L’Essentiel : Monsieur [E] [J], chauffeur livreur, a subi un accident le 3 septembre 2012, contesté par la CPAM. Après plusieurs procédures judiciaires, le tribunal a reconnu un préjudice moral dû aux délais excessifs. En parallèle, il a contesté son licenciement pour inaptitude, entraînant un appel. Le 15 septembre 2023, il a assigné l’agent judiciaire de l’État pour déni de justice, demandant des indemnités. Le tribunal a constaté des excès de délais et a condamné l’agent à verser des sommes pour préjudices moral et matériel, ainsi qu’une indemnité selon l’article 700, rendant la décision exécutoire de droit à titre provisoire.
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Accident et Contestation de ReconnaissanceMonsieur [E] [J], chauffeur livreur, a subi un accident le 3 septembre 2012. En désaccord avec la décision de la CPAM qui a refusé de reconnaître le caractère professionnel de cet accident, il a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Lyon le 21 mars 2013. Après plusieurs audiences, le tribunal a rendu son jugement le 9 décembre 2015. La CPAM a interjeté appel le 7 janvier 2016, et l’affaire a été plaidée devant la cour d’appel de Lyon le 13 février 2018, qui a rendu son arrêt le 3 avril 2018. La CPAM a ensuite abandonné son pourvoi en cassation. Procédure Prud’homaleSimultanément, le 3 février 2016, Monsieur [E] [J] a contesté son licenciement pour inaptitude devant le conseil des prud’hommes de Nanterre. Après plusieurs audiences, le jugement a été rendu le 18 janvier 2019, et Monsieur [J] a interjeté appel le 15 mars 2019. La cour d’appel de Versailles a rendu son arrêt le 17 novembre 2021. Assignation de l’Agent Judiciaire de l’ÉtatLe 15 septembre 2023, Monsieur [E] [J] a assigné l’agent judiciaire de l’État devant le tribunal judiciaire de Paris, invoquant un déni de justice en raison des délais excessifs des procédures. Il a demandé des dommages et intérêts pour préjudices moral et matériel liés à ces délais. Demandes d’IndemnisationMonsieur [E] [J] a sollicité des sommes spécifiques pour compenser son préjudice moral et matériel, ainsi qu’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Il a estimé que les délais de traitement de ses affaires avaient causé des angoisses et aggravé sa dépression, tout en prolongeant sa situation de précarité. Réponse de l’Agent Judiciaire de l’ÉtatL’agent judiciaire de l’État a contesté la responsabilité de l’État, arguant que seuls certains délais étaient excessifs et a demandé une réduction des demandes d’indemnisation. Il a également soutenu que les préjudices matériels étaient liés à d’autres différends et non à la lenteur des procédures. Évaluation des Délai et PréjudicesLe tribunal a évalué les délais des procédures et a constaté des excès dans les deux affaires. Il a reconnu que la lenteur des procédures avait causé un préjudice moral à Monsieur [E] [J], justifiant des indemnités pour ce préjudice. Cependant, il a rejeté certaines demandes de préjudice matériel, faute de justification adéquate. Décision du TribunalLe tribunal a condamné l’agent judiciaire de l’État à verser des sommes spécifiques à Monsieur [E] [J] pour ses préjudices moral et matériel, ainsi qu’une indemnité sur le fondement de l’article 700. La décision a été déclarée exécutoire de droit à titre provisoire. |
Q/R juridiques soulevées :
Quel accident a subi Monsieur [E] [J] et quelle a été la réaction de la CPAM ?Monsieur [E] [J], chauffeur livreur, a subi un accident le 3 septembre 2012. La CPAM a refusé de reconnaître le caractère professionnel de cet accident, ce qui a conduit Monsieur [J] à saisir le tribunal des affaires de sécurité sociale de Lyon le 21 mars 2013. Après plusieurs audiences, le tribunal a rendu son jugement le 9 décembre 2015. La CPAM a interjeté appel le 7 janvier 2016, et l’affaire a été plaidée devant la cour d’appel de Lyon le 13 février 2018, qui a rendu son arrêt le 3 avril 2018. La CPAM a ensuite abandonné son pourvoi en cassation. Quand Monsieur [E] [J] a-t-il contesté son licenciement et quel a été le résultat ?Monsieur [E] [J] a contesté son licenciement pour inaptitude devant le conseil des prud’hommes de Nanterre le 3 février 2016. Après plusieurs audiences, le jugement a été rendu le 18 janvier 2019. Monsieur [J] a interjeté appel le 15 mars 2019, et la cour d’appel de Versailles a rendu son arrêt le 17 novembre 2021. Quelles actions a entreprises Monsieur [E] [J] en septembre 2023 ?Le 15 septembre 2023, Monsieur [E] [J] a assigné l’agent judiciaire de l’État devant le tribunal judiciaire de Paris. Il a invoqué un déni de justice en raison des délais excessifs des procédures et a demandé des dommages et intérêts pour préjudices moral et matériel liés à ces délais. Quelles demandes d’indemnisation a formulées Monsieur [E] [J] ?Monsieur [E] [J] a sollicité des sommes spécifiques pour compenser son préjudice moral et matériel, ainsi qu’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Il a estimé que les délais de traitement de ses affaires avaient causé des angoisses et aggravé sa dépression, tout en prolongeant sa situation de précarité. Quelle a été la réponse de l’agent judiciaire de l’État ?L’agent judiciaire de l’État a contesté la responsabilité de l’État, arguant que seuls certains délais étaient excessifs. Il a demandé une réduction des demandes d’indemnisation et a soutenu que les préjudices matériels étaient liés à d’autres différends et non à la lenteur des procédures. Comment le tribunal a-t-il évalué les délais et les préjudices ?Le tribunal a évalué les délais des procédures et a constaté des excès dans les deux affaires. Il a reconnu que la lenteur des procédures avait causé un préjudice moral à Monsieur [E] [J], justifiant des indemnités pour ce préjudice. Cependant, il a rejeté certaines demandes de préjudice matériel, faute de justification adéquate. Quelle a été la décision finale du tribunal concernant les indemnités ?Le tribunal a condamné l’agent judiciaire de l’État à verser des sommes spécifiques à Monsieur [E] [J] pour ses préjudices moral et matériel, ainsi qu’une indemnité sur le fondement de l’article 700. La décision a été déclarée exécutoire de droit à titre provisoire. Quelles sont les implications de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire ?Aux termes de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, l’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice, qui correspond à un refus d’une juridiction de statuer sur un litige ou à l’absence de diligence pour instruire ou juger les affaires. Comment est défini un déni de justice ?Un déni de justice est défini comme un refus d’une juridiction de statuer sur un litige qui lui est présenté ou le fait de ne procéder à aucune diligence pour instruire ou juger les affaires. Il constitue une atteinte à un droit fondamental et s’apprécie sous l’angle d’un manquement du service public de la justice à sa mission essentielle. Quels critères sont pris en compte pour apprécier un allongement excessif des délais judiciaires ?L’appréciation d’un allongement excessif du délai de réponse judiciaire s’effectue de manière concrète, en prenant en considération les circonstances propres à chaque procédure. Cela inclut les conditions de déroulement de la procédure, la nature de l’affaire, son degré de complexité, le comportement des parties, ainsi que l’intérêt qu’il peut y avoir pour l’une ou l’autre des parties. Quelles sont les conséquences de la crise sanitaire sur les délais judiciaires ?La suspension des activités juridictionnelles du 16 mars 2020 au 11 mai 2020, en raison de la crise sanitaire liée à la COVID-19, n’est pas imputable à l’État. Les délais supplémentaires résultant de cette période spécifique ne sont pas considérés comme un déni de justice. Comment le tribunal a-t-il évalué les délais dans la procédure devant le tribunal des affaires de sécurité sociale ?Le tribunal a évalué le caractère excessif de la procédure en considérant le temps séparant chaque étape. Il a constaté un délai excessif de 29 mois entre la saisine du tribunal et la première audience, engageant la responsabilité de l’État à hauteur de 26 mois. Quel montant a été alloué à Monsieur [E] [J] pour son préjudice moral ?Monsieur [E] [J] a été alloué la somme de 9.900,00 € pour son préjudice moral, en raison de l’inquiétude causée par la durée excessive de la procédure. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision. Quelles ont été les conclusions concernant la procédure prud’homale ?La responsabilité de l’État a été engagée pour un délai excessif global de 32 mois dans la procédure prud’homale. Monsieur [E] [J] a reçu une indemnité de 6.400,00 € pour son préjudice moral, également assortie d’intérêts au taux légal. Quelles sont les implications des articles 1231-7 et 696 du code de procédure civile ?L’article 1231-7 du code civil stipule que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision. L’article 696 du code de procédure civile prévoit que la partie perdante est condamnée aux dépens, ce qui a été appliqué dans le cas de l’agent judiciaire de l’État. |
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
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1/1/1 resp profess du drt
N° RG 23/11858 – N° Portalis 352J-W-B7H-C2YWB
N° MINUTE :
Assignation du :
15 Septembre 2023
JUGEMENT
rendu le 27 Novembre 2024
DEMANDEUR
Monsieur [E] [J]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Coralie FRANC, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C1824
DÉFENDEUR
Etablissement public AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT Ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance
Direction Des Affaires Juridiques – Sous-Direction du Droit Privé
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représenté par Me Fabienne DELECROIX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0229
MINISTÈRE PUBLIC
Monsieur Etienne LAGUARIGUE de SURVILLIERS,
Premier Vice-Procureur
Décision du 27 Novembre 2024
1/1/1 resp profess du drt
N° RG 23/11858 – N° Portalis 352J-W-B7H-C2YWB
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Cécile VITON, Première vice-présidente adjointe
Présidente de formation,
Monsieur Benoit CHAMOUARD, Premier vice-président adjoint
Madame Valérie MESSAS, Vice-présidente
Assesseurs,
assistés de Monsieur Gilles ARCAS, Greffier lors des débats et de Madame Marion CHARRIER, Greffier lors du prononcé
DÉBATS
A l’audience du 30 Octobre 2024
tenue en audience publique
Madame Valérie MESSAS a fait un rapport de l’affaire
JUGEMENT
Prononcé par mise à disposition
Contradictoire
en premier ressort
Monsieur [E] [J], exerçant la profession de chauffeur livreur, a été victime d’un accident le 3 septembre 2012.
1-Souhaitant contester la décision de la CPAM ayant refusé de reconnaître le caractère professionnel de son accident, Monsieur [E] [J] a saisi le 21 mars 2013 le tribunal des affaires de sécurité sociale de Lyon.
Monsieur [J] a été convoqué à l’audience de jugement devant le tribunal des affaires de sécurité sociale du 16 septembre 2015, puis à l’audience du 18 novembre 2015, date à laquelle l’affaire a été plaidée et mise en délibéré.
Le tribunal des affaires de sécurité sociale de Lyon a rendu son jugement le 9 décembre 2015.
La CPAM a interjeté appel le 7 janvier 2016, et les parties ont été convoquées à l’audience de plaidoirie du 13 février 2018 devant la cour d’appel de Lyon.
La cour d’appel de Lyon a rendu son arrêt le 3 avril 2018.
La CPAM s’est pourvue en cassation avant de se désister de son action, par acte du 11 octobre 2018.
Par ordonnance du 15 novembre 2018, la Cour de cassation a constaté le désistement de cette dernière.
2-Parallèlement, le 3 février 2016, Monsieur [E] [J] a saisi le conseil des prud’hommes de Nanterre aux fins de contester le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement dont il avait fait l’objet.
Le conseil des prud’hommes a convoqué les parties à l’audience devant le bureau de conciliation et d’orientation du 20 avril 2016 puis à l’audience de jugement du 7 décembre 2017.
L’affaire a ensuite fait l’objet d’un renvoi à l’audience de jugement du 15 octobre 2018, date à laquelle l’affaire a été plaidée et mise en délibéré.
Le jugement a été rendu le 18 janvier 2019 puis notifié aux parties le 15 février 2019.
Le 15 mars 2019, Monsieur [J] a interjeté appel du jugement devant la cour d’appel de Versailles, laquelle a convoqué les parties à l’audience de plaidoirie du 14 septembre 2021.
La cour d’appel de Versailles a rendu son arrêt le 17 novembre 2021.
C’est dans ce contexte que, par acte du 15 septembre 2023, Monsieur [E] [J] a fait assigner l’agent judiciaire de l’État devant le tribunal judiciaire de Paris, sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire.
Aux termes de cette assignation, Monsieur [E] [J] sollicite la condamnation de l’agent judiciaire de l’État à lui payer, sous le bénéfice de l’exécution provisoire :
– la somme de 15.000,00 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral résultant du délai déraisonnable de la procédure visant à la prise en charge de son accident au titre de la législation professionnelle ;
– la somme de 5.000,00 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel du fait de ce délai ;
– la somme de 15.000,00 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral résultant du délai déraisonnable de la procédure prud’homale ;
– la somme de 10.000,00 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel résultant de ce délai ;
– la somme de 2.000,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Monsieur [E] [J] estime que la durée des procédures auxquelles il a été partie est excessive et engage la responsabilité de l’État pour déni de justice.
S’agissant de la procédure en reconnaissance d’accident du travail, il estime que 49,5 mois peuvent être qualifiés de déraisonnables. Il expose que ses demandes exigeaient un traitement d’une particulière célérité, notamment en ce qu’elles étaient relatives à la reconnaissance du caractère professionnel de son accident. Il explique que l’attente insoutenable d’être convoqué à une audience, pendant 30 mois s’agissant de la procédure de première instance, puis pendant 25,5 mois pour la procédure d’appel, a généré des angoisses, des insomnies, et a aggravé sa dépression. Il verse des attestations de proches à l’appui de ses dires. Au titre de son préjudice matériel, il soutient avoir bénéficié d’une pension d’invalidité de deuxième catégorie entre 2015 et 2019, d’un montant de 530€ mensuels, et que la durée de la procédure a entraîné une perduration de sa situation de précarité pendant 4 années.
S’agissant de la procédure prud’homale, il estime que 43 mois peuvent être qualifiés de déraisonnables, soit 19 mois en première instance et 24 mois en appel. De même que précédemment évoqué, il explique que la longue attente de l’obtention d’une décision de justice a été source d’angoisse, et que des délais procéduraux raisonnables lui auraient permis d’être indemnisé plus rapidement.
Suivant conclusions signifiées le 6 mai 2024, l’agent judiciaire de l’État demande au tribunal de :
– juger que la responsabilité de l’Etat n’est susceptible d’être engagée qu’à hauteur de 32 mois sur l’ensemble de la procédure prud’homale, et 7 mois sur l’ensemble de la procédure en reconnaissance d’accident du travail ;
– réduire les demandes d’indemnisation au titre du préjudice moral à de plus justes proportions ;
– débouter Monsieur [J] de ses demandes d’indemnisation au titre du préjudice matériel ;
– réduire la demande de Monsieur [J] fondée sur l’article 700 du code de procédure civile à de plus justes proportions.
S’agissant de la procédure prud’homale, il estime que la responsabilité de l’État est susceptible d’être engagée sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire qu’à hauteur d’un délai excessif de 32 mois, et notamment :
– à hauteur de 11 mois entre l’audience de conciliation du 20 avril 2016 et l’audience du bureau de jugement du 7 décembre 2017 ;
– à hauteur de 4 mois entre l’audience du bureau de jugement du 7 décembre 2017 et celle du 15 octobre 2018 ;
– à hauteur de 1 mois entre l’audience du 15 octobre 2018 et le délibéré;
– à hauteur de 16 mois entre la déclaration d’appel et l’audience de plaidoiries du 14 septembre 2021.
S’agissant de la procédure en reconnaissance d’accident du travail, il estime que la responsabilité de l’État est susceptible d’être engagée sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire qu’à hauteur d’un délai excessif de 7 mois entre l’audience du 17 janvier 2017 et l’audience de plaidoiries du 13 février 2018 devant la cour d’appel.
L’agent judiciaire de l’Etat estime cependant que le demandeur ne justifie pas des préjudices moraux allégués à hauteur des sommes demandées.
S’agissant des préjudices matériels, il soutient qu’ils sont principalement liés aux différends de Monsieur [J] avec son ancien employeur d’une part, et la CPAM d’autre part, de sorte qu’il ne saurait s’en prévaloir devant le tribunal de céans. Il affirme qu’en tout état de cause, le demandeur ne verse pas de pièce à l’appui de ses demandes.
Le 9 février 2024, le Ministère public près le tribunal judiciaire de Paris a indiqué ne pas conclure.
Il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, comme le permet l’article 455 du code de procédure civile.
La clôture de la mise en état a été prononcée le 2 septembre 2024 par ordonnance rendue le même jour par le juge de la mise en état.
A l’audience du 30 octobre 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 27 novembre 2024, date du présent jugement.
Sur les demandes principales :
Aux termes de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, l’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice.
Cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.
Un déni de justice correspond à un refus d’une juridiction de statuer sur un litige qui lui est présenté ou au fait de ne procéder à aucune diligence pour instruire ou juger les affaires.
Il constitue une atteinte à un droit fondamental et, s’appréciant sous l’angle d’un manquement du service public de la justice à sa mission essentielle, il englobe, par extension, tout manquement de l’État à son devoir de protection juridictionnelle de l’individu, qui comprend celui de répondre sans délai anormalement long aux requêtes des justiciables, conformément aux dispositions de l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
L’appréciation d’un allongement excessif du délai de réponse judiciaire, susceptible d’être assimilé à un refus de juger et, partant, à un déni de justice engageant la responsabilité de l’État sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, s’effectue de manière concrète, au regard des circonstances propres à chaque procédure, en prenant en considération les conditions de déroulement de la procédure, la nature de l’affaire, son degré de complexité, le comportement des parties en cause, ainsi que l’intérêt qu’il peut y avoir pour l’une ou l’autre des parties, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige, et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu’il soit tranché rapidement.
Le seul non-respect d’un délai légal n’est pas suffisant pour caractériser un déni de justice mettant en jeu la responsabilité de l’État.
Par ailleurs, en l’absence de preuve que les renvois critiqués ont été ordonnés exclusivement pour répondre à des contraintes d’organisation de la juridiction, extérieures aux parties, il n’appartient pas au présent tribunal d’apprécier l’opportunité des renvois accordés par le conseil de prud’hommes, ou celle d’un incident soulevé d’office par le juge de la mise en état, s’agissant de décisions juridictionnelles qui ne peuvent être remises en question dans le cadre d’une action fondée sur l’article L141-1 du code de l’organisation judiciaire. En effet, hors le cas de dommages causés aux particuliers du fait d’une violation manifeste du droit de l’Union européenne par une décision d’une juridiction nationale statuant en dernier ressort, l’action en responsabilité de l’État ne saurait avoir pour effet de remettre en cause une décision judiciaire, en dehors de l’exercice des voies de recours (Civ. 1ère, 18 novembre 2020, pourvoi n° 19-19.517).
Enfin, la suspension de la majeure partie des activités juridictionnelles du 16 mars 2020 au 11 mai 2020, en raison de la crise sanitaire liée à l’épidémie de la covid-19, n’est pas imputable à l’Etat, dès lors qu’elle résulte des circonstances insurmontables inhérentes à la situation générale de confinement du pays et du déclenchement des plans de continuité d’activités des juridictions. Il en résulte que les délais supplémentaires résultant de cette période spécifique ne sont pas imputables au service public de la justice et ne peuvent contribuer à un déni de justice.
1- Sur la procédure devant le tribunal des affaires de sécurité sociale
Lorsque l’essentiel des ressources d’une personne est constitué d’une pension au titre de l’invalidité, les litiges qui tendent à une amélioration de celle-ci au vu de la dégradation de son état de santé ont des enjeux particuliers pour cette personne, justifiant une diligence particulière de la part du service public de la justice (CEDH, Mocié c. France, 46096/99, §22).
Il convient de rappeler que, conformément à l’article R 142-20-1 du code de la sécurité sociale applicable au présent litige, la procédure du contentieux de la sécurité sociale et du contentieux de l’admission à l’aide sociale est orale, de sorte qu’il ne saurait être sollicité du demandeur qu’il fournisse au présent débat un calendrier de procédure.
En l’espèce, il y a lieu d’évaluer le caractère excessif de la procédure litigieuse en considération, non de sa durée globale, mais du temps séparant chaque étape de la procédure.
Ainsi, à l’aune de ces critères, il convient de relever que :
– le délai de 29 mois entre la saisine du tribunal des affaires de sécurité sociale du 21 mars 2013 et la première audience du 16 septembre 2015 est excessif, et engage la responsabilité de l’Etat, à hauteur de 26 mois;
– le délai de 2 mois entre cette audience et l’audience de plaidoirie du 18 novembre 2015 n’est pas excessif ;
– le délai de moins de 1 mois entre l’audience de plaidoirie et le prononcé de la décision n’est pas excessif ;
– le délai de 13 mois entre la déclaration d’appel et l’audience de plaidoirie devant la cour d’appel de Lyon est excessif à hauteur de 1 mois, cependant l’agent judiciaire de l’Etat qui invoque une audience intermédiaire le 17 janvier 2017 dont il ne rapporte pas la preuve, reconnaît sur cette période un délai excessif engageant la responsabilité de l’Etat à hauteur de 7 mois, lequel sera retenu ;
– le délai de 1 mois entre l’audience de plaidoirie et le délibéré de la cour d’appel n’est pas excessif ;
– le délai de 7 mois entre le pourvoi en cassation et l’ordonnance de la Cour de cassation du 15 novembre 2018 constatant le désistement de la CPAM intervenu le 11 octobre 2018 n’est pas excessif.
La responsabilité de l’État est en conséquence engagée pour un délai excessif global de 33 mois.
S’agissant du préjudice, la demande formée au titre du préjudice moral est justifiée en son principe, dès lors qu’un procès est nécessairement source d’une inquiétude pour le justiciable et qu’une attente prolongée non justifiée induit un préjudice dû au temps d’inquiétude supplémentaire.
Pour justifier de son préjudice moral, Monsieur [E] [J] produit, outre des attestations de témoins, un certificat médical du 3 mai 2015 exposant qu’il a développé, suite au refus de reconnaissance du caractère professionnel de son accident, un syndrome anxiodépressif. Par ailleurs, les pièces versées aux débats permettent de constater que la pension d’invalidité objet de la procédure litigieuse constituait une part importante des ressources du demandeur, son couple ayant en outre trois enfants à charge, nés en 2015, 2017 et 2022.
Compte tenu de ces éléments et du préjudice que le dépassement excessif du délai raisonnable de jugement cause nécessairement, le préjudice moral de Monsieur [E] [J] est entièrement réparé par l’allocation de la somme de 9.900,00€
En application des dispositions de l’article 1231-7 du code civil, cette somme portera intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision.
S’agissant du préjudice financier, le demandeur expose que la lenteur de la procédure a été à l’origine de la perduration de sa situation de précarité. Cependant, ce dernier sollicite l’allocation d’une somme forfaitaire dont il n’explique pas l’évaluation.
La demande sera en conséquence rejetée.
2- Sur la procédure prud’homale :
Les procédures en matière de litiges du travail appellent par nature une décision rapide (CEDH Frydlender c. France [GC], 2000, § 45 ; Vocaturo c. Italie, 1991, § 17 ; Ruoto-lo c. Italie, 1992, § 17).
En l’espèce, il y a lieu d’évaluer le caractère excessif de la procédure prud’homale litigieuse en considération, non de sa durée globale, mais du temps séparant chaque étape de la procédure.
Ainsi, à l’aune de ces critères, il convient de relever que :
– le délai de 2 mois entre la saisine du conseil de prud’hommes et l’audience de conciliation n’est pas excessif ;
– le délai de 19 mois entre l’audience de conciliation et la première audience devant le bureau de jugement est excessif à hauteur de 10 mois, cependant l’agent judiciaire de l’Etat reconnait en l’espèce un délai excessif engageant la responsabilité de l’Etat à hauteur de 11 mois, lequel sera retenu ;
– le délai de 10 mois entre la première audience de jugement et l’audience de plaidoirie est excessif, et engage la responsabilité de l’Etat, à hauteur de 4 mois;
– le délai de 3 mois entre le bureau de jugement et le prononcé de la décision n’est pas excessif, cependant l’agent judiciaire de l’Etat reconnait en l’espèce un délai excessif engageant la responsabilité de l’Etat à hauteur de 1 mois, lequel sera retenu ;
– le délai de moins 1 mois séparant la date de la décision de sa notification n’est pas excessif ;
– le délai de 29 mois entre la déclaration d’appel et l’audience de plaidoirie devant la cour d’appel est excessif à hauteur de 15 mois, cependant l’agent judiciaire de l’Etat reconnait en l’espèce un délai excessif engageant la responsabilité de l’Etat à hauteur de 16 mois, lequel sera retenu ;
– le délai de moins de 2 mois entre l’audience de plaidoirie et le délibéré de la cour d’appel n’est pas excessif.
La responsabilité de l’État est en conséquence engagée pour un délai excessif global de 32 mois.
S’agissant du préjudice, la demande formée au titre du préjudice moral est justifiée en son principe, dès lors qu’un procès est nécessairement source d’une inquiétude pour le justiciable et qu’une attente prolongée non justifiée induit un préjudice dû au temps d’inquiétude supplémentaire.
En l’espèce, comme précédemment exposé, Monsieur [E] [J] produit des pièces attestant qu’il a développé un syndrome anxiodépressif suite au refus de reconnaissance du caractère professionnel de son accident ; qu’en l’espèce la procédure prud’homale avait notamment pour objet la reconnaissance du caractère professionnel de son inaptitude et la contestation du bien fondé de son licenciement, de sorte que l’attente excessive de la décision prud’homale définitive a nécessairement entraîné une aggravation de son préjudice.
Il ne justifie cependant pas d’un préjudice à hauteur de la somme demandée.
Le préjudice moral de Monsieur [E] [J] est en conséquence entièrement réparé par l’allocation de la somme de 6.400,00 €.
En application des dispositions de l’article 1231-7 du code civil, cette somme portera intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision.
S’agissant du préjudice financier, le demandeur expose que la lenteur de la procédure a été à l’origine de la perduration de sa situation de précarité. Cependant, ce dernier sollicite l’allocation d’une somme forfaitaire dont il n’explique pas l’évaluation.
Néanmoins, la condamnation de l’employeur étant intervenue tardivement, puisqu’il a été retenu 16 mois de délai excessif en première instance et 16 mois en cause d’appel, le requérant peut donc prétendre à la réparation du préjudice lié au défaut de disposition des sommes, durant cette période.
A cet égard, la condamnation au paiement de créances indemnitaires à hauteur de 24.000,00 € est assortie dans l’arrêt des intérêts au taux légal à compter de la date de son prononcé.
Par conséquent, eu égard à l’aléa tenant aux délais et conditions d’exécution de l’arrêt si la décision avait été rendue plus tôt, compte tenu du taux d’intérêt légal courant sur la période, l’agent judiciaire de l’État est condamné à ce titre au paiement de la somme de 855,00 €.
En l’absence de justification d’un préjudice financier excédant ce montant, le surplus de la demande formée à ce titre est rejeté.
En application des dispositions de l’article 1231-7 du code civil, cette somme portera intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision.
Sur les demandes accessoires :
L’agent judiciaire de l’État, partie perdante, est condamné aux dépens, conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.
Enfin, compte tenu des situations économiques respectives des parties, de la durée de l’instance et des démarches judiciaires qu’a dû accomplir la partie demanderesse, l’agent judiciaire de l’État est condamné à verser à Monsieur [E] [J] la somme de 1.200,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement. En l’espèce, aucune circonstance ne justifie d’écarter l’exécution provisoire de droit.
Le tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe à la date indiquée à l’issue des débats en audience publique en application de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile, contradictoirement et en premier ressort,
CONDAMNE l’agent judiciaire de l’État à payer à Monsieur [E] [J] :
– la somme de 9.900,00€ à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral, s’agissant de la procédure sociale;
– la somme de 6.400,00 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral, s’agissant de la procédure prud’homale ;
– la somme de 855,00 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice matériel, s’agissant de la procédure prud’homale;
– la somme de 1.200,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement;
CONDAMNE l’agent judiciaire de l’État aux dépens ;
RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire ;
DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Fait et jugé à Paris le 27 Novembre 2024
Le Greffier Le Président
Marion CHARRIER Cécile VITON
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