Cour de cassation, 8 janvier 2025, Pourvoi n° 24-13.921
Cour de cassation, 8 janvier 2025, Pourvoi n° 24-13.921

Type de juridiction : Cour de cassation

Juridiction : Cour de cassation

Thématique : Perte de nationalité et présomption irréfragable : enjeux constitutionnels et droits fondamentaux.

Résumé

Contexte de la demande de nationalité

Mme [Z] [S] [V] [M] [V] a sollicité un certificat de nationalité française, qu’elle a vu refusé. Elle a alors engagé une action déclaratoire de nationalité, affirmant sa filiation maternelle avec Mme [E] [S] [O], reconnue française par un jugement en 2015. Mme [Z] est née en Égypte en 1987.

Décision de la cour d’appel

L’arrêt de la cour d’appel a statué que, selon l’article 30-3 du code civil, Mme [Z] n’était pas en mesure de prouver sa nationalité française par filiation. Il a été décidé qu’elle était réputée avoir perdu cette nationalité le 9 octobre 2001.

Interprétation de l’article 30-3 du code civil

L’article 30-3 stipule qu’un individu résidant à l’étranger, dont les ascendants ont perdu la nationalité française depuis plus de cinquante ans, ne peut prouver sa nationalité française par filiation, à moins que lui-même ou ses parents n’aient eu la possession d’état de Français.

Évolution jurisprudentielle

La Cour de cassation a précisé que la possession d’état de Français des parents doit être appréciée au moment où le juge statue. En 2019, elle a confirmé que la perte de nationalité pour désuétude doit être constatée par le tribunal, et non considérée comme une fin de non-recevoir.

Questions prioritaires de constitutionnalité

Dans le cadre de son pourvoi, Mme [S] [V] [M] [V] a soumis deux questions prioritaires de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, remettant en question la conformité de l’article 30-3 avec des principes fondamentaux et la garantie des droits.

Examen des questions par la Cour

La première question a été jugée nouvelle et d’un intérêt particulier, car elle concerne des conséquences graves pour les Français de naissance. La seconde question, quant à elle, n’a pas été considérée comme sérieuse, car elle ne portait pas sur une disposition constitutionnelle inédite.

Décision finale de la Cour

La Cour a décidé de renvoyer la première question au Conseil constitutionnel, tout en rejetant la seconde. Cette décision a été prononcée lors de l’audience publique du 8 janvier 2025.

CIV. 1

COUR DE CASSATION

MY1

______________________

QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
______________________

Audience publique du 8 janvier 2025

RENVOI PARTIEL DEVANT LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Mme CHAMPALAUNE, président

Arrêt n° 90 FS-P

Pourvoi n° C 24-13.921

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 8 JANVIER 2025

Par mémoire spécial présenté le 10 octobre 2024, Mme [Z] [S] [V] [M] [V], domiciliée [Adresse 2] (Egypte), a formulé une question prioritaire de constitutionnalité à l’occasion du pourvoi n° C 24-13.921 qu’elle a formé contre l’arrêt rendu le 12 décembre 2023 par la cour d’appel de Paris (pôle 3, chambre 5), dans une instance l’opposant au procureur général près la cour d’appel de Paris, domicilié en son parquet général, [Adresse 1].

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Corneloup, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de Mme [Z] [S] [V] [M] [V], et l’avis de M. Salomon, avocat général, après débats en l’audience publique du 17 décembre 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, Mme Corneloup, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, MM. Bruyère, Ancel, Mmes Peyregne-Wable, Tréard, conseillers, Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire, M. Salomon, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Mme [Z] [S] [V] [M] [V], à qui un certificat de nationalité française a été refusé, a engagé une action déclaratoire de nationalité en soutenant être française par filiation maternelle, pour être née le 19 août 1987 à [Localité 3] (Egypte) de Mme [E] [S] [O], née le 8 octobre 1951 à [Localité 4] (Egypte), laquelle a été reconnue française par un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 19 février 2015.

2. L’arrêt attaqué a jugé qu’en application de l’article 30-3 du code civil, Mme [Z] [S] [V] [M] [V] n’était pas admise à faire la preuve qu’elle avait, par filiation, la nationalité française, et a dit qu’elle était réputée avoir perdu cette nationalité le 9 octobre 2001.

3. L’article 30-3 du code civil dispose :

« Lorsqu’un individu réside ou a résidé habituellement à l’étranger, où les ascendants dont il tient par filiation la nationalité sont demeurés fixés pendant plus d’un demi-siècle, cet individu ne sera pas admis à faire la preuve qu’il a, par filiation, la nationalité française si lui-même et celui de ses père et mère qui a été susceptible de la lui transmettre n’ont pas eu la possession d’état de Français. »

4. Par un arrêt du 28 février 2018 (1re Civ., 28 février 2018, pourvoi n° 17-14.239, Bull. 2018, I, n° 38), la Cour de cassation a jugé que la possession d’état de Français du père ou de la mère du demandeur à l’action déclaratoire de nationalité s’apprécie au jour où le juge statue sur l’action de l’intéressé.

5. Par un arrêt du 13 juin 2019 (1re Civ., 13 juin 2019, pourvoi n° 18-16.838), la Cour de cassation est revenue sur cette jurisprudence en jugeant que, selon l’article 30-3 du code civil, celui qui réside ou a résidé habituellement à l’étranger, où les ascendants dont il tient par filiation la nationalité sont demeurés fixés pendant plus d’un demi-siècle, n’est pas admis à faire la preuve qu’il a, par filiation, la nationalité française si lui-même et celui de ses père et mère qui a été susceptible de la lui transmettre n’ont pas eu la possession d’état de Français. Le tribunal doit, dans ce cas, constater la perte de la nationalité française dans les termes de l’article 23-6. Le texte édicte une règle de preuve et non une fin de non-recevoir au sens de l’article 122 du code de procédure civile, de sorte qu’aucune régularisation sur le fondement de l’article 126 du même code ne peut intervenir.

6. Cet arrêt renoue avec une jurisprudence plus ancienne (1re Civ., 23 février 1977, n° 75-12.799, Bull. civ. I, n° 106), selon laquelle :

« [La cour d’appel] aurait dû rechercher, pour en tirer les conséquences que l’article 144 [devenu l’article 30-3] y attachait, si, comme il était soutenu, [C] [D] et son père n’avaient pas, pendant plus de cinquante ans, été privés de la possession d’état de Français dans le pays étranger où ils résidaient, sans qu’une immatriculation au consulat français, attestée en 1950, eut pu anéantir les effets d’une perte déjà acquise de nationalité ».

7. Cette jurisprudence est appliquée de façon constante depuis 2019 (1re Civ., 10 février 2021, pourvoi n° 19-50.050, 1re Civ., 12 juillet 2023, pourvoi n° 22-16.946, publié, 1re Civ., 20 décembre 2023, pourvoi n° 21-25.474). La Cour de cassation a précisé que si l’article 30-3 du code civil n’était pas opposé à l’ascendant direct, dont la nationalité française était établie, il ne pouvait l’être à ses enfants mineurs au jour de l’introduction de l’action déclaratoire de nationalité, lesquels suivaient la condition du parent dont ils tenaient leur nationalité (1re Civ., 29 juin 2022, pourvoi n° 21-50.032, publié ; 1re Civ., 27 novembre 2024, pourvoi n° 23-19.405, publié).

PAR CES MOTIFS, la Cour :

RENVOIE au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

« L’article 30-3 du Code civil, tel qu’interprété par la jurisprudence constante de la Cour de cassation, est-il contraire au principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel la perte de la qualité de Français par désuétude ne peut être constatée que par un jugement, en ce qu’il instaure une présomption irréfragable de perte de la nationalité française à l’expiration du délai cinquantenaire d’expatriation de l’ascendant, en l’absence de possession d’état de l’intéressé et de son ascendant durant ce délai ? »

DIT N’Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la seconde question prioritaire de constitutionnalité ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit janvier deux mille vingt-cinq.

 


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