L’Essentiel : Mme [V] a été engagée comme infirmière par la société [Adresse 3] le 5 janvier 2009. Licenciée pour faute grave le 5 août 2015, elle a contesté ce licenciement devant la juridiction prud’homale en juin 2017. La société a soutenu que la directrice n’avait pas reçu de délégation de pouvoir pour licencier, mais la cour a jugé ce moyen recevable. Elle a constaté que la lettre de licenciement, signée par la directrice, était valide, car les gérants avaient délégué l’ensemble de leurs pouvoirs, y compris celui de licencier, ce qui a conduit à une violation des dispositions légales.
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Engagement de Mme [V]Mme [V] a été engagée en tant qu’infirmière par la société [Adresse 3] à partir du 5 janvier 2009, cette société exploitant un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Licenciement de Mme [V]Le 5 août 2015, Mme [V] a été licenciée pour faute grave par une lettre signée par la directrice de l’établissement. Contestation du licenciementContestant la légitimité de son licenciement, Mme [V] a saisi la juridiction prud’homale le 9 juin 2017 pour faire valoir ses droits. Arguments de la société [Adresse 3]La société [Adresse 3] a contesté la décision de la cour d’appel, qui l’a condamnée à verser diverses indemnités à Mme [V]. Elle a soutenu que la directrice n’avait pas reçu de délégation de pouvoir pour licencier, en se basant sur l’article D. 312-176-5 du code de l’action sociale et des familles. Réponse de la CourLa salariée a contesté la recevabilité du moyen avancé par l’employeur, arguant qu’il était en contradiction avec ses conclusions d’appel. Cependant, la cour a jugé le moyen recevable, car l’employeur avait également soutenu que la directrice avait été investie des mêmes pouvoirs que les gérants. Analyse du licenciementLa cour a constaté que la lettre de licenciement avait été signée par la directrice, à qui les gérants avaient délégué l’ensemble de leurs pouvoirs. Elle a noté que les statuts de la société ne mentionnaient pas explicitement le pouvoir de licencier, ce qui a conduit à la conclusion que ce pouvoir restait dévolu aux gérants. Conclusion de la cour d’appelEn statuant ainsi, la cour d’appel a omis de reconnaître que la directrice avait reçu une délégation de l’ensemble des pouvoirs des gérants, sans exclusion du pouvoir de licencier. Cela a conduit à une violation des dispositions légales pertinentes concernant le licenciement. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la portée de l’article D. 312-176-5 du code de l’action sociale et des familles dans le cadre d’une délégation de pouvoir de licenciement ?L’article D. 312-176-5 du code de l’action sociale et des familles stipule que lorsque le gestionnaire d’un établissement médico-social confie la direction à un professionnel, il doit préciser par écrit, dans un document unique, les compétences et missions confiées par délégation à ce professionnel. Cette disposition implique que la personne à qui est délégué le pouvoir de diriger l’établissement dispose également du pouvoir de licencier, sauf réserve contraire dans le document de délégation. Dans l’affaire en question, la cour d’appel a constaté que la directrice, Mme [O], avait reçu une délégation de pouvoir des gérants, mais a conclu qu’elle n’avait pas le pouvoir de licencier, car les statuts de la société ne le précisaient pas. Cependant, l’absence de mention explicite dans les statuts concernant le pouvoir de licencier ne signifie pas nécessairement que ce pouvoir n’a pas été délégué. Ainsi, la cour d’appel a violé l’article D. 312-176-5 en ne tenant pas compte du fait que la délégation de pouvoir, telle qu’elle était formulée, incluait potentiellement le pouvoir de licencier. Comment l’article L. 1232-6 du code du travail s’applique-t-il dans le cadre d’un licenciement ?L’article L. 1232-6 du code du travail précise que pour qu’un licenciement soit considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse, il doit être établi que la lettre de licenciement a été signée par une personne ayant qualité pour le faire. Dans le cas présent, la cour d’appel a jugé que la lettre de licenciement signée par la directrice n’était pas valide, car elle n’avait pas reçu de délégation explicite du pouvoir de licencier. Cependant, la cour a omis de considérer que la directrice avait reçu une délégation de l’ensemble des pouvoirs des gérants, ce qui inclut le pouvoir de licencier, à moins qu’il n’en soit stipulé autrement dans les statuts ou le document de délégation. En ne tenant pas compte de cette délégation, la cour a ainsi violé l’article L. 1232-6, car la directrice avait effectivement la qualité pour signer la lettre de licenciement, rendant le licenciement potentiellement fondé sur une cause réelle et sérieuse. Quelles sont les conséquences d’un licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse ?Lorsqu’un licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse, plusieurs conséquences peuvent en découler, notamment en vertu des articles du code du travail. L’article L. 1235-1 du code du travail prévoit que le salarié a droit à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Cette indemnité est calculée en fonction de l’ancienneté du salarié et de la taille de l’entreprise. De plus, l’article L. 1235-3 stipule que le salarié peut également demander des dommages-intérêts pour le préjudice subi en raison de ce licenciement. Dans le cas de Mme [V], la cour d’appel a condamné la société à verser diverses sommes à titre d’indemnités compensatrices de préavis, d’indemnité conventionnelle de licenciement, et de dommages-intérêts, ce qui est conforme aux dispositions légales en vigueur. Ainsi, la reconnaissance d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse entraîne des obligations financières pour l’employeur, visant à compenser le préjudice subi par le salarié. |
CZ
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 22 janvier 2025
Cassation
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 46 F-D
Pourvoi n° V 23-12.668
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 22 JANVIER 2025
La société [Adresse 3], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° V 23-12.668 contre deux arrêts rendus les 22 mai 2022 et 8 février 2023 par la cour d’appel de Montpellier (1re chambre sociale), dans le litige l’opposant :
1°/ à Mme [M] [V], épouse, [B], domiciliée [Adresse 1],
2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 2],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société [Adresse 3], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [V], après débats en l’audience publique du 10 décembre 2024 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Barincou, conseiller rapporteur, M. Carillon, conseiller référendaire ayant voix délibérative, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l’article L.431-3 alinéa 2 du code de l’organisation judiciaire, des présidents et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Déchéance partielle du pourvoi, examinée d’office
1. Après avis donné aux parties conformément à l’article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l’article 978 du même code.
2. Il résulte de ce texte qu’à peine de déchéance, le demandeur à la cassation doit, au plus tard dans le délai de quatre mois à compter du pourvoi, remettre au greffe de la Cour de cassation un mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée.
3. La société Résidence des jardins s’est pourvue en cassation contre l’arrêt rendu le 25 mai 2022 par la cour d’appel de Montpellier en même temps qu’elle s’est pourvue contre l’arrêt rendu le 8 février 2023 par la même cour. Son mémoire ampliatif ne contient toutefois aucun moyen à l’encontre de la première de ces deux décisions.
4. Il y a lieu, dès lors, de constater la déchéance du pourvoi en tant qu’il est dirigé contre l’arrêt rendu le 25 mai 2022 par la cour d’appel de Montpellier.
5. Selon l’arrêt attaqué (Montpellier, 8 février 2023), Mme [V] a été engagée, en qualité d’infirmière, à compter du 5 janvier 2009 par la société [Adresse 3], société à responsabilité limitée exploitant un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).
6. La salariée a été licenciée, pour faute grave, par une lettre du 5 août 2015, signée de la directrice.
7. Contestant le bien-fondé de son licenciement, Mme [V] a saisi la juridiction prud’homale le 9 juin 2017.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
8. La société [Adresse 3] fait grief à l’arrêt de la condamner à payer à la salariée diverses sommes à titre d’indemnité compensatrice de préavis, d’indemnité conventionnelle de licenciement, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi qu’au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et d’ordonner le remboursement des indemnités de chômage payées à la salariée du jour de son licenciement au jour de l’arrêt, dans la limite de six mois, alors « que la délégation du pouvoir de licencier peut être non écrite et résulter de l’attribution à une personne de tout ou partie des pouvoirs de diriger l’entreprise ; qu’en application de l’article D. 312-176-5 du code de l’action sociale et des familles, lorsque le gestionnaire d’un établissement médico-social relevant de l’article L. 312-1 du même code en confie la direction à un professionnel, il précise par écrit, dans un document unique les compétences et missions confiées par délégation à ce professionnel ; qu’il en résulte que la personne qui dispose d’une telle délégation dispose nécessairement du pouvoir de licenciement sauf réserve contraire du document unique ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté que Mme [O] qui avait signé la lettre de licenciement bénéficiait d’une délégation du pouvoir de diriger l’établissement au sens de l’article D. 312-176-5 rédigée dans les termes suivants : » vu les statuts mis à jour de la SARL Résidence des jardins. Nous [G] [J] et [S] [D] Déléguons à Mme [O], directrice de l’EPHAD, l’ensemble de nos pouvoirs dans la limite de l’article 3.0.1 desdits statuts. Fait pour valoir ce que de droit » ; qu’en affirmant que cet article 3.0.1 »qui concerne les pouvoirs de gestion des gérants, ne prévoit aucune disposition relative à leur pouvoir de licencier », pour en déduire que la directrice »n’avait pas reçu délégation du pouvoir de licencier qui continuait d’être dévolu aux gérants », lorsqu’il résultait au contraire de ses propres constatations qu’aucune énonciation de la délégation ni des statuts auxquels cette dernière renvoyait n’avait réservé l’exercice de ce pouvoir aux gérants, ce dont il résultait que cette directrice était par hypothèse habilitée à prononcer le licenciement en raison même de ses fonctions, la cour d’appel a violé l’article D 312-176-5 du code de l’action sociale et des familles, ensemble l’article L. 1232-6 du code du travail. »
Recevabilité du moyen
9. La salariée conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu’il est contraire aux conclusions d’appel de l’employeur qui y soutenait que l’article D. 312-176-5 du code de l’action sociale et des familles était « hors de propos dans ce litige et ne peut s’appliquer à ce cas d’espèce ».
10. Cependant, dans ses conclusions, l’employeur faisait valoir, d’une part, que le texte précité était hors de propos et ne pouvait s’appliquer en l’espèce car il n’avait de valeur que par rapport aux autorités de tutelle et, d’autre part, que la directrice avait été, par la délégation qui lui avait été donnée, investie des mêmes pouvoirs que les gérants envers les tiers à la société, en ce compris le pouvoir de licencier les salariés.
11. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l’article L. 1232-6 du code du travail :
12. Pour juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l’arrêt constate que la lettre de licenciement a été signée par la directrice de l’EHPAD à laquelle les gérants de la société avaient délégué l’ensemble de leurs pouvoirs, dans la limite de l’article 3.0.1 des statuts de la société.
13. Il relève que les statuts de la société ne comportent aucune disposition relative au pouvoir de licencier pour en déduire qu’il appartenait aux gérants, mais que l’article 3.0.1 de ces statuts, qui concerne les pouvoirs de gestion des gérants, ne prévoit aucune disposition relative à leur pouvoir de licencier, de sorte que la directrice n’avait pas reçu délégation du pouvoir de licencier qui continuait d’être dévolu aux gérants.
14. En statuant ainsi, alors qu’il ressortait de ses constatations que la directrice de l’établissement avait reçu délégation de l’ensemble des pouvoirs des gérants de la société et que, ni les statuts de celle-ci, ni la délégation n’excluait le pouvoir de licencier, ce dont elle aurait dû déduire que la lettre de licenciement avait été signée par la personne ayant qualité pour le faire, la cour d’appel a violé le texte susvisé.
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