Déchéance de marque : tout le monde peut agir

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Déchéance de marque : tout le monde peut agir

L’Essentiel : Toute personne physique ou morale peut demander la déchéance d’une marque auprès de l’Institut National de la Propriété Industrielle sans avoir à justifier d’un intérêt. Selon l’article L 714-5 du Code de la propriété intellectuelle, le titulaire d’une marque risque la déchéance s’il n’en fait pas un usage sérieux pendant cinq ans. La preuve de cet usage incombe au titulaire, qui doit démontrer l’exploitation pour chaque produit. Dans cette affaire, bien que l’usage de la marque STZ ait été établi pour certains articles de la classe 25, la demande de déchéance a été jugée fondée pour d’autres produits.

Toute personne physique ou morale peut former une demande en déchéance de marque devant l’Institut National de la Propriété Industrielle sans avoir à justifier de son intérêt à agir.

Faiblesse du chiffre d’affaires

Si le chiffre d’affaire généré par des ventes sous la marque dont la déchéance est demandée, est faible, il n’en demeure pas moins que le déposant a établi avoir sérieusement exploité sa marque durant la période considérée en proposant à la vente les articles en des points de commercialisation restreints, mais différents, dans une démarche commerciale présentée par l’intéressée comme visant précisément une clientèle sélectionnée

Cependant, il apparaît que cet usage n’est établi que pour quelques articles de la classe 25, à savoir des vêtements, précisément des maillots de bain, et au titre d’accessoires à ces vêtements, chaussures de plage et sous-vêtements ; il convient en conséquence d’infirmer la décision déférée en jugeant la demande en déchéance fondée, sauf en ce qui concerne ces produits de la classe 25.

L’usage sérieux de marque

L’article L 714-5 du Code de la propriété intellectuelle dispose qu’encourt la déchéance de ses droits le titulaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, pendant une période ininterrompue de cinq ans.

Preuve de l’exploitation

L’article L 716-3-1 du même code précise que la preuve de l’exploitation incombe au titulaire de la marque dont la déchéance est demandée, cette preuve pouvant être rapportée par tous moyens

Preuve de l’usage pour chaque produit

Conformément aux termes même de l’article L 714-5, la preuve de l’usage doit être rapportée pour chaque produit ou service, l’article L 716-3 prévoyant, lui, expressément la possibilité d’une déchéance partielle. 


COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-1

ARRÊT AU FOND

DU 28 AVRIL 2022

N° 2022/163

N° RG 21/12475 –

N° Portalis DBVB-V-B7F-BH7XS

Y X

C/

LE DIRECTEUR GENERAL DE L’INSTITUT

PROCUREUR GENERAL

S.A.S. AU COEUR DE MEGEVE

Copie exécutoire délivrée

le :

à : Me Denis KOBAN

Mme X

INPI

PROCUREUR GENERAL

SAS AU COEUR DE MEGEVE

Décision déférée à la Cour :

Décision de Monsieur le Directeur Général de l’Institut National de la Propriété Industrielle en date du 23 Juillet 2021, enregistrée sous le n° DC 20-0122/MAS

DEMANDERESSE

Madame Y X, demeurant […]

représentée par Me Denis KOBAN de la SELARL ASKESIS, avocat au barreau de GRASSE, substitué par Me Céline GEVREY, avocat au barreau de GRASSE

DEFENDEURS

Monsieur LE DIRECTEUR GENERAL DE L’INSTITUT NATIONAL DE LA PROPRIETE INDUSTRIELLE, dont le siège social est sis […] […]

représenté par Mme Marie JAOUEN, en vertu d’un pouvoir général

Monsieur LE PROCUREUR GENERAL

Cour d’Appel – […]

représenté par M. Pierre-Jean GAURY, Avocat général

S.A.S. AU COEUR DE MEGEVE, dont le siège social est sis […]

assignée à personne habilitée le 17/11/2021

défaillante

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 07 Mars 2022 en audience publique.

Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Monsieur Pierre CALLOCH, Président, président a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Pierre CALLOCH, Président

Madame Marie-Christine BERQUET, Conseillère

Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : M. Alain VERNOINE.

Ministère Public : M. Pierre-Jean GAURY, Avocat général, lequel a été entendu en ses observations orales.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 Avril 2022.

ARRÊT

Réputé contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 28 Avril 2022.

Signé par Monsieur Pierre CALLOCH, Président et M. Alain VERNOINE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*** FAITS ET PROCÉDURE

Madame Y X a déposé le 19 septembre 2010 auprès de l’Institut National de la Propriété Industrielle la marque semi-figurative STZ en classes 18, 24 et 25 pour désigner des articles de maroquinerie, des textiles, des vêtements et articles d’habillement.

Cette marque a été exploitée par la société STZ, gérée par madame X.

Le 10 novembre 2020, la société AU COEUR DE MEGEVE a saisi monsieur le directeur de l’Institut National de la Propriété Industrielle d’une demande en déchéance de cette marque.

Suivant décision en date du 23 juillet 2021, monsieur le directeur de l’Institut National de la Propriété Industrielle a fait droit à la demande et a en conséquence déclarée madame X déchue de ses droits sur la marque à compter du 10 novembre 2020 pour l’ensemble des produits désignés à l’enregistrement.

Madame X a interjeté appel de cette décision par déclaration enregistrée au greffe le 19 août 2021. Cette déclaration d’appel a été notifiée par madame X ainsi que ses conclusions à la société AU COEUR DE MEGEVE par acte remis à personne habilitée en date du 17 novembre 2021.

A l’appui de son appel, par conclusions déposées par voie électronique le 17 novembre 2021, madame X soulève à titre principal l’irrecevabilité de la demande de la société AU COEUR DE MEGEVE, celle ci ne justifiant pas de son intérêt à agir.

Subsidiairement, madame X soutient que les pièces par elle versées démontrent un usage sérieux de la marque STZ en classe 25 et fait observer que l’importance de l’usage doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, rappelant que les produits par elle commercialisés sont des produits saisonniers, de luxe et conçus dans une démarche artistique. La marque serait ainsi destinée à désigner des produits de qualité réservés à une communauté restreinte de personnes. Elle conclut en conséquence à l’irrecevabilité des demandes de la société AU COEUR DE MEGEVE, subsidiairement au caractère sérieux de l’usage de la marque et sollicite en tout état de cause la condamnation de la société demanderesse à la déchéance à lui verser une somme de 5 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

La société AU COEUR DE MEGEVE n’a pas constitué avocat.

Monsieur le directeur de l’Institut National de la Propriété Industrielle, par observations déposées devant la cour, conclut à la recevabilité du recours formé par la société AU COEUR DE MEGEVE au regard des dispositions de l’article L 716-3 du Code de la propriété intellectuelle issu de l’ordonnance du 13 novembre 2019. Sur le fond, il rappelle que le titulaire de la marque doit établir l’usage de celle ci durant une période de cinq ans

précédant la demande en déchéance, soit en l’espèce entre le 10 novembre 2015 et le 10 novembre 2020. Il soutient que les pièces versées par madame X ne fournissent pas des indications suffisantes concernant le volume commercial, la portée territoriale, la durée, la fréquence et la nature de l’usage invoqué, s’en remettant toutefois à la cour sur l’appréciation des nouvelles pièces versées par madame X devant la cour. Il maintient en conséquence que la preuve d’un usage sérieux durant la période de cinq ans n’est pas rapportée et souligne qu’en toute hypothèse les pièces versées aux débats n’établiraient qu’un usage pour certains articles relevant de la classe 25.

Le ministère public conclut au vu des pièces versées en cause d’appel à une réformation partielle de la décision.

MOTIFS DE LA DÉCISION Sur l’intérêt à agir de la société AUCOEUR DE MEGEVE

L’article L 716-3 du Code de la propriété intellectuelle dispose que devant l’Institut National de la Propriété Industrielle, les demandes en déchéance de marque fondées sur les articles L 714-5, L 714-6, L 715-5 et L 715-10 sont introduites par toutes personnes physiques ou morales ; il ajoute que devant les Tribunaux judiciaires, elle sont introduites par toute personne intéressée ; il résulte de cette rédaction que toute personne physique ou morale peut former une demande en déchéance de marque devant l’Institut National de la Propriété Industrielle sans avoir à justifier de son intérêt à agir ; la fin de non recevoir soulevée par madame X pour défaut d’intérêt à agir de la société AU COEUR DE MEGEVE sera en conséquence écartée.

Sur la déchéance de la marque

L’article L 714-5 du Code de la propriété intellectuelle dispose qu’encourt la déchéance de ses droits le titulaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, pendant une période ininterrompue de cinq ans ; l’article L 716-3-1 du même code précise que la preuve de l’exploitation incombe au titulaire de la marque dont la déchéance est demandée, cette preuve pouvant être rapportée par tous moyens ; enfin, il convient de rappeler que conformément aux termes même de l’article L 714-5, la preuve de l’usage doit être rapportée pour chaque produit ou service, l’article L 716-3 prévoyant, lui, expressément la possibilité d’une déchéance partielle.

En l’espèce, la demande en déchéance ayant été introduite le 10 novembre 2020 par la société AU COEUR DE MEGEVE, madame X doit prouver avoir fait un usage sérieux de sa marque pour chacun des produits désigné sur une période allant du 15 novembre 2015 au 15 novembre 2020.

Madame X verse devant la cour des listes de transactions pour les années 2016 et 2019, et surtout plusieurs factures démontrant la vente de produits vestimentaires portant la marque STZ dans plusieurs points de vente, hôtel La Pinède Plage, l’hôtel Cheval Blanc et boutique Club 55 ; ces pièces sont complétées par les factures déjà produites devant l’Institut National de la Propriété Industrielle et par deux attestations des gérants des hôtels constituant des points de vente ; si le chiffre d’affaire généré par ces ventes est faible, il n’en demeure pas moins que madame X établit ainsi avoir sérieusement exploité sa marque durant la période considérée en proposant à la vente les articles en des points de commercialisation restreints, mais différents, dans une démarche commerciale présentée par l’intéressée comme visant précisément une clientèle sélectionnée ; cependant, à la lecture de ces pièces, il apparaît que cet usage n’est établi que pour quelques articles de la classe 25, à savoir des vêtements, précisément des maillots de bain, et au titre d’accessoires à ces vêtements, chaussures de plage et sous-vêtements ; il convient en conséquence d’infirmer la décision déférée en jugeant la demande en déchéance fondée, sauf en ce qui concerne ces produits de la classe 25.

Au vu de la solution donnée au litige, l’équité commande de ne pas faire application de l’article 700 du code de procédure civile à l’encontre de la société AU COEUR DE MEGEVE ; pour les mêmes motifs, la demande en déchéance étant jugée partiellement fondée, les dépens seront mis à la charge de madame X.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

– CONFIRME la décision de monsieur le directeur de l’Institut National de la Propriété Industrielle en date du 23 juillet 2021 en ce qu’elle a déclaré recevable la demande en déchéance formée par la société AU COEUR DE MEGEVE, mais L’INFIRME en ce qu’elle a déclaré madame X déchue de ses droits sur la marque pour l’ensemble des produits désignés dans l’enregistrement.

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

– DÉCLARE madame X déchue de ses droits sur la marque n°10/3767434 à compter du 10 novembre 2020 pour les produits désignés à l’enregistrement, exception faite des produits en classe 25 : vêtements, maillots de bain, chaussures de plage et sous-vêtements.

– DÉBOUTE madame X de sa demande formée en application de l’article 700 du code de procédure civile.

– DIT que la présente décision sera notifiée par les soins du greffe dans les formes prévues par l’article R 411-42 du Code de la propriété intellectuelle.

– MET les dépens à la charge de madame X.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

Q/R juridiques soulevées :

Qui peut former une demande en déchéance de marque ?

Toute personne physique ou morale a la possibilité de former une demande en déchéance de marque devant l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI).

Cette procédure ne nécessite pas que le demandeur justifie d’un intérêt à agir. Cela signifie que même des tiers, qui ne sont pas directement concernés par l’utilisation de la marque, peuvent initier une telle demande.

Cette règle vise à protéger l’intégrité du système de propriété intellectuelle en permettant à toute personne de contester une marque qui, selon elle, n’est pas utilisée de manière sérieuse.

Quelles sont les conséquences d’un chiffre d’affaires faible pour une marque ?

Un chiffre d’affaires faible ne signifie pas nécessairement que la marque n’a pas été exploitée sérieusement.

Dans le cas étudié, bien que les ventes sous la marque soient limitées, le déposant a démontré qu’il avait sérieusement exploité sa marque en proposant des articles à la vente dans des points de commercialisation variés, bien que restreints.

Cependant, l’usage de la marque n’a été établi que pour certains articles de la classe 25, tels que des vêtements et des accessoires, ce qui a conduit à une décision partielle de déchéance.

Qu’est-ce que l’usage sérieux d’une marque ?

L’usage sérieux d’une marque est défini par l’article L 714-5 du Code de la propriété intellectuelle.

Cet article stipule que le titulaire d’une marque peut encourir la déchéance de ses droits s’il n’en a pas fait un usage sérieux pendant une période ininterrompue de cinq ans, sans justes motifs.

L’usage sérieux implique que la marque soit utilisée de manière effective sur le marché pour les produits ou services pour lesquels elle est enregistrée, et cela doit être prouvé par le titulaire.

Qui doit prouver l’exploitation d’une marque ?

La preuve de l’exploitation d’une marque incombe au titulaire de celle-ci, comme le précise l’article L 716-3-1 du Code de la propriété intellectuelle.

Cette preuve peut être apportée par tous moyens, ce qui signifie que le titulaire peut utiliser divers types de documents ou témoignages pour démontrer l’usage de sa marque.

Il est essentiel que cette preuve soit suffisamment solide pour établir que la marque a été utilisée de manière sérieuse durant la période requise.

Comment la preuve de l’usage doit-elle être rapportée ?

Selon l’article L 714-5, la preuve de l’usage doit être rapportée pour chaque produit ou service pour lequel la marque est enregistrée.

Cela signifie que le titulaire doit démontrer l’usage sérieux de la marque non seulement de manière générale, mais aussi spécifiquement pour chaque catégorie de produits ou services.

L’article L 716-3 permet également une déchéance partielle, ce qui signifie que si la preuve d’usage est établie pour certains produits mais pas pour d’autres, la déchéance peut ne s’appliquer qu’aux produits non utilisés.

Quel a été le jugement de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence ?

La Cour d’Appel d’Aix-en-Provence a confirmé en partie la décision de l’INPI, déclarant la demande en déchéance recevable.

Cependant, elle a infirmé la décision concernant la déchéance de la marque pour tous les produits, en reconnaissant que madame X avait prouvé un usage sérieux pour certains articles de la classe 25, notamment des vêtements et des accessoires.

Ainsi, la Cour a déclaré madame X déchue de ses droits sur la marque à compter du 10 novembre 2020, sauf pour les produits spécifiquement mentionnés.


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