Cour de cassation, 5 février 2025, Pourvoi n° 23-13.503
Cour de cassation, 5 février 2025, Pourvoi n° 23-13.503

Type de juridiction : Cour de cassation

Juridiction : Cour de cassation

Thématique : Conflit de compétence sur l’employeur dans un contexte international

Résumé

Engagement et Affectation

Selon l’arrêt attaqué, un salarié a été engagé par une société turque, Unilever Sanayi Ve Ticaret Turk AS, à compter du 1er mars 1999. Par la suite, une lettre d’affectation internationale a été émise le 7 mars 2014, transférant le salarié à une autre société, Unilever France, pour une durée de trois ans, où il a exercé les fonctions de directeur financier. Un contrat de travail à durée indéterminée a été signé le 10 juin 2014 entre le salarié et Unilever France.

Prolongation de l’Affectation

L’affectation du salarié a été prolongée à deux reprises, d’abord jusqu’au 28 février 2018, puis jusqu’au 31 juillet 2018, par des lettres du conseiller en mobilité global d’Unilever. Cependant, en l’absence de proposition de réintégration, la société Unilever Turquie a rompu le contrat de travail du salarié par lettre du 26 mars 2018, avec un préavis de dix-huit semaines et une indemnité de départ forfaitaire.

Saisine du Conseil de Prud’hommes

Le 22 octobre 2018, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre pour établir qu’Unilever France était son employeur, ou que les deux sociétés, Unilever France et Unilever Turquie, étaient des employeurs conjoints. Il a demandé des dommages-intérêts pour licenciement nul, ou subsidiairement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que diverses indemnités liées à l’exécution et à la rupture de son contrat de travail.

Examen des Moyens et Exception d’Incompétence

Le salarié a contesté la décision de la cour d’appel qui a déclaré Unilever Turquie hors de cause et a accueilli l’exception d’incompétence territoriale soulevée par cette dernière. Il a fait valoir que, selon le règlement européen, un employeur non domicilié peut être attrait devant la juridiction du dernier lieu de travail habituel du salarié. La cour a cependant retenu que le salarié avait principalement travaillé en Turquie et que la société Unilever France n’était pas son employeur, mais simplement l’entreprise d’accueil.

Conclusion de la Cour

La cour a conclu que le salarié avait exécuté son contrat de travail à Rueil-Malmaison au sein d’Unilever France, mais a jugé que le lieu d’accomplissement principal du travail était en Turquie. De plus, la double nationalité du salarié et l’absence d’éléments d’extranéité ont été des facteurs déterminants pour établir que le litige ne pouvait pas être rattaché à la France. En statuant ainsi, la cour d’appel a été jugée en violation des textes applicables concernant la compétence territoriale.

SOC.

JL10

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 5 février 2025

Cassation

M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 126 F-D

Pourvoi n° C 23-13.503

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 FÉVRIER 2025

M. [C] [J], domicilié [Adresse 2], [Localité 3], a formé le pourvoi n° C 23-13.503 contre l’arrêt rendu le 18 janvier 2023 par la cour d’appel de Versailles (19e chambre), dans le litige l’opposant :

1°/ à la société Unilever Sanayi Ve Ticaret Turk, société anonyme, dont le siège est [Adresse 6], [Localité 4] (Turquie),

2°/ à la société Unilever France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 5],

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Ollivier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [J], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat des sociétés Unilever Sanayi Ve Ticaret Turk et Unilever France, après débats en l’audience publique du 8 janvier 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ollivier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Sommé, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Versailles, 18 janvier 2023), M. [J] a été engagé par la société turque Unilever Sanayi Ve Ticaret Turk AS (la société Unilever Turquie) suivant un contrat de travail à compter du 1er mars 1999.

2. Par une lettre d’affectation internationale du 7 mars 2014, il a été affecté à [Localité 5] au sein de la société Unilever France pour une durée de trois ans du 1er mars 2014 au 28 février 2017 pour y exercer les fonctions de directeur financier France. Le 10 juin 2014, M. [J] et la société Unilever France ont conclu un contrat de travail à durée indéterminée.

3. Par lettres du 1er mars 2017 puis du 9 avril 2018 du conseiller en mobilité global Unilever valant addendum à la lettre d’affectation internationale du 7 mars 2014, l’affectation à [Localité 5] en France a été prolongée à deux reprises jusqu’au 28 février 2018, puis jusqu’au 31 juillet 2018.

4. En l’absence de proposition de réintégration, par lettre du 26 mars 2018, la société Unilever Turquie a rompu le contrat de travail de M. [J] à la date du 31 juillet 2018, avec préavis d’une durée de dix-huit semaines et paiement d’une indemnité de départ forfaitaire.

5. Le 22 octobre 2018, M. [J] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre afin qu’il constate que la société Unilever France était son employeur ou, à tout le moins, que les sociétés Unilever France et Unilever Turquie étaient des employeurs conjoints, et qu’il condamne solidairement les sociétés Unilever France et Unilever Turquie au paiement de dommages-intérêts pour licenciement nul, subsidiairement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que de diverses indemnités et sommes liées à l’exécution et à la rupture du contrat de travail.

Réponse de la Cour

Vu l’article 21 du règlement (UE) n° 1215/2012, du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale :

7. Selon ce texte, un employeur qui n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait, dans un État membre, devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail.

8. Pour accueillir l’exception d’incompétence territoriale, l’arrêt retient d’abord que le salarié invoque l’application de la clause d’attribution de compétence de l’avenant du 12 septembre 2017 en son article 14.3 qui n’est pas applicable dans le cadre de la rupture du contrat de travail avec la société Unilever Turquie.

9. L’arrêt relève ensuite que la société Unilever France n’est pas l’employeur ni le coemployeur du salarié mais l’entreprise d’accueil dans le cadre d’un détachement, que le contrat de travail a été conclu à [Localité 4] en Turquie par le salarié et Unilever Turquie, où l’employeur a son siège social, que le travail a été accompli pendant près de treize années en Turquie et pendant deux périodes de détachement au Royaume-Uni et en France, qu’il s’en déduit que vis-à-vis d’Unilever Turquie, le lieu d’accomplissement de l’essentiel du travail du salarié a été la Turquie et que les règles de compétence territoriale fixées à l’article R. 1412-1 du code du travail étendues à l’ordre international ne sont pas réunies, de sorte que la compétence des juridictions françaises ne peut être fondée sur ces règles.

10. Enfin, l’arrêt retient que le salarié a la double nationalité turque et britannique et qu’aucun élément d’extranéité ne permet de rattacher le litige qui l’oppose à la société Unilever Turquie à la France.

11. En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que le salarié avait exécuté son contrat de travail à Rueil-Malmaison au sein de la société Unilever France du 7 mars 2014 au 31 juillet 2018, date de la rupture du contrat de travail, en sorte que Rueil-Malmaison était le dernier lieu où le salarié avait accompli habituellement son travail, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

 


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