Type de juridiction : Cour de cassation
Juridiction : Cour de cassation
Thématique : Condamnations pénales : des données « très » sensibles
→ RésuméLe droit au déréférencement est crucial pour les données sensibles, notamment les condamnations pénales. Dans une affaire, un expert-comptable a obtenu le déréférencement de sa condamnation pour escroquerie, initialement publiée par un journal. Bien que la Cour d’appel ait jugé que l’intérêt public justifiait le maintien de l’information, la Cour de cassation a censuré cette décision, soulignant la nécessité d’évaluer la gravité de l’ingérence dans la vie privée. Elle a insisté sur le fait que l’inclusion des liens litigieux devait être strictement nécessaire pour protéger la liberté d’information, afin d’éviter un trouble manifestement illicite.
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Le droit au déréférencement joue à plein pour les données très sensibles telles que les condamnations pénales.
Condamnation pour escroquerie
Un expert-comptable
et commissaire aux comptes, a obtenu en cassation, le déréférencement de sa
condamnation pour escroquerie, référencée par les archives d’un titre de
presse. Un tribunal correctionnel avait déclaré
le prévenu coupable d’escroquerie et de tentative d’escroquerie et l’avait condamné
à quatre mois d’emprisonnement avec sursis et 20 000 euros d’amende, ainsi qu’à
payer une certaine somme à l’administration fiscale. Sa condamnation était intervenue
à raison d’une fausse déclaration de location en meublé professionnel portant
sur une propriété acquise par une EURL qu’il avait lui-même créée et financée,
donnée à bail à son associé, qui lui a permis de bénéficier à tort de
l’exonération de la TVA.
Deux comptes-rendus d’audience
relatant cette condamnation pénale ont été publiés sur le site Internet du
journal « Le Républicain lorrain ». Soutenant que ces articles, bien
qu’archivés sur le site du journal, étaient toujours accessibles par le biais
d’une recherche effectuée à partir de ses nom et prénom sur le moteur de
recherche Google, et reprochant à la société Google, d’avoir refusé de procéder
à la suppression des liens litigieux, l’expert-comptable l’a assignée aux fins
de déréférencement.
Statut des condamnations et mesures de sureté
Au sens de la loi n° 78-17 du 6
janvier 1978, les traitements de données à caractère personnel relatives aux
infractions, condamnations et mesures de sûreté ne peuvent être mis en oeuvre
que par les juridictions, les autorités publiques et les personnes morales
gérant un service public, agissant dans le cadre de leurs attributions légales,
les auxiliaires de justice, pour les stricts besoins de l’exercice des missions
qui leur sont confiées par la loi, et les personnes morales mentionnées aux
articles L. 321-1 et L. 331-1 du code de la propriété intellectuelle, agissant
au titre des droits dont elles assurent la gestion pour le compte des victimes
d’atteintes aux droits prévus aux livres Ier, II et III du même code aux fins
d’assurer la défense de ces droits.
Toute personne physique a le
droit de s’opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère
personnel la concernant fasse l’objet d’un traitement et peut exiger du
responsable d’un traitement que soient, selon les cas, rectifiées, complétées,
mises à jour, verrouillées ou effacées les données qui sont inexactes,
incomplètes, équivoques, périmées, ou dont la collecte, l’utilisation, la
communication ou la conservation est interdite.
Par arrêt du 24 septembre 2019 (Affaire
C-136/17), la CJUE a considéré que l’interdiction
ou les restrictions relatives au traitement des catégories particulières de
données à caractère personnel, s’appliquent, sous réserve des exceptions
prévues par cette directive, également à l’exploitant d’un moteur de recherche
dans le cadre de ses responsabilités, de ses compétences et de ses possibilités
en tant que responsable du traitement effectué lors de l’activité de ce moteur,
à l’occasion d’une vérification opérée par cet exploitant, sous le contrôle des
autorités nationales compétentes, à la suite d’une demande introduite par la personne
concernée.
L’exploitant d’un moteur de
recherche est en principe obligé, sous réserve des exceptions légales, de faire
droit aux demandes de déréférencement portant sur des liens menant vers des
pages web sur lesquelles figurent des données à caractère personnel qui
relèvent des catégories particulières.
Lorsque l’exploitant d’un moteur
de recherche est saisi d’une demande de déréférencement portant sur un lien
vers une page web sur laquelle des données à caractère personnel relevant des
catégories particulières, cet exploitant doit, sur la base de tous les éléments
pertinents du cas d’espèce et compte tenu de la gravité de l’ingérence dans les
droits fondamentaux de la personne concernée au respect de la vie privée et à
la protection des données à caractère personnel, vérifier, au titre des motifs
d’intérêt public important, si l’inclusion de ce lien dans la liste de
résultats, qui est affichée à la suite d’une recherche effectuée à partir du nom
de cette personne, s’avère strictement nécessaire pour protéger la liberté
d’information des internautes potentiellement intéressés à avoir accès à cette
page web au moyen d’une telle recherche.
Il s’ensuit que, lorsqu’une
juridiction est saisie d’une demande de déréférencement portant sur un lien
vers une page internet sur laquelle des données à caractère personnel relatives
aux infractions, condamnations et mesures de sûreté sont publiées, elle doit,
pour porter une appréciation sur son bien-fondé, vérifier, de façon concrète,
si l’inclusion du lien litigieux dans la liste des résultats, affichée à la
suite d’une recherche effectuée à partir du nom d’une personne, répond à un
motif d’intérêt public important, tel que le droit à l’information du public,
et si elle est strictement nécessaire pour assurer la préservation de cet
intérêt.
Contrôle de proportionnalité
En appel, le référencement de la
condamnation de l’expert-comptable a été considéré comme présentant un
caractère pertinent en raison de sa profession, dès lors que celui-ci est
amené, en sa qualité d’expert-comptable, à donner des conseils de nature
fiscale à ses clients et que ses fonctions de commissaire aux comptes appellent
une probité particulière. L’intérêt des internautes à avoir accès à
l’information relative à sa condamnation pénale, en lien avec sa profession,
doit prévaloir sur le droit à la protection des données à caractère personnel.
La Cour de cassation a censuré ce contrôle trop «mesuré» de l’ingérence dans les droits de l’expert-comptable. En se déterminant ainsi, la Cour d’appel, sans rechercher, comme il le lui incombait, si, compte tenu de la sensibilité des données en cause et, par suite, de la particulière gravité de l’ingérence dans le droit au respect de sa vie privée et à la protection de ses données à caractère personnel, l’inclusion des liens litigieux dans la liste des résultats était strictement nécessaire pour protéger la liberté d’information des internautes potentiellement intéressés à avoir accès aux pages internet concernées, à défaut de quoi serait caractérisé un trouble manifestement illicite au sens de l’article 809 du code de procédure civile, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. Téléchargez la décision
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