L’Essentiel : Le tribunal judiciaire de Rennes a statué en faveur de la SAS Districera, condamnant l’EARL [L] à verser 116 795,03 euros pour le paiement de factures impayées. Malgré les contestations de l’EARL concernant la validité des documents fournis, le tribunal a jugé que ceux-ci constituaient un commencement de preuve suffisant. La demande reconventionnelle de l’EARL pour obtenir une indemnité de 3 500 euros a été rejetée, le tribunal considérant que la SAS Districera avait respecté son obligation de bonne foi. En conséquence, l’EARL a également été condamnée à verser 2 500 euros pour les frais de justice.
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Exposé du litigePar acte du 1er février 2022, la SAS Districera a assigné l’Earl [L] devant le tribunal judiciaire de Rennes pour le paiement de 36 factures d’aliments pour bétail, totalisant 116 759,03 euros, impayées malgré une mise en demeure. La SAS Districera a demandé la condamnation de l’EARL HERVE au paiement de cette somme, ainsi qu’à des frais supplémentaires. Conclusions de l’Earl [L]L’EARL [L] a répliqué en demandant le déboutement de la SAS Districera et a formulé une demande reconventionnelle pour obtenir une indemnité de 3 500 euros. Il a également demandé une compensation pour un montant équivalent à celui des factures, arguant d’un manquement à l’obligation de bonne foi de la SAS Districera. Existence de la créanceLe tribunal a examiné la preuve de la créance, notant que la SAS Districera avait fourni des factures et des bons de livraison, mais que l’EARL [L] contestait la validité de ces documents. Malgré les contestations, le tribunal a conclu que les éléments fournis constituaient un commencement de preuve suffisant pour établir l’existence de la créance. Manquement à l’obligation de bonne foiL’EARL [L] a soutenu que la SAS Districera avait manqué à son obligation de bonne foi en tardant à mettre en demeure. Cependant, le tribunal a estimé que la SAS Districera avait continué à soutenir l’EARL [L] en poursuivant les livraisons, ce qui a conduit à un rejet de la demande de l’EARL [L] sur ce point. Demandes accessoiresEn raison de la décision en faveur de la SAS Districera, l’EARL [L] a été condamnée aux dépens et à verser une somme de 2 500 euros à la SAS Districera au titre des frais de justice. Décision du tribunalLe tribunal a condamné l’EARL [L] à verser à la SAS Districera la somme de 116 795,03 euros avec intérêts, a débouté l’EARL [L] de sa demande de dommages et intérêts, et a ordonné le paiement des frais de justice. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la preuve nécessaire pour établir l’existence d’une créance ?Pour établir l’existence d’une créance, l’article 1353 du Code civil stipule que « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ». Cela signifie que la charge de la preuve incombe à la partie qui demande l’exécution de l’obligation. En outre, l’article 1360 du même Code précise que « la preuve par écrit n’est pas exigée lorsque la partie qui l’invoque ne peut se procurer un écrit ». Cela implique que, dans certaines circonstances, la preuve peut être apportée par d’autres moyens, mais cela doit être justifié. Dans le cas présent, la SAS Districera a produit 36 factures et des bons de livraison, mais l’EARL [L] conteste la suffisance de ces éléments. Il est important de noter que, selon la jurisprudence, la seule production de factures ne suffit pas à établir l’existence de la créance, comme l’indique l’arrêt de la 3ème chambre civile du 10 novembre 2016 (n° 15-15.431). Ainsi, bien que la SAS Districera ait fourni des éléments de preuve, il est nécessaire d’examiner si ces éléments, pris ensemble, constituent un commencement de preuve par écrit suffisant pour établir l’existence de la créance. Quelles sont les conséquences d’un manquement à l’obligation de bonne foi dans l’exécution d’un contrat ?L’obligation de bonne foi est un principe fondamental dans l’exécution des contrats, comme le souligne l’article 1104 du Code civil, qui stipule que « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi ». Dans le cas présent, l’EARL [L] soutient que la SAS Districera a manqué à cette obligation en mettant en demeure après un délai de deux ans, ce qui aurait aggravé la situation. Cependant, la SAS Districera a répliqué que l’EARL [L] avait cherché à retarder ses paiements. La jurisprudence a établi que le manquement à l’obligation de bonne foi peut entraîner des conséquences, notamment la possibilité de demander des dommages et intérêts pour le préjudice subi. Dans cette affaire, le tribunal a considéré que la SAS Districera avait continué à livrer des aliments malgré les contestations de l’EARL [L], ce qui démontre un soutien à l’exploitation de l’EARL [L]. Ainsi, le tribunal a conclu que le manque de bonne foi de la SAS Districera n’était pas établi, et l’EARL [L] a été déboutée de sa demande de dommages et intérêts. Quelles sont les implications des articles 700 et 455 du Code de procédure civile dans ce litige ?L’article 700 du Code de procédure civile prévoit que « la partie qui succombe peut être condamnée à payer à l’autre partie une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ». Dans cette affaire, l’EARL [L] a été condamnée à verser à la SAS Districera une somme de 2 500 euros sur le fondement de cet article, en raison de sa défaite dans le litige. L’article 455 du même Code impose aux juges de motiver leur décision en répondant aux moyens des parties. Dans ce cas, le tribunal a examiné les arguments des deux parties et a rendu une décision motivée, en tenant compte des éléments de preuve présentés. Ainsi, les implications de ces articles sont significatives, car elles permettent de garantir que les frais de justice soient compensés et que les décisions judiciaires soient justifiées, renforçant ainsi la transparence et l’équité du processus judiciaire. |
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
[Adresse 4] – tél : [XXXXXXXX01]
06 Janvier 2025
1re chambre civile
50B
N° RG 22/00891 – N° Portalis DBYC-W-B7G-JTKR
AFFAIRE :
S.A.S. DISTRICERA
C/
E.A.R.L. HERVE
copie exécutoire délivrée
le :
à :
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
PRESIDENT : Dominique FERALI, Première vice-présidente
ASSESSEUR : Grégoire MARTINEZ, Juge
ASSESSEUR : Léo GAUTRON, Juge
GREFFIER : Karen RICHARD lors des débats et lors du prononcé du jugement, qui a signé la présente décision.
DÉBATS
A l’audience publique du 04 Novembre 2024
Madame Dominique FERALI assistant en qualité de juge rapporteur sans opposition des avocats et des parties
JUGEMENT
En premier ressort, contradictoire,
prononcé par Madame Dominique FERALI ,
par sa mise à disposition au greffe le 06 Janvier 2025,
rendu par anticipation
Jugement rédigé par Madame Dominique FERALI.
-2-
ENTRE :
DEMANDERESSE :
S.A.S. DISTRICERA
[Adresse 6]
[Localité 2]
représentée par Me Jean-pierre DEPASSE, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant
ET :
DEFENDERESSE :
E.A.R.L. HERVE
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par Maître Valérie LEBLANC de la SELARL ARES, avocats au barreau de RENNES, avocats plaidant
EXPOSE DU LITIGE
Par acte du 1er février 2022, la SAS Districera a fait assigner en paiement devant le tribunal judiciaire de Rennes l’Earl [L].
Elle expose avoir livré des aliments pour bétail et avoir émis 36 factures entre le 12 février 2019 et le 24 décembre 2020 pour un montant total de 116 759,03 euros, lesquelles n’ont pas été réglées malgré une mise en demeure du 19 février 2021, réceptionnée le 25 février 2021.
La SAS Districera a notifié ses dernières conclusions par RPVA le 9 septembre 2022 en demandant au tribunal de :
Vu les articles 1193 et suivants du Code civil, vu l’article 1360 du même Code,
Condamner l’EARL HERVE à payer à la société DISTRICERA la somme de 116.795,03 euros avec intérêts au taux légal à compter de la date de délivrance de l’assignation ; Débouter l’EARL HERVE de sa demande reconventionnelle ; Condamner l’EARL HERVE au paiement d’une somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ; Condamner l’EARL HERVE aux dépens.
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L’Earl [L] a notifié ses dernières conclusions (n°2) par RPVA le 22 novembre 2022 en demandant au tribunal de :
Vu l’article L324-1 du Code Rural et de la pêche maritime,
Vu l’article L110-3 du Code de commerce,
Vu les articles 1353, 1359 et 1360 du Code civil,
A TITRE PRINCIPAL,
DEBOUTER la société DISTRICERA de ses entières demandes, fins et conclusions dirigées contre l’EARL HERVE,CONDAMNER la société DISTRICERA à verser à l’EARL HERVE une indemnité de 3.500 € par application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile,LA CONDAMNER aux entiers dépens.
A TITRE SUBSIDIAIRE,
CONDAMNER la société DISTRICERA à verser à l’EARL HERVE une somme de 116 759,03 € au titre des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du manquement à l’obligation de bonne foi de la société DISTRICERA, ORDONNER la compensation entre les dettes et créances réciproques des parties.
EN TOUT ETAT DE CAUSE,
ECARTER l’exécution provisoire du jugement à intervenir ou, à tout le moins, ordonner la constitution d’une garantie réelle ou personnelle suffisante pour répondre de toutes restitutions ou réparations
CONDAMNER la société DISTRICERA à verser à l’EARL HERVE une indemnité de 3.500 € par application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile,LA CONDAMNER aux entiers dépens.
Il est renvoyé aux dernières conclusions ci-dessus pour l’exposé des moyens de droit et de fait à l’appui des prétentions des parties conformément à l’article 455 du Code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendu le 19 octobre 2023.
1 – L’EXISTENCE DE LA CREANCE
En application de l’article 1353 al 1 du code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Par ailleurs, nul ne peut se constituer une preuve à lui-même et la seule production de factures ne suffit pas à établir l’existence de la créance (3è civ, 10 novembre 2016, n° 15-15.431).
L’article 1360 dispense de la preuve par écrit en cas d’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit ou s’il existe un usage de ne pas établir d’écrit : l’existence d’un usage ne dispense une partie de fournir une preuve littérale de l’obligation dont elle réclame l’exécution que s’il est constaté que cet usage place cette partie dans l’impossibilité de se procurer une preuve écrite (Civ. 1re, 17 mars 1982 : Bull. civ. I, n°114 – Civ. 1re, 28 févr. 1995, no 93-15.448 – Chambre commerciale 22 mars 2011, n° 09-72.426).
La SAS Districera expose que les factures litigieuses sont détaillées et qu’elles sont accompagnées des bons de livraison et des attestations des livreurs. Elle ajoute que l’EARL [L] ne peut à la fois contester les livraisons et se plaindre de leur qualité en arguant d’un préjudice.
Elle précise que conformément aux usages, les ventes ont été conclues oralement et que l’EARL [L] n’a pas contesté les factures.
Par ailleurs elle soutient que son adversaire ne démontre pas avoir acheté auprès d’un autre fournisseur des aliments pour son bétail, alors que celui-ci a nécessairement été nourri.
L’EARL [L] sans contester l’existence de relations contractuelles, réplique que les usages ne dispensent pas d’un commencement de preuve par écrit et que les factures doivent être corroborées par d’autres éléments. Elle relève que les bons de livraison ne concernent que quatre livraisons pour un montant de 1 573,95 euros et qu’au-delà de cette somme, la preuve de sa créance n’est pas rapportée par la SAS Districera.
La SAS Districéra verse 36 factures datées du 12 février 2019 au 24 décembre 2020 pour un montant total de 116 759,03 euros.
Elle verse également les bons de 4 livraisons (n°172 667, 668, 669 et 670) correspondant partiellement aux livraisons effectuées le 12 février 2019 et à la facture de la même date, ainsi que les attestations circonstanciées de trois chauffeurs indiquant avoir effectué des livraisons à l’EARL [L] avec cette précision qu’ils devaient appeler M [L] 30 minutes avant afin qu’il soit présent, et avoir livré les aliments en vidant dans un big bag (mention qui figure sur le bon de livraison. Même si, comme le relève justement l’EARL [L], les dates de livraison et les quantités d’aliments ne sont pas précisées, il constitue un commencement de preuve par écrit.
En revanche, l’attestation de M [E], technico-commercial chez Disricera, est plus précise en ce qu’il décrit des relations commerciales entre 2018 et 2020, sa présence régulière auprès de M [L], qu’il décrit comme un client régulier et actif, pour l’aider à optimiser son exploitation, la façon dont les livraisons étaient faites après commandes orales lors de ses visites à la ferme, ou par SMS de façon peu anticipée.
Ses déclarations sont confirmées par le rapport d’audit d’élevage du 18 mars 2019 en présence de la société Denkavit et le compte rendu de visite du 4 juin 2020, qui avaient pour objectif de définir les conditions matérielles et sanitaires d’élevage et l’alimentation des veaux non sevrés et en phase de sevrage, comme par la production de SMS émanant de M [L] aux termes desquels il demande « à quel moment l’aliment arrive » le 10 avril 2019, « 5 tonnes tu peux ? » le 4 novembre 2019, « 2t de lina broutard, 3t de lina kilo et 3t granulation maïs 80 orge 20» le 12 décembre 2018. Bien que la dernière commande ne soit pas concernée par la présente instance, elle donne une indication sur les volumes d’aliments livrés.
Il convient en outre de relever que les factures litigieuses portent sur ces produits, ainsi que sur de l’Effiamilk et du Vitallin, préconisés dans l’audit du 18 mars 2019 et sur de l’Optilor, cité dans le compte-rendu du 4 juin 2020.
Il n’est par ailleurs indifférent de constater que l’EARL [L] qui en a sans doute perçu la contradiction, ne reprend pas devant le juge du fond le moyen opposé devant le juge des référés fondé sur une contestation sérieuse. Elle soutenait alors que les aliments livrés au cours de la période considérée, dont la qualité et la quantité avaient été préconisées par la SAS Districéra (confirmant ainsi les termes de l’attestation de M [E]), n’étaient pas adaptés et avaient provoqué chez les bovins une acidose ayant entraîné une perte de croissance et une perte financière.
De plus, malgré la sommation qui lui a été délivrée, l’EARL [L] n’a pas produit un extrait de sa comptabilité faisant apparaître les achats d’aliments pour ses bovins durant la période de février 2019 à décembre 2020, ce qui aurait permis de constater l’existence d’un autre fournisseur. Or comme l’affirme à juste raison la SAS Districera les bovins ont nécessairement été alimentés.
Enfin, l’EARL [L] a été relancée mensuellement depuis le 1er mars 2019 pour régler les factures qui ont été émise au fur et à mesure des livraisons et elle a été mise en demeure de payer la somme de 116 759,03 euros, par courrier recommandé d’avocat du 19 février 2021 dont elle a accusé réception le 25 février 2021, sans contester le principe et l’étendue de son obligation.
Il résulte de l’ensemble des pièces versées qu’entre février 2019 et décembre 2020, l’EARL [L] était client de la SAS Districera, les commandes portant sur plusieurs tonnes, se passant selon un usage établi en raison des liens de confiance, oralement ou par SMS, que cette société a été son seul fournisseur d’aliments et que les quantités commandées par SMS sont comparables à celles figurant sur les factures, lesquelles n’ont jamais été contestées.
Si pris individuellement, chaque élément ne suffit pas à établir la preuve de l’existence et du montant de la créance, ils corroborent le commencement de preuve par écrit et satisfont à sa démonstration.
En conséquence, l’EARL [L] sera condamnée à verser à la SAS Districera la somme de 116 795,03 euros avec intérêts au taux légal à compter du 1er février 2022, date de l’assignation.
2 – LE MANQUEMENT A L’OBLIGATION DE BONNE FOI
A titre subsidiaire l’EARL [L] soutient que cette société l’a mise en demeure après un délai de deux ans, laissant ainsi s’aggraver la situation et manquant ainsi à son obligation de bonne foi, ce qui selon la jurisprudence est fautif. Elle soutient dès lors avoir subi un préjudice et demande à titre reconventionnel le versement par la SAS Districera de la somme de 116 795,03 euros, montant qu’elle considère être celui de son préjudice.
La SAS Districera réplique que l’EARL [L] a cherché à reporter ses paiements dans l’attente de la perception de sa rémunération par la société Bigard puis en contestant la qualité des aliments.
La SAS Districera ne justifie pas des affirmations, mais c’est bien au motif que les aliments avaient provoqué, selon elle des pertes dans son cheptel, que l’EARL [L] a élevé une contestation sérieuse devant le juge des référés pour s’opposer à la demande de provision.
Mais l’on peut considérer qu’en refusant de livrer les aliments, commandés sans anticipation, la SAS Districera aurait nécessairement mis à mal l’exploitation d’élevage qui débutait et entraîné la perte du cheptel. En acceptant au contraire de poursuivre les livraisons, elle a maintenu son soutien à l’EARL [L], ce que celle-ci ne peut venir lui reprocher.
En conséquence, le manque de bonne foi de la SAS Districera n’est pas établi et l’EARL [L] sera déboutée de sa demande.
3 – LES DEMANDES ACCESSOIRES
L’EARL [L] qui succombe sera condamnée aux dépens et à verser à la SAS Districera la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code procédure civile
Le tribunal,
Condamne l’EARL [L] à verser à la SAS Districera la somme de 116795,03 euros avec intérêts au taux légal à compter du 1er février 2022 et jusqu’à parfait paiement ;
Dé boute l’EARL [L] de sa demande de dommages et intérêts ;
La condamne à verser à la SAS Districera la somme de de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code procédure civile ;
La condamne aux dépens.
La greffière La présidente
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