Cour de cassation, 29 janvier 2025, Pourvoi n° 24-40.028
Cour de cassation, 29 janvier 2025, Pourvoi n° 24-40.028

Type de juridiction : Cour de cassation

Juridiction : Cour de cassation

Thématique : Égalité des sexes et nationalité : une question de constitutionnalité soumise.

Résumé

Transmission de la question prioritaire de constitutionnalité

Le tribunal judiciaire de Paris a, par un jugement rendu le 24 octobre 2024, transmis une question prioritaire de constitutionnalité concernant l’article 9 de l’ordonnance n° 45-2441 du 19 octobre 1945. Cette question interroge la conformité de cet article, qui établit une distinction de perte de nationalité française en fonction du sexe lors de l’acquisition d’une nationalité étrangère, avec le principe d’égalité inscrit dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946.

Contexte du litige

Le litige concerne une action déclaratoire de nationalité française introduite par [W] [P], née le 11 mai 1924, qui souhaitait établir qu’elle était de nationalité française malgré l’acquisition d’une autre nationalité par le biais de son mariage. [W] [P] est décédée le 16 mai 2020, et ses héritiers, [E] [D], [C] [D], [L] [D] et [G] [D], ont poursuivi l’instance en leur nom personnel.

Conformité à la Constitution

La disposition contestée n’a pas été déclarée conforme à la Constitution dans une décision antérieure du Conseil constitutionnel. Cela soulève des questions sur la légitimité de la perte automatique de la nationalité française pour une femme qui acquiert volontairement une nationalité étrangère, alors qu’un homme dans la même situation ne perdrait sa nationalité qu’avec l’autorisation du gouvernement.

Caractère sérieux de la question

La question posée est jugée sérieuse, car elle pourrait être interprétée comme une violation du principe d’égalité, en raison de la différence de traitement entre les hommes et les femmes concernant la perte de nationalité. Cette inégalité pourrait être en contradiction avec les droits garantis par la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ainsi que par le préambule de la Constitution.

Renvoi au Conseil constitutionnel

En conséquence, la Cour de cassation a décidé de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel pour qu’il se prononce sur la conformité de la disposition contestée. Cette décision a été prononcée en audience publique le 29 janvier 2025.

CIV. 1

COUR DE CASSATION

MY1

______________________

QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
______________________

Audience publique du 29 janvier 2025

RENVOI

Mme CHAMPALAUNE, président

Arrêt n° 152 F-D

Affaire n° E 24-40.028

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 29 JANVIER 2025

Le tribunal judiciaire de Paris a transmis à la Cour de cassation, suite au jugement rendu le 24 octobre 2024, la question prioritaire de constitutionnalité, reçue le 4 novembre 2024, dans l’instance mettant en cause :

D’une part,

1°/ Mme [E] [D], domiciliée [Adresse 5] (Royaume-Uni),

2°/ M. [C] [D], domicilié [Adresse 1] (Royaume-Uni),

3°/ Mme [L] [D], domiciliée [Adresse 2] (Royaume-Uni),

4°/ M. [G] [D], domicilié [Adresse 3] (Royaume-Uni),

agissant tous quatre tant en leur nom personnel qu’en qualité d’héritiers d'[W] [P], décédée le 16 mai 2020,

D’autre part,

le procureur de la République Arnaud Feneyrou, Vice-procureur, domicilié en son parquet général, [Adresse 7],

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Ancel, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mmes [E] et [L] [D] et de MM. [G] et [C] [D], et l’avis de M. Poirret, premier avocat général, après débats en l’audience publique du 21 janvier 2025 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Ancel, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

1. Par jugement du 24 octobre 2024, le tribunal judiciaire de Paris a transmis une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

« L’article 9 de l’ordonnance n° 45-2441 du 19 octobre 1945, dans sa version initiale, applicable du 20 octobre 1945 au 1er juin 1951, en ce qu’il institue une distinction, fondée sur le sexe, de perte de nationalité française en cas d’acquisition d’une nationalité étrangère, méconnaît-il le principe d’égalité prévu aux articles 1er et 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 27 août 1789 et le principe issu du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 garantissant à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux des hommes ? »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

2. La disposition contestée est applicable au litige, qui concerne l’action déclaratoire de nationalité française introduite par [W] [P], née le 11 mai 1924 à [Localité 6] aux fins de voir dire qu’elle était de nationalité française sans que l’acquisition d’une autre nationalité, à l’occasion de son mariage, l’ait privée de sa nationalité française. [W] [P] est décédée le 16 mai 2020 à [Localité 4]. Mme [E] [D], M. [C] [D], Mme [L] [D] et M. [G] [D] sont intervenus à l’instance en leur nom personnel et en qualité d’héritiers de [W] [D].

3. Cette disposition, dans la version applicable au litige, n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel.

4. La question posée présente un caractère sérieux en ce que la perte automatique de la nationalité française attachée à l’acquisition volontaire d’une nationalité étrangère par une Française, pourrait être regardée comme portant atteinte au principe constitutionnel d’égalité prévu aux articles 1er et 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 27 août 1789 et au principe issu du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 garantissant à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux des hommes, dès lors que, dans la même situation, un Français ne perdait la nationalité française que s’il en demandait l’autorisation au gouvernement français.

5. En conséquence, il y a lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

 


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