VC/LD
ARRET N° 304
N° RG 21/02903
N° Portalis DBV5-V-B7F-GMDB
[P]
C/
S.A. SAINT GOBAIN WEBER FRANCE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE POITIERS
Chambre Sociale
ARRÊT DU 01 JUIN 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 septembre 2021 rendu par le Conseil de Prud’hommes de POITIERS
APPELANT :
Monsieur [E] [P]
né le 15 Mai 1967 à [Localité 3] (86)
[Adresse 1]
[Localité 3]
Ayant pour avocat plaidant Me Pauline BRUGIER de la SARL BRUGIER AVOCAT, avocat au barreau de POITIERS
INTIMÉE :
S.A. SAINT GOBAIN WEBER FRANCE
N° SIRET : 385 019 070
[Adresse 2]
[Localité 4]
Ayant pour avocat postulant Me François-Xavier GALLET de la SELARL GALLET & GOJOSSO AVOCATS, avocat au barreau de POITIERS
Et ayant pour avocat plaidant Me Bruno GAGNEPAIN, substitué par Me Pascaline NEVEU, tous deux avocats au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 907 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 04 Avril 2023, en audience publique, devant :
Madame Valérie COLLET, Conseiller
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président
Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente
Madame Valérie COLLET, Conseiller
GREFFIER, lors des débats : Monsieur Damien LEYMONIS
GREFFIER, lors de la mise à disposition : Monsieur Lionel DUCASSE
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Monsieur Lionel DUCASSE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
La SA Saint Gobain Weber France développe des solutions pour la construction et la rénovation des façades, la préparation et la finition des sols, emploie environ 800 salariés répartis au niveau national sur une trentaine de sites et relève de la convention collective de la chimie et des industries chimiques.
M. [E] [P], né en 1967, a été engagé par la société Saint Gobain Weber France en qualité de chef des ventes aux termes d’un contrat à durée indéterminée du 5 février 1996.
Au dernier état de la relation contractuelle M. [P] bénéficiait du statut cadre, coefficient 609 et percevait un revenu moyen mensuel de 5 127,74 euros brut outre un avantage en nature véhicule valorisé à 253,75 euros brut.
Il était placé sous la responsabilité hiérarchique de M. [W], directeur régional des ventes Ouest.
Par courrier du 15 mai 2019 la société Saint Gobain Weber France a convoqué M. [P] à un entretien préalable fixé le 23 mai 2019 auquel il a comparu assisté de M. [G]. A l’issue de cet entretien M. [W] a informé par mail M. [P] qu’il était dispensé d’activité jusqu’à la prise de décision concernant son contrat de travail et que la période d’inactivité lui serait rémunérée.
M. [P] a été placé en arrêt de travail à compter du 25 mai 2019.
Par lettre recommandée avec accusé réception du 27 mai 2019 M. [P] a contesté les reproches articulés contre lui au cours de l’entretien préalable.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 juillet 2019 la société Saint Gobain Weber France a licencié M. [P] pour insuffisance professionnelle et l’a dispensé d’exécuter son préavis de trois mois.
M. [P] a perçu une somme de 44 627 euros au titre de l’indemnité de licenciement.
Le 12 novembre 2019 M. [P] a saisi le conseil de prud’hommes de Poitiers aux fins notamment de contester son licenciement avec toutes conséquences de droit sur son indemnisation (180 000 euros) outre l’indemnisation (10 000 euros) de l’exécution déloyale du contrat de travail et d’un licenciement vexatoire.
Par jugement du 27 septembre 2021 le conseil de prud’hommes de Poitiers a notamment :
* jugé que la déloyauté de la société Saint Gobain Weber France à l’égard de M. [P] n’était pas retenue,
* considéré que les conditions de la rupture étaient vexatoires et condamné la société Saint Gobain Weber France à payer à M. [P] la somme de 6 500 euros à titre de dommages et intérêts,
* considéré que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse et débouté M. [P] de sa demande de dommages et intérêts,
* condamné la société Saint Gobain Weber France à payer à M. [P] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
* débouté les parties du surplus de leurs prétentions,
* condamné la société Saint Gobain Weber France aux entiers dépens.
Vu l’appel régulièrement interjeté par M. [P] ;
Vu les dernières conclusions transmises au greffe de la cour le 2 mars 2023 aux termes desquelles M. [P] demande notamment à la cour de réformer la décision déférée et statuant à nouveau de :
* juger que la société Saint Gobain Weber France a fait preuve de déloyauté contractuelle et que les conditions de rupture étaient vexatoires et condamner la société Saint Gobain Weber France à lui payer une somme de 10 000 euros net à titre de dommages et intérêts,
* juger que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, constater que le barème prévu par l’article L 1235-3 du code du travail ne permet pas une indemnisation adéquate du salarié et condamner la société Saint Gobain Weber France à lui payer la somme de 180 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour l’ensemble des préjudices engendrés par la rupture du contrat de travail,
* condamner la société Saint Gobain Weber France à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, pour les frais irrépétibles de première instance et celle de 3 000 euros pour les frais irrépétibles d’appel,
* dire que les sommes allouées porteront intérêts à compter de la saisine du conseil de prud’hommes avec capitalisation des intérêts,
* ordonner à la société Saint Gobain Weber France de lui remettre les documents de rupture et notamment l’attestation Pôle emploi rectifiée sous astreinte de 150 euros par jour de retard passés 8 jours à compter de la notification de l’arrêt,
* débouter la société Saint Gobain Weber France de l’ensemble de ses demandes ;
Vu les dernières conclusions transmises au greffe de la cour le 6 mars 2023 aux termes desquelles la société Saint Gobain Weber France demande notamment à la cour de :
* confirmer la décision déférée sauf en ce qu’elle a retenu que le licenciement était vexatoire et satisfait la demande indemnitaire de M. [P] de ce chef, la cour statuant à nouveau devant débouter M. [P] de ce chef,
* subsidiairement juger que M. [P] ne justifie d’aucun préjudice au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse et au titre du licenciement vexatoire et limiter ses prétentions indemnitaires à la somme de 17 356 euros s’agissant du licenciement sans cause réelle et sérieuse et à une somme symbolique s’agissant du licenciement vexatoire,
* débouter M. [P] du surplus de ses demandes ;
Vu l’ordonnance de clôture en date du 7 mars 2023 ;
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, de moyens et de l’argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux conclusions déposées.
SUR CE
Sur le licenciement :
La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige opposant les parties a énoncé plusieurs motifs d’insuffisance professionnelle qui seront examinés au visa de l’article L 1235-1 du code du travail, le doute profitant au salarié. Il appartient au juge de vérifier la cause exacte du licenciement sans s’arrêter à la qualification donnée par l’employeur.
L’insuffisance professionnelle s’analyse comme l’incapacité du salarié à exécuter ses fonctions contractuelles. L’appréciation de cette insuffisance relève du pouvoir de direction de l’employeur mais ne le dispense pas d’invoquer des faits objectifs, précis et vérifiables, de satisfaire préalablement son obligation de formation et d’adaptation au poste et de prendre en compte, pour y remédier, les demandes pertinentes du salarié sur ce point ou sur sa charge de travail.
L’insuffisance de résultats ne peut à elle seule caractériser une cause réelle et sérieuse de licenciement, sauf si des objectifs commerciaux, réalisables et compatibles avec le marché et les moyens du salarié concerné, lui ont été préalablement fixés par l’employeur, ce contexte devant être vérifié par la cour. Il peut alors être tenu compte du délai imparti au salarié pour atteindre les objectifs fixés, des résultats obtenus par ses collègues sur un secteur ou un laps de temps comparables, de la situation du marché, de l’évolution de l’entreprise et de sa politique commerciale.
L’insuffisance professionnelle devient fautive si elle procède d’une abstention volontaire ou d’une mauvaise volonté délibérée du salarié ou d’une persistance dans son comportement.
En l’espèce par lettre recommandée avec accusé réception du 16 juillet 2019 la société Saint Gobain Weber France a licencié M. [P] pour insuffisance professionnelle en lui reprochant :
– une démobilisation et une perte d’implication depuis plusieurs années, s’étant illustrées tant au niveau des résultats commerciaux que du management de son équipe sur la région de vente 17 (RV17),
– une baisse du chiffre d’affaires de la RV17, la région n’atteignant même pas une performance suffisante, notamment en comparaison avec la RV35 et de mauvais résultat à mi-2019, la RV17 réalisant un résultat négatif depuis 2016,
– une absence de motivation et de développement de son équipe de vente, les objectifs fixés n’étant pas atteints, et un manque de visites étant constaté par rapport à la région 35, M. [P] étant défaillant dans sa présence et son accompagnement de son équipe commerciale,
– le mécontentement des clients consécutif à un manque de présence sur le terrain, à un manque de réactivité dans les délais de traitement, à un manque de suivi des dossiers, à une mauvaise gestion des encours de factures.
Les premiers juges ont considéré à nouveau par des motifs sommaires que le licenciement était bien fondé, les entretiens individuels annuels de M. [P] de 2018 et 2019 versés aux débats par la société Saint Gobain Weber France établissant, ainsi que soutenu par l’employeur, que les résultats du salarié étaient insuffisants en dépit des alertes reçues.
M. [P] critique cette appréciation que la société Saint Gobain Weber France demande à la cour de confirmer.
M. [P] était chargé de la région de vente 17 dite RV17. Il justifie que le découpage commercial de l’activité de la société Saint Gobain Weber France a été modifié à plusieurs reprises. Ainsi la RV17 était composée en 2010 de 8 départements, M. [P] étant responsable de 7 commerciaux, en 2013 de 14 départements sur lesquels intervenaient 13 commerciaux, en 2016 de 11 départements pour 11 commerciaux et en 2019 de 13 départements pour 10 commerciaux.
Au vu de la pièce 18-1 communiquée par M. [P] au 1er janvier 2018 la RV17 (17, 16, 79, 86, 87, 23, 36, 37, 49, 53, 72 et 41) et la RV35 composée de 9 départements (85, 44, 56, 29, 22, 35, 50, 14 et 61), ayant pour chef des ventes M. [L], étaient placées sous la hiérarchie de M. [W], directeur régional des ventes Ouest. Ainsi la société Saint Gobain Weber France pouvait légitimement comparer l’activité et les résultats des deux régions de vente dans la lettre de licenciement puisqu’elles appartenaient à la même région commerciale et relevaient d’une même hiérarchie.
La société Saint Gobain Weber France verse aux débats les résultats chiffrés de ces deux régions de vente en ce inclus leur classement national, ce qui permet de vérifier qu’en 2016 la RV17 était 12ème et en dernière position, qu’en 2017 elle était 9ème, qu’en 2018 elle était 8ème, qu’en 2019 elle était 9ème et qu’en 2020, alors que M. [P] avait été licencié et remplacé par M. [I] elle était 4ème. Ce classement est basé sur des données chiffrées objectives et vérifiables.
Les pièces 4 à 6 communiquées par la société Saint Gobain Weber France sont concordantes avec les critiques chiffrées énoncées dans la lettre de licenciement sur les résultats de la VR17 en ce inclus les comparaisons avec les résultats de la RV35, la non-atteinte des objectifs, la baisse du chiffre d’affaires, l’insuffisance de nombre de visites.
La société Saint Gobain Weber France s’appuie sur les entretiens annuels tenus entre M. [P] et M. [W] le 13 février 2018 et le 13 février 2019 et concernant respectivement son activité 2017 et 2018.
La conclusion de l’entretien du 13 février 2018 insiste sur la nécessité pour M. [P] ‘d’inverser la tendance en CA sur la RV17, d’avoir plus de leader ship et de pilotage d’équipe ferme et constructif’. Plus particulièrement il lui est demandé de s’affirmer dans son rôle de manager et de s’imposer en interne et en externe sans s’arrêter sur le réseau externe et son ancienneté sur le périmètre géographique et la connaissance des clients.
La conclusion de l’entretien du 13 février 2019 considère que M. [P] doit impérativement inverser la tendance car depuis trop longtemps cette région n’atteint pas ses résultats, M. [P] devant radicalement modifier son management et mettre en place un suivi plus régulier enclenchant une orientation des résultats positifs. Préalablement il est noté que M. [P] ‘doit reprendre le pilotage intégralement de son équipe afin que les messages et objectifs soient compris et atteints, qu’il doit anticiper et ne plus subir, qu’il doit motiver son équipe à l’atteinte des objectifs et vérifier les résultats, qu’il a une bonne écoute mais doit transformer sa communication’.
Ainsi depuis deux ans la société Saint Gobain Weber France attirait l’attention de M. [P] sur la nécessité de renforcer son management pour atteindre les objectifs fixés, ses méthodes n’étant pas adaptées aux résultats attendus. L’employeur était donc fondé à tirer les conséquences de l’incapacité du salarié à modifier son management et à se conformer aux alertes exprimées.
S’agissant des difficultés à augmenter le chiffre d’affaires de cette région de vente depuis plusieurs années, M. [P] fait valoir qu’à les supposer réelles, ce qu’il conteste, elles n’étaient pas imputables à son comportement
fautif ni à une insuffisance professionnelle. Il explique avoir subi un changement fréquent de secteur commercial alors que la région de vente 17 n’était pas favorable à l’implantation de l’équipe commerciale qu’il dirigeait, ce en raison de la dimension de la région de vente, des départements concernés et de la réorganisation et des variations incessantes des commerciaux. M. [P] ajoute qu’à compter du 1er juillet 2018 il a été placé sous la hiérarchie de M. [X] [W] dont il ne partageait pas les méthodes et dont le management s’exerçait par la pression, la peur et le chantage, ainsi que dénoncé
par les attestations de Mme [F] et M. [N]. M. [P] en conclut qu’il s’est adapté tout au long des années, tout comme son équipe, et qu’en cas de difficultés réelles il aurait dû bénéficier de mesures d’accompagnement ou de formation pour acquérir de nouvelles compétences mais non perdre son emploi.
M. [P] souligne également que le contexte économique était défavorable, que la société Saint Gobain Weber France souffrait au plan national depuis plusieurs années d’une évolution négative du marché du bâtiment et d’un manque de rentabilité lié aux prix de vente pratiqués et supérieurs à ceux de ses concurrents ainsi qu’indiqué dans un mail par Mme [H] directrice générale, que la région de vente 17 était la plus touchée par la baisse du nombre de constructions neuves, que les comptes rendus des réunions extraordinaires communes du CE tenues les 4 et 19 avril 2019 mettent en évidence ces problématiques.
Or la cour est en mesure de vérifier que toutes les régions de vente ont été réorganisées, ainsi que déjà discuté dans les motifs précédents, la situation de la RV17 étant comparable avec celle des autres pour les difficultés résultant de la nécessité de s’adapter à plusieurs reprises aux changements décidés. Le contexte des réorganisations précitées et leur impact ont toujours été mentionnés en introduction des entretiens annuels de M. [P].
Compte tenu des motifs déjà développés M. [P] rétorque vainement que les résultats et l’évolution du chiffre d’affaires de la région de vente 17 étaient ‘très corrects’ au regard de la moyenne nationale, que ses résultats étant même meilleurs que ceux de ses autres collègues, que le manque de résultat reproché n’étant pas avéré et que le classement des régions opéré par la société Saint Gobain Weber France était discutable. C’est de même à tort compte tenu encore des motifs déjà développés que M. [P] affirme que la comparaison de la RV17 avec la RV35 était inopérante car partiale et mensongère. Selon M. [P] l’activité des commerciaux de la région 17 bénéficiait à la région 35 ce qu’il ne démontre pas.
Par ailleurs le mail de Mme [H] en date du 24 novembre 2016 adressé à quatre destinataires dont M. [P], intitulé ‘retour visite [Localité 5] et clients’ qualifiait la région de vente de ‘sinistrée’, analysait les motifs de mécontentement des clients et concluait de ses observations : ‘il est urgent de réagir et redresser la barre afin que vous trouviez ensemble une solution à ce service dégradé… compte tenu des atouts constitués par un site industriel proche des clients, de bons produits, de l’expérience et de la mobilisation des salariés concernés’. La directrice générale n’était donc pas défaitiste mais exigeait un redressement de la situation, ce qui constituait une alerte ferme mais encourageante.
De même ‘en dépit d’une dégradation du marché de la construction, d’une météo défavorable et d’une concurrence féroce’, un mail du 24 octobre 2018 adressé par Mme [U] aux membres de équipes commerciales les a incitées à ‘l’action’, à ‘être présents sur le terrain’ et à ‘réaliser de belles ventes pour l’année 2019″. M. [P] ne peut ignorer que, quelle que soit la conjoncture et ses difficultés, la mission d’un chef des ventes reste de développer l’activité et les résultats commerciaux, ce que ses collègues ont réussi mieux que lui compte tenu des comparaisons chiffrées déjà discutées.
M. [P] communique les comptes rendus des entretiens annuels tenus pour apprécier son activité durant les années 2015 et 2016. Si l’entretien du 15 février 2016 concernant l’activité 2015 a été réalisé par M. [D], alors directeur régional, il y est déjà noté que M. [P] ‘doit améliorer son impact managérial sur son équipe et être plus décisif dans le pilotage des grands comptes négoces et qu’il doit être plus performant dans sa communication’. Ainsi, M. [P] ne peut dénier que dès 2016 alors qu’il était évalué par un autre directeur régional que M. [W] il avait reçu une alerte sur l’insuffisance de
son management. Chargé de l’entretien annuel du 15 février 2017 sur l’activité 2016 M. [W] a souligné la bonne connaissance de son métier par M. [P] mais lui a demandé de ‘challenger et créer l’esprit d’équipe et de construire une relation forte avec les distributeurs intégrés’.
Certes M. [N] et Mme [F] attestent d’un management exigeant de M. [W] mais la société Saint Gobain Weber France justifie avoir licencié ces deux salariés, attachés technico-commerciaux sur la RV17, pour insuffisance professionnelle le 29 octobre 2019, ce qui fragilise l’impartialité de leur témoignage. Au surplus la lecture des comptes rendus d’entretien annuel concernant M. [P] et des mails rédigés par M. [W] ne caractérise pas un management agressif tel que soutenu par l’appelant et basé selon lui sur les pressions et la peur. Plus particulièrement M. [P] ne démontre pas que M. [W] n’acceptait pas sa personnalité et son mode de management au motif qu’il était à l’opposé du sien. En effet, ainsi que déjà observé, le précédent directeur régional avait émis les mêmes recommandations que M. [W] sur la nécessité pour M. [P] d’améliorer le management des équipes. En outre, les appréciations faites par M. [W] sur M. [P] sont dénuées de tout commentaire subjectif et il a toujours reconnu que M. [P] connaissait son métier tout en soulignant que son management était défaillant.
M. [P] soutient que les commerciaux devaient enregistrer leurs visites grâce au logiciel Pivotal mais qu’en raison de dysfonctionnements répétés de cet outil toutes les visites n’étaient pas enregistrées, les données y figurant ne reflétant pas la réalité de l’activité commerciale sans que ces problèmes lui soient imputables. Toutefois il n’a jamais excipé de cet argument au cours des entretiens annuels et il omet que la lettre de licenciement ne vise pas seulement l’insuffisance des visites effectuées par les commerciaux.
M. [P] soutient également que dans le cadre du plan d’économie décidé par le groupe Weber Saint Gobain et Saint Gobain il existait une volonté de supprimer le ‘middle management’, qu’ainsi en 2010 la société comptait 21 chefs des ventes dont 3 en région parisienne alors qu’elle n’en comptait plus que 7 en 2022 notamment en raison du départ de M. [J] en février 2020 et du licenciement de M. [C] en fin d’année 2020, ces deux chefs des ventes n’étant pas remplacés, qu’en dépit d’une sommation de communiquer faite en première instance et réitérée en cause d’appel la société Saint Gobain Weber France n’a pas communiqué son registre d’entrée et sortie du personnel. Toutefois les motifs précédents ont déjà discuté de la réalité de l’insuffisance professionnelle reprochée à M. [P], l’employeur étant en droit de licencier un salarié pour ce motif, s’il est avéré, nonobstant des difficultés économiques.
La cour relève enfin que si M. [P] a fait état d’une charge de travail élevée lors des entretiens annuels tenus entre 2016 et 2018 il a déclaré le 13 février 2019 ‘trouver son équilibre entre le perso et le pro’, sans solliciter de soutien ou d’accompagnement.
En conséquence de ces motifs la cour juge le licenciement pour insuffisance professionnelle bien fondé et confirme la décision déférée de ce chef et en ce qu’elle a débouté M. [P] de sa demande indemnitaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur l’exécution déloyale du contrat de travail et le licenciement vexatoire :
En application de l’article L 1222-1 du code du travail le contrat de travail est exécuté de bonne foi.
Sur le fondement de l’article 1240 du code civil (ancien article 1382) ou des articles 1217 et 1231-1 (ancien article 1147) le salarié peut solliciter l’indemnisation du préjudice subi et consécutif à un licenciement brutal et vexatoire, distinct du préjudice résultant de la perte d’emploi sous réserve de prouver le comportement fautif de l’employeur, la réalité du préjudice allégué et le lien de causalité.
Par des motifs très sommaires les premiers juges ont considéré que l’exécution déloyale dont se prévalait M. [P] n’était pas établie, qu’en revanche la mesure de licenciement était vexatoire ont limité de ce chef l’indemnisation du salarié à la somme de 6 500 euros.
M. [P] demande à la cour de retenir que les deux manquements discutés sont établis et de condamner la société Saint Gobain Weber France à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts. La société Saint Gobain Weber France objecte n’avoir commis aucune faute, M. [P] devant être débouté de sa prétention indemnitaire et la cour devant réformer la décision déférée en ce sens.
M. [P] fait valoir qu’il a été licencié alors que salarié depuis 1996 il n’avait jamais reçu de sanction ni même d’avertissement, qu’il s’est durant 23 ans conformé aux évolutions de l’entreprise et adapté aux nouvelles définitions de secteurs de vente plus particulièrement en 2016 puis 2018, qu’il a formé et encadré plusieurs commerciaux, que l’entretien annuel tenu le 13 février 2019 faisait suite à l’annonce six semaines auparavant d’un nouveau management. Selon M. [P] son licenciement a été mis en place par la direction avec l’appui de son N+1, le directeur régional M. [W], mais lui a été dissimulé alors qu’en formation à [Localité 6] au siège de la société en mai 2019 il a rencontré le directeur général, la directrice des ressources humaines et M. [W] et qu’il a ensuite été avisé téléphoniquement le 15 mai 2019 puis par courrier de sa convocation à l’entretien préalable fixé le 23 mai 2019.
M. [P] rappelle avoir comparu à cet entretien, en avoir été choqué au point d’être placé en arrêt de travail pour maladie le 25 mai 2017 et avoir contesté en vain par courrier du 27 mai 2019 les reproches articulés contre lui. Il souligne avoir ensuite dû attendre la décision de l’employeur et, alors qu’il était toujours en arrêt de travail, avoir été contacté les 18 et 19 juin 2019 pour un nouvel entretien fixé le 24 juin 2019 auquel il n’a pu se rendre compte tenu de son état de santé, son conseil écrivant en ce sens à son employeur par lettre recommandée avec accusé réception du 24 juin 2019 restée sans réponse. M. [P] insiste sur une notification de son licenciement intervenue seulement le 16 juillet 2019 après un délai d’attente difficile. M. [P] invoque un préjudice psychologique caractérisé par un syndrome anxio-dépressif ayant nécessité un suivi jusqu’en novembre 2019.
M. [P] soutient avoir ainsi été confronté à la déloyauté de son employeur et avoir été victime d’un licenciement brutal et vexatoire. Il sollicite la somme de 10 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour la souffrance et l’anxiété engendrées outre la perte de situation et de rémunération pendant deux mois.
La société Saint Gobain Weber France s’oppose à cette argumentation et à cette prétention. Elle rétorque, d’une part, que tout licenciement est vécu comme vexatoire par le salarié dont le contrat de travail est rompu surtout si des griefs le mettent en cause, sans que pour autant la volonté d’humilier puisse être retenue et qu’au contraire, d’autre part, le délai écoulé entre l’entretien préalable et la notification du licenciement démontre la volonté de l’employeur d’étudier avec soin les explications du salarié avant de prendre une décision. Elle demande à la cour de réformer la décision déférée en déboutant M. [P] de sa demande indemnitaire.
M. [P] ne peut reprocher à la société Saint Gobain Weber France de lui avoir dissimulé au cours d’une formation à [Localité 6] son intention d’envisager son licenciement. En effet, la procédure de licenciement s’engage par la convocation à l’entretien préalable et exige le respect des dispositions du code du travail.
De même la société Saint Gobain Weber France n’était pas légalement tenue de répondre aux courriers de protestation envoyés par M. [P] puis son conseil ni d’accueillir la proposition de solution amiable exprimée dans la lettre du 24 juin 2019 de Me Brugier.
En revanche les griefs développés dans la lettre de licenciement n’imposaient pas de dispenser M. [P] d’activité et de l’en informer par mail adressé par la responsable des ressources humaines le 23 mai 2019 à 15h51, peu important que sa rémunération lui ait été maintenue, conformément aux règles légales d’ailleurs. Cette éviction du salarié, dans l’attente d’une décision sur le sort de son contrat de travail et en l’absence de comportement volontairement fautif s’analyse comme une mesure brutale et vexatoire, jetant exagérément la suspicion sur ses compétences et ses agissements professionnels.
En outre M. [P] a été placé en arrêt de travail à partir du 25 mai 2019 et initialement jusqu’au 7 juin 2019. Compte tenu des termes du courrier envoyé le 27 mai 2019 par M. [P], la société Saint Gobain Weber France ne pouvait ignorer la proximité de date entre l’entretien tenu le 23 mai 2019, la dispense d’activité décidée et la dégradation de l’état de santé du salarié. Le fait que l’employeur persiste à ignorer les protestations du salarié et de son conseil et choisisse de ne pas leur répondre trahit un certain mépris à l’encontre de la réaction physique et psychique de M. [P], salarié pourtant présent dans l’entreprise depuis 23 ans, et accentue le caractère brutal et vexatoire du licenciement.
Enfin la société Saint Gobain Weber France fonde les motifs du licenciement sur les résultats financiers et commerciaux de la RV17, décevants et consécutifs selon elle au management de M. [P], éléments chiffrés et objectifs. Or elle n’explique pas de manière convaincante avoir, en l’état de cette situation, été contrainte de prendre le temps de réfléchir à la décision de licenciement au point de notifier sa décision seulement le 16 juillet 2019. Ainsi c’est par un comportement déloyal qu’elle a soumis M. [P], dont l’état de santé était déjà fragilisé, à une attente de presque deux mois.
En conséquence de ces motifs et M. [P] établissant le préjudice physique et psychique subi, la cour condamne la société Saint Gobain Weber France à payer à M. [P] la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire et exécution déloyale du contrat de travail.
La cour réforme la décision déférée en ce sens.
Sur les autres demandes, les dépens et les frais irrépétibles :
La cour rappelle que les sommes allouées à titre indemnitaire sont exonérées de cotisations sociales dans les conditions légales et réglementaires applicables et que les condamnations à titre de dommages et intérêts portent intérêts au taux légal dans les conditions prévues par l’article L 1231-7 du code civil.
La société Saint Gobain Weber France qui succombe même partiellement sera condamné aux entiers dépens.
L’issue de l’appel, l’équité et les circonstances économiques commandent de faire droit à l’indemnité prévue par l’article 700 du code de procédure civile au profit de M. [P] à hauteur de la somme de 1 500 euros.
PAR CES MOTIFS
Réforme la décision déférée en ce qu’elle a jugé que la société Saint Gobain Weber France n’avait pas eu de comportement déloyal et en ce qu’elle a condamné la société Saint Gobain Weber France à payer à M. [P] la somme de 6 500 euros à titre de dommages et intérêts pour conditions de rupture vexatoires et statuant à nouveau de ces chefs :
Juge que la société Saint Gobain Weber France a eu un comportement déloyal à l’encontre de M. [P] et que la rupture du contrat de travail est intervenue dans des conditions brutales et vexatoires ;
Condamne la société Saint Gobain Weber France à payer à M. [P] la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et conditions brutales et vexatoires de rupture du contrat de travail ;
Confirme pour le surplus la décision déférée ;
Y ajoutant :
Condamne la société Saint Gobain Weber France à payer à M. [P] une somme complémentaire de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Rappelle que les sommes allouées à titre indemnitaire sont exonérées de cotisations sociales dans les conditions légales et réglementaires applicables et que les condamnations à titre de dommages et intérêts portent intérêts au taux légal dans les conditions prévues par l’article L 1231-7 du code civil ;
Déboute les parties du surplus de leurs prétentions ;
Condamne la société Saint Gobain Weber France aux dépens d’appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
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