Aux termes de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Sur ce fondement, le principe étant celui de la liberté du commerce, ne sont sanctionnés au titre de la concurrence déloyale, que des comportements fautifs tels que ceux visant à créer un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit, ou ceux, parasitaires, qui consistent à tirer profit sans bourse délier d’une valeur économique d’autrui, individualisée, procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements.
La création, par d’anciens salariés, d’une société concurrente à celle qui les employait précédemment, n’est pas en elle-même constitutive d’un acte de concurrence déloyale, dès lors qu’elle n’est pas accompagnée de pratiques déloyales.
De même, l’embauche, dans des conditions régulières, d’anciens salariés d’une entreprise concurrente n’est pas elle-même fautive, en l’absence de démonstration d’agissements contraires aux usages loyaux du commerce, étant précisé que le débauchage, consistant à inciter certains salariés d’un concurrent à quitter leur emploi pour les attirer dans sa propre entreprise n’est pas illicite en soi, sauf s’il résulte de manoeuvres déloyales ou tend à l’obtention déloyale d’avantages dans la concurrence, de nature à désorganiser l’entreprise.
Est ainsi illicite le débauchage ayant pour but d’accéder à des connaissances confidentielles acquises par le salarié ou de prospecter systématiquement la clientèle du concurrent.
Toutefois, la société créée par d’anciens salariés doit être condamnée pour concurrence déloyale lorsque dans un marché très concurrentiel et technique, elle a effectivement, à très bref délai après sa création, bénéficié des informations, plans, stratégie commerciale de l’ancien employeur. Dans cette affaire, le seul commercial au sein de la nouvelle société avait aussi permis de disposer de tous éléments nécessaires concernant les clients de l’ancien employeur qu’elle a pu ainsi démarcher aisément.
La société nouvellement créée ne produisait aucun élément justifiant des démarches effectuées lui permettant d’être aussi rapidement compétitive sur son marché, le ticket d’entrée à un salon professionnel comme visiteur et non comme participant, étant insuffisant pour le démontrer.
La société a bénéficié ainsi d’un avantage par le truchement de procédés déloyaux ayant faussé le libre jeu de la concurrence en profitant du savoir-faire, des plans de l’ancien employeur pour lesquels il avait investi lourdement et depuis de nombreuses années.
_________________________
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 2
ARRÊT DU 16/09/2021
****
N° de MINUTE :
N° RG 18/00979 – N° Portalis DBVT-V-B7C-RLQG
Jugement (N° 16/08272)
rendu le 14 décembre 2017 par le tribunal de grande instance de Lille
APPELANTS
Monsieur L J
né le […] à […]
demeurant […]
[…]
Monsieur G Z
né le […] à […]
demeurant […]
[…]
La SASU Odm-Services prise en la personne de son président, Mme N J née X ayant son siège social […]
[…]
représentés et assistés de Me Vincent Platel, avocat au barreau de Lille
INTIMÉE
[…]
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social […]
[…]
représentée par Me Robert Lepoutre, avocat au barreau de Lille
assistée de Me Grégoire Bravais, membre de la SCP D.D.A Avocats -DMS Avocats, avocat au barreau de Paris
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
H I-Q, président de chambre
Sophie Tuffreau, conseiller
Y-O Le Pouliquen, conseiller
GREFFIER LORS DES DÉBATS : S T
DÉBATS à l’audience publique du 12 avril 2021 tenue en double rapporteur par H I-Q et Y-O Le Pouliquen après accord des parties et rapport oral de l’affaire par H I-Q.
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 16 septembre 2021 après prorogation du délibéré en date du 08 juillet 2021 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par H I-Q, président, et S T, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 08 mars 2021
****
Vu le jugement du tribunal de grande instance de Lille en date du 14 décembre 2017,
Vu l’appel interjeté par M. L J, M. G Z et la société ODM services le 14 février 2018,
Vu l’arrêt de sursis à statuer rendu par la cour d’appel de Douai du 19 septembre 2019,
Vu l’arrêt de la cour d’appel d’Amiens en date du 17 mars 2020, statuant après cassation de l’arrêt de la cour d’appel de Douai du 17 décembre 2015,
Vu les conclusions de M. L J, M. G Z et la société ODM services en date du 8 février 2021,
Vu les conclusions de la société Cuir Corrugated Machinery (CCM) en date du 18 septembre 2020,
Vu l’ordonnance de clôture en date du 8 mars 2021.
EXPOSE DU LITIGE
La société Cuir Corrugated Machinery (ci-après CCM), créée en 1932, est spécialisée dans la fabrication de machines pour l’industrie de carton ondulé, dans la maintenance et la réparation de ces machines Cuir ainsi que la réalisation et la vente de pièces détachées.
La société CCM a employé, à compter de 1983, M. L J qui a occupé, en dernier lieu, les fonctions de responsable d’atelier et de directeur de la satisfaction du client.
Le 9 septembre 2013, M. J a présenté sa démission et a quitté la société le 6 décembre 2013.
M. G Z était également employé par la société CCM depuis le 16 juin 2008 en qualité de responsable de zone itinérant. Il a présenté sa démission le 4 juillet 2014 et a quitté la société le 9 septembre 2014.
La société ODM services, société par actions simplifiée, est spécialisée dans la maintenance de machines-outils industrielles dans le segment de l’emballage plastique ou le carton. Elle a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 6 janvier 2014. Elle est dirigée par Mme J, présidente. M. J et M. G Z sont salariés de la société.
Le 4 novembre 2014, estimant que M. J, M. G Z et la société ODM se livraient à des actes de concurrence déloyale à son égard, la société CCM a saisi le juge des requêtes du tribunal de grande instance de Lille aux fins de faire effectuer des recherches sur les ordinateurs de M. J et de M. G Z.
Par ordonnance du 4 novembre 2014, il a été fait droit à cette requête. Le 2 décembre 2014, l’ordonnance a été exécutée et les éléments ont été séquestrés entre les mains de l’huissier de justice.
Le 12 décembre 2014, la société ODM services et M. J ont fait assigner la société CCM afin de voir rétracter l’ordonnance du 4 novembre 2014.
Par ordonnance de référé du 12 mai 2015, le président du tribunal de grande instance de Lille a dit n’y avoir lieu à rétractation.
M. J, M. G Z et la société ODM services ont formé appel de cette ordonnance.
Par arrêt du 17 décembre 2015, la cour d’appel de Douai a confirmé l’ordonnance rendue sauf en ce qu’elle a déclaré irrecevable l’intervention volontaire de M. G Z, y ajoutant, a déclaré irrecevables la société ODM services, M. J et M. Z en leurs prétentions nouvelles aux fins de révocation des ordonnances des 4 novembre 2014 et 12 mai 2015, déclaré la société CCM irrecevable en ses prétentions nouvelles aux fins de communication des éléments séquestrés par l’huissier, débouté la CCM de ses prétentions formées à titre de réparation du préjudice subi pour procédure abusive.
La société ODM services, M. J et M. G Z ont formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cette décision.
Le 23 février 2017, la Cour de cassation a cassé et annulé mais seulement en ce qu’il a déclaré la société ODM services, M. J et M. G Z irrecevables en leurs prétentions nouvelles aux fins de révocation des ordonnances des 4 novembre 2014 et 12 mai 2015 et déclaré la société CCM irrecevable en ses prétentions nouvelles aux fins de communication des éléments séquestrés par l’huissier, l’arrêt de la cour d’appel de Douai, et renvoyé les parties devant la cour d’appel d’Amiens.
Précédemment, le 15 septembre 2016, la société CCM a fait assigner la société ODM services, M. J et M. Z au motif d’actes de concurrence déloyale et de contrefaçon commis par ces derniers et pour voir communiquer les documents séquestrés par l’huissier chargé d’exécuter l’ordonnance du 4 novembre 2014, ordonner une mesure d’expertise judiciaire en vue d’établir ses préjudices et s’entendre octroyer des provisions à valoir sur les préjudices.
Par jugement du 14 décembre 2017, le tribunal de grande instance de Lille a :
— écarté des débats la note en délibéré produite par la société CCM s’agissant de ses arguments portant sur la validité des opérations de saisie ;
— débouté la société ODM services, M. A et M. Z de leurs demandes tendant à voir annuler les opérations de saisie exécutées le 2 décembre 2014 ;
— dit que la société ODM services, M. J et M. Z se sont livrés à des actes de concurrence déloyale à l’égard de la société CCM ;
— condamné la société ODM, M. A et M. Z, in solidum, à verser à la société CCM une somme de 5 000 euros en réparation du préjudice moral subi ;
— ordonné la mainlevée des éléments séquestrés par la SCP d’huissier Arnaud et associés au profit de l’expert ci-après désigné ;
— débouté la société ODM services, M. J et M. Z de leurs demandes de consignation ;
— sursis à statuer sur les demandes formulées au titre du préjudice matériel et ordonné avant dire droit, sur ce point, une expertise et commis pour y procéder, M. Y-R B ;
— dit que l’expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile et qu’il déposera son rapport en un exemplaire original sous format papier au greffe du tribunal de grande instance de Lille dans le délai de six mois à compter de l’avis de consignation, sauf prorogation de ce délai dûment sollicité en temps utile auprès du juge chargé du contrôle ;
— dit que l’expert devra, dès réception de l’avis de versement de provision à valoir sur sa rémunération, convoquer les parties à une première réunion qui devra se tenir avant l’expiration d’un délai de deux mois, au cours de laquelle il procèdera à une lecture contradictoire de sa mission, présentera la méthodologie envisagée, établira contradictoirement un calendrier de ses opérations et évaluera le coût prévisible de la mission, et jusqu’à l’issue de cette première réunion, il adressera un compte rendu aux parties et au juge chargé du contrôle ;
— dit que sauf accord contraire des parties, l’expert devra adresser à celles-ci une note de synthèse dans laquelle il rappellera l’ensemble de ses constatations matérielles, présentera ses analyses et proposera une réponse à chacune des questions posées par la juridiction ;
— dit que l’expert devra fixer aux parties un délai pour formuler leurs dernières observations ou réclamations en application de l’article 276 du code de procédure civile et rappelé qu’il ne sera pas tenu de prendre en compte les transmissions tardives ;
— désigné le magistrat chargé du contrôle des expertises pour suivre la mesure d’instruction et statuer sur tous incidents ;
— dit que l’expert devra rendre compte à ce magistrat de l’avancement de ses travaux d’expertise et des
diligences accomplies et qu’il devra l’informer de la carence éventuelle des parties dans la communication des pièces nécessaires à l’exécution de sa mission, conformément aux dispositions des articles 273 et 275 du code de procédure civile ;
— fixé à la somme de 3 000 euros la provision à valoir sur la rémunération de l’expert, qui devra être consignée par la société CCM entre les mains du régisseur d’avances et de recettes de ce tribunal dans le délai maximum de six semaines à compter du présent jugement sans autre avis ;
— dit que faute de consignation dans ce délai impératif, la désignation de l’expert sera caduque et privée de tout effet ;
— dit qu’en déposant son rapport, l’expert adressera aux parties et à leurs conseils une copie de sa demande de rémunération ;
— débouté la société CCM de l’ensemble de ses demandes au titre de la contrefaçon ;
— débouté la société CCM de sa demande de publication du présent jugement ;
— débouté la société CCM de sa demande de ‘faire injonction à M. J, Z et ODM services de cesser tout agissement de concurrence déloyale et de contrefaçon à l’encontre de la société CCM sous astreinte de 1 000 euros par nouvel agissement’ ;
— débouté la société ODM service, M. J et M. Z de leurs demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
— condamné la société ODM services, M. J et M. Z in solidum au paiement des frais et dépens de l’instance ;
— ordonné l’exécution provisoire du jugement ;
— ordonné le retrait du rôle de la présente affaire et dit qu’elle sera réenrôlée sur production au greffe de conclusions régulièrement signifiées aux fins de reprise de l’instance.
Par déclaration déposée au greffe le 14 février 2018, M. J, M. Z et la société ODM services ont interjeté appel de ce jugement.
Une première ordonnance de clôture a été rendue le 13 mai 2019.
Par arrêt du 19 septembre 2019, la cour de céans a sursis à statuer sur les demandes des parties dans l’attente de l’issue de l’instance pendante devant la cour d’appel d’Amiens et du prononcé d’un arrêt définitif statuant sur les suites de la cassation partielle intervenue le 23 février 2017.
Le 17 mars 2020, la cour d’appel d’Amiens, saisie après cassation partielle de l’arrêt de la cour d’appel de Douai du 17 décembre 2015, a écarté des débats la pièce n°113 communiquée par la société CCM, dit n’y a voir lieu à écarter la pièce n°114 communiquée par la société CCM, déclaré recevables les demandes de la société ODM services, M. J et M. Z, débouté la société CCM de ses prétentions relatives à l’absence d’objet des demandes de la société ODM services, M. J et M. Z, confirmé l’ordonnance du 12 mai 2015 rendue par le juge des référés du tribunal de grande instance de Lille, condamné in solidum la société ODM services, M. J et M. Z aux dépens et 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Suite à cet arrêt, est intervenue la réinscription de l’affaire au rôle de la cour d’appel de Douai.
Aux termes de leurs dernières écritures, la société ODM services, M. L J et M. G Z demandent à la cour, au visa des articles 1382 devenu 1240 du code civil, L.511-5 et suivants et L.615-1 du code de la propriété intellectuelle, L.151-1 du code de commerce, 9, 16, 145, 493, 495 et 564 du code de procédure civile :
— dire recevable mais bien fondé leur appel interjeté à l’encontre du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Lille le 14 décembre 2017 ;
— dire et juger qu’il n’y a pas lieu à faire référence au rapport de M. B dans le cadre de la présente procédure et écarter ainsi des débats tout argument ou pièce fondé sur celui-ci ;
— réformer le jugement en ce qu’il a, d’une part, considéré que la société ODM services, M. L J et M. G Z se sont livrés à des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Cuir Corrugated Machinery (C.C.M.) et, d’autre part, a ordonné la mainlevée des éléments séquestrés par huissier lors de la saisie, nommé un expert, en la personne de M. Y-R B et déterminé sa mission ;
— ordonner la restitution, à la société ODM services, par la SCP d’huissiers Arnaud & associes et à défaut par l’expert judiciaire désigné par le tribunal de tous les éléments saisis ;
— confirmer le jugement du 14 décembre 2017 en ce qu’il a débouté la société Cuir Corrugated Machinery (C.C.M.) :
— de ses demandes en contrefaçon,
— de sa demande de publication du jugement,
— d’injonction de cesser tous agissements de concurrence déloyale et de contrefaçon,
— de sa demande de condamnation à dommages-intérêts pour procédure abusive;
— débouter la société Cuir Corrugated Machinery (C.C.M.) de l’ensemble des arguments et prétentions ;
À défaut,
— dire et juger qu’il n’y a pas lieu à injonction sous astreinte de 10 000 euros par nouvel agissement à MM. L J et G Z et la société ODM services de cesser tout agissement de concurrence déloyale à l’encontre de la société Cuir Corrugated Machinery (C.C.M.) ;
— dire et juger qu’il n’y a pas lieu à la publication de la décision à intervenir dans trois publications de son choix aux frais des appelants condamnés en cela in solidum, pour un montant maximum de 5 000 euros HT par publication ;
— débouter la société Cuir Corrugated Machinery ‘ CCM de toutes ses demandes fondées sur l’article 1382 (1240 nouveau) du code civil pour concurrence déloyale ;
— débouter la société Cuir Corrugated Machinery ‘ CCM de de sa demande de désignation d’un expert judiciaire ;
— à défaut, confirmer la mission d’expertise fixée par le tribunal mais dire que l’expert devra respecter et faire respecter le secret des affaires en ne communiquant pas des données et documents issus de la levée des séquestres ;
— confirmer la limitation des démarches expertale aux seules années 2014 et 2015 ;
— condamner la société Cuir Corrugated Machinery ‘ CCM au paiement au profit de chacun des appelants d’une somme de 20 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers frais et dépens, dont distraction au profit de Me Vincent Platel, par application de l’article 699 dudit code.
Ils font valoir notamment:
— ils renoncent à leur demande de nullité des opérations de saisie du fait de l’arrêt de la cour d’appel d’Amiens mais ce renoncement ne constitue pas un aveu de la réalité des actes de concurrence déloyale;
— ils contestent les faits de concurrence déloyale; un ancien salarié non soumis à une clause de non-concurrence peut exercer une concurrence directe à son ancien employeur sauf à ce dernier à démontrer qu’elle est déloyale; il en est de même de la création d’une société concurrente par l’ancien salarié;
— les domaines d’activité des deux sociétés ne sont pas similaires;
— la société ODM est intervenue sur des opérations de maintenance en sous-traitance d’autres sociétés, la société CCM n’avait pas les capacités pour assurer la maintenance de ses machines;
— la société CCM n’a engagé aucune action contre les différentes sociétés visant à leur interdire la commercialisation de leurs pièces, alors que ODM qui commercialise seulement les pièces que lui vendent ses fournisseurs, est visée par l’action en contrefaçon et en concurrence déloyale ; l’action engagée est un prétexte pour obtenir qu’elle cesse son activité et/ou débaucher les techniciens qui lui manquent;
— la société ODM pratique des tarifs concurrentiels car ses charges sont plus faibles et sa marge raisonnable;
— la preuve d’un démarchage fautif n’est pas rapportée; de même, l’embauche de M. G Z est dénuée de toute manoeuvre déloyale;
— sur les faits de contrefaçon: CCM n’est pas titulaire d’un droit de propriété intellectuelle;
— les plans litigieux ne font pas l’objet d’une protection;
— la mesure d’instruction ordonnée le 4 novembre 2014 est illicite en raison des investigations insuffisamment limitées; les recherches autorisées créent une concurrence déloyale au profit de l’intimée; CCM peut ainsi avoir accès au savoir-faire et aux données de ODM protégées par le secret des affaires.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 8 septembre 2020, la société Cuir Corrugated Machinery – CCM demande à la cour, au visa des décisions antérieures, du rapport d’expertise déposé le 2 juillet 2020, des articles 10, 145, 495 et 497 du code de procédure civile, de l’article 1283 du code civil de:
Avant dire droit,
— confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a ordonné la communication des éléments
séquestrés par la SCP d’huissiers Arnaud & associes à la société CCM ;
— confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a nommé un expert judiciaire chargé de
procéder à l’évaluation du préjudice subi par la société CCM au titre des agissements
constitutifs de concurrence déloyale commis par MM. L J et G Z et la société ODM services et de procéder à l’évaluation du préjudice subi par la société CCM au titre des agissements constitutifs de contrefaçon commis par MM. L J et G Z et la société ODM services ;
— confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a ordonné à M. L J, M. G Z et de la société ODM services de transmettre à l’expert judiciaire l’ensemble des pièces comptables et autres qu’il jugerait nécessaire pour l’accomplissement de sa mission qu’il réalisera également sur la base des éléments séquestrés en vertu de l’ordonnance du 4 novembre 2014 lorsque ceux-ci pourront être portés à sa connaissance;
— fixer la provision à valoir sur les honoraires et frais de l’expert judiciaire désigné à la
charge de la société ODM services ;
A titre principal,
— condamner in solidum MM. L J et G Z et la société ODM services à payer à la société CCM :
une somme de 308 636,00 euros à titre de dommages-intérêts au titre de son
préjudice matériel pour concurrence déloyale pour les années 2015 & 2016, selon l’évaluation de l’expert-judiciaire du 2 juillet 2020 ;
une somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts au titre de son préjudice moral pour concurrence déloyale ;
— faire injonction à MM. L J et G Z et la société ODM services de cesser tout agissement de concurrence déloyale à l’encontre de la société CCM, sous astreinte de 10 000 euros par nouvel agissement ;
— ordonner la publication de la décision à intervenir dans trois publications de son choix
aux frais des défendeurs condamnés en cela in solidum, pour un montant maximum de
5 000 euros HT par publication ;
— condamner in solidum M. L J, M. G Z et la société ODM services au paiement d’une somme de 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
— condamner in solidum M. L J, M. G Z et la société ODM services aux entiers débours et dépens ;
— rejeter toutes les demandes formées par les défendeurs, les déclarer irrecevables.
Elle soutient notamment que:
— la société ODM et ses préposés se livrent à des actes de concurence déloyale selon rappel
chronologique des agissements constatés depuis janvier 2014,
— les conditions dans lesquelles le démarchage des clients et anciens clients de CCM s’effectue, sont manifestement anormales;
— les forces de police et les tribunaux ont reconnu que les programmes informatiques développés par CCM lui appartenaient et constituaient la valorisation de son fonds de commerce sanctionnant sévèrement tout détournement;
— contrairement aux affirmations de la société ODM, la société CCM ne remet jamais à ses clients les plans des pièces utilisées dans ses machines;
— six juridictions ont fait droit aux demandes présentées par la société CCM pour se prémunir des actes de concurrence déloyale de la société ODM;
— l’expert judiciaire a constaté que la société ODM avait en sa possession la liste des 53 000 références Cuir avec les indications des prix d’achat et des prix de vente et qu’elle réalisait 89% de son chiffre d’affaires avec des clients de la CCM;
— les tentatives de justification des appelants sont inopérants: aucun partenariat entre les deux sociétés n’a été envisagé, il y a bien eu démarchage de la société ODM, les pièces CCM ne sont pas en libre accès sur Internet ou auprès de tiers;
— la société CCM a subi un préjudice matériel du fait des agissements de concurrence déloyale, ce qui nécessite un complément d’expertise, les comptes de ODM étant accompagnés d’une déclaration de confidentialité et donc non visibles; CCM a subi également un préjudice moral du fait de l’atteinte à l’enseigne et à l’image;
— il est nécessaire de lever le séquestre des éléments constatés par huissier pour communication à l’expert;
— les arguments des appelants pour s’opposer à cette communication sont inopérants.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions déposées, soutenues à l’audience et rappelées ci-dessus.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 8 mars 2021.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1- sur la nullité des opérations de saisie
Le jugement entrepris a débouté la société ODM services, M. L J et M. G Z de cette demande.
Dans le dispositif de leurs conclusions, ils ne demandent pas l’infirmation du jugement de ce chef et ne demandent pas la nullité des opérations de saisie.
Effectivement, dans le corps de leurs conclusions (p.16), les appelants indiquent renoncer à leur demande de nullité des opérations de saisie.
Le jugement sera donc confirmé de ce chef.
2- sur les actes de concurrence déloyale
Aux termes de l’article 1382 du code civil dans sa version applicable à la présente espèce, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Sur ce fondement, le principe étant celui de la liberté du commerce, ne sont sanctionnés au titre de la concurrence déloyale, que des comportements fautifs tels que ceux visant à créer un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit, ou ceux, parasitaires, qui consistent à tirer profit sans bourse délier d’une valeur économique d’autrui, individualisée, procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements.
La création, par d’anciens salariés, d’une société concurrente à celle qui les employait précédemment, n’est pas en elle-même constitutive d’un acte de concurrence déloyale, dès lors qu’elle n’est pas accompagnée de pratiques déloyales.
De même, l’embauche, dans des conditions régulières, d’anciens salariés d’une entreprise concurrente n’est pas elle-même fautive, en l’absence de démonstration d’agissements contraires aux usages loyaux du commerce, étant précisé que le débauchage, consistant à inciter certains salariés d’un concurrent à quitter leur emploi pour les attirer dans sa propre entreprise n’est pas illicite en soi, sauf s’il résulte de manoeuvres déloyales ou tend à l’obtention déloyale d’avantages dans la concurrence, de nature à désorganiser l’entreprise.
Est ainsi illicite le débauchage ayant pour but d’accéder à des connaissances confidentielles acquises par le salarié ou de prospecter systématiquement la clientèle du concurrent.
En l’espèce, il est établi et non contesté que M. L J, salarié de la société CCM pendant 30 ans, occupant un poste central dans l’entreprise (supervision des activités de production et de maintenance, relation avec tous les clients) a donné sa démission en septembre 2013, effectué son préavis jusqu’au 6 décembre 2013.
La société ODM services, société à actions simplifiée, dont il est l’associé unique et son épouse la présidente, a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Lille métropole le 6 janvier 2014 soit un mois après avoir quitté la société CCM, les statuts ayant été établis le 21 novembre 2013.
M. G Z, salarié de la société CCM depuis 2008, occupant également au moment de sa démission un poste stratégique en tant que seul commercial, ayant en conséquence accès au fichier clients, aux commandes, devis, fixant les prix et les délais de livraison, a donné sa démission le 4 juillet 2014, a écourté son préavis en septembre pour être engagé par la société ODM le 11 septembre 2014.
Contrairement aux affirmations des appelants, les conditions du recrutement via Pôle emploi ne constituent pas en l’espèce, la preuve que ce recrutement est le fruit d’un pur hasard, eu égard d’une part au court délai entre la démission de M. J, la constitution de la société ODM, l’annonce du poste de technicien commercial (4 juin 2014), d’autre part la démision de M. Z (4 juillet), son départ anticipé de la société CCM (10 septembre 2014), son engagement au sein de la société ODM (11 septembre 2014).
Selon ses statuts, la société ODM services a notamment ‘pour objet, en France et à l’étranger :
-maintenance industrielle
-négoce et/ou fabrication de matériels industriels [‘]’.
Elle se présente elle-même, aux termes de ses différentes écritures, comme étant ‘spécialisée dans la maintenance de machine-outil industrielle et l’évolution des parties mécaniques de ces machines. Elle propose des services curatifs ou préventifs de maintenance industrielle sur tout type de machine. À ce titre, elle est amenée à fournir des pièces mécaniques, provenant du commerce ou qu’elle fait réaliser, et des pièces électriques. Elle offre également de réparer de telles pièces endommagées. Elle propose de même des services d’accompagnement de production sur certains outils de découpe bien spécifiques dans le monde du carton ondulé. Ainsi, elle étudie l’outil, le fait fabriquer et le met en service. Elle offre enfin des services d’amélioration, de remise en état et de délocalisation de machine de tous types et de tous fournisseurs dans le milieu de l’emballage papier et carton et de la sacherie’. (pièce n°83 intimée: assignation à la requête de ODM du 12 décembre 2014).
L’extrait K bis de la société Cuir corrugated machinery (CCM) mentionne à la rubrique ‘activités’ : ‘le cartonnage, la fabrication de machines pour le cartonnage, la fabrication d’outillage, les réparations de machines pour l’imprimerie et le cartonnage.’
La société CCM, aux termes de ses écritures, indique être spécialisée dans la conception, la création, la fabrication et la maintenance de machines de la marque Cuir à destination de l’industrie du carton ondulé.
L’activité des deux sociétés est similaire s’agissant de la maintenance de ces machines outils industrielles dans le domaine très spécifique du carton ondulé, la société CCM étant en outre conceptrice de ses machines, contrairement à la société ODM.
Par des motifs que la cour adopte, le premier juge a considéré à juste titre qu’il était démontré que la société ODM, malgré sa création très récente, avait procédé notamment en 2014 et début 2015, à un démarchage dans des délais brefs auprès de clients de la société CCM, notamment auprès des sociétés Norpack, Sajca, Rock Tenn merchandising display, clients connus de M. Z.
Il résulte ainsi de l’attestation, conforme aux dispositions de l’article 202 du code de procédure civile, de M. K E, directeur technique de la société CCM, qu’en octobre 2014, lors d’une tournée commerciale en Grande Bretagne dont il est justifié par les notes de frais, ce dernier a constaté que M. Z avait démarché peu de temps auparavant les clients de CCM (Saica pack, Belmont Packaging, […], Assist corrugated, DS Smith…) en proposant des devis pour des matériels destinés à des machines CUIR, à un prix inférieur aux devis CCM dont M. Z avait connaissance dans le cadre de ses fonctions de commercial au sein de CCM pour les avoir lui-même établis ou en utilisant les informations recueillies et communiquées par M. C dont M. Z avait eu connaissance lors de sa présence au sein de la société CCM (pièce n°34 intimée).
M. D indique notamment, s’agissant du deuxième client visité lors de cette tournée, la société […] à laquelle avait été proposé un devis CCM établi le 9 juillet 2014 par M. Z alors salarié de CCM, ‘là également j’apprends que la société ODM services a proposé un devis plus intéressant pour le client. J’ai un petit doute également sur le sérieux du prix du devis CUIR établi par M. Z connaissant la difficulté du marché anglais. De toutes les façons, même si le devis CUIR n’a pas été « volontairement laissé en limite haute de tarifs », l’écart de charges entre le deux sociétés est telle qui leur est facile de réaliser une marge conséquente en pratiquant des prix inférieurs aux nôtres. Ceci est d’autant plus vrai dans le cas où ODM services a été informé du devis CUIR par M. Z, ce qui pour moi ne fait aucun doute. En ce qui concerne ce devis, le client n’a pas encore passé commande et me donne ‘une seconde chance’ en reconsidérant mon devis fortement à la baisse pour tenter de reprendre le marché en subissant une double peine :
a/ si je prends la commande ma marge sera réduite obérant les résultats de l’entreprise
b/dans tous les cas le client est maintenant persuadé que nous pratiquons des prix trop élevés et c’est toute ma relation commerciale avec ce client qui est menacée.’
Dans ce dossier […], il est ainsi suffisamment établi que M. Z alors salarié de la société CCM a réalisé en 2014 un devis plus élevé que nécessaire, mal étudié et peu adapté aux besoins du client, ce qui, eu égard à l’expérience professionnelle du salarié et à sa connaissance du secteur, ne peut résulter d’une erreur ou d’une quelconque inexpérience comme l’affirme la société CCM.
Le message de M. E du 22 octobre 2014 confirme la stratégie adoptée par M. Z pour le client Belmont (pièce n°22 intimée); en outre, il est justifié par la société CCM, que contrairement à ce qu’affirme la société ODM, le client n’avait pas été ‘abandonné’ par la société CCM mais au contraire avait été relancé régulièrement tout au long du premier semestre 2014 par M. Z lui-même alors salarié de la société CCM (pièce n°39 intimée).
Aux termes de l’attestation précitée, M. F indique enfin ‘j’ai ensuite continué ma visite en UK et tous les clients que j’ai visités par la suite (Assist corrugated à Andover ; DS Smith Westminster à Sheerness’) m’ont appris que M. Z les avait contactés en leur promettant de bien meilleurs prix que CUIR ce qui me laisse augurer le pire pour le reste de la clientèle France, Europe, monde.’
Comme le relève le premier juge, les procédés ainsi utilisés par la société ODM services tels que relatés par M. E sont confortés par les messages électroniques reçus par M. Z postérieurement à son départ démontrant l’existence de contacts et de commandes faites à la société ODM services par des clients habituels de CCM (pièces n°36 à 39 intimée).
S’agissant de l’utilisation par la société ODM, M. L J et M. G Z, des plans techniques des machines Cuir, la société CCM démontre suffisamment que les appelants disposaient des plans techniques des machines pour intervenir auprès des clients et de fournisseurs (pièces n°73 à 75, 78 et 79 intimée).
Il est en outre établi que, pour l’obtention d’un marché de transfert de machine Cuir à un client égyptien de la société CCM, au détriment de celle-ci (pièce n°78-79), M. L J, en 2015, a été en mesure de fournir les documents techniques réalisés en 1992 pour la société CCM par son fournisseur Infrarood Techniek, pour cette machine de seconde main vendue par un client de CCM (Van der windt) à une société du groupe Hipack en Egypte.
Il affirme que les documents lui ont été envoyés à sa demande par le fournisseur Infrarood Techniek et produit l’échange de messages (pièce n°22-1 appelants).
Aux termes de sa décision, le premier juge s’interroge à bon droit sur la coincidence entre les plans fournis en 1992 à la société CCM et ceux à la disposition de M. L J de la même date.
La cour constate que les appelants ne produisent plus ces plans, lesquels sont cependant communiqués par l’intimée (pièce n°73) avec les échanges intervenus entre M. L J et le client égyptien, l’adresse de M. G Z ayant été mentionnée par erreur sur l’adresse électronique de ce dernier chez la société CCM, de sorte que cette dernière a été informée de ces échanges.
Il est en outre attesté par M. E (pièce n°74 intimée) que les archives concernant la machine en question, installée autrefois chez leur client Van der windt en Belgique, ne comportent plus ces plans mais uniquement les échanges de correspondance entre la société CCM et son fournisseur Infrarood Techniek témoignant de la fourniture effective des matériels.
Enfin, il est établi (pièces 76 et 77 de l’intimée) que la société ODM a adressé au groupe Hipack pour la société égyptienne, le plan du cylindre catoutchouc, lequel plan est identique en mesures précises
au plan du cylindre de la société CCM (pièce n°76-77: plan CCM, plan ODM).
L’ensemble de ces éléments permet, comme l’a retenu le premier juge, de s’interroger légitiment sur l’origine de la possession par M. L J, M. G Z et la société ODM des plans précis de la machine Cuir.
En outre, d’autres situations relatées et justifiées selon les pièces produites par la société CCM, démontrent que la société ODM a effectivement communiqué des plans constituant des copies des plans de la société CCM, les numéros de plans de la société
ODM correspondant au n° de plans de la société CCM avec un coefficient multiplicateur de 63. (pièce n° 75 intimée : message électronique du 8 octobre 2015 pour le fournisseur Masselin; pièce n°86: message du 10 février 2016 Bilokanik ; pièce n° 88 : message électronique du 17 mai 2016 de la société Cetic; pièces n°77-78-79 messages électroniques du 26 juin et 13 juillet 2015 groupe Hipack (machine seconde main susmentionnée, en Egypte) ; plan CCM d’origine/ plan ODM; pièces n°104-105 facture ODM du 5 mars 2019 pour un entraîneur margeur et plans correspondants CCM).
Les appelants affirment que la société CCM adressent à ses clients les plans techniques des machines ce que réfute la société CCM. Ils indiquent également que les pièces étachées sont en vente libre sur Internet.
A l’appui de leurs affirmations, ils produisent des plans et schémas techniques émanant de la société CCM (pièces n°21 A1 à K). Or, ils ne fournissent aucune explication quant aux raisons pour lesquelles ils disposaient de tels documents émanant de la société CCM, les documents étant datés de 1992, 1999, 2007, époques où M. L J était salarié de la société CCM.
Le premier juge s’interroge à juste titre sur la manière dont les appelants ont pu se procurer de tels documents alors que M. L J et M. G Z ne sont plus salariés de la société CCM.
La société CCM pour sa part justifie du travail de recherche et de développement tant sur les machines d’origine que sur les pièces détachées (dessin, usinage, adaptation, stockage) et des coûts engendrés par ce travail avec l’emploi à temps plein d’un salarié chargé de fabriquer ou ajuster les pièces détachées nécessaires aux machines Cuir (pièces n°41, 47 à 50, 15,16 et 80 intimée).
Elle reconnait que certaines pièces sont en vente sur Internet mais nécessitent la possibilité de les identifier, et d’identifier le bon fournisseur. En outre, elle affirme sans être sérieusement démentie que certaines pièces en vente libre doivent être adaptées ou que des logiciels Cuir doivent être chargés sur ledites pièces, tel le variateur Allen Bradley en vente libre mais nécessitant une adaptation par la société CCM.
La société CCM établit ainsi que pour la réalisation des pièces détachées, le plan et l’architecture générale de la machine doivent être connus afin que le calibrage de la pièce à remplacer soit identifié, puis la pièce dessinée, usinée et livrée.
A juste titre, le premier juge a considéré que la société ODM a tiré profit sans bourse délier des investissements intellectuels et financiers de la société CCM.
Dans un marché très concurrentiel et technique, la société ODM a effectivement, à très bref délai après sa création, bénéficié des informations, plans, stratégie commerciale de la société CCM, la présence de M. Z, seul commercial au sein de cette société jusqu’en septembre 2014 lors de la création en janvier 2014 de la société ODM ayant permis à celle-ci comme en attestent les situations rappelées ci-dessus, de disposer de tous éléments nécessaires concernant les clients de la société CCM qu’elle a pu ainsi démarcher aisément.
La société ODM ne produit aucun élément justifiant des démarches effectuées lui permettant d’être aussi rapidement compétitive sur un tel marché, le ticket d’entrée à un salon professionnel comme visiteur et non comme participant, étant insuffisant pour le démontrer.
Comme le relève le premier juge, l’expérience professionnelle de M. L J et de M. G Z au sein de la société CCM ne permet pas d’expliquer le démarchage efficace auprès des clients de la société CCM. Il souligne notamment que pour être aussi rapidement opérationnelle dans une activité pointue et technique, la société ODM devait disposer des logiciels développés par la société CCM, de la documentation précise relative aux machines Cuir et aux pièces détachées et du réseau de contacts des clients et fournisseurs de la société CCM.
La société ODM a bénéficié ainsi d’un avantage par le truchement de procédés déloyaux démontrés ci-dessus ayant faussé le libre jeu de la concurrence en profitant du savoir faire, des plans de la société CCM pour laquelle celle-ci a investi lourdement et depuis de nombreuses années, contrairement à la société ODM qui se borne à recueillir le fruit du travail de sa concurrente.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu’il a considéré que la société CCM démontrait que la société ODM services, M. L J et M. G Z s’étaient livrés à des actes de concurrence déloyale, ledit jugement relevant en outre que le séquestre des éléments saisis a limité les moyens pour la société CCM d’avancer dans sa démonstration de l’ampleur des faits en cause.
3- sur la mesure d’expertise
La société ODM services, M. L J et M. G Z demandent l’infirmation du jugement de ce chef au motif que la mesure d’instruction ordonnée a une portée excessive, les recherches autorisées sont trop vastes et créent une concurrence déloyale dont profitera l’intimée et porte atteinte au secret des affaires.
Or, les faits de concurrence déloyale étant établis, la mesure d’expertise ordonnée par le tribunal aux fins de déterminer le préjudice matériel subi par la société CCM est justifiée.
Il sera en outre rappelé que la procédure ayant autorisé la saisie des éléments permettant de déterminer l’ampleur des faits de concurrence déloyale, a fait l’objet de nombreux recours ayant abouti à l’arrêt irrévocable de la cour d’appel d’Amiens.
Les appelants demandent à la cour à titre subsidiaire de limiter la mission de l’expert, notamment le point 2 ‘se faire remettre les pièces séquestrées par l’huissier de justice ensuite des opérations de saisie réalisées le 2 décembre 2014 en donner connaissance aux parties et décrire les éléments saisis au besoin en annexant le procès-verbal de saisie réalisé par l’huissier de justice’.
En l’espèce, l’expert désigné a déposé son rapport le 2 juillet 2020.
Dans le cadre de ses opérations d’expertise, il a eu accès aux documents saisis le 2 décembre 2014 séquestrés entre les mains de l’huissier, mais n’en a pas donné connaissance aux parties.
Il en résulte que la critique des appelants est devenue sans objet puisque d’une part l’expert n’a pas communiqué aux parties les pièces auxquelles il a eu accès, a déposé son rapport dont les parties ont eu connaissance.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a ordonné une mesure d’expertise avec la mission telle que définie au dispositif de la décision dont appel.
4- sur le préjudice matériel
Le jugement étant confirmé, il appartient au tribunal de déterminer au vu du rapport d’expertise, le préjudice matériel subi par la société CCM du fait des actes de concurrence déloyale de la société ODM services, M. L J et M. G Z.
L’affaire sera donc renvoyée devant le tribunal judiciaire de Lille afin qu’il soit statué sur ce préjudice matériel.
5- sur le préjudice moral subi par la société CCM
La société CCM sollicite l’infirmation du jugement entrepris en ce qu’il lui a accordé à ce titre 5 000 euros et demande la condamnation des appelants à lui verser la somme de 30 000 euros dans les motifs de ses écritures et 100 000 euros dans le dispositif.
L’atteinte portée à l’image et à l’enseigne de la société CCM du fait des agissements la société ODM services, M. L J et M. G Z est suffisamment établie notamment par les procédés déloyaux utilisés par ces derniers pour obtenir des commandes au détriment de la société CCM, en particulier les devis surévalués à la clientèle anglo-saxonne établis par M. Z alors salarié de la société CCM, ce qui a nui à la crédibilité de l’intimée.
Il sera alloué au titre du préjudice moral à la société CCM une somme de 10 000 euros.
Le jugement entrepris sera infirmé sur le quantum alloué.
6- sur la demande de levée de séquestre
La société ODM services, M. L J et M. G Z sollicitent l’infirmation du jugement de ce chef mais ne motivent pas expressément leur opposition à cette demande sauf lorsqu’ils sollicitent l’infirmation du jugement sur la mesure d’expertise ordonnée ou sur la limitation de la mission de l’expert, faisant valoir à nouveau le secret des affaires.
Par arrêt irrévocable en date du 17 mars 2020, la cour d’appel d’Amiens a confirmé l’ordonnance du 12 mai 2015 rendue par le juge des référés du tribunal de grande instance de Lille rejetant la demande de rétractation de l’ordonnance sur requête du 4 novembre 2014 ayant autorisé la société CCM à faire procéder par huissier, en présence d’un expert informatique, à des recherches précises sur les ordinateurs de MM. L J et G Z.
La question de la nullité de la saisie ou de la légitimité de la mesure est définitivement tranchée.
En conséquence, rien ne justifie que le demandeur à la saisie ne puisse pas accéder aux éléments saisis et séquestrés depuis près de sept années, alors même que les faits de concurrence déloyale sont confirmés en appel.
En effet, la société CCM, pour établir le montant de sa demande au titre du préjudice matériel, est en droit d’accéder aux documents séquestrés.
A juste titre, le premier juge a considéré que la communication de ces pièces dans le cadre des opérations d’expertise, eu égard au délai écoulé, ne comportait aucun risque pour la société ODM services.
L’expert dont la mission était notamment de se faire remettre les pièces séquestrées par l’huissier de justice ensuite des opérations de saisie réalisées le 2 décembre 2014 en donner connaissance aux parties et décrire les éléments saisis au besoin en annexant le procès-verbal de saisie réalisé par l’huissier de justice’, n’a cependant pas porté à la connaissance des parties les éléments saisis, les deux parties ayant convenu que l’expert se rendrait seul dans les locaux de chacune des parties pour consultation des documents et informations.
Outre que c’est la société CCM qui a subi un préjudice du fait des agissements fautifs de la société ODM services, M. L J et M. G Z et non le contraire, les éléments saisis et séquestrés datent de décembre 2014, soit près de sept ans auparavant, de sorte que le risque d’une violation du secret des affaires par la société CCM n’est pas démontré.
Il sera donc fait droit à la demande de la société CCM, de communication des pièces séquestrées entre les mains de l’huissier.
Par conséquent, la société ODM services sera déboutée de sa demande de restitution à son seul profit des documents séquestrés.
7- sur les actes de contrefaçon
La société CCM n’indique pas dans le dispositif de ses écritures qu’elle sollicite l’infirmation du jugement de ce chef.
En conséquence, la cour n’est pas saisie de ce chef de demande.
8- sur les autres demandes de la société CCM
– sur l’injonction de faire cesser tout agissement de concurrence déloyale
Par des motifs que la cour adopte, le tribunal a débouté la société CCM de sa demande à ce titre, rappelant d’une part que l’absence de tout agissement de la sorte est une obligation posée par la loi, d’autre part que la demande est trop générale et insusceptible d’exécution forcée.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
— sur la publication de la décision
Au regard des dommages-intérêts alloués au titre du préjudice moral, de ceux qui seront alloués par le tribunal au titre de la réparation du préjudice matériel, suite au dépôt du rapport d’expertise, il convient de rejeter la demande.
La société CCM sera déboutée de sa demande de publication du présent arrêt.
6- sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement sera confirmé de ces chefs.
L’équité commande qu’il soit fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en appel.
La société ODM services, M. L J et M. G Z seront condamnés in solidum à payer à la société CCM la somme de 10 000 euros à ce titre.
La société ODM services, M. L J et M. G Z seront déboutés de leur demande à ce même titre.
Ils seront également condamnés aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, par arrêt mis à la disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement sauf en ce qu’il a condamné in solidum la société ODM services, M. L J et M. G Z à verser à la société Cuir corrugated machinery (CCM) la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne in solidum la société ODM services, M. L J et M. G Z à payer à la société Cuir corrugated machinery (CCM) la somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral,
Ordonne la communication aux parties des pièces séquestrées entre les mains de la SCP Arnaud & associés, huissier de justice ayant procédé à la saisie,
Déboute la société ODM services, M. L J et M. G Z de leur demande de restitution des documents séquestrés,
Renvoie l’affaire devant la 1re chambre du tribunal judiciaire de Lille afin qu’il soit statué sur le préjudice matériel de la société Cuir corrugated machinery (CCM) résultant des actes de concurrence déloyale,
Condamne in solidum la société ODM services, M. L J et M. G Z à payer à la société Cuir corrugated machinery (CCM) la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, pour la procédure d’appel,
Déboute la société ODM services, M. L J et M. G Z de leur demande à ce titre,
Condamne in solidum la société ODM services, M. L J et M. G Z aux dépens d’appel.
Le Greffier Le Président