→ RésuméLe carton d’avertissement des téléspectateurs est déterminant pour préserver la présomption d’innocence. En rappelant l’article 9-1 du code civil, il contextualise le film « Grâce à Dieu », qui aborde des faits du point de vue des victimes. Le Père Preynat, mis en examen pour des atteintes sexuelles sur mineurs, a tenté de faire suspendre la diffusion du film, mais sa demande a été rejetée. La liberté d’expression et la présomption d’innocence doivent être équilibrées par le juge, tenant compte de l’intérêt général et de l’impact sur la procédure pénale, tout en respectant les droits de chacun. |
Le carton d’avertissement des téléspectateurs joue un rôle déterminant dans l’appréciation de l’atteinte à la présomption d’innocence. Le rappel de la règle de droit protectrice de l’article 9-1 du code civil avant ou après le visionnage du film n’est pas vain, précisément parce qu’il clôture ou annonce un film qui relate des faits uniquement du point de vue des victimes et rappelle aux spectateurs la réalité du contexte juridique et judiciaire.
Affaire du Père Preynat
Le Père Preynat a été mis en examen du chef d’atteintes sexuelles sur des mineurs qui auraient été commises entre 1986 et 1991 alors qu’il était prêtre dans le diocèse de Lyon. Il a également été entendu en qualité de témoin assisté concernant des viols qui auraient été commis au cours de la même période.
Par acte du 31 janvier 2019, il a assigné les sociétés Mandarin production, Mars films et France 3 cinéma en référé aux fins, notamment, de voir ordonner, sous astreinte, la suspension de la diffusion du film « Grâce à Dieu », prévue le 20 février 2019, quelle qu’en soit la modalité, jusqu’à l’intervention d’une décision de justice définitive sur sa culpabilité. Le refus de cette mesure d’interdiction a été confirmé en cassation.
Liberté d‘expression v/ Présomption d’innocence
Selon l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à un procès équitable et toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
Selon l’article 10 de cette Convention, toute personne a droit à la liberté d’expression mais son exercice peut être soumis à certaines restrictions ou sanctions prévues par la loi qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, notamment à la protection de la réputation ou des droits d’autrui pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.
En vertu de l’article 9-1 du code civil, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures aux fins de faire cesser l’atteinte à la présomption d’innocence. Une telle atteinte est constituée à condition que l’expression litigieuse soit exprimée publiquement et contienne des conclusions définitives tenant pour acquise la culpabilité d’une personne pouvant être identifiée relativement à des faits qui font l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire, ou d’une condamnation pénale non encore irrévocable (1re Civ., 10 avril 2013, pourvoi n° 11-28.406, Bull. 2013, I, n° 77).
Le droit à la présomption d’innocence et le droit à la liberté d’expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de mettre ces droits en balance en fonction des intérêts en jeu et de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime.
Cette mise en balance doit être effectuée en considération, notamment, de la teneur de l’expression litigieuse, sa contribution à un débat d’intérêt général, l’influence qu’elle peut avoir sur la conduite de la procédure pénale et la proportionnalité de la mesure demandée (CEDH, arrêt du 29 mars 2016, Bédat c. Suisse [GC], n° 56925/08).
Application pratique
Si le film «Grâce à Dieu» retrace le parcours de trois personnes qui se disent victimes d’actes à caractère sexuel infligés par le prêtre en cause lorsqu’ils étaient scouts, fait état de la dénonciation de ces faits auprès des services de police et de la création d’une association rassemblant d’autres personnes se déclarant victimes de faits similaires et si, à la suite de plusieurs plaintes dont celles émanant des personnages principaux du film, le Père Preynat fait l’objet d’une information judiciaire en cours au jour de sa diffusion en salles, ce film n’est cependant pas un documentaire sur le procès à venir.
Présenté par son auteur comme une oeuvre sur la libération de la parole de victimes de pédophilie au sein de l’église catholique, il s’inscrit dans une actualité portant sur la dénonciation de tels actes au sein de celle-ci et dans un débat d’intérêt général qui justifie que la liberté d’expression soit respectée et que l’atteinte susceptible de lui être portée pour assurer le droit à la présomption d’innocence soit limitée.
De surcroît, le film débute sur un carton indiquant « Ce film est une fiction, basée sur des faits réels », informant le public qu’il s’agit d’une oeuvre de l’esprit et s’achève par un autre carton mentionnant « Le père Preynat bénéficie de la présomption d’innocence. Aucune date de procès n’a été fixée ». Grâce à cette information à l’issue du film venant avant le générique, tous les spectateurs sont ainsi informés de cette présomption au jour de la sortie du film.
Enfin, les éléments exposés dans le film étaient déjà connus du public et la suspension de la sortie du film jusqu’à l’issue définitive de la procédure pénale mettant en cause le Père Preynat pourrait à l’évidence ne permettre sa sortie que dans plusieurs années, dans des conditions telles qu’il en résulterait une atteinte grave et disproportionnée à la liberté d’expression.
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