Dénigrement ou diffamation : une frontière floue

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Dénigrement ou diffamation : une frontière floue

Pour échapper à une condamnation pour dénigrement, il peut être judicieux de plaider la requalification en diffamation et donc la nullité de l’assignation délivrée.    

Affaire
Qwant

La société Qwant qui développe et exploite une alternative européenne aux moteurs de recherche américains a été déboutée de son action en dénigrement contre une société.  La diffamation étant seule applicable, l’absence du respect du formalisme spécifique applicable aux délits de presse a induit l’irrecevabilité de l’assignation délivrée.

Par acte d’huissier, la SAS Qwant a fait assigner la SAS Société Nouvelle de l’Annuaire Français et son dirigeant devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de les voir condamner à cesser tout acte de dénigrement. Elle reprochait aux défendeurs de s’être livrés à une campagne violente de dénigrement à l’encontre de son moteur de recherche qui a commencé via le compte Twitter @annuaire-fr et qui s’est poursuivie pendant plusieurs mois par des tweets quasi quotidiens et par l’envoi par le dirigeant aux sénateurs et députés d’un courriel sous le titre ‘Qwant l’ignoble vérité… révélations’. Les propos incriminés relevaient du régime juridique des communications publiques et du droit de la presse, les demandes de la société Qwant étaient irrecevables. Il s’agissait notamment des propos suivants : ‘Où est la promesse de mise à jour quotidienne, des retraits de pages introuvables » ; « pas de correction orthographique pour nos enfants » ; « Un tel amateurisme nous ridiculise » ; « C’est illisible’et ce dès le premier résultat’ aucun résultat de 2018, ni de 2019’Là aussi un constat d’Huissier fixe cette triste réalité » ; « C’est une nullité pareille que le D a fait pendant toutes ces années ‘ » ; « Lorsque professionnellement on regarde votre index, Monsieur Y, on se demande à quoi ont servi tous ces capitaux » ; « ce qui laisse pourrir Qwant depuis 2 ans ne vaut pas un clou » ; «  Le moteur est laissé à l’abandon » ; « Les caisses sont vides ».

Action
irrecevable

L’action engagée par la société Qwant était fondée à tort sur l’article 873 du code de procédure civile. Selon l’article 873 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce statuant en référé peut, dans les limites de la compétence de ce tribunal, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Application
du droit de la presse

Les propos portant atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne physique ou morale relèvent de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. La diffamation est définie par son article 29, alinéa 1er, comme ‘ toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé’. Les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l’article 1240 du code civil.

Distinguo
diffamation / dénigrement

Il est constant qu’une personne morale peut être victime d’une atteinte à son honneur ou à sa considération et, par suite, agir en diffamation. Le dénigrement, susceptible de caractériser un acte fautif au sens de l’article 1240 du code civil, qui constitue une catégorie d’acte de concurrence déloyale, consiste à jeter publiquement le discrédit sur les produits, l’entreprise ou la personnalité d’un concurrent pour en tirer un profit. Il en résulte que les allégations qui n’ont pour objet que de mettre en cause la qualité des prestations fournies par une société, même si elles visent une société nommément désignée ou son dirigeant, relèvent du dénigrement, dans la mesure où elles émanent d’une société concurrente de la même spécialité exerçant dans le même secteur et sont proférées dans le but manifeste d’en détourner la clientèle.

Les propos imputés visaient uniquement la société Qwant, personne morale et son dirigeant parfaitement identifiés à l’exclusion de ses produits ou services puisqu’ils n’ont pas pour objet de mettre en cause la qualité des prestations fournies par la société Qwant mais portaient sur le comportement de cette dernière et sont susceptibles de porter atteinte à son honneur ou à sa considération en l’accusant d’utiliser un service BING développé par la société Microsoft ou de laisser la main de son moteur de recherche à une société de droit israélienne et l’envoi de données personnelles de ses clients aux sociétés de droit américain alors que Qwant se présente comme une société européenne proposant un moteur de recherche indépendant des géants américains du numérique et indique être plus respectueuse de la vie privée et des données de ses utilisateurs que ses concurrents.

De plus il n’était nullement établi avec l’évidence requise en référé en quoi le dirigeant auteur des propos virulents, aurait entendu profiter d’un avantage concurrentiel à raison des propos incriminés dès lors que les parties n’exercent pas une activité concurrentielle. Les propos incriminés ne pouvaient manifestement pas constituer des actes de dénigrement et sont susceptibles de revêtir la qualification de diffamation de sorte qu’ils auraient dû faire l’objet de poursuites sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Télécharger la décision

Questions / Réponses juridiques

Quelle est la stratégie pour échapper à une condamnation pour dénigrement ?

Pour échapper à une condamnation pour dénigrement, il peut être judicieux de plaider la requalification en diffamation. Cela implique de contester la nature de l’assignation délivrée, en arguant que les propos incriminés relèvent plutôt de la diffamation, qui est régie par des règles spécifiques.

Cette requalification peut permettre d’invoquer la nullité de l’assignation, car les procédures et les formalismes applicables aux délits de presse sont différents de ceux relatifs au dénigrement. En effet, la diffamation est encadrée par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui impose des exigences précises.

Qu’est-ce qui a conduit à l’irrecevabilité de l’action de Qwant ?

L’action engagée par la société Qwant a été jugée irrecevable car elle était fondée à tort sur l’article 873 du code de procédure civile. Cet article permet au président du tribunal de commerce de statuer en référé pour des mesures conservatoires, mais ne s’applique pas aux cas de diffamation.

Les propos incriminés par Qwant relevaient du régime juridique des communications publiques et du droit de la presse, ce qui signifie que les demandes de la société étaient inappropriées dans ce contexte. L’absence de respect du formalisme spécifique aux délits de presse a donc conduit à l’irrecevabilité de l’assignation.

Comment la loi du 29 juillet 1881 définit-elle la diffamation ?

La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse définit la diffamation dans son article 29, alinéa 1er, comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ».

Cette définition souligne que la diffamation concerne des faits précis qui nuisent à la réputation d’une personne physique ou morale. Les abus de la liberté d’expression, tels que la diffamation, ne peuvent pas être réparés sur le fondement de l’article 1240 du code civil, ce qui renforce l’importance de la loi de 1881 dans ce domaine.

Quelle est la différence entre diffamation et dénigrement ?

La diffamation et le dénigrement sont deux concepts juridiques distincts. La diffamation concerne les atteintes à l’honneur ou à la considération d’une personne, tandis que le dénigrement est un acte fautif qui vise à jeter publiquement le discrédit sur un concurrent.

Le dénigrement est souvent associé à des actes de concurrence déloyale, où une entreprise cherche à nuire à la réputation d’une autre pour en tirer un profit. En revanche, les allégations qui mettent en cause la qualité des prestations d’une société relèvent du dénigrement, même si elles visent une société nommément désignée.

Pourquoi les propos incriminés dans l’affaire Qwant ne constituaient-ils pas du dénigrement ?

Les propos incriminés dans l’affaire Qwant ne constituaient pas du dénigrement car ils visaient uniquement la société Qwant et son dirigeant, sans mettre en cause la qualité des prestations fournies. Ils portaient sur le comportement de la société, ce qui est susceptible de porter atteinte à son honneur.

De plus, il n’était pas établi que le dirigeant des propos virulents cherchait à profiter d’un avantage concurrentiel, car les parties n’exerçaient pas une activité concurrentielle. Les propos auraient dû être qualifiés de diffamation, nécessitant des poursuites sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881.


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