois derniers mois précédant la rupture du contrat de travail à la somme de 1547,03 euros.
– Dit et jugé que la faute grave dont fait état la lettre de licenciement prononce par la SAS Torann-France, à l’encontre de Monsieur [Y] [T], n’est pas caractérisée ;
– Dit et jugé que le licenciement prononcé par la SAS Torann-France, à l’encontre de Monsieur [Y] [T], est sans cause réelle et sérieuse ;
– Condamné en conséquence la SAS Torann-France à payer à Monsieur [Y] [T] les sommes suivantes :
*3094,06 euros bruts à titre d’indemnité de préavis, avec adjonction des intérêts au taux légal, à compter du 29 novembre 2018 ;
*309,40 euros bruts à titre de congés payes y afférents, avec adjonction des intérêts au taux légal, A compter du 29 novembre 2018 ;
*1385,79 euros à titre d’indemnité légale de licenciement avec adjonction des intérêts au taux légal, à compter du 29 novembre 2018 ;
*700,43 euros bruts (sept cents euros quarante-trois) à titre de rappel de salaires dus pendant la période de mise à pied injustifiée, avec adjonction des intérêts an taux légal, à compter du 29 novembre 2018 ;
*70,04 euros bruts à titre de congés payés y afférents, avec adjonction des intérêts au taux légal, à compter du 29 novembre 2018 ;
*6091,39 euros, à titre d’indemnité pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, avec adjonction des intérêts au taux légal, à compter du 30 juin 2021 ;
*846,60 euros, à titre d’indemnité de rappel de salaire du 1er au 18 mars 2018, avec adjonction d’intérêts au taux légal, à compter du 29 novembre 2018 ;
*84,66 euros à titre de congés payés y afférents, avec adjonction des intérêts au taux légal, à compter du 29 novembre 2018 ;
*950 euros, à titre d’indemnité pour frais irrépétibles de procédure, avec adjonction des intérêts au taux légal, à compter du 30 juin 202l ;
– Ordonné la capitalisation des intérêts échus depuis plus d’un an à compter du 29 novembre 2018 ;
– Rappelé l’exécution de droit à titre provisoire des condamnations ordonnant le paiement des sommes accordées an titre de l’indemnité compensatrice de préavis, de l’indemnité de licenciement, du complément de salaire et des congés payés y afférents, dans la limite de 9 fois 1547,03 euros soit un total de 13 923.27 euros
– Condamné la SAS Torann-France à porter, à Monsieur [Y] [T], l’attestation de fin de contrat destinée a pôle emploi, le certificat de travail ainsi qu’un bulletin de paie, conformes au dispositif du présent jugement ;
– Dit et jugé n’y avoir lieu au prononcé d’une astreinte ;
– Débouté Monsieur [Y] [T] de ses demandes plus amples ou contraires ;
– Débouté la SAS Torann-France de sa demande d’indemnité pour frais irrépétibles de procédure
– Condamné la SAS Torann-France aux entiers dépens comprenant notamment les frais éventuels de signification et d’exécution forcée du présent jugement, par voie d’huissier,
Par déclaration au greffe du 16 juillet 2021, la SAS Torann-France a interjeté appel de cette décision.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 13 mars 2023, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, la SAS Torann-France demande à la cour de :
– Déclarer la société Torann France recevable et bien fondée en son appel,
– Infirmer le jugement du 30 juin 2021 en ce qu’il a condamné la société Torann France à payer à Monsieur [T] les sommes suivantes :
*3094,06 euros à titre d’indemnité de préavis,
*309,40 euros à titre de congés payés afférents
*1385,79 euros à titre d’indemnité légale,
*700,43’euros’ à’ titre’ de’ rappel’ de’ salaire’ sur’ mise’ à’ pied’ à’ titre conservatoire,
*70,04 euros à titre de congés payés afférents,
*6091,39 euros à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
*846,60 euros à titre de rappel de salaire du 1er au 18 mars 2018,
*84,66 euros à titre de congés payés afférents
*950 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– Dire et juger que la société Torann France n’est redevable d’aucune somme pour laquelle elle a été condamnée par le jugement dont appel,
– Déclarer Monsieur [T] mal fondé en son appel incident,
– Débouter Monsieur [T] en son appel incident,
– Débouter Monsieur [T] de l’ensemble de ses demandes,
– Condamner Monsieur [T] aux dépens,
– Condamner Monsieur’ [Y]’ [T] à’ payer’ à’ la’ société’ Torann France la somme de 1500 euros au titre’ des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, code de procédure civile.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 28 février 2023, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, M. [T] demande à la cour de :
Confirmant le jugement entrepris,
– Dire et juger que le licenciement de Monsieur [T] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
En conséquence, condamner la société Torann France à payer les sommes suivantes :
*Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 6091,39 euros avec intérêts au taux légal à compter du 30 juin 2021
*Indemnité légale de licenciement : 1385,79 euros avec intérêts au taux légal à compter du 29 novembre 2018.
*Indemnité compensatrice de préavis : 3 094,06 euros avec intérêts au taux légal à compter du 29 novembre 2018.
*Congés payés afférents : 309,40 euros avec intérêts au taux légal à compter du 29 novembre 2018.
*Rappel de salaire mise à pied du 19 mars au 30 mars 2018 : 700,43 euros avec intérêts au taux légal à compter du 29 novembre 2018.
*Congés payés afférents : 70,04 euros avec intérêts au taux légal à compter du’ 29 novembre 2018.
*Rappel de salaire (1er au 18 mars 2018) : 846,60 euros avec intérêts au taux légal à compter du 29 novembre 2018.
*Congés payés afférents : 84,66 euros avec intérêts au taux légal à compter du 29′ novembre 2018.
– Ordonner la capitalisation des intérêts échus depuis plus d’un an à compter du 29 novembre 2018
Infirmant la décision entreprise,
– Condamner la société Torann France à payer la somme suivante :
*Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 9282,21 euros avec les intérêts au taux légal depuis le 30 juin 2021
– Condamner la société Torann France au paiement de la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– La condamner en tous les dépens.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 15 mars 2023.
SUR CE,
En application de l’article L. 1232-1 du code du travail un licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse ;
Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n’appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d’instruction qu’il juge utile, il appartient néanmoins à l’employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué ;
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée du préavis ; la charge de la preuve incombe à l’employeur qui l’invoque ;
En l’espèce, la lettre de licenciement du 30 mars 2028, qui fixe les limites du litige, fait grief à M. [T] d’avoir été absent à son poste de travail depuis le 2 mars 2018 et ayant perduré malgré une mise en demeure du 12 mars 2018 ;
Il ressort du planning édité le 23 février 2018 que M. [T] était affecté à compter du 2 mars 2018 sur le site Sanofi de [Localité 6], pour y exercer ses fonctions d’agent de sécurité ;
La société Torann-France justifie que ce site était accessible en transports en commun avec un temps de trajet entre le domicile du salarié et le site de travail à [Localité 6] de 36 minutes ;
Par courrier du 12 mars 2018, adressé en recommandé avec accusé de réception, l’employeur relevait l’absence de prise de poste de M. [T] et de justificatif d’absence transmis et le mettait en demeure de justifier de son absence et de reprendre à défaut le travail ; l’accusé de réception de ce courrier par son destinataire daté du 15 mars 2018 est également versé aux débats ;
Dans son courrier de contestation du 19 avril 2018, M. [T] indiquait s’être déplacé sur le site Sanofi, y avoir travaillé une semaine, avoir fait remarquer au responsable de planning que le site était loin et ajoute que le responsable d’exploitation parlait mal aux gens ;
Force est de constater toutefois que M. [T] procède par voie de simples affirmations dans ce courrier postérieur au licenciement, non corroborées par d’autres éléments ;
M. [T] conteste dans ses écritures d’une part la clause de mobilité de son contrat de travail et son application, faisant valoir qu’elle ne définit pas de zone géographique d’application et qu’il a rencontré régulièrement des difficultés organisationnelles en raison des multiples changements de plannings décidés par l’employeur, et d’autre part le respect par l’employeur d’un délai calendaire de 7 jours pour la remise du planning ;
Le contrat de travail prévoyait une « clause de mobilité » rédigée de la manière suivante :
« La nature même des fonctions exercées suppose une disponibilité et une mobilité géographique et de nature des fonctions de la part du salarié, qui n’est jamais embauché pour être affecté sur un site client spécifique. Il est rappelé que le lieu d’exécution des obligations contractuelles s’étend sur l’ensemble des sites de l’agence de rattachement, et que les affectations géographiques peuvent faire l’objet d’une modification unilatérale de l’employeur en fonction du nombre de contrats conclus avec les clients de la société, de l’étendue des contrats, et des besoins du service.
Le salarié en est informé, et y consent sans réserve, qu’un changement d’affectation (lieu et/ou horaires de travail) pourra être réalisé unilatéralement par la société en fonction de ses besoins, et ne constitue pas une modification du contrat de travail. » ;
Le contrat établi à l’en-tête de Torran France Protection et sécurisation, « [Adresse 7] », correspondant à l’adresse du siège social ;
Ainsi, la clause de mobilité, qui limitait la zone géographique aux sites de l’agence de rattachement, apparaît suffisamment précise et régulière ;
En tout état de cause, le changement de lieu de travail dans le même secteur géographique constitue un simple changement des conditions de travail et non une modification du contrat de travail qui peut être imposé au salarié ; le changement de lieu de travail du site de [Localité 5] à [Localité 6] était situé dans le même secteur géographique et il est souligné à nouveau que ce dernier et nouveau site était accessible en transports en commun avec un temps de trajet raisonnable entre le domicile du salarié et le site de travail à [Localité 6] de l’ordre de 36 minutes ;
Cette affectation s’inscrivait aussi dans le respect de l’accord sur la pénibilité au travail de la société Torann France, daté du 18 mai 2027, prévoyant « la prise en compte des horaires de transports en commun pour la définition des horaires de vacation », étant observé par ailleurs que l’accord du 15 juillet 2014 relatif à l’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle invoqué aussi par M. [T] n’est applicable qu’au secteur de la sûreté aéroportuaire et non à l’activité de la société Torann France ;
S’il est exact que M. [T] s’est vu affecter sur de multiples sites et communes différentes au cours de sa relation de travail au sein de la société Torrann France, il demeure que la nature même de ses fonctions impliquait la possibilité de changements de sites et que ces changements sont intervenus au sein d’un même secteur géographique ;
Au demeurant, la société appelante relève que M. [T] ne justifie d’aucun refus de ses plannings antérieurs, qu’il n’indique pas davantage les difficultés organisationnelles qu’il aurait rencontré ni ne fournit non plus de justificatifs à ce sujet ;
La société Torrann France produit le planning de M. [T] édité le 23 février 2018 l’affectant au mois de mars 2018 sur le site Sanofi de [Localité 6], ainsi que la capture d’écran du logiciel Comète de planification des agents faisant ressortir que M. [T] en a été destinataire le 23 février 2018, soit dans le délai de prévenance de 7 jours ;
M. [T] produit un échange de mails des 27 et 28 février 2018 relatif au planning de mars 2018 dans lequel il indiquait que « je ne peux travailler là-bas car je ne suis pas polyvalent », alors qu’il est avéré que le planning du 27 février 2018 ne remettait pas en cause son affectation prévue sur le site de [Localité 6] et ce dans les fonctions d’agent de sécurité ;
En tout état de cause, les absences de M. [T] au travail se sont poursuivies au-delà 2 mars 2018, étant souligné que le courrier de l’employeur du 12 mars 2018 le mettait en demeure de reprendre le travail en l’absence de justificatif d’absence ; il est avéré et d’ailleurs non contesté que ses absences se sont poursuivies ;
L’appelante justifie par ailleurs de nombreuses sanctions disciplinaires antérieures délivrées à M. [T] au cours de la relation de travail, notamment en raison d’absences au travail ; si M. [T] critique certaines d’entre elles, il n’en demande pas l’annulation ;
En conséquence, la faute grave consécutive à l’absence prolongée de M. [T] à son poste depuis le 2 mars 2018 est établie ; le jugement sera donc infirmé et M. [T] débouté de l’ensemble de ses demandes ;
Compte tenu de la solution du litige, la décision entreprise sera infirmée de ces deux chefs et par application de l’article 696 du code de procédure civile, les dépens de première instance et d’appel seront mis à la charge de M. [T] ;
Il est conforme à l’équité de laisser à la charge de chacune des parties les frais par elles exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement entrepris,
Statuant de nouveau,
Dit le licenciement de M. [T] fondé sur une faute grave,
Déboute M. [Y] [T] de l’ensemble de ses demandes,
Laisse à la charge de chacune des parties les frais par elles exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens,
Condamne M. [Y] [T] aux dépens.
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Sophie RIVIERE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,
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