Incompétence des juridictions françaisesLes sociétés françaises et irlandaises du groupe Yahoo ont soulevé avec succès la nullité d’une assignation en déréférencement de liens hypertextes et une exception d’incompétence des juridictions françaises. Les juridictions françaises ont été déclarées territorialement incompétentes pour statuer sur les demandes de déréférencement de pages internet malveillantes à l’endroit de plusieurs personnes physiques. Fondement de l’action en déréférencementL’action de déréférencement a été engagée aux visas de l’article 9 du code civil, de la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 et de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. Depuis le 25 mai 2018, une telle action procède de la mise en oeuvre du Règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel, dont l’article 79.2 définit les règles de compétence territoriale pour la mise en oeuvre de cette action. Toutefois, à l’époque des faits, le règlement n’était pas applicable à la demande : le droit du déréférencement procédait donc, s’agissant plus spécifiquement du juge des référés, de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, dite loi informatique et liberté et de l’article 6-I-8° de la loi pour la confiance dans l’économie numérique qui prévoit que l’autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne. Ce droit au déréférencement doit être mis en oeuvre à la lumière de la directive 95/46/CE sur la protection des données personnelles, dont la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, grande chambre, 13 mai 2014, aff. C-131/12, Google Spain SL et Google Inc contre Agencia Española de Protección de Datos (AEPD) et Mario Costeja González) a déduit que les internautes peuvent demander, sous certaines conditions, la suppression des liens vers des informations portant atteinte à la vie privée. Aucun de ces textes ne contient de dispositif spécifique de compétence territoriale, de sorte que c’est à bon droit que les demandeurs se sont référés aux dispositions du code de procédure civile, tel qu’il doit être mis en oeuvre pour donner un effet utile à la directive précitée. A cet égard, les trois sociétés du groupe Yahoo étaient simultanément visées par la demande de déréférencement qui ne concernait donc pas seulement la France mais toute l’Europe, étant observé que les liens dont le déréférencement était demandé conduisaient vers des articles qui étaient rédigés en langue anglaise, et non française (moteurs anglais et américains de Yahoo). Or, il appartenait aux demandeurs de saisir soit les juridictions de l’État membre du lieu d’établissement de l’émetteur des contenus, soit les juridictions de l’État membre dans lequel se trouve le centre de leurs intérêts, ce qui ne correspond aux juridictions françaises dans aucun de ces deux cas. Les demandeurs ont fait valoir en vain qu’ils pouvaient saisir le juge du lieu d’accessibilité du site pour le dommage subi sur le territoire français. Cependant, le critère de l’accessibilité du site n’est pertinent que pour l’hypothèse d’une action limitée au seul dommage causé sur le territoire de l’État membre de la juridiction saisie et la demande de provision formulée ne contenait pas cette limite. Le lieu du fait dommageable, tel que résultant de l’article 46 du code de procédure civile, n’est pas davantage pertinent pour fonder une compétence territoriale des juridictions françaises. En effet, s’il n’est pas contesté que les sites en question sont accessibles en France, cette accessibilité n’est pas limitée au seul territoire français, non plus que la portée de la demande de déréférencement. Atteinte aux droits de la personnalité et compétence territorialeLe règlement (CE) nº 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale prévoit (article 2), que les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. A titre dérogatoire, l’article 5 prévoit qu’une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire. Dans son arrêt du 25 octobre 2011 (grande chambre, eDate Advertising GmbH contre X. et Olivier et Robert contre MGN Limited, affaires jointes C-509/09 et C-161/10), la Cour de Luxembourg a précisé que l’article 5 du règlement du 22 décembre 2000 doit être interprété en ce sens que, en cas d’atteinte alléguée aux droits de la personnalité au moyen de contenus mis en ligne sur un site Internet, la personne qui s’estime lésée a la faculté de saisir d’une action en responsabilité, au titre de l’intégralité du dommage causé, soit les juridictions de l’État membre du lieu d’établissement de l’émetteur de ces contenus, soit les juridictions de l’État membre dans lequel se trouve le centre de ses intérêts. Cette personne peut également, en lieu et place d’une action en responsabilité au titre de l’intégralité du dommage causé, introduire son action devant les juridictions de chaque État membre sur le territoire duquel un contenu mis en ligne est accessible ou l’a été. Celles-ci sont compétentes pour connaître du seul dommage causé sur le territoire de l’État membre de la juridiction saisie.
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→ Questions / Réponses juridiques
Quelles sont les raisons de l’incompétence des juridictions françaises dans cette affaire ?L’incompétence des juridictions françaises a été déclarée en raison de la territorialité des demandes de déréférencement. Les sociétés du groupe Yahoo ont contesté la compétence des juridictions françaises, arguant que les demandes de déréférencement concernaient des contenus accessibles à l’échelle européenne, et non spécifiquement en France. Les liens en question renvoyaient à des articles rédigés en anglais, ce qui soulève des questions sur la compétence territoriale. Selon les règles de compétence, les demandeurs auraient dû saisir les juridictions de l’État membre où l’émetteur des contenus est établi ou celles de l’État membre où se trouve le centre de leurs intérêts. Ainsi, les juridictions françaises n’étaient pas compétentes, car les critères de compétence n’étaient pas remplis. Les demandeurs ont tenté de justifier leur saisine en invoquant le lieu d’accessibilité du site, mais cela n’était pertinent que pour des actions limitées à des dommages sur le territoire français, ce qui n’était pas le cas ici. Quel est le fondement juridique de l’action en déréférencement ?L’action en déréférencement repose sur plusieurs textes juridiques. Initialement, elle était fondée sur l’article 9 du code civil, la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, et la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, qui visent à protéger la vie privée et à encadrer la responsabilité des services de communication en ligne. Depuis le 25 mai 2018, le Règlement (UE) 2016/679, connu sous le nom de RGPD, est devenu applicable. Ce règlement établit des règles de compétence territoriale pour les actions de déréférencement, mais à l’époque des faits, il n’était pas encore en vigueur. Ainsi, le droit au déréférencement était principalement régi par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, dite loi informatique et liberté, et l’article 6-I-8° de la loi pour la confiance dans l’économie numérique. Ces textes permettent à l’autorité judiciaire de prescrire des mesures pour prévenir ou faire cesser un dommage causé par des contenus en ligne. Comment la compétence territoriale est-elle déterminée dans le cadre d’une action en déréférencement ?La compétence territoriale dans le cadre d’une action en déréférencement est déterminée par plusieurs critères. Selon le règlement (CE) nº 44/2001, les personnes domiciliées dans un État membre peuvent être attraites devant les juridictions de cet État, quelle que soit leur nationalité. En matière délictuelle, l’article 5 de ce règlement stipule qu’une personne peut être poursuivie dans un autre État membre, au tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit. La Cour de justice de l’Union européenne a précisé que, pour les atteintes aux droits de la personnalité via des contenus en ligne, la personne lésée peut saisir les juridictions de l’État où l’émetteur des contenus est établi ou celles de l’État où se trouve son centre d’intérêts. Il est également possible d’introduire une action devant les juridictions de chaque État membre où le contenu est accessible, mais cela ne concerne que le dommage causé sur le territoire de l’État membre de la juridiction saisie. Dans ce cas, les demandeurs n’ont pas pu prouver que les juridictions françaises étaient compétentes pour traiter leur demande de déréférencement. Quelles implications cela a-t-il pour les droits de la personnalité ?Les implications pour les droits de la personnalité sont significatives. La possibilité de saisir les juridictions d’un État membre en cas d’atteinte à ces droits est essentielle pour garantir la protection des individus face à des contenus nuisibles en ligne. La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne souligne que les victimes d’atteintes à leur personnalité peuvent agir dans l’État où le contenu est accessible, ce qui leur offre une certaine flexibilité. Cependant, cela peut également créer des complications, notamment en matière de compétence et de reconnaissance des décisions judiciaires. Dans le cas présent, les demandeurs ont tenté de faire valoir leurs droits en France, mais la décision de la juridiction française de se déclarer incompétente montre les limites de cette approche. Cela souligne l’importance d’une harmonisation des règles de compétence au sein de l’Union européenne pour mieux protéger les droits de la personnalité des individus dans un contexte numérique globalisé. |
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