L’Essentiel : La question prioritaire de constitutionnalité concerne l’article 145-4-1 du code de procédure pénale, soulignant l’absence de modalités de traitement des recours contre l’isolement judiciaire. Le Conseil constitutionnel a déjà statué sur l’importance d’un recours effectif en matière de privation de liberté, exigeant des délais de jugement rapides. La mesure d’isolement, bien qu’associée à l’emprisonnement, se distingue par son régime plus strict. La Cour de cassation a donc renvoyé cette question au Conseil constitutionnel, en raison des insuffisances des garanties offertes aux détenus face à cette mesure, lors de l’audience publique du 26 novembre 2024.
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Question prioritaire de constitutionnalitéLa question prioritaire de constitutionnalité porte sur les dispositions de l’article 145-4-1, alinéa 1er, in fine, du code de procédure pénale, ainsi que sur l’article R. 57-5-7, alinéa 2. Elle interroge l’absence de modalités de traitement par le président de la Chambre de l’instruction concernant le recours contre l’ordonnance de placement à l’isolement judiciaire, notamment le délai légal pour juger ce recours et l’absence d’indication d’un délai bref. Applicabilité de la disposition législativeLa disposition législative contestée est applicable à la procédure en cours et n’a pas été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans ses précédentes décisions. Caractère sérieux de la questionLa question posée est jugée sérieuse, car le Conseil constitutionnel a établi que le droit à un recours juridictionnel effectif en matière de privation de liberté exige que le juge statue dans les plus brefs délais. Distinction de la mesure d’isolementLa décision de placement à l’isolement, bien qu’elle soit une modalité de l’emprisonnement, se distingue de ce dernier car elle n’en est pas la conséquence directe. Cette mesure entraîne un durcissement du régime de détention. Compétence de la chambre de l’instructionLa jurisprudence de la Cour de cassation stipule que la chambre de l’instruction est compétente pour statuer sur l’appel d’une ordonnance du juge des libertés concernant l’isolement. Dans ce cas, elle doit se prononcer dans les délais applicables à la détention provisoire. En revanche, pour un recours contre une mesure d’isolement, le président de la chambre statue dans un délai raisonnable. Délai d’appréciation de la mesure d’isolementLe délai imparti au juge pour apprécier la mesure d’isolement dépend du choix de ce dernier de prononcer une unique ordonnance ou deux décisions distinctes, sans critères définis par le législateur. Ce délai est également influencé par l’exercice d’une voie de recours par la personne détenue. Insuffisance des garantiesLa possibilité pour la personne détenue de demander sa mise en liberté à tout moment pourrait ne pas suffire à garantir un recours effectif contre la mesure d’isolement. Renvoi au Conseil constitutionnelEn conséquence, la Cour de cassation a décidé de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, comme prononcé en audience publique le vingt-six novembre deux mille vingt-quatre. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la portée des dispositions de l’article 145-4-1 du code de procédure pénale concernant le recours contre l’isolement judiciaire ?Les dispositions de l’article 145-4-1, alinéa 1er, in fine, du code de procédure pénale stipulent que le placement à l’isolement judiciaire doit être justifié par des raisons précises. Cependant, cet article ne précise pas les modalités de traitement du recours formé contre cette ordonnance, notamment le délai dans lequel ce recours doit être jugé. Cela soulève des questions quant à la conformité de ces dispositions avec le droit à un recours juridictionnel effectif, garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui stipule que « tout citoyen peut, dans les cas prévus par la loi, saisir les tribunaux ». En l’absence de délais clairs, le droit à un recours effectif pourrait être compromis, ce qui est particulièrement préoccupant dans le contexte de la privation de liberté. Comment le droit à un recours juridictionnel effectif est-il garanti en matière de privation de liberté ?Le Conseil constitutionnel a affirmé que le droit à un recours juridictionnel effectif en matière de privation de liberté exige que le juge soit tenu de statuer dans les plus brefs délais. Cette exigence est essentielle pour garantir la protection des droits individuels, notamment en ce qui concerne la liberté et la sûreté, comme le stipule l’article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu ». Dans le cas du placement à l’isolement, la décision prise sans le consentement de l’intéressé constitue une mesure qui, bien qu’elle soit une modalité de l’emprisonnement, entraîne un durcissement du régime de détention. Ainsi, le traitement des recours contre ces mesures doit être rapide pour respecter les droits fondamentaux des détenus. Quelles sont les implications de la jurisprudence de la Cour de cassation sur le traitement des recours en matière d’isolement ?La jurisprudence de la Cour de cassation, notamment l’arrêt du 4 janvier 2022, précise que la chambre de l’instruction est compétente pour statuer sur les recours concernant l’isolement. Dans ce cadre, elle doit se prononcer dans les brefs délais applicables en matière de détention provisoire. Cependant, lorsque le président de la chambre de l’instruction est saisi d’un recours contre une mesure d’isolement, l’article D. 43-6 du code de procédure pénale indique qu’il doit statuer dans un « délai raisonnable ». Cette distinction soulève des interrogations sur la protection des droits des détenus, car le terme « délai raisonnable » n’est pas défini, laissant une marge d’interprétation qui pourrait nuire à l’effectivité du recours. Quelles sont les conséquences de l’absence de critères définis pour le traitement des recours ?L’absence de critères définis pour le traitement des recours contre les mesures d’isolement a des conséquences significatives. D’une part, le délai imparti au juge pour apprécier le bien-fondé de la mesure d’isolement dépend de son choix de prononcer une unique ordonnance ou deux décisions distinctes. D’autre part, cela dépend également de l’exercice d’une voie de recours par la personne détenue. Cette situation peut créer une incertitude quant à la rapidité et à l’efficacité du recours, ce qui pourrait ne pas constituer une garantie suffisante pour les droits des détenus. Ainsi, la question de la constitutionnalité de ces dispositions est soulevée, car elles pourraient porter atteinte aux droits fondamentaux garantis par la Constitution et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. |
N° 01555
26 NOVEMBRE 2024
LR
QPC INCIDENTE : RENVOI AU CC
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 26 NOVEMBRE 2024
M. [E] [G] a présenté, par mémoire spécial reçu le 28 octobre 2024, une question prioritaire de constitutionnalité à l’occasion du pourvoi formé par lui contre l’ordonnance du président de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, en date du 25 juillet 2024, qui, dans l’information suivie contre lui des chefs d’assassinat et tentative, en bande organisée, associations de malfaiteurs, infractions à la législation sur les armes, a confirmé l’ordonnance de mise à l’isolement judiciaire rendue par le juge d’instruction.
Sur le rapport de M. Seys, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [E] [G], et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l’audience publique du 26 novembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Seys, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Le Roch, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
» Les dispositions de l’article 145-4-1, alinéa 1er, in fine, du code de procédure pénale, telles que précisées par celles de l’article R. 57-5-7, alinéa 2, du même code, en ce qu’elles ne prévoient pas les modalités de traitement, par le président de la Chambre de l’instruction, du recours formé contre l’ordonnance de placement à l’isolement judiciaire, et en particulier le délai légal dans lequel ce recours doit être jugé, et qu’elles n’indiquent pas à a minima que ce délai doit être bref, portent-elles atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif, à la liberté individuelle et à la sûreté garantis par les articles 2, 7, 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et 66 de la Constitution ? « .
2. La disposition législative contestée est applicable à la procédure et n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel.
3. La question, ne portant pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application, n’est pas nouvelle.
4. La question posée présente un caractère sérieux, pour les raisons suivantes.
5. En premier lieu, selon le Conseil constitutionnel, le droit à un recours juridictionnel effectif n’est garanti, en matière de privation de liberté, que si le juge judiciaire est tenu de statuer dans les plus brefs délais.
6. Or, la décision de placement d’une personne détenue au régime de l’isolement, qui est prise sans le consentement de l’intéressée, si elle ne porte que sur une modalité de l’emprisonnement, se distingue néanmoins de celui-ci dans la mesure où elle n’en n’est pas la conséquence directe.
7. En outre, elle entraîne un durcissement du régime de détention.
8. En second lieu, il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que la chambre de l’instruction, saisie de l’appel d’une ordonnance du juge des libertés et de la détention statuant tant sur la détention provisoire que sur le maintien à l’isolement de la personne mise en examen, est compétente pour statuer sur cette dernière mesure (Crim., 4 janvier 2022, pourvoi n° 21-85.869). Il s’ensuit que, dans cette hypothèse, la chambre de l’instruction doit se prononcer dans les brefs délais applicables en matière de détention provisoire. En revanche, lorsque le président de la chambre de l’instruction est saisi d’un recours contre une mesure d’isolement, l’article D. 43-6 du code de procédure pénale prévoit qu’il statue dans un délai raisonnable.
9. Il s’en déduit que le délai imparti au juge pour apprécier le bien-fondé de la mesure d’isolement dépend, d’une part, du choix de ce même juge de prononcer par une unique ordonnance ou par deux décisions distinctes, choix qui n’obéit à aucun critère défini par le législateur, d’autre part, de l’exercice d’une voie de recours par la personne détenue contre la mesure de sûreté principale.
10. À cet égard, la faculté offerte à cette personne de demander à tout moment sa mise en liberté pourrait ne pas constituer une garantie suffisante.
11. En conséquence, il y a lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.
RENVOIE au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en audience publique du vingt-six novembre deux mille vingt-quatre.
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